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    Il était une fois un loup bien spécial (roman)

    Par Virgile ROBALLO

    « Il était une fois ...
     Un Loup Très Spécial
     Qui mangeait les fleurs des bois d'Espagne
    Et croquait les enfants des villages du Portugal »

     

     

              - Ces auteurs ! Tous des menteurs ! Proteste le lecteur ! Mais les loups ne mangent pas de...

              - Mais si ! Mais si ! Fais comme le petit Wald et n'écorche pas son prénom ! Mais c'est qu'il ne serait pas content. Puis assieds-toi sur le petit tabouret de bois ! Oui bien sûr à côté de lui. Mais arrête de faire du bruit ! C'est que tu vas faire perdre le fil de l'histoire à Papy !...

    - Mais ce vieux est qui ? Il est vraiment ton papy ?

    - T'es bavard comme une pie ! Mais regarde ! Regarde, comme il est beau mon papy David ! Eh chut ! Écoute donc...

     

    ***

        -  Quarante ans de paix ! Clame Satan Lazar.

    -  Âne mort, foin au cul ! Dit grand-père.

    Toutes les radios internationales ou presque évoquaient à chaque bulletin d’informations les événements concernant les atrocités commises en Angola. Radio Lisbonne resta curieusement sourde comme une taupe. Rien ne passait. Rien ne filtrait. Rien n’existait.  Au bout d’une semaine Le Chef en titre depuis plus de trente ans sans contestation aucune possible et autorité suprême après ou avant Dieu selon l’intérêt du Bled National permis enfin que l’on évoque le sujet, mais avec les plus grandes précautions.

        Il ne s’agissait que d’un petit groupe de bandits terroristes, que l’on pouvait compter sur les cinq doigts de la main, venant de l’ex-Congo belge voisin avait perturbé l’ordre sociale dans notre belle province d’outremer de l’Angola. Mais ils furent aussitôt mis hors d’état de nuire par nos fidèles et héroïques forces armées. Le calme et la joie de vivre entre blancs et noirs en Angola continuait d’être un exemple pour le monde décadent, dégénéré et de pagaille des démocraties.

    Grand-père apprit la vérité tragique angolaise par « Radio Moscou », que selon le mentor de Lisbonne ne disait pas la vérité. C’est vrai que papy se méfiait de la guerre des ondes. Il écoutait les étrangères en cachette et la radio nationale au vu de tous. Ensuite il lisait entre les lignes, comme il disait avec un sourire qui voulait dire davantage et tirait ses propres conclusions.

    Sans être vraiment surpris par la tournure des événements grand-père accueillait la croissance de violence meurtrière, du côté des opprimés et du côté des oppresseurs, avec une crainte pour les siens, pensant toujours que sa petite famille échapperait au pire.

    Cependant au bout de deux semaines une lettre envoyée par Armando à ses parents arriva et mis tout le village de Roustina dans les pleurs et la révolte.

     Comment ces sauvages-là avaient-ils osé toucher et put tuer un blanc, protestait Monsieur le Curé.

    Dans le cœur de grand-père il n’avait pas de ressentit vers ces hommes noirs, mais de la douleur, une douleur qui lui enlevait toute envie de vivre. Il se disait en lui-même qu’un père était indigne de vivre après la mort de son fils, mais aussi de celle de sa bru. L’ordre des choses n’était pas respecté et le raisonnable n’existait plus. Alors où était la volonté de vivre. Il n’en avait plus !

    Des pleurs, des douleurs chaque jour continuaient de grossir chaque jour le débit, aussi bien du fleuve angolais Kwanza que du lusitanien Tage. Cependant de son embouchure ne soufflait ni bon ni mauvais vent. Rien.

    Ainsi par un miracle de plus de Notre Dame de Fatima, les coups de ciseau de la censure, coupant chaque jour dans le vif du corps de Marie Liberté apprenaient à celle-ci, que les problèmes dont on ne parle pas n’existent pas.

     Par sa grâce divine, notre Portugal continuait de vivre la vie dans la paix la plus tranquille du Monde Civilisé.

    Mais grand-père, depuis la lettre tragique, avait perdu tout espoir. Néanmoins au fond de son cœur sacrifié restait une petite étincelle en ce qui concernait son Wald. D’après un griffonnage nerveux en bas de la deuxième page sale et jaunâtre, Armando insinuait que le gamin se serait peut-être enfui et caché dans la sacristie de la chapelle Sainte Madeleine, voisine du malheureux Musseque de Lixeira.

         Depuis que cette supposition lui était parvenue grand-père remuait toute la terre, ainsi que toute la saleté des décharges gouvernementales à ciel ouvert de Lisbonne à Luanda. Il croyait ainsi exorciser la mort de ses enfants dans la recherche de son petit-fils. Si au moins il était resté en vie, la vie aurait vaincu la mort, la douleur serait moins sombre et le tunnel s’ouvrirait vers une lueur d’espoir.

    Et la lumière se fit ! Cinq mois après les ténèbres du 15 mars, Wald arriva de Lisbonne à dos de jument en compagnie de son papy. Le village presque tout entier et même Monsieur le curé voulaient organiser une fête. Grand-père, n’avait pas l’âme à de telles manifestations festives. Regardant Monsieur le curé dans les yeux il lui dit :

                     « Burro morto, feno no rabo ! « Ce qui voulait dire : A âne mort, foin au cul !

     

    * * *

     

     Comme la reine Jézabel

    Nous étions en plein mois de juillet de 1961. A huit heures du matin le soleil brûlait déjà comme l’eau de vie dans la gorge de grand-père

     David. Il venait d'être torturé, comme le Portugal, par une méchanceté de plus de ma grand-mère Isabel. Dois-je l'appeler grand-mère ? Était-elle une grand-mère pour moi ? Rien n’est moins sûr mon lecteur ! Ce que j'ai découvert plus tard, peut-être en écrivant ces pages, c'est que son cœur était de pierre et cruel comme celui du personnage biblique la reine Jézabel. De ses yeux ne sortaient jamais des larmes mais des regards rouges de méchancetés.

    Grand-père fut surpris de ma présence. Premièrement il baissa les yeux, puis j'ai cru apercevoir un regard triste et embarrassé. Il avait dans sa main droite un petit verre translucide. Se tournant vers moi il fit un geste de bonne santé et me dit :

    -             C’est pour tuer « O bicho » c’est-à-dire, c'est pour trucider le ver. Il s'en suivit un rire jaune qui se voulait quelque peu amusant. Mais aussitôt un air de joie éclaira son visage et comme s'il venait de me découvrir à l'instant il ajouta maintenant en plaisantant :

    -             Mais c'est mon petit Wald, mon Waldinho. Comment va mon petit lapin blanc et noir ! Viens dans mes bras, viens là mon petit sauvage !

     

    ***

     

    Rentre lecteur ami

    Je suis là ! La porte est ouverte ! Rentre lecteur ami, sois le bienvenu. Il est temps que tu sois salué aussi. Prends ce verre de porto. Buvons à notre amitié, puis tout au long du chemin de ce récit marchons et parlons ensemble.

    Mais ne va pas croire déjà, que si ma grand-mère était méchante comme la reine Jézabel, que mon grand-père était une saloperie comme l’était l'ignoble roi Achab, son époux.

    Non, pas du tout ! Mais si tu me prêtes attention tu vas comprendre. Mon grand-père n'était pas un roi. Non, mon cher lecteur. Mon grand-père était mon grand-père. Il était mon royaume, il était mon âge d'or, il était mon...

    Oui, mon ami lecteur. J'ai bien vu que mon petit Papy parlait ainsi pour dissimuler la douleur qui brûlait en lui. Je crois que ledit ver qu'il voulait tuer, plus haut dans ce récit, était ma grand-mère !

    Mais, en me voyant, le visage de mon grand-père se transforma complètement. Dans son regard se levait un soleil de juillet à la lumière tamisée de douceur. Son visage se couvrit de joie et d'une chaude tendresse. J'ai senti tomber sur mes épaules un manteau protecteur. Un manteau blanc comme celui des amandiers en fleur au mois de janvier en Algarve. Ça me réchauffait le cœur. Je me sentais comme un petit prince heureux en compagnie de mon papy.

     

    * * *

    A mourir de rire !

    J'ai compris un jour, plus tard, que Grand-père ne tuait “son ver” au petit déjeuner que lorsque grand-mère lui avait fait son horrible reine   Jézabel la veille ou la nuit. Mais ça, je ne pouvais pas le savoir. Ce que je savais c'est que je voulais l'oublier, elle, pour mieux me rappeler du personnage rieur qui était grand-père.

     Écoute lecteur, c'est à mourir de rire :

       Une fois, mettant le nez là où je ne devais pas, mais poussé par certaine curiosité enfantine, j'ai entendu dire en aparté par grand-père une chose, mais avant d'aller plus loin il faut fermer ton nez mon cher lecteur !

    La chose concernait le manger et le caca des riches du village. Selon lui, les riches avaient beau prendre pendant de longues heures du café au lait avec des tartines de brioche dorées à l'huile d'olive de Penamacôr, leur caca comme eux, ne servait à rien ! Il était mou, sans consistance et ne tenait même pas debout. Rien à voir avec celui des pauvres.

    Mais lecteur, maintenant respire et passons à l'autre aspect plus agréable de la vie, la nourriture terrestre.

     

    ***

     

    «Quem não manduca, não trabuca»

    Mon grand-père était paysan la semaine, négociant en bétail le week- end et contrebandier presque toutes les nuits. Grand-père prenait donc un petit déjeuner consistant. Il prétendait que « Quem não manduca, não trabuca », expression populaire qui signifie que celui qui ne mange pas ne peut pas bien travailler.

    Il buvait une chope de gémada, un cocktail composé d'un quart de vin, d’un œuf battu et d’une cuillerée de sucre. Sans se laisser rattraper par le soleil, il prenait le temps de déjeuner. Avec sa main gauche il caressait la chope d'argile rouge décorée avec son Zé-Povinho, le symbole du portugais moyen. De la main droite, il coupait en petits morceaux une bonne tranche de pain de seigle qu’il beurrait, se servant avec savoir-faire du dos de son couteau Opinel qui ne le quittait jamais. Il se réservait volontiers. C'était un plaisir de le voir couper avec fierté un bon carré de beurre qui provenait du lait de ses vaches. Tout cela accompagné d’une belle tranche de jambon cru, séché pendant trois mois dans la fumée de la cuisine et quelques rondelles de saucisson paysan « o saloio » qui tranquillisait son estomac jusqu’à midi et, parfois plus.

     

    * * *

     

    Fort comme un Turc et gai comme un Portugais

    Mon grand-père, même s’il n’était pas grand par la taille, était large d’épaules. Il était capable de soulever du premier coup une charrette à bœufs faite de bois de chêne. Le jour où l’on ramassait les pommes de terre, il voulait épater les jeunes hommes et se faire admirer des filles. C'étaient des paysannes à la tête couverte par un joli foulard décoré de ramages aux couleurs vives sur un fond noir. Selon le dire des anciennes, il protégeait de la chaleur autant que du froid.

    Quelques années avant sa mort, à Blois dans le cœur de la France, quand on lui demandait son âge, il répondait d’un sourire malin :

    - Je vais dans mes quatre-vingts,

    Mais, il avait la vigueur de celui qui en avait quatre fois moins. Je le vois encore avec mes yeux d’enfant qui brillaient d’un tel plaisir qu’ils se teintaient de reflets de la couleur des châtaignes, comme celles que l’on ramassait sur les terres de Nivea, encore dans leurs bogues dorées mais épineuses.

    Nivea. Cet autre village se trouvait à peine à quatre kilomètres de Roustina notre village. Les « roustineiros », les habitants de Roustina, parlaient un langage où l’on plie avec éducation et savoir faire la langue. Les autres, « chapurreaban », c’est-à-dire baragouinaient une sorte de langue avec des « rr », qui ressemblaient au son des couteaux rouillés et mal aiguisés, tels ceux incapables de couper la gorge d’un poulet de trois mois, le plus tendre du monde. 

     

    ***

    La grenouille

    Mon grand plaisir était de me retrouver, le soir, en compagnie de mon grand-père lorsqu’il était assis sur le balcon.

    Le matin, quand je me levais, j’ouvrais l’œil gauche en premier. A cet âge-là, j'avais du mal à quitter le royaume des songes. D'autant plus que, pendant la nuit, j'avais voyagé, de long en large, dans toutes les contrées de ce royaume sur mon cheval de rêves.

    Dès que j’ouvrais l’œil droit, je ressentais déjà une certaine impatience, celle d’être à nouveau le soir, moment privilégié qui me permettrait d’écouter les histoires de mon grand-père.

    Et hop là, le petit garçon que j’étais, sautait dans ses petits sabots en bois de châtaignier. S’en suivait un débarbouillage matinal, le visage éclaboussé par l’eau puisée dans la jolie bassine en porcelaine de Sacavém. Une nouveauté dans la maison.

    - Eh ! Attention. Ne mets pas de l'eau partout comme la grenouille en sautant dans la rivière du Freixal, se moquait grand-père avec humour.

    - Mais, mon papio, je suis une grenouille sage et douce, pas une de ces grenouilles de bénitier je suis comme un crapaud qui fait attention, même à la consommation d'eau. Et arrête de faire la mégère Grand-père !

     

    - Ecoute mon chéri, je dois passer chez mon ami Oliverio. Et ne le traites plus d'hérétique. Tu veux !

    - Mais c'est pour jouer avec lui papio.

    - Si tu pars avant que je ne revienne, ne pars pas à l'école en lévrier, le ventre vide.

    - Eh toi, le chouchou de sœur Rachel, la religieuse du caté, elle t’a laissé un pot de marmelade hier.

    - Oui, j'ai de la chance. Elle est une femme...

    - Je sais. Je sais. Je sais aussi que ce pot est un cadeau de sœur Rachel pour toi, papio, mais c'est moi qui vais le manger en entier !

    - A ce soir, petite tête de coing au ventre de marmelade. Travaille 11bien à l'école.

    - « Até logo avôzinho », ce qui voulait dire, à ce soir papy !

    Pour moi, ces quelques mots évoquant le soir, était une promesse : il allait me raconter une histoire. Il était une fois… Il était une fois… La musique de ces mots raisonne encore en moi et sa mémoire un feu de saudade qui ne s’éteindra jamais !

     

    * * *

     

    Il était une fois...

    Il était une fois, une soirée d'été en plein cœur du mois d'août. Le soleil avait chauffé, chauffé tellement dans la journée, que l'on pouvait griller des sardines sur les rails du chemin de fer disait-on au village. Les pierres du balcon étaient encore bien chaudes. Mais un vent frais soufflait du côté du fleuve Coa.

             - Que c'est agréable ce petit vent rafraîchissant après cette chaude journée. Apporte-moi un petit bâton de réglisse et viens t'asseoir à côté de moi. disait grand-père content de se retrouver avec son petit-fils.

    - Oui, je finis la vaisselle et j'arrive grand-père.

    Un tour de chiffon savonné d'un rustre savon pour laver, un coup de torchon pour sécher et la vaisselle était faite en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire.

    -                 Voici ta sucette grand-père, disais-je en lui donnant un bâton de réglisse. 

    -                 Si tu te moques de moi, il n'y aura pas d'histoire ce soir, disait-il sur un faux ton de menace.

    -                 Non, non, tu as promis, protestais-je.

    -                 Je n'ai rien promis, mais tu as pris la bonne, ou mauvaise habitude d’ailleurs, de me faire raconter des histoires tous les soirs, en été comme en hiver. Ce qu’ils sont exigeants les enfants d’aujourd’hui. Dans mon temps les enfants… 

    -                 Arrête ! Je sais que tu vas me dire qu'il vaudrait mieux élever des cochons que des enfants. La vérité c'est que tu n'as pas d'histoire à me raconter ce soir. Avec la chaleur ta cervelle est devenue sèche comme une morue et adieu la mémoire, riais-je de mon insolence complice.

     

    Comme piqué par une « brejeira », une mouche dont la piqûre rendait folle les vaches, mon grand-père se lançait dans un récit dont il ignorait lui-même la suite. Mais comme d'habitude, se donnant un air de conteur biblique, d'une voix venant de très loin, il commença :

    -                 Il était une fois un pays très mystérieux. Il y avait un louveteau gentil et beau qui était maltraité par tous les agneaux ! .... Voilà l'histoire est finie et maintenant au dodo mon petit loup !

    -                 Papy mais tu te moques de moi ! Je veux une vraie histoire ! Je n'irai pas au lit, mon méchant papy, tant que je n'aurai pas mon histoire.

    -                  Puisque tu insistes, je vais te raconter une très longue histoire qui va durer jusqu'à minuit.

    -                 Écoute c'est l'histoire d'un pays.  Pour certains, ce pays avait la forme d'un rectangle ressemblant à un parterre de jardin, pour d'autres, il était une caravelle, arrimée au bord de l'océan Atlantique.

    Le jardin, bien sage et réaliste, resta sur place. Cependant, la caravelle, rêveuse et avide d'ailleurs, s'ennuyant de tanguer, de faire du roulis sans naviguer, se morfondit sans fin, pendant de longues nuits, et de longues journées. Ouf Wald ! Mais un beau matin, piaffant d'impatience, la caravelle comme un cheval rompit ses amarres d'un coup sec et partit en secret.

      A ce moment-là du conte ou de l'histoire comme tu voudras lecteur, grand-père me prit sur son dos et aussitôt se transforma en cheval qui galopait par monts et par vaux au-dessus du royaume. Au moindre incident, l'intrépide cheval se cabrait, hennissait de joie et d'une folle envie de liberté. Quant à moi, laissant brides abattues à mon imagination, j’étais un fier et glorieux Chevalier de la Table Ronde, plein de vertus, de courage, d'audace et de sens de l'honneur.

    Je pris ensuite la posture d’un cavalier paysan, éperonnant une vieille et faible monture qui, à la fin, avait du mal à avancer en chemin. Sur mon cheval, heureux comme un roi je criais :

    -                 Au galop ! Au galop Roppallum !

    Le nom de mon cheval imaginaire, dont grand-père jouait le premier rôle, venait de l’origine latine du nom de la famille.

     

    -                 Mon petit chevalier de la Blanche Lune, dit grand-père avec un tel esprit que je m'en rappelle encore aujourd'hui, puis poursuivant son jeu avec moi, votre cheval est fatigué et ne peut plus, ni galoper, ni avancer. Veuillez descendre. Permettez, seigneur chevalier, à votre pauvre monture de se reposer.

     

    Grand-père comme un cheval bien dressé mettait genou à terre pour permettre de descendre au petit chevalier de la Blanche Lune que je m'imaginais être ! Mais aussitôt, comme s'il avait changé d’avis, il reprit à nouveau son rôle de conteur. Avec un ton oratoire, qui n'avait rien à envier au célèbre acteur de théâtre Chaby Pinheiro, il se mit à déclamer en accrochant mes yeux aux siens :

    -                  Il était une fois un vieux marin portugais portant pantalon écossais, chemise débraillée, long bonnet rouge et vert sur la tête, tirant rêveusement sur sa pipe. Regard dans le vide, visage au vent, lui qui jadis avait bravé la mer, lutté contre la tempête, se sentait maintenant inutile, seul et abandonné.

        Alors qu’un soleil de plomb écrasait son ombre, il restait là stupidement assis sur le quai blanc situé sur la rive droite du Tage à Belém.  Rien ne semblait bouger autour, rien à l'horizon, aucune motivation, ni air, ni vie.

    Puis, tout d'un coup le marin se leva. Comme par magie, le vide qui l’entourait disparu. Il gagna un peu en énergie. Se dressant dans le bleu de la mer, grandissant comme un mastodonte, le doigt pointé vers la terre, il se retourna, regardant en face l'immensité secrète de l'océan et d'une voix empreinte de colère, interrogea :

     

    « Ô ! Être Humain !

    Plus fort que son destin,

    Ô ! Portugais téméraire !

    Faut-il abandonner le pays,

    Affronter la faim,

    Supporter la misère,

    Souffrir la maladie,

    Ô incorrigible Portugais

    Ô homme assoiffé,

    D’eau claire et de liberté ?

     

    Ô mari !

    Ô père !

    Ô jeune célibataire !

    Ô travailleur !

    Ô grande douleur !

    Ô fier Portugais !

    Faut-il partir au risque de faire naufrage, trouver la mort,

    En quête de liberté ?

    En recherche d'une nouvelle vie ?

     

    Ô être vaillant !

    Ô marin ambitieux !

    Ô homme aventurier !

    Pourquoi naviguer à contre-courant

    Pourquoi remonter au vent

    Pourquoi provoquer le destin

    Au lieu de laisser la vie aller sous les vents portants ?

     

    A quoi sert de risquer ailleurs sa vie

    Pourquoi ne pas la réaliser dans ton pays ? 

    Dis-moi pourquoi tu t'en vas là-bas ?

     

    Vaux-t-il mieux partir,

    Faire pousser des graines dans de lointaines contrées

    Ou rester à cultiver vos terres délaissées

    Enfin, enrichir vos villes ?

     

    Ô cœur, corps et âme du Portugal abandonné !

     

    Ô vaine gloire !

    Ô avidité de la richesse facile !

    Ô toi qui crois que l'herbe est plus verte et plus tendre ailleurs !

    Ô Portugais !

    N’as-tu pas de liberté à conquérir chez toi ?

    Mais tu pars et tu pars hier, aujourd’hui, demain

    Tu abandonnes ton village, ta région, ton pays, ta nation

    Tu délaisses ta maison, ta famille, ta femme et tes enfants.

    Tu laisses derrière toi ce que tu es et, ce tout, d'où tu viens !

     

    Retrouveras-tu, dans cet inconnu,

    Retrouveras-tu là-bas

    Dans cet étrange lointain,

    Ô Portugais !

    Ce que tu perds chez-toi ? »

     

    Grand-père stoppa tout net ses mouvements de bras et de corps qui accentuaient encore le drame qu'il était en train de jouer. Surpris de ce qu'il venait d'affirmer, il se laissa tomber pour un instant dans un silence profond. Après quelques instants, comme endossant un autre costume d'acteur, il me regarda avec un sourire, proche de celui de la Joconde et poursuivit :

     

    Et voici mon petit lapin

    Noir et blanc

    Mon petit Wald

    Mon grand sauvage

    Aussi beau que son âge !

    Es-tu encore en Angola

    Au lieu d’être ici ?

    -                 Je crois que tu n’aimes plus ton papy !

    -                 Mais si ! Mais si !

    Eh ! Bien voici que ladite caravelle

    Depuis des jours la mer sillonne,

    Emportant dans son cœur le ciel de Lisbonne.

    C’est une mouette volant au-dessus des vertes et rouges eaux.

    Et la voilà déjà au loin, la fière caravelle,

    La rouge croix de l'ordre du Christ brodée

    Au cœur de la blancheur de ses voiles,

    Bien haut au vent, joliment hissées. 

    L'on dirait que sa pensée

    Est déjà rivée vers le sans fin.

     

     

    -                  En effet, mon joli Wald, la belle caravelle, dansait sur les vagues, dans sa robe de mariée. Elle croyait, avec joie dans sa nouvelle destinée. Derrière elle, la terre, mais devant, cette volonté d'aller toujours plus loin. Elle pensait, - mais regardez le joli pavillon bleu et blanc avec dans son centre un bouton d'or flottant dans l'azur. C'est comme un hymne à la joie, une émotion au plus profond de son cœur qui faisait tanguer son âme. Dieux marins, écoutez les mats qui grincent et qui rythment le souffle régulier de votre Éole, Grand Seigneur de la haute mer et de tous ses dieux.

           Terriens, regardez là-bas, au loin, le travail de cette coque résistant à la mer, se mariant avec harmonie au mouvement des vagues, voguant au son du clapotis ou, de temps en temps, quand cela est opportun, se mettant au diapason des coups de la mer.

           Ô ! Belle caravelle lusitanienne, tu es le nouveau cheval de la mer, chevauchant la crête de ces vagues crispées et par toi dominées.

           Ô ! Fière caravelle voguant et sillonnant avec fierté et liberté. Tu as tracé à force de courage des chemins, des routes sous différents soleils, tu as bu dans la soif ce monde liquide dangereux et inconnu.

           Ô ! Radiante caravelle drapée de blanc, belle robe de mariée flottant au vent, malgré ton caractère indomptable, laisse-toi, pour une fois, mener dans ton glorieux chemin. Aie confiance en ce capitaine portugais plus qu'expérimenté, il est plus que vaillant.

          Tu le sais ! Écris tes mémoires d'un autre âge, tes caprices de belle caravelle sur les blanches pages d'écume de tes sillages. Accepte enfin de te laisser guider par la main forte, ferme, le cœur téméraire de ton lusitanien timonier.

    La belle caravelle de lumière va, nuit et jour navigant.

          Ô ! Caravelle ! Tu es chargée de curiosités, tes flancs remplis à ras le bord de cette volonté de rencontrer de personnes inconnues, toujours avide de découvrir de nouvelles terres.

         Tout vit dans le cœur de la caravelle, tout est en elle.

        Ô ! Sainte caravelle, à tort ou à raison, selon les temps, j’entrevois dans ton âme, une foi nourrie par une flamme, une promesse d'expansion, de divulgation missionnaire de la foi chrétienne !

     

    Ô ! Mer Océane, Ô ! Vaste mer !

    Afin que tu sois nôtre,

    Afin que tu sois Histoire

    Avant portugaise,

    Après française, espagnole ou anglaise

     

    Combien de larmes,

    Combien de cœurs,

    Combien d'âmes perdues,

    Combien de vies tragiques et dramatiques destins,

     

    Chanta le grand poète

    Ô mystérieux Fernando Pessoa !

    Es-tu homme, écrivain aux cinq pseudos,

    Combien de personnes en toi,

    Serais-tu le lusitanien Yoshua ?

     

    Ô ! Mer inconnue avant,

    Ô ! Mer connue et lusitanienne maintenant !

     

    ***

     

    Grand-père s’étire les bras en l’air en même temps qu’il se met à bayer faisant semblant d’être fatigué.  Puis comme si le conte était fini il m’assène avec ces paroles indignes d’un papy :

     

    Et maintenant Wald

     Cette histoire est finie

     Dépêche-toi de faire pipi

     Petit Rappallo, 

    Dans ce rond et joli pot.  

    Gare à toi de faire dans le lit, 

    Il est temps mon petit Monsieur

    De faire un gros dodo !

     

    Wald connaissait son grand-père mieux que les cinq doigts de ses mains. Il savait que ce n’était qu’un prétexte pour sonder mon attention et pour se faire prier et ainsi se faire valoriser comme conteur.

    Wald bondit sur la corde sensible, la fait vibrer et sortir la mélodie qui fait plaisir à papy :

    -  Mais papy tu peux continuer ta belle histoire, car je sais que ce soir encore tu es le meilleur conteur des villages du Portugal. Dommage que tu n’aies qu’un seul petit-fils, mais celui-ci t’écoute avec l’intention de mille ! Et sans se faire prier davantage, papy continua se croyant l’étoile montante du Théâtre National Dona Maria II à Lisbonne.  

     

    ***

     - Mais ô toi ingénieux moussaillon de la plus belle caravelle labourant du plus droit sillon la mer ! Grimpe, grimpe au mat royal, observe regarde, vois si tu découvres de nouvelles terres au loin, ou si tu aperçois encore, les jolis sables dorés des plages du Portugal.

     - Je ne vois plus les belles plages, ni les gens courageux de notre Portugal !  Mais quelques instants après grande est la surprise du Moussaillon.

    -  Ô mon Capitaine Général, j'aperçois au loin, une terre haute boisée, toute en couleurs entourée par la mer !

     Puis-je lui donner le nom de : « île de Madère » !

    -  Fais, fais Moussaillon, glorieux marin, grimpe, grimpe plus haut et, regarde encore plus loin. 

      - Ô mon grand capitaine, ô mon capitaine général, du magnanime royaume du Portugal ! Je ne vois plus rien. Mais, permets-moi mon capitaine de descendre de ce mat si haut qui me donne le vertige.

     - Demande accordée et grandement méritée mon bon Moussaillon !

     - Mon grand capitaine permets-moi encore que je lise ton avenir.

    -  La voilà ma main Moussaillon ! Qu’y vois-tu ?

    - A genoux mon capitaine pour que je dise ton...

    - Cà jamais moussaillon ! Ne suis-je pas ton capitaine et seigneur !

    - Ô pardon ! Pardon ! Pardonne mon insolence immesurée. Seigneur, permets cependant que je monte sur ce banc pour combler ma petitesse en face de ta grandeur.

    - Apportez, apportez un tabouret à notre Moussaillon, guetteur de ce navire, diseur d'aventures, chanteur de chansons !

    - Ô mon capitaine général, ouvre grand la paume de ta main. Ouah ! Ouah ! Alléluia ! Alléluia ! Shalom ! Shalom ! Adonaï ! Youshua !

    -  Ô fortuné Portugais, dans les lignes de ta main, je peux voir que les dieux augurent, pour toi et pour ton roi, de nouveaux et glorieux destins pour demain et après-demain. Poursuivant de plus en plus enthousiasme et ferveur :

    - Ô !  Mon capitaine Général de cette Lusitanienne caravelle ! Ô aventureux roi ! Ô Glorieux royaume du Portugal ! Je lis aussi dans mes rêves de grands faits marquant l'Histoire de l'Humanité.

    - Mais je vois aussi, un point d’obscurité, c’est un grand et honteux délit, commis par tes héritiers au nom de ton pays.

     

    Ô grand outrage

    Êtres sans âme, êtres sans cœur !

    Êtres sans respect, êtres sans honneur

    Vils acteurs de l'esclavage !

     

    Vous avez obligé à travailler

    Pas pour un peu, mais pour rien.

    Blessures, morts, rivières de sang

    Au grand mépris de l'Être Humain !

     

    Ô ! Mon capitaine général

    Au nom de tout le Portugal

    A voix haute et dans le bon ton,

    Ton roi se doit de demander pardon !

    Aujourd’hui et pas demain

    Demander Pardon à l'homme africain !

     

    Mais, Mais...

    Ô ! Mon capitaine général

    Du royaume du Portugal

    Dans mes rêves je vois

    Une grande et belle baie

    Et ce n'est pas tout

    Je vois des hommes brûlés par le soleil

    Un peu plus, mais presque comme nous !

    Au fond de la mer j'aperçois

    Marcher des sauterelles de mer,

    Noires, blanches, rouges, bleues et vert

    Mais, mais comment nomment on ces bêtes-là ?

    Des « camarões » en portugais !

     

    Ô !  Mon capitaine, Ô ! Vent Simoun

    Permets-moi, de nommer, cette terre Cameroun !

    Je vois encore un estuaire,

    Ressemblant à un « gabão » …

     

    Fais, fais inventif moussaillon

    Nomme donc, ce pays, Gabon !

    Et puisque tu aimes le parler emphatique et pathos

    Nomme aussi cette bourgade « Lagos »

    En mémoire de ta belle ville de Lagos

    Et pour combler ton amour, pour le sud du Portugal !

     

    Ô ! Mon Capitaine Général !

    Maintenant un grand fleuve, eaux noires et gaies

    Les natifs semblent dire le Zaïre

    Permets-moi de le renommer Congo en portugais

     

    Mais pourquoi, pourquoi moussaillon,

    Veux-tu en changer le nom ?

    Tu arrives tu imposes ta religion et ta loi !

    Mais ces hommes qui habitent là

    Depuis des millions d'années

    Ont découvert et occupé ces terres bien avant toi !

     

    Mais moussaillon, grimpe encore, grimpe

    Toujours plus haut, je perds confiance

    Depuis 1418 nous naviguons. Nous naviguons

    Vers tous les continents, dans toutes les directions

    Tirant des caps, choquant ou étarquant les voiles,

    Naufrageant, échouant, mourant

    Tantôt au vent portant,

    Tantôt le remontant.

    Mais où se trouve-t-il donc ce cap des Tourmentes

    Que je veux changer en cap de Bonne Espérance ?

     

    Ô ! Mon Capitaine, patience, patience

    Tu finiras bien par trouver ce chemin maritime mythique

    Lorsque tu doubleras ce cap et le sud de l'Afrique.

    Mais pour le doubler,

    La force des monstres marins et celle des courants

    Tu devras dompter,

    De la côte, tu devras t'écarter

    Si tu veux éviter

    Les courants forts et contraires

    Pour ton avidité de richesses, satisfaire !

     

    En la glorieuse année de 1498

    Tu arriveras enfin à toute allure

    Dans un paradis d'or, d'épices,

    Sous les lois du dieu Mercure

    Tu commercialiseras à toute blinde

    Un Eldorado nommé Inde.

    Pendant des siècles avec ta belle caravelle

    Tu vas labourer dans tous les sens la vaste mer

    Puis récolter, secouer l'arbre de l'argent

    Perdre l'honneur

    Trouver la douleur

    La tristesse et la mort

     

    En Chine,

    En Indonésie,

    Aux Philippines,

    Au Japon,

    En Amérique,

    Et pour finir

    Tu arriveras flagada !

    Dans ce pays où il n'y avait rien pour toi

    Que tu as nommé :

    Cà nada !  Ou Canada !

     

    Grand-père s’est arrêté brusquement, transpirant comme un éléphant, puis se tourna vers moi :

    -                 Il est tard mon petit dada ! faire pipi dans le joli pot ! Prier Saint Antoine de Lisbonne, Notre dame de Fatima... prier Dieu et faire un grand dodo ! Wald voyait bien que son papy se moquait de certaines coutumes, mais il n’avait plus le courage, à cette heure avancée de la nuit, de lui rétorquer avec la moindre banderille d’humour.

     

    En effet, heureux comme un petit roi, fier de son grand-père, marabout prévoyant, ou charlatan, au lit il s’en allait, mais craignant de trouver la chambre froide, comme un hiver au « Cà nada ! »

    Et il était une fois, dans un royaume de foi, un petit-fils dans la chaleur de ses couvertures qui fit de beaux rêves. A la barre de son petit bateau, il se sentait un enfant, asiatique, américain, et peut-être encore plus, africain !

    Eh ! Cric. Eh ! Crac.

     

    ***

     

    Selon la tradition du monde lusophone et hispanophone, le grand-père de Wald portait logiquement son prénom suivi du nom de famille de sa mère et ensuite de celui de son père. Dans le monde francophone, le nom de famille de la mère est presque toujours injustement oublié.

    En revanche, l'on fait porter toute une vie, à cette fille ou à ce garçon, une quantité de prénoms dont il ne sait que faire. Au Portugal, ne pas donner à un enfant le nom de sa mère serait une marque de non-respect et un acte d'injustice à l'égard de celle à qui l'on doit la vie.

    De plus, si vous ne portez qu'un seul nom de famille, vous auriez le désagrément d'être considéré catholiquement, comme une personne née sans père ou en dehors du mariage. « Oh le pauvre petit bâtard », se plaindraient les grenouilles de bénitier. Dans un pays catholique à plus de 95% cela serait mal, et encore moins pardonné, n'est-ce pas Monsieur le Curé !

     D'ailleurs cette attitude de l'église catholique, faisait rire avec un humour malin mais sans méchanceté aucune grand-père :

     

    « La sainte famille »

    Ô mes trois

    Religieuses petites figurines,

    Dans la jolie niche en bois protégées

    Jésus, Joseph et Marie.

     

    Ô la sacrée Sainte Famille !

    Jésus, Joseph et Marie.

     

    En hiver tu vas de maison en maison

    Éclairée par blême lampe

    Pour au petit peuple servir d’exemple.

     

    Ô la sacrée Sainte Famille !

    Jésus, Joseph et Marie.

     

    Mais qu'as-tu fait ô sage Joseph

    Pour que Jésus ne t'appelle pas « mon père »

    Pourquoi as-tu épousé « une mère célibataire » ?

    Ô mon Jésus fils d’une sacrée jeune-mère

     

    Ô la sacrée Sainte Famille !

    Jésus, Joseph et Marie.

     

    Ô mon pauvre Jésus fils sans père !

    Nous te prions et adorons au Seigneur

    Bénite soit ta famille

    Livre-nous des mauvaises langues

     

    Ô ma sacrée Sainte Famille !

    Jésus, Joseph et Marie.

     

    En nom du père du fils et aussi de la mère

    Le coupable fut le Saint Esprit

    Ô mon bon Jésus, Joseph et Marie

    Vous êtes la plus belle famille

     

    Pour les siècles des siècles

    Jésus, Joseph et Marie.

    Amen !

     

     

    Mais ne faut-il pas de tout pour faire un monde. Ton fils qui n'était pas ton fils ne devint-il pas un grand homme et par beaucoup admiré comme un Dieu. Conclut-il.

     

    Philadelphie, janvier 2014

     

    ***

    Donnant vie au mystère

    En ce qui concerne son nom paternel, en latin Roppallum, grand-père prétendait avec fierté et humour que c'était un nom de poisson.

    C'est sans aucune humilité qu’il me raconta un jour l'histoire que voici :

    J'avais encore levé les yeux, car je voulais lui demander si cette histoire était vraie. Mais comme à son habitude, il avait déjà fermé les siens, comme Amalia Rodrigues avant de chanter un fado. Il se concentrait et semblait déjà absent.

    Puis au bout de quelques secondes, comme un perroquet qui savait de mémoire son récit, il commençait à raconter son histoire. Ça pouvait couler comme l'eau du Coa descendant la Serra de Malcata au printemps. Mais parfois le flot de la rivière pouvait ébranler un galet et le faire rouler. De la même manière, son récit pouvait tout d'un coup être modifié par un mot. Comme par ricochet, le mouvement de l'histoire pouvait alors partir dans une autre direction.

    Ainsi un autre récit venait s’emboîter dans le premier, ayant souvent une autre fin que celle qu'il avait prévue. C'était l'idée que j'en avais. Mais comment savoir. Grand-père se débrouillait toujours pour donner vie au mystère, à moins que ce ne soit pour m'hypnotiser.

     

    Mais lecteur, je me tais et écoutons avec attention, et autant de méfiance, son explication.

    ***

     

    Histoire de Ruppallum, le poisson

    Maintenant assieds-toi bien droit sur le tabouret et tends bien l'oreille mon petit lapin blanc, mon petit sauvage, dit grand-père avec un rond de soleil sur les lèvres.

    « Il était une fois, à l'époque Romaine vers l'an – 147, un poisson qui aurait quitté la ville de Rapallo dans le nord de l'Italie à cause d'une déception amoureuse.

     

    Il sillonna, monts et vallées

    Pendant quelques années,

    Cithare à la main en guise d'épée,

    Et toutes les îles de la méditerranée.

    Mais malgré leur splendeur,

    Aucune île avait fait vibrer son cœur.

    Déjà sans aucun espoir,

    Plus que malheureux,

    Il était prêt à se laisser pêcher

    Et à mourir de tristesse dans le premier filet

    Qu’on lui aurait tendu.

     

    Mais un jour,

    Un joli papillon,

    Qui avait butiné

    Avec délicatesse et douceur

    Les fleurs des îles de la mer Égée,

    Lui montra un cœur dessiné

    Sur ses ailes

    Alors qu'il descendait d'un amandier

    En fleurs, lui dit :

     

    -                 Suis-moi et une vie nouvelle tu trouveras.

    Petit poisson se croyait déjà

    Le prince de la Méditerranée.

    Il se mit à sauter

    En dessinant des ronds dans l'eau.

    Comme un petit fou,

    Nuit et jour, jour et nuit,

    Pendant des mois,

    Il se crut alors le plus heureux des petits poissons.

    Mais au bout d'une année,

    Ô malheureuse destinée,

    Une fois de plus,

    Injustement, il fut délaissé,

    Fou de douleur,

    Triste, abandonné.

    Il laissa à jamais l’infidèle Méditerranée.

    Il abandonna aux mains du hasard,

    Son cœur et sa vie.

    Au bout de trois jours,

    Il foula les sables dorés de la Lusitanie.

    La mer amoureuse s'enroulait dans le sable.

    Lui, jaloux, froid comme une lame de marbre,

    Se mit en tête de dominer l'océan.

    S'asseyant sur un banc de sable,

    Il se mit à penser,

    À penser profondément.

    D'un drap de lin,

    Il fit une voile.

    D'un gros morceau de bois,

    Il donna vie à un bateau,

    Prit une guitare,

    Semblable au corps d'une femme,

    Et chanta le premier « Fado » !

     

    Puis grand-père comme d’habitude ou presque termina son conte par les mots terribles que je n’aimais point :

     

    Et maintenant, on va faire pipi

    Mon petit Rappallo,

    Dans ce rond et joli pot.

    Gare à toi de faire dans le lit,

    Allez dépêchons, on va faire un gros dodo,

    Car, mon cher Monsieur, le conte est fini.

     

    Ainsi dans la bonne humeur se termina cette soirée-là, sans aucune négociation possible, d’autant plus que Morphème frappait avec insistance à ma porte.

     

    Vannes janvier 2014

     

    ***

    A la Saint Martin

    Le jour de la Saint Martin les villageois allaient dans les caves goûter le vin nouveau.  Grand-père ne buvait presque jamais, mais ce soir-là, il avait le verbe facile. Peut-être aussi parce que son petit fils avait ramené « un zéro » en dictée de l'école.

    Le soir, encore un peu énervé probablement par les effets des vapeurs de Bacchus, il prétendait que les difficultés de l'orthographe étaient une jolie frontière construite pour séparer les gens d'en haut de ceux d'en bas. Et montant la voix, pour se donner raison, il se mit à tout apostropher ou presque :

    -                 Les bizarreries de l'orthographe ont été inventées par les bourgeois pour démontrer au petit peuple qu'il est stupide !

     

    Oh ! Lecteur ne l'écoute pas ! Eh bien ! On ne sait pas. Comment savoir ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas ! Comment faire, lecteur, pour démêler le vrai du faux ?

     

    -                 La vérité, c'est la vérité, tant qu'elle n'est pas démentie, asséna grand-père.

    Mais peut-on le croire ?  Le mieux c'est de tourner la page et ne pas lui en vouloir, car parfois nous aussi nous avons tendance à aller au-delà de notre volonté et de notre sagesse.

     

    ***

     

    Le coup d’état

     Ce qui est vrai, c'est qu'en 1898, grand-père, à peine âgé de 14 ans, réussit l’exploit de franchir héroïquement la barrière sociale établie par l’éducation scolaire. S’appuyant sur une volonté de fer, avec un courage dépassant celui des petits bourgeois de son âge qui vivaient dans la contrée, il commit un coup d’état et conquit le pouvoir du savoir.

     En effet, au milieu de cette journée agréablement ensoleillée du mois de juin, il ravit haut la main la première place et obtint avec honneur la célèbre Cartilha.

     C’était, paraît-il, une sorte de certificat scolaire qui venait récompenser six années d’études primaires.

    Son père, qui se nommait André, le voyait déjà comme un docteur, binocle rond perché sur son petit nez, chapeau haut de forme sur la tête, le gros ventre serré dans un costume noir à queue de pie.  Un joli nœud papillon, étouffant son cou rond de curé bien nourri, se mariait fort bien avec la couleur de son costume. Sans oublier la jolie canne d’ébène qu'il tenait à la main droite. Il était prêt à faire face à l’éventuelle agression du premier pickpocket miséreux de la ville.

    Mais grand-père n’était pas fait de ce bois-là. Il voulait rester fidèle à ses origines paysannes et n’avait pas de prétentions bourgeoises. Ce qui déçut mortellement son père.

     En effet, les non-dits de la famille prétendirent que son ingratitude avait causé la mort prématurée de celui-ci. Mais La vérité était toute autre.

     

    ***

    La tue-Cochon ou tuaille du cochon

    Selon la tradition du village, de décembre à février était la saison des « matanças » c’est-à-dire la période où l’on tuait le cochon.

     De bon matin, au village, çà et là, l’on entendait les cris désespérés de la longue agonie des cochons. Le fer long, pointu et assassin, visait le cœur. Chaque coup de couteau, asséné sans pitié, réduisait à néant leur vie. Les plaintes interminables du pauvre cochon, étaient les signes d’une douleur terrible à en juger par les cris du malheureux animal. Heureusement, au fil des minutes de sa longue agonie, les plaintes allaient s’amenuisant. Finalement, plus rien. Le silence. C’était fini.

     

    Ce silence est probablement le retour à l'état d'avant la vie. Chacun y répond avec ce qu'il croit être la meilleure des philosophies. N'est-ce pas lecteur.

     

    ***

    La trahison

    Pourtant, le pauvre avait été, pendant toute une année, l’objet de l’attention de toute la famille. Même Wald, le plus petit de la maison, lui montait sur le dos en jouant.

     De temps en temps, on lui caressait les oreilles. Il croyait faire partie de la famille. Il se sentait aimé. Que c’était agréable ! Il mangeait tout ce qu’il voulait ou presque.

    Rien à trimer, pas comme les vaches ou les chevaux. Eux devaient se lever très tôt alors que l’étoile du berger brillait encore. Le travail était pour les autres. Lui n’était nullement concerné par cette chose-là. Lui, mangeait, se reposait et c'était tout.

    Beaucoup d'autres animaux, que l'on nomme les hommes, avaient la même vie, alors pourquoi devrait-il avoir du remord. Après les repas, il faisait la sieste et rêvait autant qu’il voulait. C’était normal. Ne faisait-il pas partie d’une autre classe sociale. Ne lui avait-on pas inculqué, depuis des siècles, qu'il avait du sang bleu circulant dans ses veines. Même les mensonges, à force de les répéter, deviennent des vérités. Lui, était un hidalgo de la noble Castille.

    Cependant, il se rappelait bien que, parfois, papy, le vieux de la famille grognait sans le regarder :

    -                 Profite de la vie tant qu’il est temps.

    Il s’en était inquiété un peu sur le coup, mais après, il ne cherchait même pas à comprendre. Ça ne vaut même pas la peine d’y prêter attention. Mais mon Dieu, pourquoi faire ?

    Mais maintenant il se sentait trahi. Les lâches !

    Déjà la veille on l’avait privé de tout repas. Ils prétendaient que c’était pour vider, pour nettoyer. Mais s’ils croyaient qu’il était un cochon, un mal lavé ils se trompaient. Il était un porc. Sa lignée avait ainsi été baptisée par Noé dans l’Arche et il en était fier. Mais après lui avoir mis un lacet à la patte, maintenant ils le couchaient sans égard et sans respect sur une table dure et rêche. Des brutes ces paysans et sans savoir vivre.

    Mais c’est que maintenant, ces rustres se permettaient de le serrer fort entre les jambes. Ils lui appuyaient leurs durs genoux sur la peau tendre de son ventre. Mais que se passe-t-il ? Voilà qu’ils lui serraient la bouche, l’empêchant de crier sa révolte et sa haine qui grandissait. S’il pouvait, au moins, leur mordre une main. Il la couperait net. Il se sentait trahi. Et il avait cru que ces salopards avaient été ses amis ! Même le petit l’avait trahi. Si jeune et déjà une crapule.

          - Et le vieux, avec quoi me pique-t-il pour me faire si mal, se demanda-t-il. Je les hais tous !

     Ce fut son dernier cri si haut, si fort de douleur. On a cru que le solide clocher du village en granit allait s’écrouler.

     

    ***

    Au royaume du madère et du porto

    L’arrière-grand-père, qui faisait partie des lâches qui tuait le cochon le matin, se tua lui-même le soir. Il souffrait d’alcoolisme. À la suite d’un défi stupide qui consistait à boire d’un coup sec une cruche d’eau-de-vie d’environ 1,5 litres, ce jeune père de famille sans cervelle, tomba raide mort, laissant orphelin grand-père David alors jeune adolescent.

    Par opposition à son père, se rappelant de ce jour tragique, mais peut-être aussi par les ravages de l’alcool dans les villages, le grand-père de Wald prit aussi une décision, non pas radicale mais réformatrice.

      Il décida ce jour-là, ne jamais boire une goutte d’eau-de-vie et ne pas se laisser dominer par le vin. Il parait qu’au pays du Vin Vert, du Madère et du Porto et tant d’autres vins pendant toute une vie papy resta toujours maître de lui-même en toutes circonstances. Cela fut à ne pas en douter un comportement digne de recevoir l’ordre du Mérite !

    Aussi jeune qu’il fût, il comprit que l’abus d’alcool était la cause de drames dans sa famille et au village.

     

    ***

    El guérillero !

    C’était donc avec autorité, du haut de ses 24 ans et le prestige que lui conférait la cartilha qu’il devint, dans les dernières années de la monarchie, un guérillero en faveur de la réforme de l’orthographe de la langue portugaise. Cela lui attira des haines et des critiques.

    En effet, lors d’une réunion municipale, il avait scandalisé les autorités de la ville de Soutugal, en comparant l’orthographe à un dinosaure, dont l’archaïsme, était une manière sournoise de mépriser le peuple et de le laisser dans l’ignorance.

    Cela lui valut déjà, à ce moment-là, la foudre du parti monarchiste conservateur qui lançait des cris d’alarme « d’aqui d’el rey », pour parer à la décadence dans laquelle allait tomber la société bien-pensante du royaume. Cette société ne pouvait pas envisager ne pas servir d’exemple aux colonies et en particulier au jeune Brésil.

    Faire la réforme de l’orthographe serait la fin de la discipline, de l’effort, de l’autorité, des vraies valeurs. A la place, viendraient le chaos, l’anarchie et cette chose que l’on nomme la république.

    De longues années après, cette haine à l’égard de papy, se répercutait aussi sur le petit Wald.

    ***

     

    La réforme de l’orthographe

    Cependant, en 1911, la jeune république portugaise, âgée à peine d'une année, revêtue de sa nouvelle robe verte et rouge, fit de l’un de ses premiers devoirs la mise en place d’une réforme de l'orthographe. Grand-père David vit dans ce geste une récompense à tous ses efforts. Il fallait donc croire dans la vie et dans l'avenir. Et il y croyait dur comme fer.

     

    La politique du nouveau gouvernement, qui ne fut pas épargnée par les plus dures critiques monarchistes, voulait rendre l’orthographe plus phonétique afin de faciliter l'accès à l'instruction d'une classe populaire qui était à plus de 70% analphabète.

    Ainsi le «ph » fut transformé en « f » et les lettres doubles, parmi d'autres réformes, furent tout simplement supprimées. A ce sujet, grand-père prétendait que beaucoup de lettres étaient doubles parce que les copistes du moyen âge étaient payés à la lettre.

    -                 Ajoutons donc une lettre par-ci, une autre par-là, ça ne mange pas de pain et je gagne plus d'argent ! rapportait grand-père avec humour.

     

    ***

    Ruppallum … Ruppallu… Roppallo… Ropallo… Ropalo

     

    L’interdiction est-elle une bonne leçon ?

    Dès lors, « Ropallo » s’écrivit avec un seul « l ». Grand père, qui acceptait les bras ouverts les initiatives de la jeune république et ses réformes, avait néanmoins une certaine nostalgie de l’ancienne orthographe de son nom.

    Plus de soixante ans après, Wald déjà adulte, entendait encore les rires pleins d'humour de son grand-père comme si c’était hier :

    -                 Ropallo maintenant écrit avec un seul L et avec une aile en moins, je vole dans le ciel, je tourne en rond autour de mon petit-Wald, disait-t- il en riant aux éclats. 

    Si son nom paternel « Roballo », le poisson de mer, renvoie vers les eaux salées de la mer, son nom maternel « Paiva », le fleuve, renvoie vers les eaux douces de la terre.

    Physiquement, il était souple comme le fleuve du même nom maternel, qui coule en méandres dans les terres fertiles et verdoyantes de la région du Douro Littoral, grande productrice de vinho verde.

    A ce sujet Papy ne voulant pas perdre la moindre occasion d’instruire son petit Wald lui dit avec un air de professeur :

    -                 Ce vin vert fut dénommé ainsi, car le manque de soleil et la grande humidité de la région, ne permettaient pas une bonne maturation du raisin. Ce vin vert, faible en degrés d’alcool, est un peu rêche au contact du palais. Il obtint sa renommée, lors des explorations portugaises du XV et XVI siècles, en étanchant la soif des navigateurs sous le soleil de plomb de l’Afrique, de l’Asie et des Amériques. Puis prenant son petit-fils par la main :

    -                 Viens voir mon petit Wald. J’ai une bouteille de blanc « Três Marias » à la cave. C’est le moment de faire de la pratique après la théorie.

    -                 Mais Papy, tu dis toujours qu’il faut se méfier du vin. Que les enfants ne doivent pas en boire et surtout pas avant 18 ans ! Avec toi on ne sait jamais !

    -                 Oui Wald, un peu de vin, mais avec modération. O saber não ocupa lugar ce qui voulait dire que la connaissance permet de connaître et savoir choisir, puis il ajouta avec philosophie. Mais l’interdiction est-elle une bonne leçon ?

     

    ***

     

    Un homme de sagesse

    Selon Wald, avec déjà quelques diplômes en poche, Grand-père n’était ni trop intellectuel, ni trop rustre, mais peut-être un peu les deux, selon les situations. Il savait écouter les tirades des autres pour ensuite placer l’argument qui menait à la réconciliation de tous, mais souvent, aussi, à la conclusion d’une affaire en sa faveur.

    -                 Tu penses toujours à faire des affaires, même lorsque tu as décidé de m'épouser, lui dit en guise de reproche sa femme un jour.

    -                 Il n'y a pas de mal à s'efforcer d'être riche avec honnêteté. En ce qui concerne notre mariage, que Dieu te pardonne, s'il le peut ! dit-il sans vouloir mettre de l'huile sur des sardines grillées.

    Pourtant en négoce, comme dans le reste de la vie, Grand-père n’aimait pas que les gens se fassent gruger.

    -                 Tu peux tromper l'autre une première fois, mais pas une seconde et de plus, tu perds un client.

    Je ne veux pas gagner un bœuf si mon compère ne gagne pas un œuf, disait-il en donnant de petites tapes sur le dos de son interlocuteur en affaires.

    Cela faisait de lui, une sorte de sage, que les hommes du village aimaient écouter à la sortie de la messe dominicale, sur le parvis de l’église paroissiale. Néanmoins, ceux que l’on nommait « os ricos » les riches, trois familles si l’on ajoute le vieux Curé Trampoline, dénigraient avec les villageois les conversations de grand-père, d’une façon pas très catholique d’ailleurs, ni très patriotique comme on le verra plus tard. Pour eux, grand-père était un contestataire dangereux qu'il fallait surveiller.

     

    ***

    Un Jésus parmi nous

    Il est certain que grand-père n’était pas Jésus de Nazareth.

    Mais il ne tarissait pas d'éloges sur la personnalité de celui-ci et sur sa vie. Lorsqu'il avait l'occasion d'évoquer son œuvre à l'égard des femmes, des enfants, des gens en général, il le portait aux nues d'une façon qui exprimait son admiration profonde. Parfois on aurait pu croire que Jésus faisait partie de la population et continuait à vivre, comme n’importe quelle autre personne, parmi les gens du village.

    L'enfant que j’étais ne comprenait pas bien cette relation de grand-père avec Jésus. Il parlait de celui-ci comme s’il était son compagnon de route quand il allait au marché hebdomadaire à Soutugal, ou quand il partait à cheval faire des négoces de contrebande de l’autre côté de la frontière.

    Cet homme nommé David se sentait proche de cet autre homme nommé Jésus.

     

    L’autre Jésus

    Cependant, le David de Roustina ne reconnaissait pas l'autre Jésus du curé du village, le père Trampoline, lors de ses sermons depuis le haut de la chaire de l'église de Notre Dame du Rosaire. Alors, à la sortie de l’église, grand-père, sans méchanceté, cassait du curé.

    Il paraît que dans la fleur de sa jeunesse il lui arrivait aussi, après le bal populaire, très légèrement sous l’influence des parfums de Bacchus, il donne des coups de pied aux jeunes des environs qui venaient faire la cour aux filles du village.

    Pourtant depuis très longtemps, grand-père avait toujours une attitude méfiante à l’égard du vin, se rappelant les circonstances du décès de son père.

    Il considérait, néanmoins, que le vin avait deux vertus. La première permettait aux paysans d’oublier la fatigue des tâches agricoles et la deuxième d’extérioriser leur colère contre le gouvernement le jour de la fête de Saint Antoine ou le jour du marché à Soutugal.

     

    ***

    Mais qui était vraiment grand-père

    Ce qui séduisait tout le monde ou presque chez grand père, c’est qu’il était d’une grande complexité. Il était simple et compliqué à la fois. Il était là, à côté de nous, on pouvait le toucher et en même temps il était insaisissable. Toujours présent et absent.

    Il était d’ici, il était d’ailleurs. Il était du passé, mais il était aussi du futur et de l’avenir.

     Cela émerveillait le Wald enfant et surprenait le Wald adulte.

     Bien que toujours en confiance avec lui, je me posais des questions malgré tout. Néanmoins, en le fixant des yeux, je le voyais toujours égal à lui-même. Cela tranquillisait l’orphelin et l’enfant qui était Wald.

    Le wald adulte se laisse probablement surprendre encore par son papy, même si maintenant il fait partie de la famille des morts.

    Cependant papy est un de ces morts qui est toujours en vie et tellement vivant dans la saudade c’est-à-dire cette nostalgie du temps passé, d’un passé en or.

     

    Mon ami lecteur, permets-moi de lui rendre hommage avec la musique de ces mots en cette langue espagnole qu’il aimait tant parler et parodier espagnol

     

    - «abuelito, eres un muerto que sigue todavia muy vivo»! Ce qui voulait dire qu'il était un mort toujours vivant !

    Le temps passe, il calme, mais rien ne s’efface.

    C’est comme la musique du fado où le cœur de la guitare portugaise pleure, les paroles soufrent, et la voix d’Amalia Rodrigues leur donne une énergie au-dessus de la vie :

    «… Tudo isto existe

    Tudo isto é pena

    tudo isto é fado… »

    Ce que voulait dire, tout cela existe, tout cela est douleur, tout cela est joie.

     

    ***

    Des livres ouverts

    Les livres n’étaient pas présents à la maison, et encore moins au village de Roustina. Cependant, les gens étaient des livres ouverts sans mots, avec des paroles et même avec beaucoup de verbiage

    Plus ils étaient âgés et plus ils avaient à dire, à raconter. Les plus anciens se donnaient des attitudes, des postures qui les rendaient encore plus grands à mes yeux. S'ils parlaient en marchant, ils adaptaient le rythme de la parole à celui de la marche, comme les étudiants chanteurs de fado de l'université de Coimbra, lorsqu'ils chantent des balades.

    Les villageois, eux, parlaient dans un portugais qui rendaient plus que furieux les doutores, ces mangeurs de salade au teint de fromage blanc, incapables de faire le moindre effort physique, mais ayant eu l’occasion de gribouiller quelques cahiers sur les pupitres de l'Université de Coimbra.

     Cependant la langue du peuple Wald la buvait comme du petit lait et la dégustait comme du miel. Leur langue était authentique et naturelle ressemblant à la cuisine de campagne et à la soupe de papy.

     Quand on finissait une assiettée on réclamait encore une louchée de plus.

     

    ***

    Paroles de magicien

    Grand père savait se taire, mais il adorait parler. Il parlait aussi avec les mains, les yeux, tout son corps bougeait comme un jongleur de Capoeira du nord-est brésilien. Il avait hérité l'art du conteur, celui qui, aux grandes veillées d'été, comme d’hiver, transmettait de génération en génération le savoir ancestral.

    Un jour, nous étions assis sur le gros bloc de granit qui dormait depuis toujours en bas de l'escalier de la maison. Il se trouvait dans la rue et servait de banc de repos à qui voulait s'asseoir.

    Pas exactement en fait, car s'il arrivait une personne plus âgée, ayant besoin de repos ou non, les plus jeunes libéraient naturellement la place.

    Moi aussi j'éprouvais du plaisir à faire ce geste à l'égard des anciens. Ça ne me gênait pas de m’asseoir à même le sol. De plus, ils me gratifiaient toujours de quelque chose. Un sourire, une tape sur l’épaule et même parfois d’une figue sèche roulée dans la farine, délicieuse comme du miel, qui m'enfarinait les babines.

     Grand-père me traitait alors de petit meunier enfariné. Cela ne m'affectait pas du tout. Au contraire, j'adorais accompagner ti Clémente, le meunier du village, au moulin à eau du fleuve Coa.

     Parfois il me montait sur son mulet par-dessus les sacs de maïs ou de seigle. Le mulet pressait le pas à cause du poids et moi, j’étais heureux et fier comme un roi !

    Quand grand père me racontait un conte et me voyait distrait, il me pinça une cuisse et aussitôt me passa sa main rêche dans les cheveux.

    -                   Ils sont soyeux comme du velours, mais raides comme des baguettes de tambour. Allez, approche-toi de moi, mon petit sauvageon. Tu n'aimes plus les histoires de ton papio ou quoi ?

    Grand-père avait toujours le goût du rire et de la plaisanterie.

    -                 Mais si, papy ! Répondis-je les yeux brillants d'impatience.

    D'un clin d’œil malin du coin de ses yeux, il accrocha les miens.

    Ensuite comme dans une mélodie au rythme de samba, il commença à parler en regardant les étoiles, et tout devint léger vaporeux.

    Je ne sais pas comment cela a pu m’advenir. Il me semble qu'il arriva avec des pieds de chat sournois et hop il me sauta dessus par derrière. Le lâche, le traître ! Comment pouvais-je le voir arriver ! Sinon je lui aurais donné un coup de pied dans le cul et un coup de poing dans la figure et ensuite je lui aurai fait un Harai Joshi en le plaquant à terre. Ce maudit sommeil tout d'un coup, ondulant et rampant comme un serpent s'enroula autour de moi et m'emporta dans un rêve profond accompagné d'un ronflement bruyant.

    -                  Il fait déjà le tracteur russe, me semble avoir dit grand-père, en se moquant de moi !

     

    ***

     

    Le rêve

    Dans ce rêve, je voyais ma jeune maîtresse Imelda pendant le cours d'histoire sur « Notre Beau Portugal » comme elle avait l'habitude de dire. Elle semblait sauter de joie sur les trois mots avec un plaisir joyeux, débordant de bonheur. Nos yeux d’élèves attentifs jusqu’à 11 h la suivaient fixement dans ses allées et retours, de gauche à droite et de droite à gauche, dans cet espace situé entre nos pupitres et son bureau.

    Celui-ci, taillé dans un vieux bois de chêne noirci par le temps, d'aspect austère, trônait plus haut sur l'estrade, comme un dictateur. Ledit espace était une frontière, que l'on prétendait infranchissable, entre le savoir et la soif d'apprendre. Nous écoutions, sans perdre une miette du pain du savoir, les coudes plantés sur le pupitre, le menton soutenu par le creux de nos mains en forme de calice.

    Il ne fallait pas que, par inadvertance, la tête et le cerveau s'échappent par la fenêtre, aillent gambader et se disperser dans la nature. A force de répétitions, la maîtresse et les anciens nous inculquaient dans le crâne, que rien n'était plus important que l'école. Voulions-nous, plus tard, travailler comme des Maures, toujours sales, du lever au coucher du soleil, sentir le cul des vaches et mener une vie de misère comme les paysans au village.

    -                   Non, je ne veux pas que mes enfants aient cette vie, toujours les mains sales, toujours en train de gratter la terre, avec des gerçures causées par le froid en hiver et la peau brûlée par un soleil de plomb en été.

    -                 Non mes enfants ! Il faut écouter à l'école afin de pouvoir gagner, plus tard, sa vie à l'ombre, à ne rien faire ou presque dans un bureau de Soutugal ou ailleurs. Mais il faut quitter coûte que coûte ce village pouilleux ! conseillait grand-père.

    Pendant ce temps-là, plus joyeusement, Mlle Imelda nous servait un menu déjà tout pré-préparé. Il provenait de son École Normale d'Instituteurs. Année après année, ce menu était toujours le même, depuis 1932, et était servi dans les mêmes assiettes. C'était un plat qui avait gavé pendant des générations les petits soldats en culottes courtes de la « Mocidade Portuguesa ». Il avait été créé par ce cuisinier hors du commun, le Docteur Satan Lazar, rivalisant de grandeur ensoleillée avec Dieu et faisant de l'ombre à tous les êtres humains.

    Ce plat avait des ingrédients importés de l'Italie de Mussolini et de l'Espagne de Primo de Rivera à quoi  «  O grande Estadista », le Grand Homme d’État nommé Satan Lazar y rajouta un nationalisme lusitanien primitif, orgueilleux, fier, et en même temps misérabiliste débordant d’un catholicisme extrémiste, méfiant à l’égard de l’instruction et  un patriotisme de bons citoyens bien dressés par une main de fer, punis dans les camps par la torture, voir la mort à la moindre initiative personnelle. Mais pourquoi chercher à réfléchir à penser à apporter une autre opinion si le Chef a toujours raison.

    Les citoyens de ce petit Paradis pauvre et fier de l’être, car il n’avait rien à envier à ces démocraties moles et décadentes, étaient des mâles virils et des machistes admirables, mais aussi, à l’échelle en-dessous, des femmes aux hanches larges et à la poitrine généreuse bonnes à faire leur principal devoir de maternité.

     Elles devaient donner de beaux enfants, éduqués dans la bonne morale de la bonne famille, élevés comme des futurs dictateurs à coups de ceinturon, car il fallait redresser les arbres tordus, tant qu'ils étaient jeunes, afin de bien servir ce glorieux pays plus tard.

    De plus, ce dit plat était relevé avec grâce par des épices à l'arôme d'un spécial catholicisme romain au goût d'un fanatisme médiéval. Pendant une cinquantaine d'années, et jusqu'à ce 25 avril 1974, année de ladite Révolution des Œillets, ce menu fut servi aux enfants du Portugal.

     Mais pas à tous ! Uniquement à ceux qui n'étaient pas obligés d'abandonner l'école pour aider les parents, trop pauvres, dans leurs tâches agricoles au service des riches de Roustina et aussi de ce grand village archaïque si naturel qui était le Portugal de Satan Lazar.

    C’est pourquoi vers la fin des années 50, cinq années après la guerre de 39-45 contre certaines dictatures, les villageois, par millions, souvent illettrés ne voyant pas le moindre soleil de liberté, ni de pain dans leur besace décidèrent partir par montagnes et par vaux à travers chants comme des lapins faisant « O salto » vers les démocraties du nord celles-là même que Satanlazar affublait de Décadentes.

     

    ***

    Cours d’Histoire

    Fondation de la Nationalité Portugaise, Dom Afonso Henriques, 1er roi du Portugal.  Continuait de sermonner notre maîtresse Mlle Imelda. 

    -                  Avec lui, commence la dynastie bourguignonne dite aussi Alphonsine martelait notre maîtresse fouettard en tapant d'un coup de poing son bureau. Cela secouait notre attention confondue dans un calme profond.

    Même les mouches endormies çà et là dans la salle reprirent leur envol en zigzagant sans savoir où se poser pour poursuivre leur sieste calmement.

    -                 En effet, la 1ère dynastie fut nommée Bourguignonne car le père d'Afonso Henriques était le noble Henri, un chevalier venant de Bourgogne, arrivé là pour donner un coup de main au catholique Afonso VI, roi du Léon, et pour donner un coup de pied à tous ces musulmans qui avaient traversé le détroit de Gibraltar en 711 afin d'empêcher ces impurs de chrétiens de manger du cochon !

    Mais pour les bons chrétiens, le cochon est un second dieu qui chaque jour se retrouve sur la table pour donner vie, énergie et plaisir à ceux qui savent apprécier les bonnes choses !

    Mais que diable ! N'est-il pas possible de comprendre que l'on ne peut empêcher la résistance, et parfois même la reconquête, que si l'on respecte la religion et les us et coutumes de chacun !

    Et ce fameux Henri de Bourgogne se battit comme un lion sans peur contre les infidèles. Sa bravoure attira la sympathie et l'admiration du Roi du Léon. Pour le remercier, il lui offrit en mariage la belle et rusée Infante Dona Teresa et lui donna en dote de mariage la gouvernance du Comté Portucalense, dont le nom provient de Portus Cale selon certains et selon d’autres de Portus Galicus disait Mlle Imelda.

     Ce territoire correspondait grosso modo à l’historique Galice du sud se séparant définitivement de ce territoire celte tout en gardant la même culture, la même langue qu’ensuite évolua avec les années vers le portugais moderne d’aujourd’hui.

    Mais le couple ingrat se révolta contre le beau-père et commença à revendiquer l'indépendance du comté, sans toutefois y parvenir !

    L'identité nationale voyait le jour, mais pas l'indépendance.

     

    ***

     

    -                 Ce noble évènement historique, fit la gloire de son noble fils : Don Afonso Henriques. Le nouveau roi fût surnommé « O Conquistador », conséquence du grand nombre de châteaux et territoires conquis vers le sud aux infidèles. Ces châteaux figurent encore aujourd’hui sur le blason central de notre drapeau national. Afonso 1er ne pouvait élargir notre jeune nation ni vers l'ouest, où se trouvait la mer, ni vers l'est où se trouvait la Castille chrétienne et catholique comme nous, affirmait avec conviction et emphase Mlle Imelda, notre maîtresse.

    Notre ennemi était le musulman qui, depuis 711, avait envahi la Péninsule Ibérique. Ainsi à force de coups de fléaux, de masses, de haches, de lances, de poignards, d'épées et la pluie des flèches des arcs et des précises arbalètes, auxquels s'ajoutait la bravoure de nos guerriers sur les mahométans, notre beau Portugal fut créé sous la forme d’un rectangle ce qui ressemble à un parterre de jardin fleuri au bord de l'Atlantique.

    Nous devons être fiers de Notre beau Portugal, criait avec ardeur Mlle Imelda réveillant en sursaut certains d’entre nous.

    Mais tous nous répétions en cœur comme des perroquets « oui maîtresse »

    -                 Plus de vaillance là-bas, dit-elle, pointant du doigt le fond de la classe.

    Et joignant le geste du bras tendu pointant du doigt, comme une arme d'host, elle lançait mi sérieuse, mi fantaisiste :

    -                 Ce n'est pas avec des soldats comme vous que l'on aurait fondé le Portugal ! Afonso Henriques fut le roi fondateur de la Nation Portugaise qui vit le jour en 1143 et eut comme berceau la très noble ville de Guimarães...

    Et tout en gesticulant son corps frêle et pointant la situation de la ville avec sa canne en cognassier sur une carte accrochée au mur blanc badigeonné à la chaux, elle cogna de la main gauche à nouveau son bureau en châtaignier, tacheté de noir çà et là par de longues années. Cet assaut fit voler dans la lumière la poussière blanche de la craie tombée du tableau noir qui était fissuré par endroits.  Nos têtes alourdies par tant de dates et événements historiques, se maintenaient éveillées tant qu'elles le pouvaient.

    -                  Moins d'un siècle après, en 1212, Afonso III, petit-fils du 1er, avait élevé les frontières définitives de notre beau Portugal. C’est qu’au cours de la bataille du Salado de cette même année il avait asséné du coup de grâce l'infidèle musulman. Puis Mlle Imelda conclut :

    -                  Ainsi se termine la salve de coups de pieds commencée par Henri de Bourgogne, mettant à la porte le détesté envahisseur.

    Mlle Imelda semblait tellement satisfaite, que nous aurions pu croire qu'elle avait participé directement à cette épopée historique. Et moi, ne sachant pas très bien où j'étais, je crus avoir reçu sur la tête un coup sec de sa canne.

    Celui-ci me fit faire un bond entre les genoux de mon grand-père, me réveillant de mon lourd sommeil et mettant ainsi fin à mon rêve.

    -                  Que se passe-t-il mon petit lapin blanc ? Tu as dû faire un cauchemar. Ce n'est rien. Ne t'inquiète pas ton papy est là avec toi.

    Comme si je voulais me prouver qu'il était bien là, à côté de moi, je me suis accroché à son cou tout en lui faisant des baisers. En silence je me suis dit :

    -                 Ton petit lapin blanc t'adore, mon papy !

     

    Cependant selon l’interprétation de certains historiens apocryphes le Portugal serait plutôt le résultat de la vaillance guerrière et de la passion religieuse des Templiers. Ceux-ci, mis à mal en Terre Sainte par l’infidèle musulman, interdits en Europe, ils refont surface pendant la Reconquête Ibérique et financent au grand jour les Découvertes Portugaises sous le nouveau nom de l’Ordre du Christ et l’impulsion de leur chef Henri Le Navigateur dont les caravelles prennent à revers les routes économiques musulmanes, assurent religieusement la propagation de la foi chrétienne et l’ardeur catholique en Afrique, Asie, et Amériques.

     

    Blois février 2014

     

    ***

     

    Wald veut monter au ciel

    Le petit lapin de son grand-père allait déjà vers ses 11 ans. Nous étions en plein hiver. La nuit était frisquette. Dans le bleu limpide du firmament, les étoiles brillaient pour nous. Elles souriaient certainement à Dieu et à ses Anges au ciel, où la vie était merveilleuse, où rien ne manquait, selon ce que l'on apprenait au catéchisme.

    Quelle chance me disais-je. Lorsque le pain de seigle manquait ou était trop dur, il m'arrivait de vouloir monter au ciel et devenir un ange ou même Dieu. A cela, grand-père rétorquait avec un regard fâché et inquiet, ne sachant pas si j'étais sérieux ou ironique :

    -                 Tu es idiot ou quoi ?  C'est ça que tu apprends au « caté » ?

    -                 Mais non papy ! Ce n'est même plus rigolo avec toi. Tu gobes tout !

    Et j'éclatais de rire comme un petit diable, content de mes diableries.

     

    ***

     

    Le Santa Maria

    C'était le soir de la célèbre journée du 22 janvier 1961. La « Emissora Nacional », radio de l'unique pensée de Satan Lazar, annonçait avec une tristesse d'enterrement que notre luxueux navire de croisière « O Santa Maria », le Sainte Marie, avait été séquestré par de méchants pirates dans les Caraïbes.

    Grand-père ne croyait que ce que la raison lui dictait. Toujours méfiant, comme un renard qui ne veut pas de la grappe de raisin manifestement trop accessible, il se précipita sur la vieille radio et chose étonnante, l'enveloppa dans ses bras comme s'il s'agissait d'un enfant et s'enferma en cachette dans la pièce que nous appelions « o quarto negro », la chambre noire.

    L'on verra plus bas pourquoi. Mais en réalité, ce n'était que la réserve obscure de la cuisine où il n'y avait pas de lumière.

    Il me dit simplement :

    -                 Va au dodo !

    -                 Mais qu’est-ce qui se passe. Pas de conte ce soir ! Même pas une petite histoire ! Pas de bisou. Rien !

     

    ***

    Le cœur dans le jabot

    Je ne comprenais pas cet enfermement précipité du grand-père avec la radio. Pas la moindre explication. Devais-je aller me coucher comme les poules et surtout sans le moindre bisou ou geste de tendresse ?

    Les poules le pouvaient, car elles ont le cœur dans leur jabot et ne pensent qu'à manger.

    En effet, une fois j'avais été révolté de voir qu’un petit poussin doré, tout mignon, dont je m'étais occupé, devenant adulte se transforma en anthropophage ! En effet, j'avais été sidéré que le poussin devenant un coq orgueilleux, puisse sauter sur la table de la cuisine sans prévenir, avaler tout d'un coup, la tripaille ensanglantée d'un poulet que grand-père venait de vider et de nettoyer pour faire une grillade.  

    Je fus révolté, non contre le coq, car je commençais à comprendre les lois et principes de la nature, mais contre le comportement de grand-père.

    -                 Tu es comme le coq, tu as le cœur dans le jabot, tu es...

    Mais pourquoi protester, il ne m'entendait plus.

    En même temps, j'avais compris que cette histoire du Santa Maria était une « chose sérieuse », comme disait grand-père dans le monde des adultes. Mais pourquoi aurais-je dû m'en mêler ? C'étaient leurs histoires. Moi, je n’étais qu'un enfant, grand-père me le rappelait dans certaines circonstances. Pourquoi aurais-je dû me soucier de tout cela. Qu'il se débrouille, disais-je avec un brin de rancœur encore !

    Qu’il avale sa radio comme le poussin qui une fois adulte devint anthropophage.

    - Que grand bien te fasse ta radio invention satanique. Ces mots n’étaient pas de moi. Un enfant est peu de chose. Il n’est que le reflet du miroir des adultes. Je les avais entendus dans la bouche de Claudina lors d’un cours de catéchèse sur le mal qui court à bride abattue par ce vaste monde, en se moquant de Dieu, mais évitant toutefois la croisée des chemins dépourvues de calvaires ou petites croix.

     

    ***

     

    Rancœur d’enfant

    Je suis allé me coucher, en effet. J'ai mis la tête sous les couvertures lourdes et épaisses en laine de la Serra da Estrela, décidé à dormir jusqu'à 8h, le lendemain matin.

    Qu'il se débrouille, me dis-je encore avec la rancœur de l'enfant qui venait de recevoir une baffe sur la joue gauche.

    Cependant j’étais curieux comme notre chat le café au lait. Ce soir il était impossible de tomber, comme ça, dans les bras de Morphème. J'avais du mal à résister à ma curiosité. Je voulais savoir de quoi il s'agissait. D'autant plus qu'il y avait en moi, une montagne d'inquiétudes sur ce qui pouvait arriver à mon papy.

    Mon oreiller me rappelait toutes les nuits, les dangers qu'il courrait. Lorsqu'il venait me faire le bisou du soir, je m’agrippais à lui. Ma plus grande crainte, c'était qu'il sorte encore de la maison. Mais mon plus grand désir, c'était qu'il vienne se coucher, tout de suite, à côté de moi.

    A la maison, il courrait quand même moins de dangers. Mais lui, n’en faisait qu'à sa tête et moi, je restais dans mon lit à compter les moutons cachés sous les draps de l'inquiétude.

      Tout d'un coup j'ai sorti la tête des couvertures. De toute façon, j'avais trop chaud, j'étais en nage. Assis sur le lit, je me suis mis à me rappeler les couchers de soleil au village. Je me suis mis à compter le nombre d’histoires que grand-père m'avait racontée. Je pensais aussi à tous ces rires joyeux, mais aussi, à toutes ces drôleries qu'il me disait tous les soirs, avant de me coucher :

    - Et maintenant faire dodo et dormir sur ses deux oreilles ! Oh qu'il est dodu l'oreiller de Monsieur Wald !

    - Mais papy, arrête de te moquer de moi. Je n'arrive pas à dormir sur mes deux oreilles, lui disais-je naïvement.

    - Mais si, mais si, voyons ! disait-il, sans m'écouter vraiment, les pensées déjà ailleurs.

     

    ***

     

    Ne parvenant pas à dormir je me suis relevé. Marchand sur la pointe des pieds nus, comme Café au Lait sur le plancher rugueux en chêne, je suis allé satisfaire ma curiosité et soulager mon inquiétude.

     Puis comme un espion, je me suis rapproché de la porte et fixai mon œil gauche, dans le trou de la serrure.

    Je voyais mon grand-père tourner, avec une maladresse inhabituelle, le bouton des stations. Au fur et à mesure qu'il naviguait sur radio Tirana, Radio Prague, j'entendais les ronflements de la radio. Tout d'un coup, il rapprocha la radio de lui et tendit l'oreille. L'on entendait d'une manière inespérée et claire une voix avec l'accent brésilien :

     

    ***

     

     Radio Moscovo não diz a verdade 

    Ce qui voulait dire, Radio Moscou ne dit pas la vérité !

     

    « …Bulletin d'information spécial. Dépêche de dernière minute. Lisbonne. L'agence Tass nous informe que : »

     

     « À 01.45 AM le 22 Janvier 1961 a été lancée l'opération « Dulcinée ».

    Communiqué :

     

    «  En signe de protestation et de lutte contre la dictature de Satanlazar au Portugal et de Paco Bestamontes en Espagne, un groupe de 20 patriotes portugais et espagnols du «Directoire Révolutionnaire Ibérique de Libération », (Directorio Revolucionario Ibérico de Liberação), mené par un des chefs de l'opposition au régime, le capitaine Henrique Galvão, dans la mer des Caraïbes à 1h45 GMT, ce 22 janvier 1961, a détourné de sa route et a pris le contrôle du luxueux paquebot portugais de croisière, le Santa Maria.

    Le groupe d'opposants a également affirmé qu'il ne serait fait aucun mal aux passagers, ni à l'équipage, qu’il s’agissait d’un acte politique et nullement d’un acte de piraterie maritime, comme le prétendait la propagande mensongère du dictateur Satanlazar !

    Le D.R.I.L. déplore cependant la mort du lieutenant João Nastimento et fait notion de 3 autres blessés légers.

    Le navire rebaptisé le “Santa Liberdade”, Sainte Liberté prendra le Cap de l'île de Fernando Po et ensuite de Luanda afin de libérer l'Angola et les autres colonies portugaises du joug dictatorial et colonialiste du régime de Salazar... »

     

    ***

    La censure de Satanlazar

    Pendant les quarante années que dura le régime de Satanlazar, il était interdit d'écouter cette station. D'ailleurs l'Emissora Nacional le rappelait presque à chaque bulletin d'information en ces termes : « Radio Moscovo não fala verdade » ce qui voulait dire : Radio Moscou ne dit pas la vérité.

    Grand-père savait très bien qu'en écoutant cette radio en cachette, ou d’autres d’obédience démocratique comme R.F.I. en portugais, il risquait d'être arrêté et emprisonné pour atteinte à la sécurité de l’État. Mais avec l’attitude de celui qui sait mieux que quiconque ce qui est bon et ce qui est mauvais il répondit que :

    -                 L'envie de liberté quand on en est privé devient une drogue qui peut mener à la mort.

    Quelques années bien après je l'ai entendu dire :

    -                 Quand on a envie de savoir ce qui se passe réellement ailleurs, parfois on est prêt à écouter tout ce qui est contraire au régime qui vous opprime. On peut même se laisser mener par d'autres couleurs et d’autres tons dictatoriaux.

    C'est vrai que grand-père avait, dans les années cinquante, une certaine sympathie et même une admiration pour les vainqueurs du nazisme de l'est de l'Europe. Peut-être, parce qu'il connaissait les horreurs du nazisme et encore mieux celles du fascisme portugais et espagnol. C'était son quotidien depuis 1933. Cependant, après l'invasion de la Tchécoslovaquie et de la Hongrie il déchanta complètement du modèle soviétique et n'hésitait plus à dire :

    -                 Communisme, fascisme ou nazisme se valent en horreur humaine.

     

     

    « O Quarto Negro » La Chambre Noire

    C’était une chambre obscure et sans lumière, où ma tante avait voulu m'enfermer une ou deux fois en punition, parce que j'avais battu ma cousine. Mais pour m'enfermer, il fallait m'attraper et je courrais plus vite qu'un lévrier. C'est que ma cousine, Karina, avait un sens aigu de la propriété privée. D'une part, elle considérait que ce qui était à elle était seulement à elle, cependant, ce qui était à moi, était à moi et à elle ! De plus, elle ne tolérait pas le moins du monde que mes quatre années de plus et ma qualité masculine méritent le moindre respect ou privilège.

    -                  Ça promet. Je plains déjà le pauvre futur mari, disait mon oncle en riant à propos de l'attitude possessive et féministe de ma cousine.

    -                 Mais ma tante redressant son joli buste biblique, sans le moindre rire habituel, se montra un peu menaçante :

    -                 Ma mère, que Dieu la garde au ciel, disait ma tante, faisait tout ce que lui ordonnait mon père. Moi, je me tais encore, mais ma fille, répondra à son mari que s'il veut être servi, il n'a qu’à se servir lui-même !

    ***

     

    Karina la Chipie

    En effet, lorsque ma cousine jouait avec moi, à la moindre contrariété ou caprice, elle m'accusait comme son bouc émissaire.

    Cherchant du regard la complicité et l’aide de son père elle prétendait que je l’avais frappé ce qui était totalement faux. Après, mon insupportable cousine éclatait en pleurs aigus, comme si j’étais en train de la tuer. Ses cris étaient tellement forts qu’ils couvraient le carillonnement du clocher de l'église de Nossa Senhora do Rosario lors des mariages au village. Ma tante qui avait tout compris par instinct féminin disait à mon oncle :

    -                 Mais laisse-la pleurer tant qu'elle veut. Quand elle en aura assez, elle va se taire. Ce sont des larmes de crocodile.

     

    Mon oncle, l’idiot, ne comprenait rien aux larmes ni des crocodiles ni des caïmans, ce qui est la même chose. Il accourrait aussitôt pour sauver mon hypocrite de cousine, son petit ange, qui n'avait été sauvé « de ma terrible méchanceté » que grâce à un miracle de Saint Antoine de Lisbonne, protecteur des enfants.

    -                 Espèce de chèvre, menteuse, menteuse, ajoutais-je, indigné de colère et pestant contre tout le monde de la maison.

    -                 Il t'a fait mal ce grand âne ?

    -                  Il m'a battue. Il m'a fait mal là, dit-elle en montrant ses fesses toujours colorées et pas forcément parce qu'elles avaient été traînées par terre.

    -                 Où est-ce que ce sauvage a fait mal à mon petit cœur ?  Demanda-t-il avec une tendresse de figue molle qui venait de s'écraser par terre.

    -                 Vem aqui  burro, raios partam o garoto.

    Ce que voulait dire : Viens ici espèce d'âne, que le diable emporte ce gamin !

     

    ***

     

    La douleur de l’orphelin

    Moi, je n’avais plus, ni père, ni mère, pour me défendre. Alors je déguerpissais plus vite que lièvre dans le maquis. Qui pouvait me mettre la main dessus et m'attraper par les poils ? Personne ! Même pas mes copains d'école plus âgés que moi. Je courrais plus vite qu'un lièvre, affirmaient avec admiration mes amis. Je les devançais tous sur les chemins en côte le jour de « a Romaria de Nossa Senhora da Paz ».

    Cette pérégrination populaire avait lieu le dimanche des rameaux. La chapelle-Hermite se trouvait sur les sommets des monts d'Antalaya, plongeant sa silhouette ronde et blanche dans les eaux limpides du Côa.

    Dans ma fuite je courrais comme un lièvre aveugle, mais la rancœur dans les jambes et le cœur. Je détestais tellement ma petite cousine que je regrettais de ne pas l'avoir tuée pour de vrai.

    Mon oncle je le détestais aussi. D’une part, parce qu'il était un pauvre idiot et d’autre part parce qu'il n'était pas toujours gentil avec ma tante que moi j'adorais.

     De plus, elle me rappelait le visage et la tendresse de ma mère. Elles n’étaient pas des sœurs pour rien. Parfois j’avais envie de la regarder, de l’appeler maman, mais le cœur dans l’âme je le mettais dans le bas de mes chaussettes et je marchais dessus pour le faire taire. Que c’était inhumain d’être orphelin de père et de mère. Souvent je me suis dit que :

    -                 Celui qui a des parents a tout et celui qui n’a pas de père, ni de mère n’a rien !  Dans ces moments-là papy semblait deviner ma tristesse et ma douleur d’orphelin et pour me réconforter il me disait, comme dans un reproche :

    -                 Mais tu n’aimes plus ton papy ? A qui je répondais avec un sourire amer au goût de citron que je détestais :

    -                 Mais si ! Mais si mon petit papillot !

     

    ***

     

    Tatie Sofia je t’aime

    Si j'avais pu me marier avec ma tatie, elle aurait vu le beau mari que j'aurais fait. En quelque sorte je le devins quelques années après quand j’allais dans mes 14 ans.

     En effet, son mari l’idiot, comme l’apostrophait quelques fois sa femme, osa dire tout haut, à la sortie de la messe dominicale, ce que l’on n’avait même pas le droit de penser à l’égard de Satanlazar. Cette gaffe lui valut le lundi, à 6h du matin, la visite de la P.I.D.E. la police secrète du grand chef de Lisbonne et du Portugal après Dieu et un séjour de presque six mois à la prison de Péniche.

    -                  Bien fait pour lui ! Quand la tête n’a pas de jugeote c’est le corps qui paie.

      Et je suis même allé plus loin dans ma rancœur. En effet, j’ai osé penser que mon oncle recevait la juste punition de ses méchancetés et de ses injustices à mon égard en ce qui concernait mes chamailleries avec ma chipie de cousine.

      Devant mes airs de vengeance et de satisfaction mon papy, devina la pourriture de mon cœur, il me dit d’un ton sec tout en me faisant signe de fermer la bouche au venin de vipère.

    -                  Ma petite crapule, ce qui arrive à tonton n’est pas le fruit du hasard, mais le fruit de la sainte grâce du curé, le père Trampoline. C’est lui qui l’a dénoncé en haut lieu. Mais bouche cousue, sinon tu iras aussi joindre tonton à la prison de Péniche.  

    Comme je n’ai pas décousu ma bouche, je ne suis jamais allé rejoindre tonton à Péniche, bien que pendant une semaine ou plus, cela m’a valu quelques nuits de sueurs et de cauchemars.

    Ma tante depuis ce lundi-là ne traitait plus son mari d’idiot, mais parlait de lui avec des mots doux à la crème et au chocolat. Cela me mettait vraiment de mauvaise humeur, car j’aurais voulu que ces mots soient pour moi. De plus, elle avait perdu cet air de femme aimante, rieuse, taquine, joueuse qui me rappelait maman. Dans l’affaire je n’ai gagné qu’une femme triste et avare de paroles.

    Le comble c’est qu’elle se servit de moi pour remplacer son mari dans le travail des champs. Elle me fit travailler comme un cheval de labour. Papy insinuait qu’il fallait aider cette femme dans sa détresse.

    -                  Elle est quand même ta tante cette vaillante femme. Mais moi je restais persuadé que je travaillais dans les champs plus durement que ne le faisait son idiot de mari.

    -                  Ils me prennent vraiment pour une bête de somme. Travail, Travail et ni nourriture qui vaille, ni considération. Me disais-je avalant ma colère.

    En effet, à peine arrivais-je à la maison revenant de l’école à 16h30, qu’il fallait repartir déjà dans les terres avec elle, pour arroser les champs de pommes de terre, de maïs ou sarcler les chants d’haricots. Mes mains devenaient de plus en plus calleuses et parfois le soir mon dos était aussi moulu que la paille de seigle après le battage.

     

    ***

     

    Cher jeune lecteur, chère jeune lectrice, l'un et l'autre vous devez me comprendre et même me défendre. Écoutez donc l'injustice dont je fus victime quand j'avais 11 ans et demi si mes souvenirs sont bons.

    Le moins que je puisse dire lecteur, c'est que ma cousine, la sacrée petite garce, n'avait pas froid aux yeux, même lorsque le vent « sieiro », vent du nord très sec et froid en hiver, givrait les sourcils des gens et transformait les habitants du village en fantômes.

     

    ***

    Le jeu du ballon de tonton

    Eh bien, une fois ma cousine et moi jouions à cache-cache, amicalement et joyeusement chez elle. C’était un samedi après-midi d’été. La plupart des gens faisaient la sieste habituelle, bien ancrée dans les habitudes du village. Celui qui osait aller à l’encontre de la dictature, non pas de Satanlazar, mais du soleil était traité de débilus, car il devait avoir la cervelle seiche. En revanche mon oncle et ma tatie ont dû aller chez Monsieur le curé, comme chien la queue entre les jambes pour recevoir un sacré savon. C’est que ma tatie avait osé mettre une blouse rouge avant la fin du deuil de la mort de mes parents. Nous les enfants on n’avait rien à faire des traditions du village. Ma cousine et moi étions surtout contents de pouvoir faire ce que l’on voulait sans le contrôle de qui que ce soit et aussi d’avoir toute la maison à nous deux. Dans ces moments de grande liberté nous profitions pour fouiner dans des coins réservés aux adultes. La curiosité nous piquait davantage. Tout d'un coup je suis tombé sur un trésor.

    -                 Karina, mais c'est quoi cette drôle de chose, regarde c'est visqueux, l'on dirait un gros verre de terre. C'est dégoûtant, dis-je étonné et surpris à la fois.

    -                 Fais voir, dit de sa voix de chipie ma cousine. Elle me prend la chose du bout des doigts, étonnée par la douceur. Elle tire dessus et dit :

    -                 C'est doux et élastique l'on dirait une tripe pour faire du boudin blanc. 

    -                 Fais voir ! Dis-je, étonné.

    -                 Attends, dit-elle, il y a une ouverture d'un côté.

    -                 Laisse-moi voir. C'est moi qui l'ai trouvé. Dis-je

    -                 Non. Regarde, c'est un ballon, dit-elle en soufflant dedans.

    -                 Il a une forme très drôle. 

    En même temps, je lui arrachais la chose de ses mains en faisant valoir ma force masculine. Je n’allais quand même pas me faire dérober mon trésor.  

    Au fur et à mesure que je soufflais dedans, ma cousine riait de plus en plus. Moi je ne voyais pas plus loin que le bout de mon nez.

    -                 On dirait le zizi de papa le matin ! S’égosillait-elle amusée, puis me lançant à la figure. Tiens prends le par la tête. Tu ne vas quand même pas avoir peur d'un ballon. Quel froussard !

    -                 Non ! Je n’ai pas peur, dis-je, me donnant un ton de voix téméraire, mais à l'intérieur de moi j’avais une certaine crainte de la tripe. Je ne riais pas du tout. Effrayé comme si j'avais un serpent dans les mains, je me suis débarrassé au plus vite de la chose dégoûtante et répugnante.

    -                  Mais ça vole Wald. Regarde ! N'aies pas peur ! Ce n’est qu’un zizi !

    Elle regonfla à une vitesse incroyable le zizi de papa en latex et le lança en l'air dans ma direction d'un petit coup de la paume de la main.

    -                 Ça va tomber ! Mais tape dessus nounouche !

     Je ne pouvais pas rester là tout timide à ne rien faire. Prenant le peu de courage qui me restait à deux mains je me suis lancé avec un semblant de plaisir dans le jeu. Pendant une bonne dizaine de minutes nous avons à tour de rôle lancé en l'air le joli ballon, nous amusant et riant comme des fous. Mais à un certain moment, elle a estimé qu'elle l'avait envoyé en l'air moins de fois que moi. Tout d'un coup, et d'une manière inattendue, elle se mit à pousser des hurlements, comme un malheureux cochon auquel on aurait voulu ôter la vie. Je lui dis en la repoussant légèrement :

    -                 Mais arrête de crier ! Tu me perces les oreilles avec tes cris.

    Sans m'y attendre le moins du monde, elle se mit à hurler encore plus.

    -                 Papa !  Papa ! Il m'a frappée. Il m'a fait mal !

    Joignant la parole à la ruse, elle se tordait par terre à cause d'une douleur imaginaire, ne se rappelant pas que ses parents étaient absents. Ils étaient en train de prendre en pleine figure le savon du père Trampoline.

    Devant ses cris je ne savais plus que faire. Allais-je détaler devant son père qui prenait toujours sa défense ? Comme je n’entendais pas la voix menaçante de mon oncle je me suis dit cette fois-ci je vais vraiment la frapper pour de vrai. Malgré ma colère je n’ai pas mis mon désire à exécution. C’est que je me suis rappelé une phrase que ma maitresse d’école répétait souvent :

    -                 Les femmes on ne les touche qu’avec des fleurs !

     

    ***

    Puisque que la mémoire de Mlle Imelda, notre maîtresse nous revient en mémoire cher lecteur et plus encore lectrices le récit qui suit mélange peut-être autant la réalité autant que l’histoire. En effet de longues années sont passées depuis. Mais est-ce si importante la précision exacte ? C’est que parfois et même souvent la vie est tellement si sauce, sans poivre et sans sel, qu’il vaut mieux lui ajouter quelques ingrédients pour lui donner un certain goût qui la fait plus jolie, agréable et attirante à l’égard de tous. De tous non ! Car, avec les Satanlazar, selon papy, il n’y a pas de demi-mesure. C’est comme ça et pas autrement.  La moindre nuance dans une conversation était considérée comme une atteinte à l’ordre, à leur vérité incontestable et celui qui l’osait devenait à cet instant même un ennemi un traitre au pays et à son magnanime chef aussi parfait voir plus que Dieu.

    Mais revenant à Mlle Imelda, nous, les élèves, savions bien que notre maîtresse était amoureuse d'un certain Manuel Sanches. Même si nous ne comprenions pas grand-chose à la douleur causée par les flèches perçant le cœur des adultes nous voyions bien qu'elle n'était pas la même ni en classe, ni pendant la récréation ou encore dans la rue quand nous la croisions. Elle était comme le temps en automne, très variable.

    L'on pouvait voir dans son visage, tantôt une fenêtre de ciel bleu, où brillait le soleil, tantôt un nuage noir, grognon et menaçant. En cas de pluie, c'est-à-dire de conflit avec son Manuel, nous nous taisions, nous nous mettions à l'abri en attendant que le coup de vent et l'averse qui allaient avec, passent. Nous nous disions qu'après le mauvais temps, le soleil sur son visage finirait bien par briller à nouveau. C’est que nous avions l’habitude de voir qu’à Roustina le mauvais temps finissait toujours par être lavé par le vent et une fois le miracle accompli laissait la place au soleil qui se regardait tout gai dans le ciel bleu.

     

    ***

     

    Cependant, un lundi du mois de décembre de 1959, Manuel est parti en paquebot avec sa maman, ses frères et sœurs, rejoindre son père à Buenos-Aires en Argentine. Une famille de plus du village allait chercher son pain et sa liberté ailleurs et grossir les quelques 130 millions de lusophones aujourd'hui éparpillés par ce vaste monde.

    La famille de Manuel est devenue argentine, parlant le portunhol, une langue parlée dans les zones frontières entre le Brésil et les autres états sud-américains. En revanche, le pauvre Manuel s'est empoisonné en sulfatant la vigne sur les vastes terres paternelles à Escobar, une petite ville dans la banlieue de la capitale.

    « Si son père avait été moins ours et plus humain il serait encore en vie », informait une lettre jaunâtre écrite par sa sœur Marissa.

    -                 Pauvre Manuel dit grand-père les larmes aux yeux et la voix triste. Puis il ajouta : lui qui était parti dans le pays de l’argent, (l'on définissait ainsi l'Argentine au village), avec un râteau dans la tête pour ramasser les billets de banque qui tombaient de l'arbre de l'argent et faire fortune. Il a achevé son rêve plus tôt que prévu et mange désormais les pissenlits par la racine.

     

    Notre maîtresse avait pris connaissance de son décès et par conséquent la perte de son Manuel par une lettre qui était partie d’Argentine depuis un mois. Mais nous, les élèves, avons failli perdre aussi notre maîtresse à cause de cette tragédie. Cependant à partir de ce jour sombre, nous avons gagné l’affection de notre maîtresse pour le reste de l'année et pour toujours.

    L'on disait au village, que son cœur saigna pendant des années dans la solitude, et qu'à la fin de sa vie, avant de s'éteindre, elle rechercha la paix dans une vallée d'altitude de la Serra da Estrela, comme si elle avait voulu s'approcher du ciel et de son Manuel.  Pour le moment elle était toujours notre maîtresse.

    Devant ses élèves, elle oubliait sa douleur en faisant parfois le clown. C’est qu’elle trouvait dans l’art du rire une façon d’anesthésier la douleur de sa tristesse. Depuis ce jour-là elle nuançait tout problème relationnel et dédramatisait même les mauvaises notes auprès de nos parents. Nous la voyions sourire bien plus souvent qu’auparavant, mais il s’agissait d’un rire sérieux. Il était hors de question de se laisser aller dans des rires fous. Non tout était sage et raisonné. Mais parfois nous sentions un léger trouble qui tenait à faire surface. Comme dans une litanie, et comme si les paroles ne venaient pas d'elle, elle répétait sans cesse :

    -                 « Quem canta seu mal espanta » celui qui chante éloigne sa douleur.

    -                 Mais vous n'êtes que mes élèves, disait-elle.

    Avait-elle besoin de le confirmer comme pour se convaincre d'une réalité évidente qui allait bien au-delà de cette frontière ? Néanmoins, après sa tragédie amoureuse, nous voyions bien que nous remplacions Manuel dans son cœur. Nous savions aussi lui rendre ce qu'elle nous donnait.

    Comme par enchantement, les absences, même celles qui étaient causées par des taches agricoles pour venir en aide à nos parents, diminuaient à vue d’œil. Un peu comme les figues étalées par nos mères sur la façade plate des nombreux menhirs et dolmens qui semblaient dormir sous le soleil de plomb. Fraîches et rondes les figues sur l’arbre se réduisaient de plus de moitié devenant toutes rabougries en deux ou trois jours. Et en hiver au moment de Noël c’était un plaisir de les manger la bouche enfarinée, mais aussi de sentir dans mon coeur la chaleur du soleil qu’elles avaient emmagasiné en été et la douceur des mains maternelles qui les avaient préparées.

    Les résultats scolaires étaient en hausse. Allaient-ils monter et grimper jusqu'en haut de la Torre, le point culminant de la Serra da Estrela ! On n'étudiait pas seulement pour nous, nous travaillions aussi pour faire plaisir à notre maîtresse. Nous étions presque sages, comme les images que le père Trampoline nous donnait après la communion. Dans nos lèvres bourgeonnait une renaissance de printemps.

    Maintenant nous n'étions plus ceux à qui l’on criait :

    - On ne parle pas à table, taisez-vous les gamins, fichez-moi la paix, allez-vous coucher et autres expressions que même les chiens ne voudraient pas entendre.

    Le changement était tel que dans ce village reculé et montagneux du Portugal les adultes nous respectaient. Maintenant, nous les enfants, nous étions devenus des personnes avec des égards. On allait même jusqu'à nous demander notre avis !

     

    ***

     

    Nous, les enfants, avions même l'impression d'avoir gagné la guerre que les adultes nous imposaient. Avant, ils nous bombardaient selon une tactique pratiquement militaire, du matin au soir, avec des : « les enfants il faut... oh les enfants de maintenant... oh les petites pestes...Oh ces vauriens ».

    Mademoiselle Imelda, notre maîtresse nous aimait. Plus encore, nous nous sentions aimés. Ce calme, cette sérénité de temps de paix se ressentait même dans nos foyers. Les coups de pied dans le popotin, les torgnoles dans la figure, les coups de ce bon martinet, les étirements d’oreilles et autres soi-disant bonnes méthodes d'éducation, même si elles n’avaient pas disparu totalement, car elles avaient la peau dure, mirent beaucoup d'eau dans leur vin !

    -             Dieu soit loué, disait maîtresse heureuse pour ses enfants.

    Maintenant Melle Imelda, comme une étoile brillante annonçant des temps nouveaux, afin de soulager notre attention qui était chargée comme une bête de somme de 9h à 17h et pour mieux la faire repartir, nous faisait faire de petites pauses et nous répétait souvent, comme un leitmotiv :

     

    Le travail dans la détente

    Fait grandir les enfants

    Donne bonne santé

    Beaucoup d'intelligence

    Et encore plus de connaissance !

     

    Elle devenait même notre magicienne quand il fallait nous démêler les nœuds des cordes en mathématiques ou, les chemins labyrinthiques de l'histoire. De plus, nous avions beau vivre dans le même monde que les adultes, nous ne vivions pas dans le même espace et le même temps. Cela notre maîtresse le comprenait.

     

     

    ***

     

    Campagne de Pacification Coloniale

    Une fois mon grand-père me parla, avec regret, de sa participation comme jeune soldat à la pacification, répression coloniale, corrigea-t-il, au Mozambique dans les années 1900. Il faisait son service militaire de trois ans au service de sa Majesté le roi Dom Carlos.

    Pour lui, cette période, c'était hier, mais pour moi, c'était il y a très longtemps, des milliers d'années peut-être. L’Angola, la Guinée, Le Mozambique, les colonies comme disait maîtresse. Je n'imaginais pas le moins du monde où pouvait bien se trouver le Mozambique de papy.

     En revanche mon Angola à moi je le connaissais comme mes poches, du moins je le croyais.

     C’était le pays de mon cœur, le pays aussi de la tragédie de mes parents. En effet, mes dix années passées en Angola, étaient inoubliables pour moi. Je les gardais dans le creux du jardin de mon cœur. Souvent, avant de m’endormir le soir, je les sortais et les faisait défiler dans ma mémoire comme dans un film.

         Mais concernant les autres colonies, je ne comprenais pas du tout qu’elles fassent partie du Portugal. En effet, je regardais la carte rectangulaire du Portugal, accrochée au mur et je n'y voyais aucune colonie. Rien. Ce que je voyais avec une certaine inquiétude c’était l’Espagne dont la silhouette me rappelait un taureau prêt à encorner le petit Portugal.  Mais j’y voyais aussi avec une peur que ne m’a jamais quitté, les images lugubres de Jésus Crucifié, le regard de Satanlazar et les épaulettes menaçantes du Maréchal Carbonara.

    Devais-je faire confiance à ces regards que je voyais endiablés et menaçants ?

     

    ***

    Les yeux accrocheurs de maîtresse

    Au début des cours, notre maîtresse, très sérieuse, commençait par accrocher son regard sur chacun d’entre nous. Ensuite, nous ayant accrochés comme par un fil invisible, elle attirait notre attention. On aurait dit un pécheur sur le Cap de Sagres en train de pêcher à la ligne. Les poissons que nous étions mordaient avec satisfaction et plaisir l'hameçon de la connaissance. Mais nous, au contraire des poissons d'étals, étions bien vivants, bien conscients pour notre âge, de la chance, de ce luxe que nous avions par rapport au sort de nos pauvres parents qui n’avaient pas pu aller à l’école. C’est que Satanlazar avait d’autres chats à fouetter que de faire construire des établissements scolaires.

    -             A quoi cela sert, disait-il, d’avoir des docteurs dans ce pays ! Qui va cultiver après les belles terres de notre Portugal ! …

    Les yeux de Maîtresse étaient toujours en mouvement. Tantôt ils se fixaient sur l’un de nous, tantôt ils partaient se fixer au plafond, peut-être en quête d'inspiration. Puis s'ensuivait une très courte pause suivie d'un ensemencement à tout vent dans cette terre fertile que nous étions.

    De temps en temps, ses beaux yeux couleur de mer balayaient avec inquiétude le poussiéreux portrait du « Salarié à Vie » planté au beau milieu du mur frontal. De là-haut il semblait contrôler les faits et gestes de chacun de nous tous dans la classe.  Elle ne se semblait pas totalement rassurée.

    -             Mais notre maîtresse, avait-elle peur de Satanlazar, comme les gens au Village ? Me demandais-je en la regardant du coin de l’œil. Parfois, nous aussi nous craignions notre maîtresse, car elle pouvait aussi être un dictateur.

    En fait, elle ne nous faisait pas vraiment peur, plutôt le contraire.

     Cependant, l'autre, accroché au mur comme au pouvoir, on voyait bien qu'il essayait de se donner des airs d'intelligent en manipulant des livres. Pour nous, il n’était pas question que nous lui fassions confiance. Mais comment, par quelle manigance, quelle manipulation et mensonges, est-il arrivé là ? Comment est-il devenu chef à vie ? Pourquoi restait-il là, année après année, décade après décade, d’abord en père, ensuite en papy, puis devenant Dieu tout puissant pour la vie éternelle ?

     

    ***

     

    Que dieu me pardonne, s'il le peut, mais je dois t'avouer cher lecteur et lectrice des secrets sur l'enfant que j'étais. Ce sont des secrets, lecteur, mais ne vas pas monter sur le toit de ta maison et les crier à tout le monde, sinon tu iras aussi passer quelques jours à l'ombre, comme grand-père, à la prison Liberté de Soutugal.

    Je voudrais te dire aussi, à toi ma lectrice, que les révélations que grand-père me faisait sur les méchancetés nombreuses de Satanlazar faisaient naître en moi une colère de révolte et de vengeance.

     

    ***

     

    Le Lance-Pierres

    Un jour, j'ai mis dans mon cartable mon lance-pierres pour dégommer le corbeau noir, qui semblait manipuler des livres et certainement nos cerveaux. Comme tu le sais lecteur, il était accroché à droite du mur frontal de la salle de classe.

    Mais maîtresse, découvrant peut-être mes intentions, ouvrit mon cartable, et me demanda avec un air de compréhension déguisé dans un habit de reproche :

    -             Quel oiseau veux-tu tuer ? Ce n'est pas encore le temps de la chasse mon garçon !

    -             Eh ! Maîtresse ! On va attendre l'ouverture jusqu'à quand ?

    -             Bientôt !

    C'était « un bientôt » qui voulait dire que la discussion était terminée sans l'être réellement.

    En classe, nous n'évoquions jamais son nom et évitions de parler trop fort, de peur que l’oiseau noir de mauvais augure ne nous entende.

     

    ***

     

    La P.I.D.E.

    (Police Internationale de Défense de l’État)

    Grand-père prétendait que lorsque l'on prononçait son nom, ses acolytes vampires, hantant grandes villes et petits villages, dressaient leurs grandes oreilles et aussitôt s'abattaient sur leurs innocentes victimes, et plantaient leurs crocs en faisant couler le sang et causant mort et désolation.

    Dansant en rond autour de la proie, bouffant, ingurgitant pain, fromage et saucisson, ils swinguaient toujours avec une bouteille de vin dans les mains. Ils animaient leur fête macabre, torturant, martyrisant et riant pour le bien de l’État Nouveau, pour la Paix de la Nation.

    - Un, deux, trois …Taraban ! Taraban !

     Un pas en arrière

     Deux et trois en avant… !

    Et Maintenant ! Un, deux, trois

    Et Maintenant jetons ces corps inanimés,

    Ces sales rouges, ces salopes potiches 

    Dans la prison forteresse de Péniche !

     

     Bon débarras ! Un, deux !... Nettoyons !

    Trois ! Prends ces juifs salauds

    Par les pattes et les bras ! Jetons !

    Jetons encore plus loin !

     

     Bon débarras ! Un, deux !... Nettoyons !

    Et trois ! Attrape-moi Ces mous !

    Par les cheveux ! Par les deux patates !

    Fous-moi tous ces bandits démocrates

    A Caxias ! En prison ! En prison !

    Jette-moi toute cette merde mole

    Hors de « Notre » Héroïque Portugal

     

     Bon débarras ! Un, deux !... Nettoyons !

    Toute cette traitresse opposition

    Seul Satanlazar a toujours raison

    Débarrassons ! Un, deux, trois !  Jetons !

    Jetons-les tous ! Au camp de Concentration

     

    Et Pendant 10

    Et Pendant 20

    Et Pendant 30

    « Puta madre de diez ! »

    Pendant plus de 40 ans !

     

    Tous ! Hors de « Notre » Héroïque Portugal !

    Rouges, juifs, socialos, anarchos, bolchos, gauchos, cocos, homos, ordures, démocrates …

    Tous ! A Aljube ! Tous ! Tous ! A Peniche

    Mais jetons-les tous ! Au camp de concentration de Tarrafal !

     

    1933-1970-1974

    Au nom de la Famille

    Au nom de Dieu,

    Au nom du patriotisme,

    Et d’un terrible nationalisme

    D’un Satanlazar fascisme

    Rien à envier au sanguinaire communisme !

     

    Des prisons ! Des forteresses ! Des camps !

    De concentration !

    De la torture inhumaine

    Des assassinats à la chaîne

    Maria Eufêmia …

    Amilcar Cabral …

    Ni vu ni connu ni odeur

    Repos ! Repos ! Repos ! à vous

    Et à Humberto Delgado

    Le Général Sans Peur

    Des vols ! Vers le ciel ou l’enfer

    Des prisons ! Des forteresses ! Des camps !

     

    Au nom de la Famille

    Au Nom de Dieu

    Au nom de la Patrie

    Au nom du Satanlazar fascisme

    Au nom de la Nation.

     

    Ô Satanlazar !

    Que tu es bon 

    Que tu es Grand 

    Plus grand que dieu …

    Plus grand que … ! Plus Grand… !

     

    « Ô Puta Madre de diez ! »

    Tu te fous de nous !

    Mais comment … ? Mais comment… ?

     

    Ô bigot névrosé Satanalazar !

     Veux-tu encore te moquer de nous ?

    Qu’as-tu fait de Dieu !

    Qu’as-tu fait de la Famille !

    En quel état as-tu laissé en 70 Notre Patrie ?

     

    Ô Satanlazar !

    Célibataire ! Célibataire vieux

    Ô vieux garçon ! Jamais marié !

    Sauteur habituel de belles de nuit

    Client assidu de prostituées !

    Pour toutes ces joies

    Tu voudrais être canonisé ?

     

    Ô Satanlazar

    Mais que sais-tu des gens, de la famille ?

     A São Bento « Toujours » claustré

    Même pas un enfant ! Jamais marié !

    Jamais aucune autre nation voyagée

    Jamais un seul jour

    Ton empire colonial visité

    Quarante ans ! Quarante ans !

    Toujours ! Toujours !

    Comme moine claustré.

     

    Ô Satanlazar ! 

     Mais que sais-tu de la famille ?

    Grand célibataire et vieux

    Quel vieux garçon

    Sans femme

    Sans enfants !

    Que sais-tu des gens ?

    Que sais-tu de la vie ?

    Dis, dans quel état as-tu laissé notre Patrie ?

     

    Satanlazar

    Le vieux garçon

    Elevé en monument du ridicule

    Comme le bon père, le bon mari, de la nation !

     

    Ô grand homme d’état !

    Ô grand mari de la famille

    Ô grand père de la nation

    O grand dieu sans égal

    Après plus de 40 ans

    Dans quel état as-tu laissé le Portugal ?

     

    -             Des millions de Portugais

     Fuient ta dictature de foutaise

    Ton paradis de « Dieu Patrie Famille » misérable

    En quête de pain

    En quête d’une meilleure vie

    En quête de respect

    Même en quête d’air frais de démocratie

    En quête de Liberté !

     

    Ô Satanlazar

    Des millions de Portugaises

    Fuient ta dictature de foutaise

    En humbles mendiants immigrés

    Vers les démocraties développées

    Que dans tes discours aboyés

    Tu ne cessais de dénigrer !

     

     

    Ô Satanlazar !

    -             Des millions de Portugais

     Fuient ton Etat dit Nouveau

    « A Salto ! A Salto ! »

     Vieille valise vide en carton

     Par monts et par vaux

    Comme des sauvages animaux

    Plus tristes que gais !

    En quête de liberté

    Pour survivre et manger !

    Pour fuir ta guerre coloniale !

    Près à saisir la nouvelle vie à deux mains

    Près à gagner ailleurs l’Être Humain respect

    Que pendant plus de quarante ans

    Ô Satanlazar !

    Tu n’as jamais su leur donner !

     

    Ô Grand Satanlazar

    Le plus pauvre, le plus analphabète, le plus…

      Était « ton » Portugal

    De toute l’Europe Occidental !

     

    Mais pourquoi encore autant de baliverne ?

    Sache Satanlazar qu’aujourd’hui

    Ta propagande fasciste est finie.

     

    Les femmes, les hommes

    Les Portugais

    Sont gais

    Sont debout et fiers

    D’être frères et amis des autres pays

    Et membres de la démocratique Union Européenne !

     

    Blois 10/08/2017

     

     

    ***

    Le maréchal Oscar Carbonara

    Et voilà maintenant que le regard de notre maîtresse se posait très rapidement sur le portrait du vieillard gâteux, le maréchal Oscar Carbonara, Président frauduleux de la Monarchie absolutiste du roi salarié à vie.

    Le strict uniforme aux épaulettes fanées se laissait aller, alourdi par le poids exagéré des méchantes médailles. Son regard sournois, autoritaire, caché derrière sa fausse moustache républicaine, le visage jaunâtre, sec comme son bâton de maréchal entre ses mains, nous faisait peur pendant la classe.

    La nuit, il nous poursuivait encore, perturbant le sommeil des tendres enfants que nous étions avec des cauchemars de terreur.

     

    Au centre du mur, entre ces deux personnages, un crucifix nous faisait de la peine avec un pauvre Jésus, presque nu, se tordant de douleur. Son sang semblait couler, sans pour cela tacher le plancher en bois de la classe. Lequel des deux autres, celui de droite, celui de gauche, était le fautif ? Lequel des deux avait sur ses mains le sang de Jésus ?

     

    Était-ce vraiment le sang de Jésus qui coulait du crucifix ou le sang de l’autre Portugal miséreux qui, chaque jour s’enfuyait vers les pays démocratiques d’Europe en quête d’une vie acceptable, mais aussi la volonté de trouver ailleurs une place pour pouvoir exister, vivre et se réaliser ?

     

    Nos consciences d’enfants se doutaient bien que des choses, des choses pas très catholiques comme disait papy, se passaient, mais nos consciences enfantines ne les comprenaient pas.

     Pourtant l’enseignement de maîtresse semblait avoir deux objectifs : L’acquisition des connaissances et le pourquoi des choses. Elle répétait souvent

    -             Les enfants il faut toujours comprendre le pourquoi et le comment des choses.

     

    Mais quoi qu’il en soit et d'une façon inespérée et inattendue, nous nous laissions entraîner par la magie de son regard.

    Son visage était parsemé d'étonnantes taches de rousseur. Ses cheveux avaient la couleur des fougères en automne. Elle se dressait sur ses talons et nous adressait un regard de lynx qui se voulait inamical et distant.

    -             « Sou pequenita, mas tesita ! »

    Ce qui voulait dire qu'elle était petite, mais qu'elle ne se laissait pas faire. Nous ne comprenions pas pourquoi elle nous disait cela. Pour nous, elle était mince, cela c'était vrai, mais nous ne la croyons pas, quand elle disait qu'elle était petite.

    Pour nous elle était grande, et pas uniquement en taille. De plus elle était gentille et nous parlait avec la douceur de la marmelade de potiron que papy faisait en automne à la maison. Le parler de notre maîtresse, tout miel bien beurré sur nos tartines de pain de seigle à 16h, n'avait rien à voir avec le parler acide de certaines vieilles bigotes du village. De plus l’on éprouvait un grand plaisir d’aller à l’école. Le travail en classe n'était que du travail dans les mots. La réalité avec notre maîtresse Imelda était agréable et ressemblait à de la joie, aux rires de nos jeux pendant la récréation.

     

    ***

    Les samedis-soir

    C’est samedi-soir. C’est le jour où mon papy semble le plus désappointé malgré son apparence toujours joyeuse. Je sais qu’il cache ses malheurs pour me donner toujours l’image d’une personne décidée à me donner le plus grand bonheur. Même quand nous évoquons la tragédie affreuse de mes parents il parvient à sourire. Mais je sais qu’il pleure en lui-même, mais à moi il me sourit.

    -             Mon papy ! Si tu savais combien je t’aime. Je te le montre, mais je t’aime encore plus en silence. Cet amour est infini et éternel dans cette vie qui est toujours le contraire de l’éternité. Trop courte fut aussi la vie de mes parents. C’est le Wald orphelin qui le crie à cet injuste destin.

    -              Pourquoi mes parents sont morts en voulant donner une nouvelle vie, aussi bien à moi qu’a ce pays où, j’ai laissé une partie de mon enfance ?

    Papy ne pouvait pas entendre le cri de ma douleur angolaise, car je l’étouffais quand je pouvais. Mais mon papy la devinait. Je le voyais dans ses yeux, dans le ton de sa voix, dans sa respiration parfois.

    Ce samedi-soir, presque comme d’habitude, il partait encore dans le royaume des songes tout en restant debout. Rêvait-il où était-il en train de plonger dans des précipices sans fond, sans rien à quoi s’accrocher ? Ou, au contraire, cheminait-il sur la route de la création de nouveaux mondes et d'histoires que je ne parvenais pas à toujours comprendre ?

     Quant à moi, je vais me retirer du monde ennuyeux des adultes et me laisser gambader, encore et encore, dans les souvenirs lointains de mon enfantine mémoire :

     

    ***

     

    Les jeux de la Récréation

    Garçons et filles avaient des jeux séparés. Les garçons jouaient à la toupie, les filles à la marelle. Cependant nous nous rassemblions pour jouer au jeu de l'huile et du vinaigre.

    Deux filles et deux garçons. Chacun de chaque côté, prenait un garçon ou une fille par les pieds et les mains. Il était balancé d'un côté et de l'autre, tantôt à gauche tantôt à droite, comme le balancier d'une pendule à poids, au son d'une litanie enfantine que nous chantions en cœur :

     Tchïm  tchï  bão ,

    Azeite  ou pão !

    P'ra onde queres ir ?

     P'ro azeite ou p'ro vinaigre ? 

     

    Ces onomatopées rythmées disaient :

     « Tabarin Tarakan

    Pour ton casse-croûte

     Veux-tu du beurre,

     De l'huile ou du vinaigre ? »

     

    Il est certain que les petites crapules de notre classe allaient directement dans l'acidité du vinaigre ! Pas de sentiments avec les méchants ! Cependant les gentils, comme notre maîtresse Imelda, nous les mettions volontiers dans la douceur fluide de l'huile d'olive. Et moi je serais même d’avis de lui donner aussi une tomate bien mûre pour qu'elle la frotte sur la tartine de pain comme nous faisions pour notre goûter. Comme c'était délicieux ! C'était un rêve.

     

    ***

    Les douleurs de maîtresse

    Peut-être est-ce à cause de cette image, qui lui revenait à l’esprit, de Manuel la bouche pleine de salive blanche, se tordant de douleur comme un serpent ayant reçu un coup de bâton sur la tête, que notre maîtresse semblait tout d'un coup sortir une colère retenue.

    -             Mais pourquoi maîtresse cries-tu ? Sa colère était comme coup de vent au mois d’Avril. Ça ne durait pas. Aussitôt, caché, timide, derrière ses lèvres, nous voyions bourgeonner un sourire couleur de laurier rose. Ce sourire nous comblait de bonheur comme la musique de Maria Faya de José Afonso que notre maitresse nous faisait découvrir dans les moments de fatigue de la classe. Dans ces moments-là il n’était plus possible d’enregistrer quoi que ce soit dans notre disque dur.

    -              En revanche, les deux autres ploucs, Satanlazar et Carbonara, de chaque côté du crucifix, accrochés là-haut au mur blanc, comme à leur pouvoir usurpé, nous faisait une peur de déluge biblique semblable à la vengeance de Dieu Tout Puissant et Omnipotent.

     Mais toi, tendre et jolie maîtresse, nous n’avons pas peur, au contraire nous déposons toute notre confiance en toi. Tu nous fais découvrir la vie et les couleurs de l'arc-en-ciel.

     

    -             Mais ne cries pas maîtresse. Ne te donne pas tant de mal. Nous allons bien travailler pour toi. Nous voulons te rendre heureuse. Nous voulons être la joie qui contrebalance la douleur de ton Manuel. Tout cela nous le disions, comme dans une prière silencieuse à Notre Dame de Fatima.

    Lorsque l’image de son Manuel lui venait en mémoire, elle devenait toute autre. Comme un dictateur, elle ne voulait ni rien entendre, ni rien comprendre.

    Cela nous déstabilisait et nous perturbait. Nous nous sentions seuls et inquiets. Nous étions perdus !

    Cours d’Histoire

    Respirant fort et jetant un regard froid aux deux acolytes du mur blanc, comme si rien ne s'était passé, notre maîtresse faisait une petite pause. Parfois l'on ressentait comme une plainte légère dans sa respiration. Après son regard de lynx, elle raccrochait encore un à un nos yeux attentifs.

    Et voilà, Mlle Imelda, notre maîtresse repartait avec nous pendant 30 minutes dans le chant des faits épiques du règne de Jean Ier (1357-1433).

    -              Ce roi laissa une excellente image dans l'esprit des Portugais ce que lui valut le surnom de : Le Bon Souvenir ! disait-elle avec admiration.

    Après le cours d'histoire de 9h30, s'ensuivait :

     

    « La rédaction »

    -              Entre 15 et 20 lignes. Pensez à une brève introduction. Pas de bonne rédaction sans conclusion. Comme d'habitude, elle répétait en chantonnant avec un brin d'humour sérieux et plaisantin :

     

    Maintenant il est temps,

    Que ces vaillants enfants

    Ayant écouté avec attention

    Ecrivent noir sur blanc

    La plus jolie rédaction !

     

     A vos cahiers !  A vos plumes !

    Pas de rires, pas de toux

    Et ce n'est pas tout

    Maintenant au travail, sans triche

    Chacun pour soi et dieu pour tous !

     

    ***

     

     « La bataille D'Aljubarrota »

     

    L'angoisse de la plage blanche nous pénétrait, comme le brouillard du printemps dans la vallée du Tage. Mais, peu à peu, grâce aux rayons lumineux du soleil, Dame Blanche, par un tour de magie, se transformait en muse Calliope et les mots coulaient de ma plume comme l'eau limpide du Tage qui descend de la sierra d'Albarracin en Espagne en quête de son mari, le Portugal .

    Introduction :

    En ce 14 août de l'an 1385, le soleil brillait à pic dans le ciel azur. 

    Les Champs cultivés et les prairies verdoyantes de la plaine d'Aljubarrota semblaient insouciants à ce que pourrait arriver.

     Les champs ne voulaient pas être piétinés et les pâquerettes, les pissenlits, les boutons d'or et autres fleurs voulaient donner la vie, en versant sur la terre leur semence.

     Que l'on ne leur parle pas de mort ou de sang. Les oiseaux apeurés avaient fui et se cachaient çà et là sur des arbres en bordure de lisière, se demandant du regard ce qu'allait se passer.

     

    Développement :

    Mais ces hommes, ces militaires ne l’entendaient pas ainsi. Tout d'un coup, un vacarme envahissant perça le calme de la plaine. L'on entendait des cris, des ovations :

     

    -             ¡Viva el rey don Juan! Y Viva Castilla !

    -             Vàmonos a ellos !

    -             Que Viva Santiago !

    -             ¡Pues Portugal ya está conquistado!

    -              

     Criaient comme ivres de victoire les 36000 castillans armés jusqu'aux dents.

    Dans le camp portugais, le Connétable Dom Nuno Alvares Pereira, après avoir prié avec dévotion, s'adressait à ses combattants, attirant l'attention sur le fait que bien qu’en moindre nombre, il fallait défendre l'indépendance de la nation, l’identité lusitanienne, l’espace territorial de ce noble Portugal. Chaque guerrier portugais doit se battre comme un lion.

    -             Tout Castillan est à abattre !

    -              Portugais ! Portugais !

    -             Ça va être un combat de vie ou de mort ! 

    Avec ruse, le Connétable plaça en forme de U une centaine de jeunes, dits les amoureux, prêts à donner leur cœur au Portugal, leur âme à Dieu et à leur Dame. Encore à genoux, ils invoquaient le ciel, priaient Sainte Marie et criaient :

    -             Viva São Jorge ! Viva Dom João I°,

    -             O verdadeiro rei de Portugal !

     

    Ce que voulait dire : Vive Saint George ! Vive Jean Ier, le vrai roi du Portugal.

     

    -             Bande armée de brigands

    Plus que combattants,

    Assoiffés de sang,

    Les vils castillans attaquèrent aveuglement,

    Rentrant vaillamment et facilement dans le U.

    Ils crièrent déjà victoire,

    Une victoire sans égal.

    Ils se crurent déjà les maîtres du Portugal.

     

    Mais Les Guerriers Amoureux, pensant ce jour être leur dernier, brandirent les épées en l'air, confièrent leur âme à Dieu et fermèrent le U.

    Aidés, par les autres, 50OO lusitaniens, qui leur tombèrent victorieusement dessus ! Les Castillans, sans cœur et sans âme, tremblant de peur, s'enfuirent la queue entre les jambes vers les terres seiches de Castille pensant ne jamais l’atteindre. C’est qu’ils se croyaient poursuivis par la vengeance des Lusitaniens. Il n’en était rien.

     Les Portugais ne voulaient que leur liberté. Les soldats portugais étaient tellement heureux de leur victoire, presque trop facile, qu'ils croyaient qu’elle tenait plus du miracle que de leur bravoure ! L'on parlait déjà de construire une belle église ou cathédrale en style manuélin en l'honneur de Sainte Marie, pour la remercier de cette victoire qui garantissait l'indépendance du Royaume du Portugal.

     

    Conclusion :

    Nous pouvons dire en guise de conclusion et avec beaucoup d'émotion que...

     

    -             C'est l'heure, le temps de la rédaction est fini, je vais ramasser les copies, dit maîtresse ajoutant les gestes à la parole.

    En même temps, je pestais contre moi-même : une fois de plus je m'accusais d'avoir été trop lent et incapable de rédiger cette maudite conclusion.

    Au même moment, le totem coordinateur de la vie au village, droit dans ses bottes son corps robuste de granit, le clocher de l'église de Notre Dame du Rosaire, carillonna avec majesté les 10 coups. Il était 10h du matin.

    -             On peut sortir Maîtresse, criaient les plus rapides.

    Et moi, oubliant déjà la pauvre conclusion de ma rédaction, je sortais aussi dans la cour de récréation.

     

    ***

     

    Papy le faiseur d’histoires

    Wald croyait que son papy, comme le Connétable Dom Nuno Alvares Pereira pouvait aussi changer le cours de l'Histoire.

    Mais les histoires de papy s’écrivaient seulement avec un petit « h ».  En revanche ses histoires pouvaient voir le jour aussi brusquement que le vent du désert change de cap. Et comme d’habitude son histoire commençait par :

     

    -             " Il était une fois..." un garçon nommé Jésus de Nazareth au caractère bien trempé, fils d'un vaillant charpentier que certains veulent passer pour pauvre, mais en réalité assez bien argenté, qui se mit en tête de changer le monde...

    -             Comme toi papy, dis Wald en le coupant dans son élan.

    -             Mais que dis-tu là, je ne veux pas changer le monde, je ne veux qu'améliorer ce pauvre Portugal Satan Lazariste, assena-t-il d'un visage fripé comme s'il parlait à d'autres personnes que moi.

    -             Tu es trop jeune pour comprendre. Mais tous ces hommes qui se prétendaient uniques, providentiels, supérieurs, qui ont voulu tout changer, de fond en comble, au nom d'un Dieu, d'une idée dite nouvelle, d'un Homme dit nouveau, ces monstres ont emprisonné, torturé, massacré, tué des millions de personnes au nom de ce que les arrangeait. Ils ont fini par laisser le monde en pire situation qu'ils ne l'ont trouvé.

    -             Comme Satanlazar qui …

    -             Mais, chut ! Tais-toi mon pauvre malheureux ! Intima-t-il Wald avec autorité et gravité, comme s’il avait mis en danger la sécurité publique. Te rends-tu compte du danger, te rends-tu compte de ce que tu dis ? Ce que tu peux être idiot ! Mais Chut ! Ce n'est pas une histoire pour des petits enfants comme toi.

    -             Mais je ne suis pas petit, protestait Wald sans avoir la confiance qu’il attendait de son papy.

     

    ***

     

    Grand-père pouvait me dire de me taire. Il pouvait me dire que je n'étais qu'un enfant. Néanmoins, l'enfant que j'étais voyait des attitudes, des comportements qui me faisaient croire que quelque chose d'important n'allait pas bien au village. Bien sûr, je ne comprenais pas. Les adultes sont compliqués, même très bizarres, parfois.  C’est pourquoi, tout seul, j'essayais d'ouvrir les yeux et encore plus les oreilles.

     

    ***

     

    Wald l’Espion

    Grand-père se passe la main dans ses cheveux ! Est-ce un tic ou est-il devenu fou ?

    Un soir, je fus très surpris de voir mon papy dans l'obscurité du coin de l'église communiquer par des gestes avec son ami Olivério. Il se passait la main dans les cheveux, comme un peigne, à chaque fois qu'il voulait désigner une personne. Je me suis demandé : mais qui pouvait bien être cette personne dont on n'ose même pas prononcer le nom ?

    Elle devait être vraiment méchante pour faire si peur, même aux adultes ! J'ai commencé à ne pas me sentir en sécurité, moi aussi. Je suis devenu méfiant et plus attentif à tout ce qui se passait. Je regardais, j'écoutais, je surveillais tout et tous. Je suis devenu un espion. Mais malgré mes efforts d'acuité, au bout d'une semaine, toujours rien. J'étais certainement mauvais en espionnage comme je l'étais aussi en mathématiques.

    -             Tu dois encore progresser, me disait maîtresse Imelda en fin de trimestre.

    -             Oui maîtresse, je vais progresser, lui disais-je d'un ton de voix brillant comme la lame du couteau de grand-père au soleil.

    Mais dans une voix douce, presque inaudible, je me disais :

    -             Je vais progresser encore pour te plaire ma petite maîtresse.

    Ensuite, focalisant ma pensée sur les gestes de grand-père, passant la main sur ses cheveux,  je me dis, d’un ton de voix décidé et audacieux,  prêt à partir au combat pour le défendre :

    -             Je vais être un bon espion pour te sauver mon petit papy !

     

    ***

     

    Les invités du curé du village, le père Trampoline

    Je commençais à observer que quelques paysans du village étaient convoqués régulièrement chez le père Trampoline. D'autres étaient invités, je riais du verbe inviter, à se présenter devant l'administration de Soutugal, le chef-lieu de canton.

     L'invitation était un écriteau qui puait l'odeur de José Coz, le croque-mort bossu du village, après qu’il eut tripoté les cadavres. Il était rédigé avec autorité, sur un mauvais papier délavé et transparent, en grosses lettres noires que le régisseur du village affichait au vu et su de tous, juste à côté de l'entrée principale de l'église du village. Personne ne pouvait l'ignorer !

    Lesdits invités   restaient absents du village pendant trois ou quatre jours, parfois plus.

    Avaient-ils été emprisonnés à Soutugal ? Avaient-ils été battus ? Parfois l'on entendait parler de brimades. Des brimades, je n'avais jamais entendu ce mot et n’en comprenais pas du tout le sens. Je demanderai à maîtresse Imelda ou à sœur Rachel, ma tatie adoptive. Celle-ci prétendait que je me mêlais de choses qui ne regardaient pas l’enfant que j’étais encore.

    -             Mais Wald, mon petit cœur, profite d’être un enfant ! Ça passe si vite mon joli lapin, me disait-elle avec un sourire de tendresse.

    -             Ne t’en fais pas tatie Rachel lui répondais-je avec un doux regard. Puis retournant à ma pensée.

    -             Ils, je voulais dire les « invités du père Trampoline » ont dû être punis, comme nous l’étions parfois à l'école, par maîtresse Imelda, me demandais-je.

    Mais ce que je remarquais avec une certaine inquiétude, c’est que de retour au village, les dits « invités », n'avaient plus leur superbe d'avant. A vrai dire, ils n'étaient plus les mêmes.

    Après avoir passé par l’invitation spéciale, le soir, lorsqu’ils revenaient du travail des champs, ils n'avaient plus envie de faire des blagues, de rire, comme d'habitude.

    Maintenant ils marchaient la tête basse, ne parlaient à personne. J’avais l’impression de voir des champs de maïs fanés sous le soleil de plomb en été.

    -             Quel traumatisme ! L’on dirait des somnambules !  Me disais-je en moi-même. Je croyais voir en eux les lapins étourdis par papy avec un coup derrière la tête avant de passer à la casserole lors des fêtes du village. 

    J'ai appris enfin, plus tard, que le reste des autres villageois étaient au courant, mais ne voulaient pas en parler de peur d’être les prochains sur la liste.

    Et en moi allait grandissant, chaque jour, une inquiétude qui m'étouffait. Je me posais des questions de toute sorte où je voyais la vie aux couleurs de la nuit.

    Les cauchemars avaient pris l’angoissante habitude de se faire inviter dans mon sommeil, malgré moi. Mais comment faire pour empêcher ces maudits cauchemars qui hantaient de plus en plus mes nuits ? Le pire de tous fut celui avec la terrible P.I.D.E. L’évocation de son seul nom renvoyait à la peur et à la douleur de la torture commise dans les célèbres prisons de l’état, Péniche, Tarrafal, Aljube … Tout en sueur je voyais mon papy dans leurs griffes. Le père Trampoline, toujours dans l’ombre, marchait comme un chien dévoué quelques pas en arrière.

    Dans les lieux d’ombre, les coins de rue, les endroits peu fréquentés du Village mes oreilles indiscrètes entendaient des conversations tenues par les adultes à voix basse, surtout la nuit, qui ne me rassuraient point. Tout cela m'intriguait et m'inquiétait encore plus. Je ne me sentais plus en sécurité. Moi qui mangeais pour deux, tout d'un coup je ne mangeais pas plus que les moineaux de gouttière passant leurs longues journées d’été comme hiver sur les toits des maisons du village en piaillant :

    -             V’là la P.I.D.E. !  V’là la P.I.D.E. ! Elle est là ! Elle est là !

     

     

     

    ***

    Mais qu’il s’en aille en Israël !

    En quelques jours j’avais perdu un tiers de mon poids. Je crois qu’à l’école personne n’avait osé me le faire remarquer. Cependant à la tombée de la nuit lorsque je passais devant les « cages » j’entendais des sifflets suivis d’invectives moqueuses. Je connaissais bien les auteurs. C’étaient deux vauriens de fils à papa qui se cachaient derrière les fenêtres des maisons, des riches du village. Nous les gamins du village, nous nommions ainsi ces maisons à cause de leur architecture mais surtout parce que les riches vivaient dans leur cage sans vouloir vraiment se mélanger au village. Les fils à papa brillaient par leur lâcheté aussi bien à la récréation de l’école que dans la rue.

    En revanche une fois en compagnie de leurs papas ces crapauds se croyaient plus forts qu’un bœuf. C’était à ce moment-là qu’ils, profitaient pour me blesser mais seulement avec des injures. En effet le courage leur manquait quand ils étaient en ma présence.

    -             V’là le moineau ! C’est le moineau qui passe ! Moineau ! Moineau ! Mais qu’il s’en aille en Israël !  Tête de juif, ventre de moineau ! Moineau ! Moineau !...

    Même si cela pourrait paraître étrange au plus pacifique des êtres humains, je ne leur accordais aucune attention. Certainement qu’en d’autres circonstances leurs insultes m’auraient fait du mal. Et je me serais fait le devoir de leur rentrer dans le chou et fait avaler leurs insultes. Mais je vivais tel qu’un autre. La nuit j’avais des cauchemars et le jour je vivais dans la crainte de la P.I.D.E. Une seule chose m’inquiétait : Allaient-ils emmener mon papy !

     

    ***

    Il craint que nous n'ayons pas peur

     Finalement ce qui devait arriver arriva ! C’est que ma perte de poids finit par mettre la puce à l'oreille de mon grand-père. Un soir il vint s'asseoir à côté de moi sur le seuil de la porte d'entrée et me dit d'un air trop sérieux et inhabituel :

    -             Je sais que tu n'es pas un enfant. Enfin, tu es un enfant qui n'est plus un enfant.

    Il me regardait différemment et son regard semblait vouloir m’en dire plus que ses paroles. Passant sa main sur mes cheveux, comme il le faisait d'habitude, il me dit à voix basse :

    -             Il ne faut pas évoquer ces noms-là ! Et il joignit à la parole le geste de passer sa main sur ses cheveux, pour évoquer le dictateur de Lisbonne et sa terrible police politique. Après un court silence, il ajouta :

    -             Le simple fait de parler de ces deux bouses de vache attire toutes les mouches du pays, me dit-il en me regardant fixement dans les yeux.

    -             Mais mon petit Wald, il doit savoir que l’on n'est pas des moutons apeurés devant le loup, ajouta-il en esquissant à nouveau un sourire malin tout en bombant les épaules. Après quelques instants il me dit :

    -             Mais lui aussi il craint que nous n'ayons pas peur mon Petit Lapin.

     

    Je venais d’apprendre d’une part la réponse à mes questions et d’autre part que dans ce Portugal-là il fallait se méfier des mots qui pouvaient devenir des maux. Ce jour-là, j'ai compris aussi pourquoi grand-père me conseilla :

    -             Il faut tourner sa langue sept fois dans la bouche avant de parler. Puis me posant sa main sur les épaules comme le faisait jadis mon papa, il ajouta :

    -             On dit aussi qu’il vaut mieux se mordre la langue avant de parler qu’après avoir parlé.

     

    ***

     

    Les mots et ses maux

    N’étant qu'un enfant, sachant à peine lire et encore moins écrire Wald aimait pourtant les mots. Ils étaient déjà à ce moment-là, la nourriture de son corps, la chaleur de son cœur, la musique de son âme. Wald aimait les mots par leur orthographe qui leur donnait une forme physique, un aspect et une image. Les mots ressemblaient à des personnes. Chaque mot avait sa personnalité, son originalité. Wald aimait les regarder, les déshabiller, les comparer, les séparer, les associer, les décortiquer et, selon le temps et l’espace, leur faire sortir à tous les vers du nez.

    Wald aimait leurs façons et aussi la musique de leurs accents de l’endroit de la Terre où ils montaient en dansant dans le ciel.

    Sa maîtresse Imelda se transformait volontiers en crème au chocolat pour inculquer à Wald et ses petits camarades le goût de la langue portugaise, aussi bien écrite que parlée. Elle affirmait, avec une conviction quasiment religieuse, que le portugais était une partition de musique de fado, mais aussi de samba, de morna, de kudurru selon l'endroit du monde où il était parlé.

    -             Sachez que notre langue est une des langues les plus parlées dans le monde et sur tous les continents, affirmait-elle avec un rien de fierté qui dansait joyeuse dans le blanc de ses yeux verts.

     Elle prétendait, en fanfaronnant, que sa richesse phonétique de plus de 3 000 phonèmes la classait au 1er rang des langues européennes.

     

    Cette flamme lusophone réveillait, dans une moitié de Wald, une sorte de nostalgie de la tendresse et de la douceur tropicale de la langue portugaise. Néanmoins dans l'autre moitié de Wald vibrait aussi le rythme musical et l'attitude noble de ces hidalgos paysans parlant un espagnol pur de l'autre côté de la frontière toute proche.

     

    Mais au fond, Wald était surtout un croyant convaincu de la religiosité des mots dans toute langue. Il aimait écouter avec attention leur effet et vibration sur les cordes de son cœur.

     Wald était toujours attentif aussi aux émotions que les mots déclenchaient chez les adultes. Il constatait avec délectation et satisfaction que certains mots étaient doux comme les caresses de son grand-père David, mais d'autres mots semblaient contenir autant de venin que le cœur de Satanlazar qui empoisonnait « de maux » la vie quotidienne de la beauté bucolique de Roustina, mais aussi de tout leur Portugal.

     Cependant au fur et à mesure que le temps passait, et il passait plus vite que le train de Beira baixa grimpant les montagnes de la Serra da Estrela, Wald appris à bien lire et encore à mieux écrire, il découvrit qu’il fallait se méfier des maux des mots.

     

    ***

    Le diable ou le bon dieu

    Mais étant donné le jeune âge de Wald, il ne connaissait rien des maux de Satanlazar. Il ne savait pas ce que c’était le manque de liberté d’expression, de parole, d’opinion, ni du non-respect des droits fondamentaux du citoyen au Portugal depuis la prise du pouvoir de Satanlazar en 1932.

      Bien sûr en observant ce qui avait été la vie de ses parents et la sienne en Angola, en voyant la vie de m–e-r-d-e à Roustina. Ce mot de cinq lettres ne faisait pas partie du vocabulaire encore pauvre de Wald, il provenait de la révolte de son papy. Il venait de la vie précaire de tous les villages environnants. Ce mot venait aussi de la fuite nocturne de milliers et milliers de personnes vers les pays démocratiques comme la France, l’Allemagne, la Belgique… Wald se doutait que quelque chose n’allait pas avec ce drôle de Monsieur de Lisbonne. Ce drôle de Monsieur personne ou presque n’osait pas en parler ouvertement. Ce diable d’individu, entouré de mystères lugubres, personne ne l’avait jamais vu, ni rencontré dans les champs, ni dans les fêtes du village. Il n’y avait que le père Trampoline qui en parlait d’une façon toujours élogieuse à sa messe. Mais entre ce que le père Trampoline prêchait dans l’église paroissiale et ce qu’il faisait à l’extérieur, il y avait entre les deux, la Serra da Estrella. Non ! Les gens du village, même s’ils ne savaient pas lire dans les livres, ils n’étaient pas stupides. Ils voyaient bien que ledit personnage endiablé, bien qu’invisible, était présent partout.

     Mais peut-être à cause de son vécu en Angola, à Nova Lisboa où, au lieu de consulter le médecin, l’on allait chez le sorcier. En réalité selon Wald, le Sorcier était plus que cela. Il était aussi un maitre, un sage, un père, un ami…

     C’est pour cela, sans savoir le pourquoi, ni le comment, que Wald avait en lui de pressentiments négatifs à l’égard de ce Lazar-de-Satan ou Satanlazar. Il le détestait parce tout le monde au village, sauf les riches et Monsieur le curé, le détestaient. Il le détestait parce que son grand-père le détestait aussi.

    Mais il croyait qu’il le détestait essentiellement, parce qu’il avait été la cause de la brouille avec son papy. En effet un jour son papy piqua une colère incroyable. Tout d’un coup il devint tout rouge de colère et ses yeux semblaient gicler de son visage. L’on aurait dit le fleuve Douro lors des crues du printemps à Castello de Paiva.

    Avec une colère inhabituelle, papy lui crie à tue-tête :

    -      Mais, chut gamin de merde ! Est-ce que tu vas la fermer !  Te rends–tu compte ?

    Le petit Wald n’avait jamais imaginé que son papy puisse lui parler de la sorte. Il s’en fut allé pleurer en silence dans sa chambre pendant des heures. La portée de ces mots devrait être nuancée. Peut-être devrait-il penser que la dureté de ces mots était due à un moment d’irritabilité provoquée par de la fatigue ou les aléas de la vie. Mais ces mots venaient de son papy, de l’être qu’il chérissait le plus. Il se sentit trahi, méprisé ou quelque chose de pire qu’il ne parvenait pas à définir.

    Mais ces mots marquèrent au fer rouge sa sensibilité, son amour-propre, son amour de petit-fils pour son papy adoré.

    -             Comment as-tu pu me faire cela ? Wald ne comprenait pas.

    Pendant plus d'une semaine ces mots martelèrent son corps, son cœur et son âme. Il ne pouvait pas dormir et quand cela lui arrivait, c'était pour faire des cauchemars. A l'école il ne parvenait pas à tenir en place et surtout, il ne parvenait pas à se concentrer.

    D’une chose Wald n’avait pas de doute. Tous ces malheurs qui lui arrivaient ne pouvaient pas être l’œuvre du bon dieu mais de l’autre diable.

     

    ***

      Mais cher lecteur, veux-tu savoir le pourquoi et le comment du malaise de Wald. Fais comme moi, assieds-toi confortablement dans un fauteuil, prends éventuellement un stylo et un cahier pour noter ce qui attire ton attention et surtout, écoute-le :

     

    ***

    Wald est dans la Lune

    Un lundi matin vers 11h, maîtresse Imelda m'avait aussi ridiculisé prétendant que j'étais dans la lune. J'étais surtout à jeun car, depuis quelques jours, je faisais le chemin de croix de la contrariété. Mais le fait d'être aussi dans la lune n'était à première vue pas un problème pour moi, c’était plutôt le contraire.

    A en croire A Emissora Nacional, que j'écoutais sur une vieille radio avec grand-père le dimanche après-midi, les soviétiques et les américains se battaient,  en astuce et technologie, pour accomplir les premiers  le grand projet d'arriver sur la Lune.

    Moi, j'y étais déjà selon ma maîtresse, mais je ne le savais pas ! Ce qui me déplaisais, pire encore, ce qui me faisait honte, c'est qu'elle avait tambouriné dans toutes les classes, des grands et des petits, qu'en m’approchant de la Lune, et par conséquent du soleil, ma cervelle s'était desséchée et que maintenant, je me comportais i-di-o-te-ment. Rien à en tirer de cette Lune, avait-elle dit dans un souffle de désespoir et de reproche.

     

    ***

    La Torture de Wald et celle de son papy

    Ces mots de sarcasme de ma maîtresse me blessèrent et me firent mal, bien plus que les coups de règle assénés dans les mains pour chaque règle de grammaire ou théorème de maths erroné. Les maths ont toujours été ma torture à l'école.

    Cependant, grand-père avait fait la connaissance de la torture lors de sa première visite au camp de concentration de Tarrafal au Cap Vert. Lui, il n'avait pas seulement pris des coups de palmatoria, mais aussi des chatouilles électriques dans ses bijoux de famille.

    J’aimais les livres, sauf le manuel de maths que la simple vue me donnait des coliques. J’aimais les mots, j’aimais jouer avec les mots en classe, à la maison, dans la rue. L’épreuve d’expression écrite était pour moi une sorte de jeu dans la cour de récréation. Je crois que les mots étaient o meu governo de salvação nacional, c'est-à-dire mon gouvernement de salut national. C’est une expression que j’entendis à la radio, que j’ai voulu faire mienne sans comprendre la signification, mais c’était ainsi que je parvenais à rentrer dans le monde des adultes.

    Cependant, les mots de la maîtresse me fendaient le cœur et ils coupaient à vif mes chairs tendres comme des lames acérées. Elle avait condamné mon ego à ramper par terre, un peu comme les pauvres serpents, classés dans la catégorie des mauvaises créatures par la création Divine.

    -             D’ailleurs, qu'ont-ils fait les serpents pour mériter ce choix du Créateur, me demandais-je révolté, copiant ainsi le comportement de non-conformiste de grand-père.

     

    ***

    La Découverte du Bien et du Mal

    Je ne savais pas pourquoi mais, petit à petit, je découvrais qu'à la surface des eaux, pas claires du village, flottaient d'un côté des silhouettes molles conformistes et de l'autre côté, des durs à cuire non-conformistes.

     J’observais aussi qu’après les récoltes de la fin d’été l'on séparait les bons fruits des mauvais :

    Le bon raisin était séparé du mauvais. On faisait de même avec les figues, les pommes de terre et les pommes de l'air, ajoutais-je en moi-même pour me moquer.

     

    Mais pour me moquer de qui lecteur d'après toi ? Voyons donc la suite avec le sourire dans les lèvres du soleil…

     

    Mais mieux oublier cela pour le moment et plutôt donner libre cours à mes questions et aussi accusations à l’égard des adultes. C’est que les unes et les autres étaient déjà prêtes à s’embarquer sur des routes maritimes jamais naviguées.

     Je suis donc venu me planter devant mon grand-père avec un air de guerrier insolent. Mais grand-père d’un sourire américain d’hollywoodien me demanda

    -             Mais que me veut mon petit Wald ?

    -             – Attention ! Attention ! Me dis-je méfiant de la sagacité de renard de papy. Je n’allais quand même me laisser abattre par son sourire supérieur et lui dis-je :

    -             Papy ! Papy ! Dis-je d’un air de coq balançant sa superbe sur ses argots et accusateur, mais pourquoi les bons fruits s'en vont à Lisbonne, en Espagne et pourquoi au village ne restent que les mauvais ? Pourtant ce sont les mauvais fruits, en restant au village, qui tuent la faim de ces pauvres villageois. Ces mauvais fruits, en fin de compte, ils ne sont pas si mauvais puisqu’ils maintiennent les gens debout, en les nourrissant tant bien que mal, en leur permettant non pas de vraiment vivre, mais de survivre.

    Papy ne dit rien et semblait prendre le temps de la réflexion. J’ai pris les devants changeant de stratégie :

    -             Papy, demandais-je encore, mais avec un regard d’agneau maltraité par le loup. Suis-je un bon ou un mauvais fruit ?

    Grand-père me regarde avec un grand sourire et me dit :

    Viens dans mes bras mon petit garnement sauvage et arrête de toujours vouloir courir et te gratter les fesses en même temps.

     

     L’expression de papy me fit rire aux éclats. Le soleil brillait à nouveau dans mon ciel azur.

    Mais il y avait parfois une sacrée confusion dans la jeune tête de Wald qui ne cherchait qu’à comprendre la vie.

    -             Mon Wald, mon petit lapin blanc et noir, il faut prendre de la distance par rapport aux choses et ne pas se fier aux premières apparences.  Me dit grand-père se donnant des airs de vieux sage grec, puis plus proche de moi :

    -             Souvent, ce qui était bon auparavant est mauvais aujourd’hui et vice-versa. Qui sont les bons ? Qui sont les mauvais ? Le temps nous le dira.

    Mon cher lecteur, après réflexion avec ta conscience, que faudra-t-il faire et dire un jour aux sujets de sa majesté en chef suprême de Lisbonne qui vivent dans ce Portugal au-dessus duquel brillent les étoiles de la vérité indiscutable et de l’apparence ?

    Papy finit la discussion par une pirouette qui se situait entre son cœur et sa raison.

    -              Nem tudo o que brilha é ouro Wald, ce que voulait dire que, ni tout ce qui brille est de l’or affirma grand-père avec sourire et condescendante pour mon âge, mais aussi avec affection. Puis il ajouta :

    -             Parfois il faut aller de l’avant avec tous, mais sans rien oublier. Tu sais la vie … 

    -              Je t’aime mon papy David ! Dis-je naturellement peut-être en guise de remerciement et que sais-je encore.  Puis je me permis de demander. 

    -             Mais pourquoi tu m’appelles ton petit lapin blanc et noir ? Pourquoi deux couleurs ? Il ne me répondit point, parti déjà qu’il était.  

     

    ***

    Le Berger de Roustina

    Du haut de sa chaire, chaque dimanche, père Trampoline, le curé, dirigeait avec son bâton de berger la vie au village de Roustina. Il fallait bien mener ce joli troupeau selon les volontés des dieux. Celui de là-haut, mais en passant par celui de Lisbonne selon la voie hiérarchique et les commandements exigés. Il n’était que le bâton qui sert de tuteur ou bien de châtiment pour mener à bien le troupeau vers l’enclos du salut et de la récompense finale. La mission qui lui avait été confiée devait s’accomplir selon la volonté supérieure des principes prescrits de séparation du bien du mal. 

    -             A Roustina, comme dans ce pays, il y a deux classes de brebis : les bonnes brebis et les mauvaises. Je ne permettrai jamais, de mon vivant, que ces galeuses noires entraînent les belles brebis blanches dans de mauvais chemins. 

     

    ***

    Bien sûr lecteur, il est clair, comme l'eau de roche qui gicle de la source du Jourdain dans le mont Hermon, que pour le père Trampoline la couleur blanche symbolisait le bien, le bon côté des choses, tandis que la couleur noire symbolisait tout le contraire : la tristesse, le mal et les ingrédients qui ne convenaient pas à ses invités, ni à sa tambouille culturelle.

     

    ***

    Les couleurs

    Après son sermon enflammé contre les brebis du matérialisme soviétique désireuses de noircir notre belle province de l’Angola papy ne put s’empêcher d’aller trouver le père Trampoline dans la sacristie.  

    Comme de coutume grand-père commença par verser adroitement de l’eau dans le vin de messe du curé tout en essayant de secouer le cocotier de ses convictions.

    En revanche, père Trampoline resserra avec agacement son col blanc et reboutonna avec frénésie les premiers boutons de sa soutane noire déjà ripée. Puis tout en fermant bruyamment la porte couleur de sang de la sacristie, il chantonna d’une voix douçâtre de curé qui ne faisait pas de mal à un juif :

    -             Mais mon fils, David, Dieu le veut ainsi.

    -             Pourquoi Monsieur le curé vos galeuses noires entraînent les belles brebis blanches. Pourquoi ne serait-il pas le contraire ? Pourquoi ?

    -             Cela ne se peut David, vous le savez bien !

    -             Non ! Mais pourquoi, homme de Dieu, dites-vous qu’il fait noir, quand en réalité il fait obscur ? Pourquoi dire travailler au noir, quand la chose exacte c’est travailler sans être déclaré ?

    Pourquoi Monsieur le curé toujours vouloir séparer radicalement ce que vous croyez bien de ce que vous croyez mal ? Pourquoi la couleur blanche serait la bonne et la noire la mauvaise ? Pourquoi accuser toujours   l’homme noir. Celui-ci, n’a-t-il pas été pendant des siècles la vraie victime ?

    Pourquoi l’homme blanc, a obligé l'homme noir à travailler pour lui, pendant des siècles, sans solde, sous la menace du fouet et de la torture ? Mais Monsieur le Curé où se trouve la blancheur de cœur de l’homme blanc ? Pourquoi, dans votre sermon, avez-vous traité de paresseux ceux dont la vie n’a été que travail forcé ?

    Pour l’homme blanc le travail est gratifié par de l’argent, tandis que pour l'homme noir le travail fut obéissance, larmes de sueur et souffrance pour enrichir l’homme blanc au prix de sa vie !

    Monsieur le curé, serait-il parce que l'homme blanc a voulu ignorer et abaisser la culture et l'histoire de l’homme noir que celle-ci ne serait pas glorieuse ?

    Mais Monsieur le curé l'histoire n'aurait-elle pas ses sources en Afrique et l'homme, sous toutes ses formes et couleurs, ne serait-il pas un descendant d’un homme noir ? Pourquoi dénoncez-vous ces hommes qui veulent être des homes chez eux ?

    Pourquoi, Monsieur le Curé de Roustina traitez-vous de terroristes ces hommes angolais qui cherchent la libération de leur pays après des siècles d’occupation ? Se révolteraient-ils, s’ils avaient été traités décemment et d’égal à égal ? Mais ils ne le sont pas comme ne l’est pas la majorité des gens dans ce pays !  Mais Monsieur le Curé pourquoi chaque nuit des villageois, vous paroissiens, jeunes et moins jeunes, fuient comme des animaux les villages de ce Portugal pour trouver la liberté et surtout une vie acceptable pour eux et leurs familles en France ?

    -             Ça suffit David ! Ne trouvez-vous pas que vous êtes de mauvaise foi ! A vous écouter l’on dirait que vous êtes un subversif, un de ces matérialistes moscovites qui n’ont pas de place au Portugal. Ce Portugal défenseur de la chrétienté et des valeurs de l’occident. Pourquoi, Monsieur David, vouloir démolir l’œuvre parfaite de Dieu. Osez-vous, mon frère, douter de la vérité divine. Humilité, humilité mon fils devant le Seigneur.  La prière, la prière !  Puis dans un coup de colère dont le père Trampoline était maitre :

    -             N’oubliez pas Monsieur David mes influences, mes forces et mes pouvoirs. Monsieur David je peux, je pourrais… Ne m’obligez pas à… Maintenant sortez ! Une autre messe m’attend ! Purifiez ! Purifiez votre âme si vous le pouvez encore !

     

    ***

    De son côté, Wald ne faisait pas toujours attention au monde des mots des adultes. Il préférait vivre dans le sien qui lui rappelait le ventre et la douce poitrine de sa mère.

    Cependant, il y avait des expressions, des mots, qu’il écoutait dans la rue ou dans les conversations masculines, agrémentées de petits mots d'oiseau ou de mots de menus à la sauce très poivrée. Il entendait parfois des mots de protestation, de révolte, où la plupart du temps le bouc émissaire était le sexe ou la religion.

    Ces mots étaient une sorte de passeport pour traverser et après aller au-delà de la frontière de l'enfance. Il se posait des questions, mais ne sachant pas toujours séparer la paille du grain. Néanmoins Wald pensait qu’ils fanaient la fraîcheur de ses vertes années.

     

    ***

    Les amours de Wald !

    Wald n’est pas resté toujours un enfant. Chaque jour, comme toi lecteur il vieillissait d’un jour, puis d’un mois, d’une année, des années. Il est devenu adolescent, il connut la jeunesse, ensuite l’âge mur et la vieillesse. Penses-y lecteur, c’est ainsi et pour toi aussi !

    Mais la période dont on veut parler est celle où Wald était encore un enfant qui voulait pourtant être plus vieux que son âge. Mais il était bien le petit fils de son papy. Comme lui, il prenait goût à l’art de raconter.  Eh ! Bien cher lecteur tend bien les oreilles et écoutons ce qui va dans le cœur de Wald. Certainement que papy, qui aime parler autant qu’écouter, ne doit pas être loin. Cependant l’on peut se demander pourquoi et à qui parle cet enfant précisément ? Mais chut !

     

    -             Ma mère, je l'aimais comme ma mère, mais aussi comme cette Vierge Marie allaitant l'enfant Jésus d’un tableau de Murillo, dont une copie jaunâtre était accrochée au mur de la salle à manger de notre maison de Nova Lisboa.

    Ma petite cousine, la chipie, je l’aimais comme un cadeau de Noël.

    Mais maîtresse Imelda je l'aimais avec des mots étranges de douceur qui commençaient à fleurir dans le jardin de mon cœur. J'aimais particulièrement la regarder. Elle était ma princesse enchantée du château d'Almourol, une romantique création de Dieu, située sur une île rocheuse en plein milieu du Tage près de Santarém.

    Après la classe, maîtresse aimait se mettre du rouge à lèvres en cachette. J’adorais sa beauté de princesse, mais je détestais écouter la mélodie des mots de sa chansonnette en honneur de son Manuel. Pourquoi avait-elle besoin de me faire souffrir de jalousie. Était-elle donc aveugle ? Ne pouvait-elle pas lire le roman de mon cœur ?

     

    J'aime, j'aime

    J’aime mon petit homme

    Après toi

    Ô mon joli chéri

    Je n’aime plus personne !

    J’aime, j’aime

    Main dans la main

    Je me sens tellement bien !

     

    Le dimanche après-midi

    Je vais repasser mon linge

    Et ma plus belle robe aussi

    Pour me promener le soir

    Dans les bras de mon chéri.

     

    Un de ces jours, je vais me marier

    Mon Manuel sera mon mari

    J'aime, j'aime

    J’aime mon petit homme

    Après toi

    Ô mon joli chéri

    Je n’aime plus personne !

     

    ***

     

    Claudina La Catéchiste

    En revanche je n'aimais pas Claudina. C’était une vieille fille qui s'attribuait l'honorable statut de bonne attitrée de Monsieur le Curé, le père Trampoline.

    C'était une femme aux chairs débordantes, à qui père Trampoline pouvait faire confiance pour assurer les cours de religion et de morale. Elle, au moins, était habillée avec décence. Une longue robe noire couvrait son corps de l'enfer au ciel, prétendaient avec humour certaines langues du village.

    Les « on dit » du village prétendaient qu'étant jeune, Claudina était un agneau pascal, mais depuis qu'elle avait gagné la condition de « Bonne Attitrée de Monsieur le Curé », même si elle se montrait comme un chapelet d'exemplarité et de vertu, au fond d’elle-même, elle était une vraie louve vindicative :

    -             Qu'ils souffrent, puisqu'ils désobéissent dans leur orgueilleuse méchanceté, vociférait-elle.

    Du jour au lendemain, Claudina avait été convertie par le père Trampoline en maîtresse de religion et morale. Sur l'estrade, située nettement au-dessus de nous, comme un totem omnipotent, elle semblait écraser de son poids une pauvre chaise en bois de chêne noircie par le temps. Elle se sentait être quelqu’un d’important en nous enseignant avec une autorité excessive et des menaces « la doctrine », c'est-à-dire certains morceaux choisis de l'ancien et du nouveau testament.

    Dans sa doctrine, il n'y avait que deux chemins possibles. Celui de la croyance et celui de la désobéissance.

    Prendre le premier chemin se serait comme manger des tartines de pain beurré au miel. En revanche, si on prenait le second, la tartine tomberait par terre et nous n'aurions plus que les yeux pour pleurer, pour regretter le miel et ainsi subir les craquements de la terre entre les dents.

    -             Qui ne veut pas de la tartine au miel ? demanda-t-elle orgueilleuse du succès de sa trouvaille, ce qui la fit rire aux éclats.

    La chaise de chêne résistait tant bien que mal aux secousses des chairs en grinçant comme un vieux gréement sous la tempête. Les volumes charnels impressionnaient nos yeux, mais nos ventres se laissaient illusionner par la caresse douce du miel doré.

    Cependant le plaisir du goût de miel fut de courte durée. Certainement que l'odeur du miel sur les tartines attira les guêpes car, tout d'un coup, ses rires se transformèrent en coups de colère.

    Brandissant le poing et pointant sur nous son index, comme si elle était une guêpe furieuse, elle enfonçait son aiguillon sur nos visages qui devenaient rougeâtres de peur ou de douleur. Nous ne savions pas exactement. Mais nous sentions sur nous une chaleur brûlante qui, tout à la fois, nous faisait transpirer et nous étouffait.

     Pourquoi cette attitude de guêpe guerrière de croisade moyenâgeuse ? Pourtant nos têtes tendres, comme de la terre glaise, se laisseraient bien modeler sans résistance.

    Cependant, au lieu de la douceur, elle préférait évangéliser par la force, à coups de piqûre ou de sabre, comme d'autres le firent avant elle :

    -             Les « bons » auront le privilège d'être assis à la droite du Père et jouiront de la richesse du Seigneur. Mais, les désobéissants, c’est-à-dire les mauvais, ô les mauvais, criait-elle, seront assis à Sa gauche et vivront dans la pauvreté, la faim, la misère et…

    -             Et le plus souvent dans le mépris, ajoutait grand-père lorsque le soir de retour à la maison je lui racontais tout cela. Bien sûr mon papy désapprouvait cette façon de présenter l'enseignement catholique, puis rajoutait :

    -             Que faire mon Wald sinon y aller et voir. Il n’y pas d’autre choix !

    -             Bien fait pour ces créatures pestiférées de Lucifer qui ont choisi le mauvais chemin, assénait Claudina satisfaite d’infliger le dernier coup de grâce.

     

    ***

    Tous des enfants de Dieu, mais…

    Le classement de Claudine des gens entre les bons et les mauvais, je ne le voyais pas, et je le comprenais encore moins. Néanmoins le dit classement de la catéchiste, au service du père Trampoline, m'a mis la puce à l'oreille. J'ai commencé à m'arrêter sur la place du village et à regarder les personnes qui passaient.

    -             Mais Wald, que fous-tu là planté au milieu de la place, comme une statue de Satanlazar, en train de surveiller et d'emmerder le peuple ? C’était papy qui me provoquait en faisant semblant de buter sur moi tout en se payant ma tête dans un grand éclat de rire.  Il s’en est allé aussi rapidement qu’il était venu, comme si rien ne s’était passé.  Moi un peu secoué ai eu un passage à vide. Rien dans ma ciboulette !                  

    Ensuite reprenant mes esprits, mais sans l'avoir vraiment voulu, je me suis figé tel un figuier. J'étais là, solitaire, dans un coin oublié de la place, les feuilles pendantes sous le soleil. Puis, tout d’un coup, le moteur de la caméra dans ma tête se mit tout seul en marche et j’ai commencé à filmer de mes yeux, le mouvement des gens dans leur petit train-train et leur brouhaha qui défilait devant moi. Je me suis rendu compte que l’on peut découvrir plein de choses quand on prend le temps de s’arrêter pour regarder.

    J’ai même ri d’une situation cocasse provoquée par une braguette mal fermée, mais je ne voyais pas vraiment de différence entre les gens. Au village, il y avait des hommes, des femmes, des enfants, des animaux et c’était tout.

    J’ai remarqué cependant que les chiens, malgré les services qu'ils offraient aux humains, étaient mal traités, comme certains enfants, mais les chiens, au contraire des humains, n'étaient pas rancuniers pour deux sous.

    A la moindre occasion agréable qui se présentait, ils jouaient avec leurs maîtres, oubliant les coups de pied dans le popotin ou ailleurs. Leur attitude allumait dans mon cœur un feu de sympathie et d’admiration pour ces créatures qui brûlait telle une flamme bleue parfumée de bois d’oranger.

    Puis j’ai cru comprendre que les mauvais selon le classement de Claudina étaient traités comme les chiens et ceux-ci maltraités par tous. Ni les uns ni les autres n’étaient pas des enfants du dieu de l’enveloppée et volumineuse Claudina aux rondeurs d’un tonneau.

     

    ***

    Wald transformé en figuier et après en lièvre !

    Le figuier du village que je croyais être, était là comme un cameraman filmant tout ce qui se passait au village. Mais attention, la censure ne lui laisserait rien passer. Partout il y aurait des mots soulignés en rouge. Censuré ! Censuré ! Il y aurait un silence sur tout ce qui dérangeait le dieu absolu Satanlazar. Dans un premier temps il y aurait des menaces et en cas de récidive il y aurait un joli séjour dans les nombreuses geôles du Tout Puissant, tombant comme un miracle du ciel de Lisbonne !

    Mais moi, le petit Wald, je ne faisais de mal à personne. J’étais là tout simplement comme un gamin au centre de la place du village en train de faire la statue de Satanlazar. Je ne faisais que regarder ou presque. Je ne surveillais ni ne contrôlais personne et n’emmerdais le peuple de gauche comme avait l’habitude de dire mon papi David.  Tout d’un coup, j’ai senti mes jambes fléchir et ma tête s’en aller sans ma permission.

    C’est qu’après avoir été figuier, puis statue de Satanlazar je sentais que j’étais en train de me transformer en lièvre. Et sans savoir par quel miracle !

     Je crois que la fatigue et peut-être davantage la faim me taraudait le ventre et cela me perturbait la jugeote ! Je n’en savais pas vraiment. Parfois j’avais l’impression que quelqu’un se servait de moi à mon insu.

    -             Etais-je Wald ou une marionnette des adultes ? De plus au catéchisme Claudina nous racontait des choses tellement incroyables de l’Ancien et Nouveau Testament. Il y avait des moments où je n’étais plus sûr de rien et ne savais plus à quel saint me vouer.

    Pourtant j’étais sûr que dans ce rêve ou malaise je me sentais comme un lièvre traqué par une meute de chiens aux fesses.

     Je dressais tant que je pouvais mes oreilles et sentais, humais, regardais fixement tout autour de moi. Par moment une certaine lucidité m’animait et je découvrais dans la fuite de la peur que les soi-disant « bons du village » étaient mieux habillés, mieux nourris. Ils avaient aussi la peau moins tannée par le soleil que les « mauvais ». Je remarquais aussi que souvent ils étaient traités par des mots peut élogieux comme paysans, racaille, pauvres diables, rustres, crèves la faim, inutiles, subversifs, terroristes, rouges, parasites et que sais-je encore !

    Tout cela fatiguait et rendait triste le petit rossignol qui chantait dans creuset de mon cœur.

    -             Mais je ne veux pas savoir tout cela, disais-je au petit oiseau qui ne chantait plus. Cela ne me regarde pas ! Je ne suis qu’un enfant ! Et pauvre de moi, je me sentais perdu avec une charge trop lourde à porter.

    De plus, parfois, les paroles blessantes de ma maîtresse revenaient dans ma mémoire. J’en déduisais que, mais je ne voulais plus rien déduire, si je prenais pour de l’argent comptant tout ce qu’elle avait dit à mon sujet devant toutes les classes, je devrais me trouver surement chez les mauvais. Et cela je le réfutais.

    C’est ainsi que parfois, je devenais plus optimiste, et mon petit rossignol du jardin de mon cœur se mettait à chanter à nouveau dès les premiers rayons de soleil.

    Malheureusement mon moral, comme les éclaircies en automne, était de courte durée. Les gros nuages déversaient sur la campagne des averses et les mots terribles de grand-père, s’abattaient sur moi avec frayeur.

    -  Mais, chut ! Tais-toi malheureux ! Veux-tu finir à… !

     

    *** / ***

     

    Batista, le chien

    Heureusement que Batista, le chien, après deux mois de travail d'été sur les sommets verdoyants de la Serra da Estrela à garder le troupeau de brebis de papy, revint à la maison.

    Surpris probablement de ma tristesse, il dansait, sautillait autour de moi essayant de me lécher le visage. Déséquilibré, je tombais sur le sol et il prit alors ma figure pour une palette de peintre. Usant de sa langue comme un peintre son pinceau, il étalait sur mon visage les couleurs de paix et de joie de l'arc en ciel.

     

    Le bleu de fraîcheur, confiance, fidélité, liberté et calme

    Le rouge d’amour, passion, sensualité et danger

    Le jaune de chaleur, gaieté, créativité et optimisme

    Le vert de chance, nature, calme et espérance

    L’orange de l’énergie, action, frivolité et dynamisme

    Le violet de délicatesse, solitude, imaginaire et spiritualité. Je crois que c’est ma couleur, se dit Wald puis ajouta, la septième couleur,

    L’indigo est une couleur de mauvais augure, n’en parlons pas…

     

    -              Arrête, arrête Batista disais-je l'attirant dans mes bras, mais à l'intérieur de moi je voulais que cette situation n'eût pas de fin.

    Dans mon cœur se levait le soleil et les aboiements de Batista remplissaient les vides de ma maison.

    -              Ouah !   Ouah !  Ouah !  J'étais heureux et Batista aussi.

     

    ***

    Ma vie depuis mon retour de l’Angola je l’acceptais tant bien que mal. Il y avait des jours où j’avais l’impression que le soleil brillait seulement pour moi. Mais il y en avait d’autres lorsque la présence de mes parents absents pour toujours hantaient mon cœur j’aurais préféré que mon papy aussitôt sorti du bateau Luanda-Lisbonne me prit par les pieds et cogne ma pauvre tête sur le quai.

    Puisque cela ne fut point fait et peut-être tant mieux, je me dis qu’après les pleurs arrivent tout chauds les sourires.

    Donc rions et écoutons Wald.

    -             Il y a eu une autre fois où j'ai eu aussi très peur de quelque chose qui me tomba dessus quand je m'y attendais le moins. Veux-tu savoir papy de quoi il s’agit ? C'était dans les premiers jours ensoleillés du mois de mars…

    -             Mais Wald, n’y a-t-il pas un moyen pour te clouer le bec ? Quand tu te mets à parler, personne ne t’arrête !  Dit grand père sortant de son silence.

    -             Je tiens de toi ! Tu oublies que je suis ton fils deux fois ! fils de mon père qui était aussi ton fils ! Dit Wald laissant entendre qu’il n’avait pas encore tout dit. Puis regardant son papy en larmes.

    -             Ma mère me manque. Je voudrais la faire revivre. Comment faire papy ?  Parfois j’ai l’impression qu’en parlant de mes parents ils se rapprochent de moi. Si tu savais comme l’Angola, mes parents me manquent !  Mais je suis une vraie Inès de Castro, je ne fais que pleurer Papy ! Papy ! Ne t’inquiète pas je vais arrêter de pleurer. Je ne veux pas pleurer Papy ! Mais parfois le souvenir de Nova Lisboa, mes camarades blancs, noirs dans la récréation de l’école me font pleurer là-dedans. J’ai comme une pointe dans mon cœur. Tout cela est plus fort que moi. Ne m’en veut pas papy ! Et qu’est-ce que j’ai à pleurnicher comme ça puisque tu es là tout près de moi ! C’est fini !

    Un sourire semble se lever comme un soleil sur la face orientale du visage de Wald.

    -             Papy, maintenant écoute ce que j’ai à te dire :

    -             La plantation de canne à sucre d’Armando se situait dans les terres rouges qui surplombaient la ville de Nova Lisboa. C’était le printemps et le début du mois d’octobre.

    -             Comment cela Wald ? Le printemps en octobre ?

    -             Mais papy, tu as oublié que l’Angola se trouve dans l’hémisphère sud.

    -             Ah ! Tu as raison Wald ! Mais continue.

    -             Une fois ma mère et moi sommes allés apporter le déjeuner à mon papa et à Armando qui contrôlaient la coupe de la canne. Comme nous étions fatigués de la longue marche nous nous sommes assis tranquillement contre un mur de pierres sèches pour nous protéger du vent. Nous rétablissions nos forces en mangeant une rocambole roulée à la pâte de goyave faite par maman. Elle aimait beaucoup les pâtisseries africaines et moi, encore plus.

     Tout d'un coup, une grosse couleuvre, frileuse et maladroite, nous tomba dessus. Effrayés et tétanisés, nous poussâmes des cris qui s'entendirent certainement trois kilomètres à la ronde. La couleuvre se sauva paresseusement et nous restâmes dans la peur et l'angoisse. Wald fit un silence, puis s’adressant à son papy David :

    -             Papy ! Dans mes moments de peurs me reviennent en mémoire le sang de la tragique manifestation de Luanda où, mes parents perdirent la vie. Me font peur les mots froids de Claudina pendant la catéchèse, les mots blessants de ma maitresse Imelda, mais aussi les tiens, quand tu m’as dit d’un air méchant : « Mais, chut ! Tais-toi malheureux ! …»

    -             Mais Wald, il faut oublier tout cela et aller de l’avant.

    -             Oui, comme tu dis, mais parfois je n’y parviens pas papy !

    C’est peut-être pour cela que Wald, tout en étant très curieux et désireux d’apprendre, apprit aussi à se méfier des maux des mots.

     

    ***

    La Méfiance

    De jour en jour le temps passait. Chaque jour aussi les cruches en terre cuite perchées sur la tête des jeunes femmes fières comme des trophées allaient chercher de l’eau à la fontaine du village. Mais un jour par maladresse ou parce que le cœur de ces femmes était trop amoureux la cruche dégringolait de leur tête et s’écrasait par terre en mille morceaux. Les pauvres cruches après une vie dans l’élégance et la fierté la terminaient étalées par terre, une posture plus que misérable et abaissante.

    La fin d’une cruche était donc loin d’être un évènement anodin.

    C’est que la maudite maladresse se propageait dans les bouches des rues du village à la vitesse d’une électricité qui n’existait que dans le rêve des villageois et surtout discréditait à jamais la réputation de la jeune-fille à marier.

    Quel crédit porter à une jeune fille dans la future gouvernance de la vie en famille si elle était incapable de protéger le symbole du ciment du couple ?

    En effet, la cruche était plus qu’une simple cruche. C’est que la cruche dans les lois inaltérables de la tradition du village était un symbole fort de la source de vie du village. La cruche à la maison occupait une place aussi importante que le tabernacle à l’église paroissiale. C’était le cœur de la maison qui faisait fonctionner les différents organes de la maison. Elle alimentait de son précieux liquide aussi bien la marmite pour faire la soupe aux choux que le pichet sur la table pour désaltérer ce petit monde qui revenait fatigué et assoiffé des taches agricoles des champs en toute saison. Même le samedi-matin la maitresse de maison ne pouvait pas se passer de son eau pour laver, frotter avec énergie de plancher en chêne de la maison.

    Pour toutes ces raisons réelles et d’autres spirituelles la cruche était une sorte de capricieux et respectueux totem aux pouvoirs temporels et intemporels dont chaque fille à marier devait se méfier !  Le bon ou mauvais sort de la future mariée en dépendait d’une manière invisible.

     Au Village, au fur et à mesure que Wald grandissait, sa méfiance à l’égard de son grand-père allait aussi en augmentant.

    -             Il y en a pardessus la casquette que tu te mêles de tout et même de ce qui ne te regarde pas directement ! J’en ai assez papy ! tu m’étouffes ! Ne pourrais-tu pas me lâcher les basquettes un peu de temps en temps ?  Wald était furieux et pestait contre son papy pour se donner de l’air. Cet air lui manquait de plus en plus. Puis poursuivant plus calmement en s’interrogeant.

    -             Je me demande pourquoi papy a toujours besoin d’apporter son grand de sel sur toute chose, idées, opinions.

    Wald commençait à se méfier de tout cela, d’autant plus que de plus en plus les conséquences de l’attitude de son papy retombaient plus tard injustement sur lui.

    -             Qu’il paie ce qu’il a semé ! Protestait Wald impuissant. Puis il poursuivit en lui-même et en silence :

    Ce qui m’étonne, c’est que je me méfie de papy et papy à son tour se méfie de ce qu’il voit et entend de l’opinion officielle des choses.

    Mais, est-il méfiant par nature ou est-il sage de se méfier d'une vie où il n’y a pas de place pour des gens comme mon papy !

    Au bout du compte, à cause de cette confusion et méfiance je ne savais plus. Un enfant ne sait pas, il ne cherche qu’à comprendre ces adultes bizarres. Même papy me le disait en criant.

    -             Tais-toi Wald ! Les enfants bien éduqués ne parlent pas, ils écoutent !

    -             Je n’étais pas d’accord et lui en voulais pour cela, mais je me taisais et ne disais plus rien pendant quelques minutes.

    Je ne savais pas, mais je commençais à comprendre qu’au village il n’y avait qu’une pensée, qu’une manière d’être, de se comporter d’être et d’agir. Un seul chemin discipliné, à suivre dans l’ordre et le pouvoir absolu d’un irréprochable autoritarisme.

    Lorsque je revenais de la catéchèse, grand-père était toujours curieux de savoir quels enseignements j'avais reçu, et surtout quelle image on m’avait donnée de Jésus.

    L'image que j’en avais était celle d'un homme gentil, chevelu, avec une barbe de trois jours qui pique comme un hérisson. Il me semblait qu'il était doux comme un agneau, mais mou comme des spaghettis à la bolognaise. Cela contrastait avec les hommes du village qui se comportaient comme des coqs et qui, lorsqu'ils avaient bu un peu,  se battaient comme s'ils étaient dans un gallo drome.

    Jésus était bien différent. Son attitude me plaisait, mais en même temps m'inquiétait. Comment était-ce possible de recevoir un coup de pied dans le postérieur, une claque dans le visage sans réagir ?

    Il me faisait penser au petit Tonhito à l'école sur qui pleuvaient des coups lâches pendant la récréation. Mais Tonhito ne réagissait pas, parce qu'il était petit et faible. L’attitude de Jésus je ne la comprenais pas.

    Mais les coups ont cessé de pleuvoir tout net sur le corps frêle de Tonhito au début d'année scolaire. En effet, nous avions déjà bien entamé le deuxième mois de la rentrée, c'est-à-dire ce menteur de mois d'octobre.

    Oui, ce mois est un menteur, comme les adultes, qui disent des mensonges presque toutes les quinze minutes. Pourtant, le visage sérieux et parfois même menaçant, ces adultes me priaient, moi, de ne jamais mentir.

     Et je le confirme ce mois d'octobre est un joli menteur puisqu’il dit être le huitième « octo », quand en réalité il est bien le dixième de l'année.

    Quant aux coups qui pleuvaient sur le dos fragile de Tonhito, mes camarades et moi avons pris la décision de réagir contre cette injustice.

    Après un cours d'histoire sur la suzeraineté au Moyen âge, nous, les « labregos », sorte de ploucs paysans, avons formé une équipe, non pas de foot, car celui-ci servait à endormir les consciences, mais une équipe de solidarité. Depuis ce jour-là, nous, « les ploucs », n'avons plus toléré que les fils à papa touchent le moindre des cheveux roux de Tonhito.

    Ce fut une sorte de révolte des petits paysans sans terre travaillant les champs des terratenientes. Ceux-ci, passaient leur temps près de Dieu en se tournant les pouces et en dénonçant la paresse, la stupidité de cette racaille bonne à rien qui plongeait le pays dans la pauvreté !    Grand-père n'était pas de leur avis et il criait son désaccord :

    -             Si le pays est dans la merde, c'est grâce à eux, puisque c'est eux qui le gouvernent depuis des siècles. Au lieu de s'étriper par avidité et tenter de laver l'honneur qu'ils ont perdu, ils feraient mieux de se retrousser les manches, solliciter leur cerveau pour travailler utilement. Mais non, sa seigneurie « l'hidalgo » préfère se fatiguer à ne rien faire. Puis grand-père tire sa conclusion de la réalité à l’aide d’une comparaison.

    -             Pendant ce temps-là, l’Hidalgo vit de la sève des paysans comme le lierre vit de celle des pommiers que voilà. Grand-père montre du regard le verger des terres noires de Roustina.

    -             Des parasites, conclut-il en faisant semblant de cracher par terre. 

     

    ***

    La bataille des ploucs contre les fils à papa

    Maîtresse Imelda, pour donner suite à une rixe en défense de notre camarade de classe Tonhito, nous fit un sourire qui approuvait notre action.

     Je suis tombé des nues comme de la grêle en été.

    Je ne m’y attendais pas du tout. En effet je pensais plutôt recevoir un savon et un séjour dans la chambre noire de l’école. Cette chambre servait à calmer les esprits des élèves durs qui frisaient la correctionnelle à cause de leur mauvais comportement dans la vie scolaire.

    A l'école tout le monde avait un surnom. Celui de Tonhito était « o russo », le russe. Je ne sais si le surnom de Tonhito venait de la couleur de ses cheveux roux ou des idées bolcheviques que l’on prêtait à son père. C’est que celui-ci s’entêtait à ne pas aller à la messe du dimanche. Ça constituait là le crime qu’il ne fallait surtout pas faire. Il n’avait pas un autre acte au village qui provoqua autant d’ennuis et de toute sorte. Quelle bonne occasion pour Monsieur le Curé de dire du haut de sa chaire que « le papa de Tonhito avait donné son esprit aux athées matérialistes bolcheviques et abandonné son âme au Diable ».

    Père et fils étaient les pestiférés du village.

    Cependant Tonhito l’était encore plus. C’est que pendant la récréation à l’école, les fils à papa, obéissant à la rage de leurs parents, le prenaient pour le bouc émissaire et lui administraient les coups qui étaient destinés à son père.

     

    ***

    Qui casse les verres les paie

    Mlle Imelda avait jugé que l’acte de mon pugilat en défense et protection des plus faibles était juste.

    C’était déjà un problème de moins à affronter. Pourtant j'étais très inquiet. Quel accueil me ferait grand-père en arrivant à la maison ? Allait-il me sermonner ?  Me priverait-il de son histoire du soir habituelle ? Refuserait-il ces conversations de la soirée qui étaient des moments inoubliables ?

    Je n’en savais rien et de plus je n’étais pas bien du tout. Toutes ces questions étaient autant de préoccupations.

    Je sentais en moi une contraction du thorax qui accentuait mes légers problèmes d'asthme. Mon pantalon, heureusement, n'avait pas été déchiré, mais mon cou avait été sérieusement éraflé. Avec cette lézarde brodant mon cou, je ne pouvais même pas monter un dossier d’excuses, comme c'était mon habitude, pour nuancer, défendre mon cas devant le juge divin, omnipotent et intraitable qu’était mon grand-père.

    Ledit dossier, était ma stratégie habituelle lorsque je me querellais à l'école ou dans la rue. Sur ce sujet, papy prétendait que se battre était « animalesque » et indigne d'une personne éduquée.

    -              Mais parfois, disait-il, il faut être barbare avec les barbares et futé avec la force brute. Comme dans la tauromachie portugaise, ajoutait-il en guise de comparaison.

    -             Tu vois, le cheval n'a pas demandé à être devant le taureau. Mais le cavalier l'a mis dans l'arène. Quel choix a donc le cheval, plus faible, pour sauver sa vie face à la force sauvage du taureau ? Il lui faut être futé.

    Mais en arrivant à la maison, quelle ne fut ma grande surprise ! Au lieu de me gronder, papy me donne une petite tape amicale sur l’épaule gauche et m’adresse un regard de satisfaction. Je lui aurai bien sauté au cou pour le gratifier de toute ma reconnaissance qui était à la mesure de ma crainte. Puis mettant ses yeux dans les miens il me dit :

    -             Approche, ne t’en vas pas Wald. J’ai à te parler ! J’ai eu un frisson. Voyant la peur qui m’envahissait papy ajouta aussitôt :

    -             Ce n’est rien ! Approche ton tabouret du mien Wald ! 

     

    Et toi lecteur, ne reste pas là debout comme les rentiers du village à ne rien faire, mais à attendre les fruits du travail des paysans sans terre tout en les accusant d’être des paresseux et des ingrats. Va donc chercher ton tabouret et assieds-toi à côté de moi, pour écouter avec humour une scène entre papy et moi digne d’une histoire de roman de chevalerie.

     

    ***

    Monsieur le Chevalier de la Justice

    -             Bravo ! Bravo Wald. Mais !  Papy toussa légèrement pour clarifier sa voix. Seigneurie, Monsieur le Chevalier de la Justice. Je vous tire ma révérence Monsieur le Chevalier pour l'acte de justice que vous avez héroïquement accompli.  Quelle récompense dois-je vous attribuer, Seigneurie ?

    Grand-père avec humour enfila son costume de page du Moyen-Âge et Wald, était bien trop content de jouer ce rôle de chevalier qui, le faisait autant divertir que rêver. 

    -             Pour me récompenser ? Mais que mon bon et fidèle Page ne retienne de mon action que la volonté de rendre justice aux plus faibles et aux nécessiteux, même si, pour cela j’ai dû faire usage d’une inhumaine violence ! Répondit Wald sur le même ton chevaleresque, en jouant le mieux possible son personnage.

    -             A votre courage je ne peux rien refuser. Poursuivait grand-père esquissant un sourire.

    -             Je vous prie donc, mon bon Page, de soigner cette vaillante et héroïque égratignure. Wald montrait la petite égratignure sur son cou.

    -             Veuillez, Monsieur le Chevalier de la Justice, plier un peu votre genou et approcher votre magnanime cou !

    -             Mais auparavant, mon fidèle Serviteur, redevenez mon papy pour une seconde, car votre Wald que voici, voudrait vous faire un bisou. Il ne tient plus !

    -             Non, non Monsieur le Chevalier de la Justice, répondit grand-père qui prenait goût à cet amusement. Et il ajouta aussitôt dans le même élan scénique du jeu.

    -             Je prie Monsieur le Chevalier de la Justice de me dire quelle récompense, digne de son acte, voudrait-il recevoir.

    -             Serait-il possible que ce Monsieur Chevalier vaillant justicier, comme ainsi vous avez voulu le nommer et l’honorer, devienne à son tour, pour un soir un simple écuyer de votre Majesté et qu'une belle histoire vous lui racontiez !

    -             Mais mon honorable Ecuyer, je ne puis rien vous refuser. Permettez donc que je prenne mes aises sur ce simple tabouret pour ne pas perdre le fil de cette histoire.

    -             Mais Majesté, Seigneur, Conteur et Troubadour, le tout en un, prenez donc cette confortable chaise en osier pour s'accommoder à votre âge et trouver l’art du bien parler ! Quant à moi, voici deux portugaises grandes ouvertes pour mieux vous écouter ! Répondit Wald dans son nouveau rôle.

    -             Mais mon bel écuyer je préfère rester debout, c’est meilleur pour l’élocution et l’inspiration !

     

    ***

     

    Mon Cristiano Ronaldo à moi

    Grand-père, en guise de tambour, tapota avec ses mains sur la petite table en châtaignier oubliée toute la journée dans un coin du balcon. Elle semblait attendre le soir pour entrer en scène. Puis grand-père prit une attitude à la Cristiano Ronaldo marquant un coup franc. Jambes légèrement arquées, le buste en avant, il commença à entonner une sorte de récitation :

     

    -             Écoutez, écoutez Monsieur le Justicier

    Du Royaume d’Espagne et du Portugal

    Vous méritez mieux le titre de chevalier

    Et moi celui de votre écuyer !

     

    Maintenant veuillez écouter

    Un peu de lusitanienne poésie

    Certainement sans pareille et sans égal

    Trouvée dans un vieux cahier

    Parmi les trésors de notre grenier.

     

    Ensuite, une étonnante comédie

    Avec en toile de fond une méconnue tragédie.

     

    Voici donc Monsieur votre poésie

    Enrobée de fantaisie :

     

    Il était une fois

    Dans le royaume de la rime

    Un jeune garçon, ayant pour son âge

    Une montagne de courage

    Nommé « Wald le Justicier »

    Incroyable enfant

    Ô ! Chevalier bienfaisant.

    Ô ! Monsieur

    Quelle surprise !

    Elle me marquera toute la vie !

    C’est que…

    Les personnes, les choses, les idées

    Ont une face, mais aussi un autre côté.

    Si un oiseau vole dans un sens

    Pourquoi ne volerait-il pas dans un autre

    Dit un jour Jésus à un apôtre !

     

    ***

     

    Après ce détour

    Il est plus que temps

    De séparer la paille du grain

    La comédie à l'inconnue tragédie

     Va maintenant commencer :

    Monsieur le Justicier

    De cette légendaire Lusitanie !

    Écoutez ! Écoutez !  Cela est arrivé

    Dans la lointaine terre sainte d’Israël et de Palestine

    Là-bas, oui là-bas fut commise

    La plus grande injustice

    Sur fond de tragédie

    Faite à un vaillant homme

    Dans la plus grande confusion et brouhaha

    À cet homme, nommé Judas...

     

    ***

     

    Le Petit Sauvage de papy

    Grand-père, voyant que le ton tragique de sa voix affectait mon cœur sensible, arrêta son récit et changea aussitôt d'attitude. Il vint s'asseoir à côté de moi et me serra avec tendresse dans ses bras. Avec un ton de douceur qui lui était familier me dit :

    -             Il me semble mon petit sauvage….

    Le sauvage c’était moi ! Ce mot de grand-père qui traduisait toute sa tendresse à mon égard, fit chanter le rossignol qui sautillait de branche en branche dans mon jardin intérieur. De mon cœur, perlaient des larmes de joie, comme les gouttes de rosée du matin glissent sur la fleur blanche de l'arum.

    -             Il me semble, répéta-t-il, que Judas n'était pas un traître. Je crois même que Judas n’était pas traître du tout, osa-t-il avancer. C'était probablement un héros, dont certains ont voulu amoindrir le rôle. Ils en ont même fait un bouc émissaire pour servir leurs desseins et faire valoir uniquement leur vision. Il n'y a pas qu’une seule histoire, mais différentes histoires. La plupart du temps, dans le présent et encore plus dans le passé, le plus fort impose son idée et se débrouille pour effacer celle du faible.

    Il fit une pause et sa pensée sembla s'absenter pour se fixer ailleurs. Mais presque aussitôt, son regard se tourna vers moi et du dos de sa main droite il me caressa la joue. Ensuite il caressa de l'autre mes cheveux brillants et drus.

     

    ***

    Lire entre les lignes

    -             Mon petit lapin blanc, ainsi l'histoire du Portugal que tu apprends à l'école est en réalité l'histoire des rois d'hier et celle de Satanlazar aujourd'hui. Mais il y a toujours une autre façade de l'histoire dont on ne parle pas...

    -             Mais papy, Claudina affirme que le père de Tonhito est un traître, comme Judas.

    -             Oui, c'est ce que Claudina t'a enseigné à toi et à tes camarades à la catéchèse, me dit-il d'un ton qui se voulait incrédule.

    -             C'est pour cela que je voudrais t'en parler, ajouta-t-il en respirant fort, comme pour m’inciter à éveiller ma réflexion. Il ne faut pas prendre n'importe quelle ferraille pour de l'argent comptant.

     

            Après une pause il me chercha du regard et poursuivit.

     

    -             Des manuscrits, récemment trouvés, montrent que la charge qui pèse sur Judas est trop invraisemblable. Dans l’Évangile, tout est mêlé à propos de cette nuit de la mort de Jésus. Les choses ne vont pas dans le sens où elles doivent aller. Il y a comme une atmosphère de confusion, d'angoisse et de tendresse qui se mêlent alors que la nuit tombe et que le mystère s'épaissit. Des sentiments d'amitié et de confiance liaient Jésus à l'apôtre Judas. Ce dernier n’était-il pas, le gestionnaire financier du groupe ? Papy fit une pause de peur que je me dissipe en m’interrogeant des yeux.

    -             Mais Judas concentra aussi sur Jésus toutes les interrogations de leur temps présent. Il se demandait, quel chemin donner à l'avenir ?

     

    ***

     

    Ne pas être sot comme un panier

    -             Mon petit Wald, les propagandes d'hier, comme celles d'aujourd'hui, font et défont comme elles veulent les personnes et leur honneur.  Judas n’était pas un sot, bien au contraire, puisqu'il était devenu l'ami de confiance de Jésus. Pierre avait certainement bon cœur, mais il était analphabète, comme d'autres apôtres d'ailleurs. Ce dernier était caractériel et parfois même, irrespectueux des femmes. Marie Madeleine, une femme au caractère bien trempé dans les eaux fraîches du Jourdain a dû le moucher quelquefois.

    Judas était d'un autre acabit. Cet apôtre avait une instruction bien au-dessus des autres. Il était droit, peut-être parfois un peu trop. C'était un homme exigeant, rigoureux, parfois même dur avec lui-même. Il ne supportait pas les injustices faites aux humbles de la société. Judas voulait que la vie des petites gens de Palestine, d'Israël changeât. Comme toi mon papy ?

    -             Peut-être bien, je ne sais pas. Mais les romains se comportaient avec atrocité. Les prêtres du temple mangeaient à la table des caciques romains. Ils avaient trop de sang sur les mains et chaque jour, ils en avaient davantage. De plus, depuis plus de trois ans, Jésus promettait un nouveau royaume qui ne finissait pas d'arriver. Judas, plus que les autres, s'impatientait du mauvais sort des gens.

    Grand-père se leva de sa chaise en osier et étira les bras en forme de croix, comme pour se libérer d'une tension qui l'oppressait. Puis se ressaisissant :

    -             C'était la préparation des fêtes de printemps. Elles allaient bon train. La foule de tout le pays se dirigeait à gros débit vers Jérusalem. Judas attira l'attention de Jésus sur l'opportunité de se diriger aussi vers la capitale.  « C'est vendredi soir, veille de sabbat, le jour des honneurs et des grâces d'Adonaï », dit Judas à Jésus. « Il faut profiter du rassemblement populaire pour passer aux actes ! C'est le bon moment », conclut Judas en tapotant amicalement Jésus sur les épaules pour l'encourager.

    Grand-père pour piquer davantage ma curiosité, me dit tout net:

    -             Écoute mon garçon, la vérité sur Judas t'a été cachée.

    -             Mais comment ? Ce n’est pas possible papy ! Claudina dit que ...

    -             Tends plutôt l'oreille mon garçon et ne perds pas un mot de la discussion suivante :

     

    ***

    Comment Judas dit à Jésus ses quatre vérités

    -             « Ô mon cher Jésus, ami de route depuis un bon bout de temps. Combien de rires et sourires, parfois aussi des douleurs et de tristesses passées ensemble ! Combien de fois n'avons-nous voulu changer le monde ! Que de temps passé ensemble à lutter pour changer la vie et les pensées erronées des pauvres gens ! Nous tous croyons en un avenir meilleur pour notre peuple. Notre peuple choisi par notre Adonaï ne jouit pas du statut qui est le sien. Adonaï est avec nous.

    -             Crois-tu Judas que je ne sais pas tout cela, dit Jésus pas vraiment surpris de son objection.

    Mais judas, comme s'il n'avait rien entendu poursuivit :

    -             Même avec la sueur de son front, notre peuple, l'élu d’Adonaï, ne gagne plus le pain qui lui a été promis ! Regarde dans quelle pauvreté et mépris nous sommes nous-mêmes. Chaque jour, nos lois, nos coutumes sont bafouées par le romain. Nos grands prêtres qui devraient être de notre côté, mangent à leurs tables. Ils sont leurs complices. Mon ami, nous n'avons plus d'avenir.

    Judas baissa les yeux cherchant à enfuir, dans cette terre sèche d’oliviers, cette indignation qui voulait jaillir comme une source d'eau trop longtemps réprimée. Mais après un bref silence, son regard revint. Puis comme un flash de lumière pénétrant dans les yeux de Jésus, un puits sans fond, Judas lui demanda.

    -             Quand va-t-elle arriver cette révolution ? Mais dis-moi Jésus quand va-t-il arriver enfin ce nouveau royaume de justice que tu nous promets ? Nous en avons assez de l'attendre. Crois-tu que nous...

    Jésus, tourna sur lui-même comme le roi lion en cage. Il fit quelques petits pas dans l'espace réduit compris entre trois oliviers et un rocher. Celui-ci était couvert d'une poussière rougeâtre. Puis revenant vers son ami le regard ailleurs, il lui dit :

    -             Mon ami Judas, mon royaume n'est pas … Ayons la sagesse d'attendre. Jérusalem ne se fit pas en un jour... Adonaï...

    -             Mais quoi ? Comment ? Tu sembles oublier tes paroles. Où sont tes promesses ? Où sont tes actes ? Où se trouvent les pouvoirs que tu prétendais avoir ?  Où se trouve l’homme d’exception ? Où se trouve le chef qui sait mener son peuple à la victoire ? Il est où ton chemin de vérité ? Tu nous trompes, tu nous as trompés ! Mais parle ! Parle clair Jésus !

    Le visage calme de Judas devint rouge autant que le feu, de l'indignation qui brûlait en lui.

    -             Jésus, faisant semblant de s'étonner, essaya d'éteindre ce feu du mieux qu'il pouvait. Levant les bras vers le ciel chargé de nuages, d'un rouge de mauvais présage, il dit avec un calme apparent.

    -             Je suis avec vous, mes amis. Je suis avec les pauvres de ce pays qui ont été depuis toujours la raison de mon engagement. Tu oublies que mon père Joseph, qu’Adonaï ait son âme, a dû déjà chercher refuge en Égypte, lors de ma naissance, pour échapper à la répression sanguinaire des romains ! Judas, tu me connais, comment peux-tu douter de moi ?

    Judas toussota quelque peu pour donner de l'air à son indignation, tout en drainant l'espoir naissant des dernières paroles de Jésus. Un espoir qu'il aurait voulu voir couler, comme un filet d'eau irriguant les champs secs, sur les versants des collines surplombant le Jourdain.

    -             Eh bien, si tu veux ôter de moi ces doutes qui me cernent de tous côtés, tu dois agir Jésus. Agir ! Fais quelque chose ! Allons demander des réformes, exigeons des changements, encerclons le Palais du Gouverneur, pressons ces étrangers romains. Faisons en sorte que les grands prêtres changent de camp. Mais agissons, agissons nom d’Adonaï, s’emporta Judas.

    -             Mais Judas, sois patient. Le fer, la force, la précipitation n'ont jamais été de bonnes solutions ! Mon plus fidèle ami parmi les miens, reste tranquille, voyons cela à un autre moment. A demain Judas si Adonaï le veut bien !

    Judas, perdant le peu de patience qui lui restait, rétorqua :

    -             Mais tu nous prends pour des cons ou quoi ! Non Jésus, non, pas à demain. Assez de jolis mots, assez d’images, assez de paraboles, assez de jouer avec nos émotions, assez de nous faire rêver d’une vie nouvelle, assez de nous faire croire qu’un monde nouveau, qu’une nouvelle vie. Non Jésus ! Non ! Le changement c’est pour maintenant !... Le changement c’est maintenant !...  Le changement c’est maintenant !...

    -             Ô Judas ! Comment peux-tu te comporter ainsi ? Moi qui croyais que tu…

    -             Mon cher Jésus, cette nouvelle vie, nous l'attendons chaque jour, tellement la présente est devenue invivable. Nous sommes au bout du supportable ! Notre longue patience a trop duré, Jésus !

    Judas prit à témoins les autres apôtres, restés discrètement à l'écart sans savoir quel parti prendre. Désespéré, Judas menaça le firmament obscur, le point fermé. Une mauvaise étoile semblait briller au-dessus d'une tragédie.

    -             Ce soir est la fin des belles paroles Jésus ! Cette nuit marquera à jamais l'histoire. Elle sera le début de notre victoire ou le début de la fin ! Non, mon ami Jésus tu ne peux plus reculer. Non Jésus fils de Joseph, tu ne peux plus zigzaguer ! Cette nuit sera le jour de la vérité !

    Judas faisait encore contre mauvaise fortune bon cœur pour ne pas s'emporter davantage. Il ouvre la marmite qu’est devenue sa cage thoracique. Il en fait échapper la pression dans un halo de respiration. Puis, respirant trois fois calmement, il essaya de cadenasser en lui sa révolte. Il revit dans sa mémoire le film des promesses de Jésus s'adressant à la foule misérable de Galilée. Judas essayait encore de s'enivrer de l'espoir d'une vie sans l'occupant, d'une société nouvelle. Y avait-il un seul juif en Galilée ou ailleurs qui n'ait envie de vivre une vie avec la tête haute ? Puis, il se tourna vers Jésus en cherchant son regard devenu fugitif.

    -             Tu es venu nous chercher dans nos maisons. Nous avons abandonné nos occupations, notre gagne-pain. Nous avons abandonné nos femmes et nos enfants. Jésus, nous avons tout abandonné pour te suivre. Nous avons cru à tes promesses. Jésus, nous avons tous cru en toi et maintenant que la décision finale arrive tu nous abandonnes.

    Judas vaincu par le désespoir et la conviction de s’être fait rouler dans la farine par un ami.

    -             Putain de merde ! Tu nous as trompés ! Tu nous as trompés avec tes jeux de magie, tu nous as trompés avec tes belles paroles d’amour, de justice. Tu nous as trompés comme d’autres avant toi et comme d’autres après toi. Ce que nous sommes cons ! Putain de merde !  

    Jésus se sentant écrasé par un poids dépassant ses forces, dit d'une voix presque inaudible, noyée dans une mare d'angoisse.

    -             Je doute de mes forces Judas ! Je crains... Je crains, l'humiliation. Je ne parviens plus à dormir. L'idée de la mort me torture à chaque minute. Elle me paralyse dans mes actes et dans ma pensée. Je ne crois plus, ni en moi, ni en rien. Il vaut mieux que... J'ai peur Judas, tu entends, j'ai peur de moi. Je crains la mort mon ami. Je me sens seul Judas devant ce présent étouffant. Je me sens seul devant cet avenir précipice sans fond ! Que va-t-on dire de moi ? Judas, mon ami, ne me laisse pas seul ! Judas, que dois-je faire ? 

    Judas désappointé ne trouva même plus en face de lui un rival, capable de se battre. Il essaya d’éveiller chez Jésus une lumière d'énergie ou un éclair de courage.

    -             Mais comment ? Que dis-tu là Jésus ? Putain ! Au moins comporte-toi comme un homme ! Nous ne sommes pas venus te chercher, mais le contraire ! Depuis plus de trois ans tu t'es érigé en messie, en sauveur, en chef. Nous, hommes, nous, femmes, sommes devenus tes disciples. Nous avons tous adhéré à ton appel. Certes avec peu d'enthousiasme au début, mais avec une immense croyance par la suite. Ta noble cause est devenue la nôtre.

    Prenant Jésus par les épaules pour animer son courage et raviver la force de la lumière qui se dégageait auparavant de cet homme, il s’adresse encore à lui comme dans une prière.

    -             Regarde la porte de David. Elle est noire de monde dans la lumière de la nuit de Jérusalem. Jésus, nous avons un peuple nombreux derrière nous qui nous suit. Cette foule t'attend Jésus. Sois le guide, le père de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants. Sois un juif la tête relevée. Tout le peuple d’Israël cherche depuis des années et des années un messie, un sauveur. Ce peuple en a assez de l’occupation, de la domination. Tout ce peuple en as ras-le-bol des exodes en Egypte, en Perse. Même toi tu as dû t’exiler en Egypte à ta naissance avec ton père et ta mère. N’as-tu pas assez d’être piétiné par l’autre, par l’étranger ? Putain ! Un peu d’honneur de fierté s’il te plait ! Jésus ce pays ne supporte plus d’être abaissé, méprisé par le romain, ni par personne. Ne sens-tu pas monter la vague de révolte qui germe dans la fierté de ton peuple d’Israël ? Sois un juif et fier de l’être ! Si tu n’agis pas tout de suite le pire est à envisager.  Je t’en prie Jésus, sois le chef, le sauveur que tout cet Israël opprimé , méprisé,  abaissé attend !

    Judas se montrait impatient, et de moins en moins conciliant.

    -             Nous sommes tous là dans ce mont des Oliviers, cachés et apeurés, comme des lapins dans leur tanière. Mais Jésus, ne vois-tu pas maintenant le peuple nombreux qui afflue de plus en plus vers le palais du Gouverneur. Il espère depuis tant d'années ce glorieux moment. Mais comment pouvons-nous le décevoir, comment pouvons-nous le trahir ?

    Judas gesticula, poignarda l'obscurité du mont des oliviers, forçant Jésus à sortir de sa mollesse, de son indécision et voulant faire réagir aussi la passivité effacée des apôtres. Jésus trouva néanmoins une faible étincelle de réaction dans cette atmosphère pesante.

    -             Judas, tu te plais à remuer ton couteau dans ma plaie. Cette blessure qui est en moi me tue avant de mourir. Ce qui terrorise mon cœur, mon âme et mon corps à l’instant ce n'est peut-être plus la mort, mais « le mourir ». Quant à ce chemin parcouru ensemble, je voudrais tant y croire encore. Ce peuple, dont tu parles en avocat, je le chéris autant que toi. Judas, si tu étais à ma place et devais affronter cette tragédie qui est en moi...

    Judas pensa que c'en est assez de paroles sans des actes. La main fermée et l'index pointant vers Jésus, il lui dit, en colère, espérant une ultime réaction du groupe qui ne venait pas :

    -             Non ! Non, Jésus fils de Marie qui a dû trimer depuis ses treize ans pour t'élever dignement. Non, Jésus fils de Joseph, cet homme courageux et d'honneur qui fut ton père. Non, trois fois non ! Je ne puis me mettre à ta place, mais je me mets à la mienne. Jésus, je préfère me pendre que de tromper ces hommes, ces femmes en haillons, ces enfants affamés, ce peuple humilié, ces gens méprisés, ces gens écrasés. Non Jésus de Nazareth, tu ne pourras plus tergiverser. Tu as été notre Guide, notre Maître, notre Rabi. Ce soir même, je vais te mettre devant ces maudits romains. Tu seras bien obligé de prendre une décision. Soit, tu choisis de défendre tes engagements et d’honorer tes promesses en agissant, soit tu ne fais rien et tu mourras lâchement et dans l'indifférence sous le fer de l'occupant et méprisé à jamais par le peuple d’Israël. Tu seras un traitre à ta nation. Je te le dis Jésus, d’autres te pardonneront peut-être, mais jamais, jamais Israël ne pardonnera ta lâcheté !

    -             Judas, tu as perdu l'amour qui doit nous guider.

    -             Je perdrai l'amour, comme tu dis, mais je ne perdrai pas cet idéal qui m'a mené jusqu'à toi. L'histoire, si elle ne triche pas, tranchera. La postérité pourra dire de moi tout ce qu'elle vaudra, mais j'aurais fait mon devoir.

    -             Que veux-tu insinuer mon ami ? As-tu perdu la tête ? demanda Jésus pris de panique. Puis après un court silence et considérant qu'il n'avait pas d'autre chemin, mieux valait se jeter dans l'inconnu et en finir au plus tôt.

    -             Fais comme il te semblera le mieux, Judas. Pour moi toute issue est préférable à cette situation !

     

     

    ***

    Qu’as-tu fait à ton mari

    Dans la pénombre d'un coin, un peu à l'écart du groupe des hommes, l'on apercevait deux silhouettes assises sur une pierre en guise de siège, et qui murmuraient à peine. Bien qu'à l’abri, depuis la tombée de la nuit, elles sentaient un petit vent frais qui pénétrait leurs douces chairs. Même si nous n'étions qu'à Pâques, les visages étaient déjà bien dorés par le soleil. Tout laissait présager que l'été prochain serait brûlant. Une petite pluie serait la bienvenue pour calmer la chaleur et adoucir ce ciel déjà étouffant. Tout d'un coup des voix féminines se firent entendre distinctement :

    -             Mais Marie-Madeleine qu'as-tu fais à ton mari ? Il ne semble plus le même depuis quelques jours !

    -             Ô mon dieu, il est fatigué, épuisé, des migraines terribles. Il ne dort presque plus. Tous les matins, il se lève avec la tête lourde, comme si on lui avait fait le coup du lapin. Il traverse un mauvais moment et la terre semble lui glisser sous les pieds.

    -             Pauvre Jésus ! Lui qui a tellement soigné les autres ! Un homme si bon, si ... Mais qu'il se verse un seau d'eau froide sur la tête, lui suggéra la femme de Pierre...

     

    ***

    Le Mont des Oliviers

    Un troupeau de lumières dans la nuit grimpait à son petit train vers le jardin du mont des oliviers. Il s'approchait d'une façon inquiétante du sommet de la colline.

    -             Marie-Madeleine ma belle-fille, mais que signifie toutes ces lumières et brouhaha qui montent jusqu'à nous ? demanda Marie apeurée et qui craignait le pire pour son fils.

    -             Je ne sais pas maman, dit Marie-Madeleine.

    L'obscurité ne permettait pas de voir la peur qui ravageait les visages, mais le ton des paroles ne pouvait plus la cacher.

    -             Il faut avertir les hommes, dit Salomé en pleurs. Mais où sont-ils passés ? Interrogea-t-elle, ne comprenant plus rien.

    -             Maman regarde ton fils ! cria Marie-Madeleine en pleurs et se tenant la tête entre ses mains.

    -             Il marche comme un zombi à la rencontre des soldats romains. Maman que vais-je devenir et que va devenir mon petit Yoshua ?

    Le jardin des oliviers restait dans le silence de la nuit. Mais déjà, dans le bas de la ville, le brouhaha de la foule étouffait les pleurs des femmes qui persistaient à suivre Jésus. 

     

    Pendant le temps qu’avait durée ce conte extraordinaire de grand-père, Wald s’était laissé barrer comme voilier au gré du vent et au goût des vagues. La mer de rêve et rêveries incroyables, avait enchanté le petit Wald. Il s’est rendit compte que la narration était arrivée à bon port lorsque grand-père lui rappela, non pas avec la voix douce du conteur, mais avec celle d’un capitaine en chef :

     

    Ô mon bon Page

    Qui fut et sera Chevalier

     De la Justice,

    Mais comme tout le monde,

    Vous devez vous abaisser

    Pour faire votre pipi

    Gare à Monsieur de faire dans son lit,

    Allez dépêchons, faisons un royal dodo,

    Ma petite Majesté ! Votre conte est fini !

     

    ***

    ***

    -  Halte là ! Halte là ! Halte là !  Interpelle le lecteur en se levant de son tabouret d’un air sceptique.  Les auteurs, comme les traducteurs, ce sont tous des menteurs !

    -  Comment cela lecteur ? Explique, tu es incrédule sur quoi ?

    -  Eh bien cette histoire que je viens d’entendre ? Je n’en crois pas un mot !  Je ne peux pas accepter que ce Judas ait été autant grossier dans ses dires.  Il y a « du putain » partout et l’histoire me semble…

    - Mais lecteur ! Chaque narrateur apporte sa version des évènements et son grain de sel et de poivre comme papy lorsqu’il fait de la Morue à Bras. Et je te confirme que son plat est un des plus savoureux et authentique de la bonne cuisine portugaise.

    Mais ne t’attarde pas là et découvre un autre visage des multiples personnalités de ce personnage qui est papy David, comme aime l’appeler son curieux petit Wald :

     

    Tombe la neige

    Grand-père avait un cœur d’enfant dans son intérieur. Par contre à l’extérieur il avait le sens de l’animal et le caractère de l’adulte bien trempé. Il abordait souvent les problèmes sérieux de la vie sous l'angle de l'humour et du rire. Mais il pouvait être aussi plus astucieux qu'un renard.

    Une fois, le prêtre du village lui demanda son âge, mais selon le qu’en dit- on féminin du village, papy n’en avait pas. Cela voulait dire que pour grand-père les années passaient, mais l’âge restait le même. Cela intriguait et en particulier le plus grand créateur d’intrigues de Roustina. Monsieur le curé, dit le père Trampoline.

    -             Mais quel âge avez-vous au fait, Monsieur David ?

    Sans le préciser, papy lui répond en le taquinant sur le statut ambigu de St Joseph dans l'église Catholique :

    -             Vous prétendez que Jésus a été conçu par le Saint Esprit. Pauvre Joseph ! Mais moi j'ai été engendré par la force de la chaleur de l'hiver, lui dit-il en esquissant un sourire malin.

    Puis, peignant sa chevelure blanche de la main gauche il ajouta en parodiant la chanson de Salvatore Adamo :

    -             Ô Mon âge, Monsieur le curé... tombe la neige... tombe la neige... ma jeunesse ne reviendra pas...

    Le curé savait qu'il ne pourrait pas rivaliser avec grand-père, ni au niveau de l'humour, ni même au niveau de la dialectique. Il décida donc de tourner la conversation vers un terrain lui étant favorable, celui du peu de paroles et de la courtoisie.

    Le séminaire lui avait enseigné une forme de parler unique et une attitude différente de celles des autres. La soutane n'était-elle pas un uniforme qui, d’une part le séparait des autres, et d'autre part venait confirmer son autorité pastorale sur ses administrés paroissiens, alors que le rire et l'humour étaient plutôt des attitudes propres au Malin et à ses associés ?

    -             Alors, se dit-il à lui-même dans son rôle de prêtre, ce David est une brebis spéciale qu'il faut savoir ramener au bercail avec adresse.

    -             Mais David, vous faites bien plus jeune que votre âge !

    Faisant semblant d'être étonné, grand-père lui répondit en esquissant un sourire :

    -             Mais pourquoi me demandez-vous donc ce que vous savez déjà ?

    -             Oui, je le connais et plus que ça ...

    Grand-père savait que Monsieur le curé savait plus qu'il ne devrait en savoir sur les villageois, mais il ne laissa rien paraître.

    -             Ah bon ! Qu'est-ce que vous ne savez pas et que vous voudriez savoir. Le grand chef s’inquiète-t-il à mon sujet !...

    -             Monsieur le curé fit semblant de ne pas entendre la question et lui répondit avec une réponse de façade.

    -             Vous manquez à la maison de Dieu. Ne voyez-vous pas les portes ouvertes battant au vent ? Depuis plus d'un mois vous l'abandonnez, mais pourquoi ?

    Grand-père faisait plus que se méfier de Monsieur le curé. Il le soupçonnait d’être l’œil et les oreilles de la puissance divine de Lisbonne et d'avoir des liens peu catholiques avec elle. Sa réponse n'était pas une réponse, mais une pirouette pour ne pas ouvrir des hostilités.

    -             Mais parce que je m'y ennuie. C'est tellement triste. Regardez dans les églises africaines, on y joue de la guitare, on y danse... Non, Monsieur le curé ! Plus sérieusement, j’ai été trop occupé. Mais mon ami Jésus le sais, je l'ai informé par lettre recommandée, car il n’est jamais là quand on en a besoin nous autres, dit grand-père avec humour tout en retroussant les manches de sa chemise en flanelle, montrant ainsi poliment, qu'il avait des occupations urgentes.

    -             Eh bien ! Mais vous savez que Jésus vous attend, dit le curé en s'éloignant.  

    -             Donc je viendrai, je viendrai, réponds grand-père d’un signe de la main et d’un ton de voix qui s’évaporait déjà dans la chaleur de la matinée qui annonçait déjà l’été.  

     

    ***

    Jeu des alouettes rieuses

    Grand-père portait en général les cheveux longs. C'était une façon bien à lui de manifester son côté rebelle et sauvage.  Cela ne déplaisait nullement à ses amis du village, qui en profitaient pour le taquiner. Il arrivait que, parfois, les femmes se laissaient surprendre par une respiration haletante d'émotion que leur poitrine ne parvenait cependant pas à cacher.

    En revanche, sa chevelure dérangeait les bigotes et les deux ou trois rentiers de Roustina.

    -             Toujours dans la provocation celui-là, disait une des deux bigotes sur le chemin de l'église.

    -             Ce David est un matérialiste contestataire. Même le prénom inspire méfiance ! Je me demande si du côté de sa mère… il n’est pas un descendant des meurtriers de Jésus ! Ajouta l'autre, emmitouflée dans un châle noir qui lui couvrait totalement la tête.

    -             L’on dirait des musulmanes en Tchador ! Notre foi chrétienne a des soucis à se faire, se dit papy.

    Grand-père les avait dévisagées du regard en les croisant.  Il savait que les grenouilles croassent dans les marigots et que les bigotes échangent des cancans de bénitier. Quant aux riches rentiers, qu'ils aillent se faire rôtir en enfer riait-il, sans plus. Peu lui importait leur opinion.

    Quant à moi, en le regardant, je ne faisais que ça, je voyais bien qu'il se plaisait dans son allure de lion mal léché au cœur d'enfant. Il était mon papy, cela me suffisait et de plus, je l'aimais tellement ainsi !

    Une des manières pour lui montrer mon affection était de l'appeler par de petits mots, les uns plus mignons que les autres. Il les appréciait et moi j'adorais lui faire plaisir. A ce moment-là, nous étions deux enfants !

    Cependant nous étions sérieux lorsque la situation l'exigeait. Mais la plupart du temps, nous riions ensemble et nous nous taquinions souvent. Il arrivait même que, parfois, nous étonnions les personnes non averties de notre jeu de « desgarradas».

    La desgarrada, est une sorte de défi, se passant les jours de fête, entre deux accordéonistes les jours de fêtes dans les villages de la région du Minho. Pendant le dit défit au son d’une musique tantôt saccadée tantôt mélodieuse les musiciens se lancent à la figure des injures taquines et humoristes qui font rire aux éclats tout l’entourage.

    Ce jeu musical dont nous étions fans tous les deux l’aidaient à surmonter les moments durs de la vie et à moi à grandir.

    Souvent le quotidien était pesant au village. Cependant nous prenions de la distance par rapport aux problèmes. Quand il le fallait, nous nous imaginions être des alouettes rieuses au printemps et nous allions voler dans le ciel bleu ! Par moments durant notre vol nous faisions du surplace battant très vite des ailes pour taquiner et surtout faire suer et bassiner le père Trampoline et sa bande.

    L’autre objectif était de faire rire le village et le sortir de la pesanteur et lourdeur venue du lointain Lisbonne qui écrasait chaque villageois à sa manière.

     

    ***

     

    Le Mariage de Wald

    Je devais aller dans mes 11 ans ou un petit peu plus. Est-ce que la mémoire me trompe déjà ! Pâques n'était plus qu'à un court vol d'oiseau. Quelques farces de carnaval, aux premières obscurités de la nuit chez des gens méchants du village et les cerisiers en fleur ainsi que le chant des rossignols annonçaient la grande fête !

    -             Ce sera le plus grand jour de ta vie. Te rends-tu compte, ta confirmation et tu deviendras un vrai chrétien ! criait-on autour de moi.

    La réalité était que, depuis septembre, j'étais sous pression. En plus d'avoir du mal avec les maths en CM2, il fallait ingurgiter presque tous les drames, tragédies, vengeances, menaces, assassinats, déluges de l'Ancien et du Nouveau Testament. A certains moments, je ne parvenais même plus à avaler la soupe aux étoiles de vermicelle que ma tatie Sofia s'était affairée à préparer depuis les premières lueurs du jour. Pire encore, je ne riais presque pas et je ne blaguais plus avec grand-père.

    Heureusement qu'à la catéchèse il y avait Ritinha. C'était un nuage blanc, chevauchant vers ses 10 ans dans le ciel bleu immaculé de toute laideur. Je la voyais comme un ange aux cheveux longs et bouclés, tout roux, comme la paille sous le soleil. Je pouvais aussi croiser ses yeux à l'arrivée et à la sortie de l'église. Je me débrouillais toujours pour me trouver là où elle était. J'étais un vrai Bon Dieu, me disais-je, puisque j'étais partout comme lui !

    En tout cas, après, je ne rechignais plus pour aller au chapelet du soir à l'église, car je pouvais m'y adonner à la contemplation et à l’adoration de ses petites joues joufflues dont la lumière des bougies accentuait sa beauté divine.

    Finalement le jour, ou plutôt la soirée, du merveilleux événement arriva. L'église était pleine à craquer de silhouettes noires qui entonnaient des prières de grande dévotion.

     Mais le centre de la cérémonie, au cœur de l'église resplendissant de blancheur. Cette jolie tâche blanche qui ressemblait à un manteau royal, eh bien, c'était nous : Ritinha et moi.

    Il y avait certainement d'autres enfants, mais moi, je ne voyais que Ritinha. Nous étions Pedro et Inès de Castro, les deux personnages romantiques de l’ouvrage du même nom, du dramaturge Antonio Ferreira. Tous les deux nous étions aux anges, éclairés par des milliers de bougies, glorifiés par une musique d'orgue qui nous élevait au ciel.

    Papy, qui savait du feu qui brulait en moi me dit à la sortie de l’église en me taquinant :

    -              Nom d’une pipe à tabac ! Dis donc Wald ! Mais qu'il était merveilleux, ton mariage !

    -             Lecteur ! Lecteur !  Mais comment dois-je faire pour continuer à supporter papy !

                                                                            

    ***

     

    Puis-je t’avouer ?

    En effet, je voulais te dire que si l’eau du fleuve Coa fût de l’encre noire elle ne serait pas suffisante pour écrire tous les adjectifs attributs et qualificatifs de Grand-père !

    Ainsi lorsque papy avait des problèmes insolubles, il avait la sagesse de donner du temps au temps.

     Sans vouloir vraiment l’imiter j’ai voulu aussi donner du temps au temps pour t’en parler.

    Ce temps dont je voulais te référer, mon cher lecteur et compagnon de voyage dans le long et présent souvenir de grand-père et de son Portugal de Satanlazar, va déjà très loin.

     C'est aussi parce que j'ai donné du temps au temps que je peux t'en parler aujourd'hui :

    C'est que …  Oui, j'ai beaucoup détesté Le Portugal de Satan Lazar. Ce Portugal-là me faisait mal ! Mais je ne vais pas t’en parler de cette douleur.

    Ce dont je voulais te confesser c’est que j’ai détesté aussi mon grand-père. Puis-je t’avouer qu'il y a eu en moi une grande rancœur contre lui ?

    Tu ne me crois pas, dis-tu ? Mais si, malheureusement ! Permets-moi de t'avouer que souvent les frontières entre l'amour, la rancœur et la haine se côtoient et se touchent. Lorsque tu déchires la chaleur et la douceur du veston de l'amour, tu découvres dans la doublure une sorte de rugosité froide de haine ou de quelque chose de similaire qui te mange le cœur comme une bête sauvage.

    Dans ce cas en toute amitié, mon ami lecteur, si ton cœur est pris dans une mer hérissée par la tempête aux vagues de rancœurs et de tourmentes, mets le cap vers les eaux calmes et paisibles de la Lusitanie démocratique d'aujourd'hui.

    En abordant les sables dorés de L'Algarve, prends ton bâton de pèlerin, ton sac-à-dos et admires les amandiers en fleurs, traverse les « montados » en fleur du vaste Alentejo, croise les eaux argentées du Tage, laisse-toi aller vers le nord par les chemins sinueux des montagnes, regarde au loin la mer paisible de la verdure, admire la beauté de la vallée du Douro avec la culture de la vigne en terrasses, comme un dieu, goûte un porto ou un vin vert, respire le parfum des mimosas et des pinèdes, sens l'odeur des forêts d’eucalyptus introduits dans cette région et en Europe à la fin du XIXème par un religieux galicien .

    Respire, libère-toi de ce qui t’étouffe dans les différentes beautés du Portugal d’aujourd’hui.

     

    J’ai cru à ce moment du récit entendre grand-père me dire :

    -             Wald lève les yeux à l'horizon. Oh ! Wald, regarde-moi cette lumière, ce ciel bleu et quel bleu ! Te rends-tu compte comme c’est beau. Respire mon lapin ! Que ça sent bon l'air du Portugal !

     

    Eh ! Mon ami lecteur, tu verras qu'à ton retour, en descendant des montagnes lumineuses du Minho, tu te sentiras plus léger et plus jeune de quelques années... Mais lecteur ne m’entraînes pas dans la magie du Portugal ! Je ne veux pas y aller !

    Mais après cette confession concernant en particulier papy l’on se sent mieux.

     

    ***

     

    Les haines et méchancetés de Wald

    Maintenant, mon cher lecteur, il est temps que tu saches pourquoi le petit Wald en voulait à son papy.

    A-t-il maintenant besoin de parler ? Va-t-il nous sortir de vieilles méchancetés ? Serait-il en conflit avec lui-même ? Aurait-il de vieilles rancunes dans son cœur ?

    Lecteur ami, ferme la porte d’entrée de la maison, viens t’assoir dans le balcon en pierre, prends le petit tabouret en bois de pin et assieds-toi à côté de lui, comme il faisait jadis avec son papy et écoute :

     

    -             La première année après mon retour de mon triste et douloureux Angola, grand père commença à faire trop de zèle à mon égard. Tout d'un coup, comme un nuage de grêle après une fenêtre de soleil, il décida de venir me chercher tous les jours, non seulement à l'école, mais aussi à la sortie de la catéchèse. Je me sentais dans ces moments-là comme un petit chien à qui l'on venait d’enfiler autour du cou un joli collier d'Arraiolos. Alors que moi j'avais envie de sauter, de gambader et surtout de bavarder avec mes copains. C'est que depuis neuf heures du matin, j’étais amarré aux bancs rugueux de l'école.

    Je le détestais ! Pire encore, je le haïssais !

    Mais si ma révolte et ma rancœur étaient grandes, plus grande encore était cette corde qui me retenait par le lien du respect à l'égard des adultes. Un lien que rien de rien ne pouvait dénouer. Je ne pouvais, ni rien dire, ni rien faire.

    Les adultes en ce temps-là étaient des dieux. Or, devant ces dieux, l'on ne pouvait qu'obéir et se soumettre.  Mais doit-on aujourd'hui encore partager cette opinion ?

    -              Obéissance et soumission est la divise du bon croyant. Dieu n'accepte pas dans son royaume la contestation et encore moins la rébellion ! S’égosillait père Trampoline depuis le ciel doré de sa chaire.

    -             Mais parfois, le diable me tentait. Je n'avais pas envie, ni d'obéir, ni de me soumettre. Ma colère intérieure débordait par-dessus mon béret basque que j'avais l'habitude de porter été comme hiver.

    -             Ne découvre jamais ta petite colline disait grand père ! Ce qui protège du froid protège aussi de la chaleur. Et il ajoutait, il faut protéger sa tête, mais moi, je n’avais pas du tout envie de l’écouter.

    J’étais sourd et muet comme une carpe. Je ne disais pas un mot. Mais je sentis en moi une explosion volcanique. Un séisme d'amplitude 8,0 sur l'échelle de Richter secoua la côte centrale de ma petite personne. Dans un éclair sans tonnerre j'ai balancé avec virulence mon béret à la figure du diable.

    -             Que fais-tu ? demandait papy, sans rien comprendre.

    Mais pas un mot ne sortit de ma bouche, ma révolte je l’ai avalée, comme la soupe aux choux du matin avant d’aller à l’école.

    Quand il venait me chercher à la sortie de la catéchèse je tapais mon cul par terre de fureur contre lui. Je me demandais si je n'allais pas le jeter dans les feux d'un autodafé. Pas même besoin de le faire passer devant le tribunal de la Sainte Inquisition.  

    Lorsque je l'apercevais sur le seuil de la porte latérale de l'église, j’aurais volontiers donné à ce moment-là, tous mes jouets, que je n’ai pas eus, à mon pire ennemi, s'il avait pu faire disparaître grand-père de ma vue.

    Le feu de l'enfer qui brûlait en moi chauffait avec ardeur mon sang qui, par décantation, coulait en larmes tristes, goutte à goutte, sur mes joues rouges de colère.

    C'est qu'il faisait exprès de chercher querelle à Claudina et parfois même au père Trampoline, au sujet de tel ou tel passage douteux de la Sainte Bible.

    Quant à moi je pensais qu'il valait mieux dire amen à tout, pour éviter ces guerres de religion. Mais Grand-père, tel un templier extrémiste, sortait l'épée de son fourreau pour défendre sa vérité chrétienne. Le problème, c'est que la vengeance papale ne retombait pas sur lui, mais bien sur moi. Le martyr de ces disputes avec Claudina, le père Trampoline et même avec les riches du village, c’était moi.

    J’étais leur agneau pascal !

    Mais pourquoi devrais-je être le martyr de tous ces extrémistes de la foi et de la politique de Satan Lazar ?

    -             Je veux être un enfant normal, avec une vie normale comme celle des enfants de France, d’Allemagne de Belgique, leur disais-je, mais personne ne prêtait attention à ma douloureuse existence.

     Cependant les guerriers de la foi qui propageait l’amour décidaient, parlaient à ma place. Emprisonné et otage des deux camps, je m'efforçais de me taire dans l'espoir de la paix. La nuit, je ne dormais pas et parfois je me révoltais contre la Divine Trinité. Celle du Là-Haut et celle de Lisbonne et Mon Papy.

    Les trois deux étaient responsables de toutes ces disputes guerrières dans le monde du village et à la maison.

     

    Mais, lecteur ami, te rends-tu compte du sac de rancunes qui a été ce gamin de Wald ?  Quand on prétend que le royaume des cieux est pour ceux qui ressemblent aux enfants, je ne crois pas que Wald y aille ! Mais chut !  L’on dirait qu’il vilipende le ciel ! Mais voyons ce qu’il a encore à nous révéler :

     

    -             Monsieur Dieu, vous prétendez être le bien, l'amour, la paix, mais vous êtes tout autant le mal, la haine et la guerre. Regardez ce qui se passe au village et il parait qu’à Lisbonne et ailleurs il en est de même.

    -              Ce n'est pas moi ça Wald !  Tout cela vient d’eux, et ils ne sont que des hommes. Wald se demandait s’il avait entendu ces paroles de défense ou si c’était le fruit de son imagination. Était-il en train de rêver ou était-il éveillé ? Il n’avait conscience ni de l’un ni de l’autre.

    -             Peut-être les deux, se dit Wald se retournant dans son lit au matelas rempli de nouvelle paille.

    -             Je crois Seigneur Dieu que vous êtes une belle histoire créée par les ’hommes pour arriver à leurs fins.

    -             Ah ! Que dis-tu là Wald ?

    -             Vous jouez double jeu. Jusqu’à l’âge de dix ans vous vous déguisez en Père Noël et après cet âge vous vous dites Dieu. Aussi bien les premiers que les seconds ne parviennent pas à se passer de vous !

    -             Wald ! Wald ! Tu blasphèmes ! Tu iras brûler en enfer !

    -             Vous savez Monsieur Dieu, je regarde papy, parfois je le sens très seul. Même plus que moi ! Pourtant, Monsieur Dieu, si vous saviez combien me manquent les sourires de mon papa, les caresses de maman, le ciel bleu de mon Angola ! Monsieur, quand je regarde la vie des villageois je la vois tellement triste. Parfois ils me semblent désespérés, des orphelins, comme moi Monsieur cherchant leur papa, leur maman.

    -              Monsieur mon Dieu, heureusement encore que moi j’ai mon papy Monsieur !

     

    Wald remua dans son lit, comme une étoile de mer étira jambes en bras. Son corps était trempé de sueur. Mais la nuit s'évanouissait avec l'aube et le soleil commençait déjà à ouvrir un œil où se dessinait un sourire lumineux. Regardons-le de plus près en gros plan et écoutons-le encore :

     

    -             Une fois debout et bien réveillé, je n'osais plus en parler à personne. Je craignais de mettre de l'huile sur le feu. Le temps finissait par effacer certaines douleurs. En même temps j’essayais d’améliorer ma relation avec les adultes.

    Malgré cela, la haine, je la voyais souvent dans les yeux du village sauf rares exceptions. Ma Maitresse Imelda en était une d’elles. La méchanceté presque animalesque était quotidienne et plus grande encore les jours des fêtes religieuses du village.

     Mais le pire arrivait lorsque je devais emprunter les rues du bourg dans les ténèbres de la nuit. C’est que les adultes profitaient de l'obscurité pour envoyer des coups de pied dans le petit cul de l'enfant que j'étais. C’était ainsi que ces crapules se délestaient de leur haine emmagasinée contre mon papy dans un cœur qu’ils n’avaient pas.

    -             Tiens espèce de morveux, celui-ci c'est pour le traître Judas qu'est ton grand-père !  Espèce de juif ! Sauve-toi petit merdeux, sinon …

    Bien sûr, les coups me faisaient bondir de vengeance. Je voulais me battre comme un David contre Goliath. Mais le miracle de la victoire du plus petit contre le plus grand n’avait pas lieu. Alors que faire ? En quoi croire ?

    -             Je n'avais jamais imaginé que je pouvais devenir une victime, un bouc émissaire comme Tonhito l'avait été à l'école. Maintenant, comme lui auparavant, je me cachais pour avaler en silence mes larmes amères. C'est peut-être pour cela que plus tard avec le temps et les années naquit en moi, d’une part une envie d’acquérir du savoir afin de gagner dans la lutte pour la vie et d’autre part une envie de me mettre du côté des plus faibles.

    Cher lecteur que te dire en guise de conclusion sur ce que nous venons d’entendre sinon que le pauvre gamin en avait gros dans le cœur.

     

    Mais chemin faisant cher lecteur, il me semble que l'on comprend mieux les autres quand on se met à leur place.  C'est pourquoi je te prie de t'asseoir à côté de moi et d'écouter toi-même, les propos de grand-père.

     

    ***

    Si Dieu le veut

    -             Le Créateur créa le ciel et la terre et les..., mais personne ne nous empêche de créer notre propre vie, avait-il coutume de dire.

    Cette façon « libertaire » de parler, selon les bigotes, ne convenait pas du tout aux bonnes mœurs du village.

    -             Senhor David, ne savez-vous pas que Dieu est au-dessus de tout. Que sa volonté soit faite. Amen. Si Dieu le veut... si Dieu le veut... Senhor David ! Entendez-le bien !

    -             Mais Dieu le veut senhora Claudina. D'ailleurs pourquoi ne le voudrait-il pas ! Dieu le père a sûrement horreur que nous restions de petits enfants toute la vie !

    -             Passez une bonne journée senhora Claudina!

    -             Si Dieu le veut !... Si Dieu le veut !...

     

    ***

    Le jeu de la marelle

    Dans les yeux de chien battu de grand-père, j'ai déniché un soir d'hiver une grande tristesse. Son corps robuste semblait s'avachir sur le sol et sa crinière de vieux lion faisait profil bas. Je connaissais un remède pour remonter le moral à cette tristesse ambulante.

    -             Mais papy, qu'ai-je fais au bon Dieu pour mériter ça ?

    -             Mais de quoi parles-tu mon sauvage du Canada ?

    -             Tu ne me racontes plus d'histoire depuis deux jours.

    -             Ah justement, je me demandais, à l'instant même, si mon imagination n'était pas montée au deuxième ciel en abandonnant ci-bas, la lourdeur de mon corps. Puis après un silence il ajouta.

    -             Je me sens vieux, inutile et sans volonté.

    -             Mais papy ! Tu es aveugle ou quoi ! Tu ne remarques pas que je suis déjà assis, sur mon tabouret, dans l’expectative de ta nouvelle histoire ! Allez papio, dépêche-toi d’arriver ! Lui lançais-je avec un sourire malin pensant ainsi l’attirer vers moi. Cependant ce que je voulais pardessus tout était de le libérer des griffes de sa tristesse.

    -             J'arrive ! J'arrive Wald, dit-il en sautant à cloche-pied et faisant semblant de plaisanter du fond de la cuisine.  Si ton petit ventre peut attendre, la soupe au chou vert peut attendre aussi !

     

    Aussitôt, il arriva en sautillant sur une jambe puis sur l’autre comme un enfant dans la cour de récréation de l'école en train de jouer à la marelle. Sa tristesse s’était dissipée comme un éclair et dans le ciel bleu de ses lèvres brillait déjà un sourire de soleil jaune.

     

    ***

    Conteur et magicien ?

    Lorsque grand-père commençait à raconter une histoire, il se métamorphosait complètement.

    Il n'était pas uniquement mon papy, il devenait un acteur dans la peau de chaque personnage de son histoire. Ses yeux, son sourire ou son air sérieux devenaient ceux du protagoniste.

     A ce moment-là, je me laissais mener par le fil de lumière de son récit. Au bout de quelques secondes, je m'oubliais et étais captivé par la magie de son histoire, par la force de ses paroles, de ses gestes mimiques, de ses regards. J'étais hypnotisé par le conteur. Il n'y avait plus que lui. La réalité disparaissait.

    Chevauchant mon cheval ailé de rêve, je volais dorloté par le trot de la musique de ses paroles. Je me laissais aller, au gré de son bon vouloir, par les vallées, les collines, la cime des montagnes du royaume de son conte. Plus de souffle de vie sauf celui de la magie.

     

     

    ***

    La pêche au ropallum

    Néanmoins, cher lecteur, il n’est excessif de le répéter. Au fur et à mesure que des mois venaient s’ajouter à mon âge, tout en continuant à voyager par les chemins et les routes de Satan Lazar, plutôt pour des chèvres que pour des voitures, dans le monde des mots de grand-père, je restais de plus en plus sur mes gardes. Lorsqu'il commençait une histoire je me disais :

    -             Halte là ! Quelques instants de réflexion ! Mais où peut-il m'embarquer ?

     En apparence, je faisais semblant de tout croire. Mes yeux étaient grands ouverts, ils brillaient comme deux étoiles, mon menton reposant entre mes mains en forme du calice du drapeau galicien. Mais en même temps que ses mots étanchaient ma curiosité, une autre partie de moi restait cabrée, assise sur le petit tabouret de la méfiance.

    -              « Ni todo lo que brilla es oro » se disait le petit prince qui grandissait en moi ce qui voulait dire, tout ce qui brille n'est pas de l’or.

    -             C'est que, souvent, il ne m'emmenait pas par les chemins de l'imagination que je voulais et pensais. Il faisait une galipette avec ses mots et m’emmenait là où il le désirait. Je me demandais si son souhait n'était pas de mener par le bout du fil le petit poisson ropallum qu’il s’imaginait que j’étais.

    -             Ainsi, au début, il endossait l'uniforme du conteur d'histoires, mais après quelques tours, il enfilait son propre costume. Et voilà. Il devenait le pêcheur, et moi le pescado. C'est à dire littéralement, le poisson péché !

    -             C’est ce que je le lui laissais croire ! Ne voulant surtout pas lui faire de la peine. Cependant il lançait son fil et moi lançait le mien. Lui espérait pêcher quelque chose et moi aussi, mais moulinant à ma manière.

     

    ***

    Le vieux de la soirée

    Les villageois utilisaient les longues soirées d’hiver pour égrener le maïs. C’était loin d’être une tâche pénible, mais plutôt un moment de convivialité et de divertissement.

    En effet les villageois s’entraidaient à tour de rôle, d’abord chez l’un et après, chez l’autre. Personne n’allait dans une desfolhada, c’est-à-dire l’égrenage de maïs les mains vides. D’aucuns apportaient une calebasse de vin, d’autres des châtaignes grillées, mais tout le monde apportait des mains laborieuses et de la bonne humeur dans le cœur. C’était aussi un moment de mixture des âges. Jeunes et moins jeunes se rencontraient. Souvent des flirts se terminaient par un mariage à la Saint Antoine. Mais tout le monde, plaisantait, riait, médisait sur ses ennemis et bien sûr chantait.

    Une soirée papy fut pris d’une grande émotion qui frisait la colère. Cela n’était pas forcément dû à cause d’une gorgée de plus de cette maudite calebasse qui, de temps en temps passait de main en main libérant de plus en plus les langues. Grand-père se mit à chanter une chanson de Zeca Afonso qui, d’un humour convivial, cassait du curé. Ce thème faisait partie de la tradition populaire.

    Avec son sourire moqueur sur le coin des lèvres et l’œil en feu papy insinua, qu’un jour Jésus, excédé par l’appât du gain des riches marchands ainsi que des grands prêtres, les chassa du Temple à coups de pied, là où vous ne voudriez pas en recevoir.

     Certainement que la colère de Jésus aviva la sienne contre le curé et les richards du village. Sans demi-mesure il les dénonça.

    -             Tous, des parasites ! Des parasites fatigués à ne rien faire !

    Tout le monde acquiesça de la tête, mais ne dit rien sauf un homme trop vieux pour participer à la tâche et qui, semblait être là, uniquement pour ne pas être seul tout en bénéficiant de la bonne humeur de la soirée.

    -             Tu as raison David. Aujourd’hui je suis si vieux que même ces mains refusent de travailler. Pourtant, depuis tout gamin, j’ai travaillé comme une bête de somme et toujours pour engraisser ces parasites, comme tu dis. Mais s’il faut donner un coup de pied dans le cul de ce curé je le fais aussi avec plaisir !

    Tout le monde fut étonné du ressenti refoulé du vieux, mais on le comprenait.

    -             Ti Antonio, vous en avez gros sur la patate ! Mais tôt au tard, on va remédier à cela. Sans vengeance ti Antonio, mais en réclamant tout ce que nous es dû !

    -             Ils ont toutes les terres ! Et nous ? Même pas un trou pour y être enterrés. Comme des serfs, pour ne pas dire des esclaves, nous gagnons à la sueur de notre front leur pain ! Et qu’est-ce qui se passe pendant ce temps-là ? Eh bien ! Nous continuons à mourir de faim. Renchérit le vieux.

    -             Cela ne va plus durer ti Antonio. C’est une question de temps !

    -             Mais moi, je suis vieux et ne le verra pas, dit le pauvre homme, hors de lui. Qu’est-ce que vous voulez que cela me fasse après ! Dit-il en tentant de se lever.

     

    Le vieux devient une rivière en crue jette ses eaux tumultueuses dans la mer qui devient crispée et agitée. Un tsunami se forme en lui. Ses yeux deviennent jaunes, ses joues virent au rouge de la colère. L’on aurait dit un monstre marin qui, de rage, fauche les vies des marins, des pécheurs, détruisant tout sur son passage :

    -              Vampires ! Parasites de la société ! Je vous laisse dans vos rires et vos chansons ! Vociférait le vieux dont la force de sa colère contrastait avec la faiblesse de ses années.

     

    ***

    La Carrière des Lajes

    Il est temps que je vous dise aussi que, Grand-père était fort comme un roc de granit extrait de la carrière des Lajes de Roustina à force d’explosifs de dynamite. Mais aussi de canons d’un vin fait maison, rustique, couleur de sang de taureau, âpre et rêche, comme l’était le cœur de ma grand-mère paternelle, Isabel, le jour où elle a rembarré ma mère.

     

    Le soleil castillan et continental écrasait au sol ces pauvres exploitants de pierre os pedreiros.

    Du lever au coucher du soleil leurs mains calleuses cognaient et cognaient encore, continuellement et machinalement s’arrêtant de seulement de temps en temps pour se désaltérer. Le soleil aussi continuait de cogner de plus en plus fort au fur et à mesure qu’il montait dans le ciel. Régnait un bruit monotone à s’ennuyer à mourir et une ambiance de bagne.

    Toutes les heures environ l’on entendait des tirs à la dynamite qui secouaient comme un tremblement de terre l’enfer du village. Des lourds morceaux de pierre brute sortaient de l’enfer profond de la carrière. Mais la force et le courage des hommes donnaient à ces monstres une apparence et forme moins sauvage dans un premier temps. Ensuite les blocs de granite étaient travaillés avec un savoir- faire d’artiste. Ceux-ci leur donnaient une nouvelle peau douce, lisse et froide comme la lame de leurs couteaux qui coupaient le pain de seigle, dur de trois jours, accompagné d’un morceau de lard plus tendre. C’était là, à peu près, leur pauvre pitance de midi, sans oublier le vin rouge rustique qui faisait oublier la fatigue de longues heures laborieuses.

    Donc, du ventre du monstre des Lajes sortaient quotidiennement de jolis carrés de pierre taillée, grâce au dur labeur de ces hommes.  C’était un plaisir de voir et de toucher ce travail.

    Cependant, ces morceaux de pierre joliment travaillés servaient à construire des monuments de propagande de la dictature.

     Il fallait bien montrer à ce Zé Povinho, le peuple portugais d’en bas, que Satan Lazar, le Messie National, s’occupait avec grandeur de son avenir.

     D’autres pierres taillées étaient utilisées pour construire des statues en honneur de Notre Dame de Fatima dont le rôle, selon l’église de Satan Lazar était de protéger le village du matérialisme rouge. L’objectif de ces statues était, d’une part de montrer la grandeur et la puissance des riches et, d’autre part de raffermir la religiosité du village afin de le tenir dans le bon chemin.

    -              Il faut que ce monde athée du nord admire notre grandeur et notre foi.  Si nous ne libérons pas cette molle Europe de sa décadence, qui va le faire ! Criait à qui voulait l’entendre le père Trampoline les bras ouverts vers le ciel comme dans une prière.

     

    ***

    Les aventures de Don Quichotte

    Il y avait donc une belle statue de Notre Damme de Fatima au village. La fierté des riches du village et bien sûr du bon père Trampoline.

    Cependant au village de Roustina, il n’y avait pas de journaux et encore moins de livres.

    Mais pourquoi faire, pourquoi embarrasser ces petites maisons avec ces choses-là dont on ne voyait pas beaucoup à quoi elles pouvaient servir ? Un couteau ça servait à plein de choses, à couper le pain de seigle, à éplucher les pommes de terre, à égorger un poulet lorsqu’il y avait quelqu’un de malade. La faucille, ça servait à couper de l’herbe, du foin, mais attention, l’on pouvait aussi se couper un doigt si la main était maladroite.

    Mais un livre, un journal ne servaient absolument à rien. Bien que grand-père, mais papy faisait toujours exception à la règle, semblait attacher trop d’importance à des pages jaunâtres écrites dans une mauvaise encre qu’il dénichait on ne sait pas ni où, ni comment.  Mais moi, comme une fouine, mettais mon nez partout !

    -             Mais c'est une bénédiction de la grâce du St. Esprit, disait-il parodiant des dires flous du village en guise d’explication.

    -             Il ne faut pas me toucher à ça, disait-il avec une autorité que l’on ne lui connaissait pas et avec un zèle démesuré d'attention pour ces chiffons.

    Moi je n’y attachais pas d’importance au début. Ensuite je continuais encore à faire semblant de ne pas m’intéresser à ces papiers sales. Je me disais que mieux lire mon Don Quichotte de Miguel de Cervantes une édition enfantine qui me faisait rêver.

    Ainsi tous les soirs ou presque avant de me coucher je chevauchais mon mulet et allais rejoindre le bourricot de Sancho Panza et la Rocinante de Don Quichotte. Et à nous les galopades, les aventures dans ces terres blanches de la Manche. J’étais idéalement heureux.

     

    ***

    Welcome to April in Portugal 

    Et voilà que le mois d’Avril frappait déjà à la porte de notre jardin qui entourait la maison de papy. C’était une maison en gros morceaux taillés de granite badigeonnés à la chaux. Les fenêtres ainsi que la porte étaient peintes en bleu pour que le diable ne passe pas.

    -             Le Diable n’aime ni bleu, ni croix, prétendait ma grand-mère paternelle, bien que méchante comme la gale, ele était dévote comme grenouille de bénitier.

    De la salle, la pièce principale de la maison, l’on voyait au loin la cime des collines se draper de robes aux couleurs vives. Le soleil d’avril, comme jeune-homme plein d’empathie pour les jeunes filles, caressait avec tendresse les visages frais des coquelicots, des marguerites et des giroflées.

    -             Oh, welcome to April in Portugal. Oh, my sweet, do you remember the last year!  I love you so much ! murmuraient dans un sourire délavé des touristes anglais bien rangés dans leur mini Austin ressemblant à des boîtes d'allumettes sur une route blanche rêvant d’un vrai manteau noir.

    Pourtant, chaque jour davantage, sur la routes en « S », one more curb, Yes Sir, vrombissaient les chevaux mécaniques avec des « GB » des « F » des « D » collés au popotin. Ils arrivaient d’une autre Europe molle, perdue, adonnée au péché de la mini-jupe et de chevelus mal fagotés et mal rasés.

    -             Aucune tenue ! Oh ! Toilette douteuse. Mais n’ont-ils pas d’eau ces français !

    -             Mais qu’avons-nous à envier à ces barbares nordiques en culotte courte, tortillant leur petit cul blanc dans de grosses bagnoles rougeâtres dont la couleur pactise avec le diable et le matérialisme athéiste des cocos de l’est, se demandaient les gens bien.

    Et maintenant, comme une plaie de sauterelles, ils arrivent avec leurs gambettes délavées d’une blancheur triste à voir. Ô Notre Dame de Fatima ! Veuille bien les pardonner, pouvait-on entendre à la sortie de la messe dominicale.

    -             Mais c’est qu’ils arrivent nombreux en file indienne et parfois, on dirait presque, en bandes organisées ! Ô ! Seigneur ! Si on les laisse faire, ces barbares décadents vont mettre en danger notre quiétude de trente ans de paix et de savoir vivre.  Une femme habillée en noir, de la tête aux pieds, s’insurge :

    -             Pauvres, nous le sommes, mais dignes Monsieur le curé ! Puis une autre femme ronde comme un tonneau presque sans jambes faisant le signe de croix lance un appel :

    -             Ô Satanlazar, dis-leur que dans ce jardin au bord de la mer planté, qui est notre beau Portugal, se vénère avec dévotion la foi de l’occident chrétien depuis des siècles ! Merci à toi mon Dieu ! Ô notre Dame de Fatima, Reine du Portugal, reviens jusqu’à nous, bénis notre curé, notre évêque, nos gouvernants et notre guide suprême, le plus grand homme de tous les temps.

     

    ***

    La Raya ou A Raia

    Attesté par un certificat de naissance de la mairie de Soutugal, jauni par le passage du temps, il est dit que grand-père naquit le 24 avril de 1884 à Roustina, village d’environ 500 âmes faisant partie des terres de Ribacoa. C’est-à-dire la Raia. Cette région frontalière est une frange de collines, parfois d’une certaine hauteur, assemblées en patchwork avec de fertiles vallées au long du fleuve Coa et de ses affluents.

    Des découvertes de peintures rupestres de grande importance à Foz Coa prouvent que cette région a été peuplée depuis la préhistoire, bien avant les Ibères, les celtes, les romains, les Suèves, les Wisigoths et autres peuples.

     

    A Raia, en portugais et en espagnol La Raya est donc une zone significative luso-espagnole à la personnalité paisiblement affirmée. Hier, elle était loin du train à vapeur de Lisbonne-Madrid, et dans ces années 1950/60 elle continue d’être proche d’elle-même.

    Le traité bilatéral de 1297, dit de « Alcañices » entre le royaume de Castille et du Portugal, attribuait à ce dernier les terres de Ribacoa qui correspondent grosso modo à la Raya. Cet acte faisait de la frontière entre les deux pays la plus ancienne d’Europe. Bien que globalement en territoire portugais A Raia continue d’avoir une personnalité forte avec un parler, un accent, une tradition et des us et coutumes qui lui sont propres.

    Papy était donc portugais et tout autant castillan, mais avant tout il était un frontalier ce dont il se sentait très fier !

     La Castille a fédérée a elle tous les peuples de la péninsule Ibérique, sauf le Portugal qui s’en éloigna en 1143, formant à partir de 1492 l’Espagne actuelle dont la langue officielle la plus parlée est le castillan, plus connu sous le nom d’espagnol.

     

    ***

    Des voleurs et des escrocs

    Papy était méfiant comme un frontalier et malin comme un contrebandier. Il se méfiait des descriptions des livres de géographie et surtout des narrations de ceux d’histoire. Et par-dessus tout, il ne faisait aucune confiance à ces fonctionnaires hypocrites de Lisbonne et de Soutugal.

    -             Ils font tous partie du parti des voleurs et des escrocs, vociférait-il en crachant par terre.

    Grand-père exprimait souvent d’un air ironique, le doute qu’il avait sur ce qui était écrit dans les livres, les courriers officiels provenant de Lisbonne ou Soutugal. Pour papy, comme pour la majorité des villageois, leur contenu avait comme seul objectif de les manipuler et de leur extirper de l’argent ou toute autre chose.

    Jamais d’aide sociale ou autre parvenait aux villageois. En revanche les intimations de payer pour l’Etat Nouveau était monnaie courante.

    Ainsi le village avait appris petit à petit depuis 1932 que les temps étaient durs pour tous, mais surtout pour ceux qui se montraient frileux à l’égard du dieu suprême Satan Lazar.

     C’est ainsi que le village se vit obligé malgré lui de construire un mur invisible mais réel pour se protéger de tout ce qui venait de l’extérieur. En même temps le village de Roustina, mais aussi tout cet autre grand village, qui était le Portugal de la campagne, élabora des règles qui s’appuyaient sur les us et coutumes de la tradition populaire :

     

     

    Le mois de mars boit

    Du porto et du martini

    Le matin c’est encore l’hiver

     Mais l’été est dans l’après-midi !

    ***

    - De Lisbonne

    Pas de santé, pas de liberté,

    Pas de pain, pas d’éducation

    Aucune chose bonne

     

    ***

    -De Castille n’arrive pas de bon vent

    Ni de bon orage

    Et encore moins de bon mariage !

     

    ***

    Néanmoins la règle commune aussi bien à papy qu’aux autres villageois était celle-ci :

    L’histoire de la Raya dit

    Ce sont les gens de chez nous

    Qui commandent ici !

     

    ***

    Mais après ce détour, non pas sur l’histoire des dates, des batailles, de la vie des rois, mais sur cette autre histoire d’adages, basée dans la tradition et le savoir populaire, le narrateur voudrait attirer l’attention du lecteur sur une période importante de l’histoire officielle de la Lusitanie.

    Selon certains, ce fut un drame tragique, mais selon d'autres, ce fut un événement glorieux. A toi lecteur de savoir de quel côté penche ton cœur.

    Prends donc tes chaussures de sport pour faire un petit footing et ensuite saute à pieds joints sur le prochain chapitre.

     

    ***

    La Monarchie de Lisbonne

    Un rire malin dans le coin de l’œil, un air de vieux sage dans le regard, grand-père semble savoir les tenants et aboutissants de l'histoire des Alcôves de la vieille Lisbonne.

    Selon papy, à cause d’une crise politique, économique, sociale qui ne trouvait pas de solution, le roi Dom Carlos, un chaud lapin, fut assassiné, ainsi que le prince héritier Dom Luis, le 1er février 1908 à Lisbonne.

    Deux années plus tard, le 5 octobre 1910 la République Portugaise était instaurée dans la joie. Beaucoup de réformes et des changements importants ont eu lieu : changement de drapeau, de monnaie, d’hymne national et réforme de l’orthographe de la langue portugaise. Le peuple pensait qu’avec tous ces changements l’avenir serait meilleur.

    Certains écrits épiques sur la maison royale de Bragance prétendent que Dom Carlos a été un roi éclairé, un poète, un peintre et un philosophe.

     Cependant grand-père, qui le servit, disait à demi-mot, ainsi que d’autres mauvaises langues populaires, que ce roi était un grand et particulier coureur de jupons.

    Mais lecteur ami laissons parler grand-père à sa manière tout en nous faisant notre propre idée :

    -             Il les courrait et en achetait même, de toutes les couleurs, de toutes les tailles et de toutes les rondeurs. Cependant aucun jupon ne pouvait couvrir son volumineux postérieur, tellement il était disproportionné ! C'est qu'il mangeait pour deux. Il mangeait ce qui était à lui et surtout ce qui appartenait au peuple. Ainsi ce roi usurpateur grossissait, grossissait comme un porc-tout-gai pendant que son peuple tout triste maigrissait à vue d’œil. Le Portugal, ne pouvant plus supporter ce Gargantua couronné, finit par le remplacer par une femme :

    -              La République ! Vive la République ! Criait grand-père tout en poursuivant :

    -             D’autre part, cette histoire d'alcôves comptait avec un autre personnage royal, sa majesté Donna Amélie d’Orléans reine du Portugal. Elle avait grand plaisir à montrer ses robes, mais ses visiteurs ne regardaient que sa jolie couronne décorée de bois de biche. Parfois, elle se montrait aigre comme un citron vert. C'est qu'elle n'était que la roue de secours du carrosse de son royal mari. Elle n’était là qu’en dépannage.

    Papy mi souriant, mi sérieux et d’un ton burlesque rajouta :

    -             Le reste du temps, notre gaillard, le roi, mangeait, bouffait, avalait comme un ogre. Il sautait sur les jupes avec la même ardeur que les souris se jettent sur le camembert.

    Ainsi ce roi, dévoué aux jupons de son peuple, consacrait sa plus grande énergie à ce qu'il croyait être son devoir :

    -             Je sais que je ne peux pas besogner toutes les courtisanes des cours d'Europe, mais je vais m'y efforcer !

    Papi s’assit sur une vieille chaise en bois et fait semblant de se pommader tout en se faisant passer par une cocotte dévote :

    -             Pendant ce temps Donna Amélia pour échapper à la solitude du palais de São Bento s’en allait à la messe de 11 heures au Monastère dos Jeronimos situé dans le quartier de Belém.

    A 17h elle invitait les dames de bonne naissance à prendre une tasse de thé et les délicieux pastéis de Belém. Elle se permettait même de plaisanter avec humour des inconvenances de son respectueux époux :

    -             Sa majesté emprunte la voie royale, courtise en grand tombeur de dames sans cœur ni âme.

    De son côté le Zè Povinho plaisantait dans un langage moins châtié à la sortie des tavernes :

    -             Notre roi, parfois chien de la Serra da Estrela en chaleur, fausse compagnie à son troupeau, et d’autres fois il danse avec les louves. Affamé !

    Il parcourt des chemins cahoteux, remplis de nids de poules qu’il hypnotise aussitôt avec ses yeux de renard.

    Infatigable, le roi fait la chasse à courre. Il court comme un lévrier par toutes ces routes à peine asphaltées, tristes et noires, mais toujours avec de grosses cuisses féminines serpentant dans le royaume de ses songes, comme dans un miroir. Un plumeau blanc et bleu fièrement arboré sur son flamboyant chapeau en guise de couronne sur la tête.  Sa majesté s’esclaffait de rire :

    -              Il faut montrer à ces vaches qui est leur taureau !

    Et notre bon roi se vautrait au fond du lit, ronflant comme un cochon blanc qui venait de se gaver de glands. C’était un régal de le voir gloutonner ces jeunes glands aux yeux couleur noisette et aux cheveux couleur de fougères au mois de septembre.

    Papy semblait fatigué. Il se leva de sa vieille chaise en silence, mais avant de se retirer dans sa chambre, il conclut :

    -              C’était ça la Monarchie de Lisbonne !

     

    ***

    Les conquêtes infidèles

    Mais grand-père voulait aussi attirer l’attention de son petit Wald sur la réalité d’autres conquêtes, celles contre les infidèles des pères de notre bon roi Dom Carlos.

    -               Après leurs coups, leurs vaillantes majestés enfilaient leurs côtes de mailles, se croyant être saint Jacques de Compostelle, le tueur de maures, sur son cheval blanc.

    En effet, les très catholiques rois prenaient une attitude noble, une posture d’acier, un air hautain et épée à la main, ils coupaient des bras, poignardaient des cœurs, tranchaient des têtes aux infidèles, ainsi nommaient-ils les musulmans, faisant couler des rivières de sang tout au long de ce rectangle nouvellement portugais de plus de 700 km du nord au sud.

    Ô ! Que tout cela fut si grand, si glorieux ! Ô ! Vaillants Conquérants ! Vos jolis faits seront chantés, noir sur blanc et bien gravés dans la mémoire collective de tous les bons enfants.

    Quelque peu indigné, grand-père ajoutait :

    -             Oui, de la gloire, quelle gloire, mais écrite avec notre sang.

    -             Mais est-ce que papy dit-il vrai pour autant ! Se demande Wald de plus en plus méfiant.

     

    ***

    Ce qui était vrai, cher lecteur, c'est qu'après toutes ces conquêtes du nord au  sud, et jusqu’à l’extrême sud du Portugal, ces rois avides d’agrandir leur propriété domaniale et posséder de plus en plus de sujets à leur service se sont demandés  s’ils devaient comme des bons catholiques continuer à accaparer des terres  appartenant dans le nord d’Afrique à ces  infidèles mahométans  et ensuite à ces païens d’Afrique , d’Asie et d’Amérique dont on se demanda pendant un temps s’ils étaient des hommes et dans ce cas s’ils avaient une âme.

    N’ayant pas de réponse immédiate à un si grand problème théologique

    il valait mieux en attendant de les traiter comme des animaux et de les convertir de gré ou de force à notre religion catholique de paix et d’amour du prochain, car en cas de mort, ces pièces couleur d’ébène ou  rouge périraient pour l’éternité dans les flammes de l’enfer.

    -             Papy de quel enfer s’agit-il, de celui où ils vivaient ou celui où ils iraient après leur mort ?

    -             Mais Wald, tu crois que papy a toutes les réponses et toutes les vérités dans sa poche ! Tiens, elle est trouée et ce pantalon aussi ! Et je ne sais pas si tu le sais, mais les tiroirs sont vides ! Qu’est-ce que tu crois !

     

    ***

    Plutôt Salomon que David

    Après ce récit, après ces mots, comme si toutes ces images défilaient en flash-back dans sa mémoire, papy marqua un temps de silence, mais vacillant entre, en avoir trop dit ou pas assez, il se tourna vers Wald et lui dit en riant avec une pointe d’humour :

    -             Notre bon roi, Dom Carlos, comme lecteur dévoué de la Bible, voulut plutôt imiter et suivre la pensée de Salomon. C'est que, selon les dires de certains, en son temps, le roi Salomon avait agrandi davantage le territoire d’Israël au lit que le roi David sur les champs de bataille !

    A ce moment du récit papy regarda Wald dans les yeux, lui dit les bras ballants et un regard plus triste que d’habitude.

    -             Un roi peut nourrir de grands rêves, car il a tout un peuple pour le servir, tandis que le peuple individuellement a beaucoup de bouches à nourrir. Le premier peut se gargariser d’une vie d’opulence au grand jour, tandis que le second doit se contenter de survivre chaque jour.

    .

     

    ***

    Cher lecteur, depuis quelques temps déjà tu m’accompagnes ligne après ligne. Tu sembles écouter, comme cet enfant qui était Wald, toutes ces histoires. Sais-tu que grand-père lorsqu’il commençait à parler, devenait comme ce moulin à eau du village : tant qu'il y avait du courant dans le Côa, personne ne parvenait à l'arrêter. Et Wald, tant qu’il y avait de l’eau dans la cruche de son papy, il ne s’arrêtait pas de boire de son eau, car il était assoiffé de conquérir ce vaste monde merveilleux de l'oralité.

    Mais parfois Wald ne savait pas, il se demandait, se posait des questions. Un jour, il demanda à son papy à brûle pourpoint :

     

    -             Grand-père, tes petits mensonges sont-ils vrais ?

    -             Et d’un rire moqueur et sérieux de comédien, il lui répondit en anglais :

    -             Look at me. I’m the captain et il ajouta ensuite en portugais :

    -             Não ! C’est un non qui voulait plutôt dire oui !  Et il poursuivit en faisant un jeu de mots :

    -             Est-ce que je m’appelle David Mendes Pinto ? Puis papy cherchant du regard les yeux de Wald :

     

    -             C’est une vieille histoire mon Wald, dit papy. Tends l’oreille et écoute donc avec attention.

    -             Mais papy, ne suis-je pas ton élève, ton petit-fils le plus attentif à tous les récits de ta bible orale.

    -             Mais je n’ai pas de bible, je ne suis pas non plus une bible !

    -             Mais si, papy ! Mais si, mon papy ! Puis continuant dans un ton rieur :

    -              Mais je sais que tu n’es pas l’autre, La Bible Ancienne, celle qui Claudina dit être celle des juifs.

    A ce sujet papy tout le monde sait que ses auteurs ont rassemblé des traditions orales éparses, des évènements historiques, des témoignages de vie quotidienne puisés dans les civilisations de l’Orient ancien. L’objectif était de donner aux Hébreux du VIème siècle AJC, dispersés lors de l’exode vers la Babylone, une histoire commune de rassemblement et d’espoir dans l’avenir.

     De leurs rêves les Juifs ont créé une réalité sublime et glorieuse qui les place au centre du monde. Ainsi leur défaite devient une victoire. De peuple dispersé il devient le peuple choisi. De leur territoire perdu ils font une terre promise de lait et miel.

     Ne me dis-tu pas papy que croire c’est pouvoir. Je crois que tu es un peu juif, mon papy, dit Wald en éclatant de rire. 

    -             Je crois bien ! Mais comment tu sais tout cela Wald, demande papy étonné. Parfois tu parles comme un adulte mon petit lapin.

    -             Papy, tu as oublié mes titres de sang bleu « mon petit Lapin Blanc et Noir » Oublies-tu mes origines européennes et africaines ? N’oublie pas que je suis aussi angolais ! Rit ironique Wald puis d’un air sérieux. Mais à la catéchèse …

    -             A la catéchèse ! Ne te moque pas de moi Wald. Ce que tu peux être farceur et moqueur !

    -             J’ai de qui tenir, répond Wald fixant les yeux de son papy avec tendresse. Puis il ajouta aussitôt :

    -             Non ! C’est ma tatie Rachel que tu sembles bien … !

    -             Mais que me dis-tu là Wald. La catéchèse te fait dessécher la cervelle comme les romans de chevalerie à Don Quichotte ! Mais Wald ! Sœur Rachel, la religieuse, n’est pas ta tante !

    -             Ah ! Pourtant je croyais que … Wald voulait dire que papy avait là l’opportunité de lui dire davantage sur sa Rachel. Puis Wald  poursuivi ouvrant son cœur.

    -             Tu ne connais rien et tu comprends encore moins ! Ce que tu peux être bête, mon papy adoré ! Puisqu’elle est d’accord ! Pourquoi ne serait-elle pas ma tatie. Elle est même plus que ça ! Veux-tu que je te dise ! J’ai perdu mon père et ma mère, mais celle-ci je l’ai retrouvée en la personne de ma Tatie ! Elle y consent et moi aussi ! Je l’aime ma tatie, tu sais. Mais pourquoi je te le dis ? Allez, ne sois pas jaloux !  Ecoute papy ! Ma tatie est une religieuse. Ne l’oublie pas !  Elle m’a dit un jour :

    -             La Bible est le best-seller de l’Histoire. C’est un ouvrage de plus de 2000 pages qui a au moins 2600 ans. C’est un livre magnifique, une œuvre littéraire de faits dramatiques, romantiques, tragiques, épiques d’amour, de paix, de guerres, de vengeances, de pardons et d’espoir. Mais un ouvrage qu’il faut savoir comprendre et lire entre les lignes. Tout le monde devrait lire la bible pour éviter toute extrapolation et manipulation mon Wald. C’est ce que tatie Rachel m’a dit un jour d’un air sérieux, mais aussi de larmes souriantes descendant dans son beau et doux visage.

    -             Papy, j’aime beaucoup tatie Rachel, je l’aime comme ma mère. Elle m’enseigne beaucoup de choses. Papy, elle est douce comme une fleur de lys !

    -             Donc avec moi tu n’apprends rien Wald ? Demanda papy jaloux comme un tigre.

    -             Bien sûr que si ! Mais tu le sais très bien ! Viens ici que je te fasse un petit bisou, mon petit tigre mal léché !

    -             Mais enfin papy ! Ne t’ai pas déjà dit plusieurs fois que tu es mon père deux fois ! Dois-je te le répéter chaque jour ? Si tu me laissais poursuivre Papy !

    -             Mais vas-y. Je t’écoute comme tu m’as toujours écouté. Mais ce que les gamins de maintenant peuvent savoir. De mon temps…

    -             Arrête papy avec tes prières et litanies en honneur de Sainte Rita ! Ecoute donc et pour une fois, sois croyant dans ce que je te dis :

    -             Tatie prétend que les auteurs de la Bible Hébraïque, ont puisé les plus belles histoires dans les vieux mythes mésopotamiens, assyriens, chaldéens etc. La sagesse que l’on trouve dans la Bible Ancienne provient de la civilisation égyptienne. D’autre part, l’essentiel des lois de la bible hébraïque, que l’on nomme aussi Ancien Testament, a été emprunté au code juridique babylonien. De sorte que, papy, ses grands auteurs ont su créer cette œuvre littéraire magnifique qui est la bible en s’inspirant de ces glorieuses cultures orientales. Dans cet ouvrage le monde temporel est si joliment glorifié qu’il deviendra intemporel pour la postérité.

    -             Mais que dis-tu là Wald ! La bible est une création divine ! Lance papy l’œil vif, en guise de ballon d’essai pour sonder Wald.

    -             Mais papy, tu n’as pas compris ce que je viens de te dire ou quoi ? Ecoute papy ce que je te dis ne viens pas de moi, mais de tatie Rachel !

    -             Tu ne lui fais plus confiance ?

    -             Mais poursuis donc Wald je suis curieux de savoir.

    -             Je te rappelle au cas où tu l’aies oublié qu’elle est religieuse et connait tout cela sur la pointe de la langue ! Tu ne me crois pas, n’est-ce pas ?

    -             Mais si ! Mais si !  Réponds papy avec un visage de peu d’amis, puis haussant légèrement la voix :

    -             Et la violence, l’autoritarisme, la vengeance, les assassinats, les meurtres, les rivières de sang, les guerres de l’Ancien Testament d’où viennent-ils, Monsieur sait tout ?

    -             Mais papy, je ne suis qu’un enfant, puis lui retournant la question. Tu n’as qu’à chercher la réponse à ta question ! Maîtresse nous dit tout le temps qu’il ne faut pas se contenter de ce que l’on nous enseigne, mais qu’il faut que chacun cherche à savoir par soi-même ! Alors au boulot papy ! Tu es en retraite ! Tu as le temps !

    -             Mais Wald ! Tu es méchant comme Caïn qui tua Abel. Tu sembles furieux comme Dieu lorsqu’il fit disparaitre tous les hommes de la surface de la terre lors du déluge, sauf Noé et sa femme et bien sûr un couple de chaque race des animaux. Puis, montant à nouveau la voix.

    -             C’est incroyable Wald ! Tu parles comme si tu ne savais pas que dans cette péninsule Ibérique de dictateurs, aussi bien en Espagne qu’au Portugal, il n’y a ni retraite, ni aucune protection sociale. Ici aucune solidarité chrétienne. C’est chacun pour soi et Dieu pour tous !

    -             D’accord papy.  Mais tu te fâches pour un rien. Pas exactement. J’ai remarqué que le simple nom de Santanlazar te fait bondir comme une balle. Tu sais papy depuis longtemps déjà je regarde les gens vivre autour de nous. Je crains te décevoir en te disant qu’une bonne partie du village pense à son estomac et c’est tout. Mon papy il se peut même qu’un jour dans quelques bonnes années la majorité de ces gens voudra oublier tout cela ! Oublier ! Oublier ! Tu comprends !

    -             Ce que tu peux être pessimiste Wald. Tu parles comme un vieux déjà sans espoir ! Dire cela à ton âge. Tu me déçois Wald.

    -             C’est peut-être à cause de ce que j’ai vu en Angola. La mort de maman et papa court dans ma tête, même quand je ne veux pas y penser. Se grattant la tête et faisant semblant de se rappeler que quelque chose avait été oubliée.

    -              Mais papy ! Tu ne devais pas me raconter l’histoire de ton Fernando Mendes Pinto ? Si tu savais comme j’aime tes histoires mon papy. Tu ne vas quand même te faire prier encore.

    -             Mais on ne peut rien vous refuser mon cher Monsieur !

    -             Je t’aime mon petit papillot ! Tu sais que tu es mon papa deux fois ! Dois-je encore te le répéter une troisième fois !

    -             Mais oui ! Mais oui ! Mon malin petit lapin !

     

    ***

    Enfin arrive l’histoire de Fernando Mendes Pinto

    -             Comme je te disais plus haut, dit grand-père se grattant la gorge et reprenant le fil de sa narration, Fernando Mendes Pinto, dont l'ancienne orthographe était Fernam Mendez Pinto fut un écrivain aventurier et explorateur portugais du XVIème siècle. Tour à tour, il a été trafiquant, naufragé, pirate, mercenaire à la solde des gouvernants locaux, esclave, négociant aisé, ambassadeur. Il connaîtra l'Abyssinie, l'Arabie, l'Inde, Malacca, Sumatra, Java, l'actuelle Birmanie, le Siam, le Tonkin, la Chine et le Japon.

    Eh ! Bien, ce Fernando Mendes Pinto a écrit un livre intitulé “Pérégrination”. Il y raconte ses aventures et tout ce qu'il vécut pendant ses voyages à travers ce vaste monde inconnu de l'Asie. Dans un extrait de son célèbre livre de voyages il prétend que :

                           « … pour tout écrire il faudrait que la mer fût de l’encre et le ciel du papier ».

    -             Ouah ! Ouha ! Quelle belle image, crie Wald. Je suis déjà un grand admirateur de ton Fernando ! Continue papy ! Continue, j’ai envie de savoir !

    -             Attends Wald. Ne t’emballe pas trop vite ! Ses dires semblaient tellement incroyables aux européens de l'époque que quelques personnes doutaient de la véracité de ses écrits et lui demandaient avec humour :

    -              Fernando, tu mentes ? (Mendes) A quoi il paraît qu’il répondait :

    -             Minto (Pinto)”

    Ce qui voulait dire :

    Fernand est-ce que tu mens (Mendes)

    Fernand : je mens (Pinto) »

    Wald, voici le présent de L’indicatif du verbe « mentir » en portugais : « Eu m(P)into », je mens ; « tu men(d)tes », tu mens…

    -             Je sais Papy !  Mais tu crois que je ne connais pas mes conjugaisons du présent. Je peux même te conjuguer l’infinitif personnel si tu veux ?

    -             Non ! S’il te plait Wald, sois modeste ! Mais comme tu vois Wald, c'est un jeu de mots utilisant le présent de l'indicatif qui consiste à changer la lettre « p » par « m » dans le nom » Pinto et la lettre « d » par « t » dans le nom « Mendes ».

    -             J’ai compris papy ! Donc, selon une certaine tradition populaire, les « Mendes Pinto » ce sont des farfelus et des menteurs. N’est-ce pas papy ?

    -             Tout-à-fait Wald ! Et ne me regarde pas avec ces yeux inquisiteurs et moqueurs que je dévisage en toi comme un lever du soleil au-dessus de la serra de Malcata !

    -             Allez papy ! Arrête de ronchonner ! Je sais ce que tu veux ! Le voici mon petit bisou ! Là ! Là !

    -             Ce que tu peux être casse pieds ! Tu en rajoutes toujours ! Sourit grand-père et mentant comme Fernando Mendes Pinto.

     

    ***

    Blanc ou noir ou plutôt gris

    Grand-père, le berger de toutes ces histoires prétendait qu'il n'était pas un Mendes Pinto. Cela ne l’empêchait pas d’voir froid aux yeux et prétende que l'être humain ment environ toutes les quinze minutes et en premier lieu, à lui-même. 

     Wald se demandait de plus en plus souvent, au fur et à mesure que son âge avançait, mais sans tirer de conclusion définitive, si finalement il n’y avait pas autant de types de mensonges qu’il y a de vérités. Dernièrement il avait même tendance à croire qu’il n’y a pas une seule vérité ou un seul mensonge, mais plusieurs. Aujourd’hui les choses nous paraissent être de couleur noire. Pourtant hier nous les voyions toutes blanches, mais au bout du compte le monde n’est-il pas le mélange des deux, c’est-à-dire gris ?

             

    Et toi mon ami lecteur quel personnage es-tu, avec toi, avec moi. Serais-tu un Mendes Pinto, toutes les quinze minutes ou toutes les heures ? Es-tu blanc, noir ou gris ?

    -Tu fais comme tu peux. C'est ce que tu as dit ? Mais parle plus fort non d'une pipe à tabac ! Oui, continue à chercher ta couleur.

     

    Ce qui était vrai, c’est que papy pensait que les petits mensonges étaient utiles dans la vie. Tandis que chez le petit Wald s’éveillait peu à peu un certain plaisir dans la quête de dévoilement des vérités et des petits mensonges de son papy. Wald aimait aussi chez son grand-père cette capacité qu’il avait de jouer différents rôles et en particulier celui de conteur.

    En effet il avait à peine terminé l’histoire de Fernando Mendes Pinto qu’il sauta déjà sur un autre évènement.

    Mais cette fois-ci c’était sur un fait tragique de l’histoire du Portugal :

     

    Le Régicide de Dom Carlos.

    C’est avec une tête d’enterrement que papy abordait ce triste épisode.

    -             Ce masque de tristesse qui couvrait son visage était-il l’image d’une douleur noire, de pleurs dans son cœur où tout simplement un masque du carnaval celte Os Caretes de Podence de Tràs-Os-Montes ?  Se demande Wald méfiant. Puis il ajouta, le mieux c’est de prendre le petit tabouret en pin et sagement écouter.

    -             Malheureusement ! Malheureusement ! Papy semblait triste comme les pierres couleur ocre dans le désert du Néguev sous le soleil. Comme cherchant une inspiration dans le ciel nuageux de la monarchie il se décida à avancer dans son récit.

    -             Par malheur sa majesté ne put continuer sa politique de jambes en l'air comme Salomon. En effet, des balles républicaines fauchèrent sa vie et mirent fin à sa dure tâche royale ainsi qu’à celle de sa proche descendance.

     Il semblait que dans les lèvres de grand-père se dessina à ce moment-là une éclaircie qui se faisait prier. Finalement il poursuivit d’une manière plus naturelle et avec moins de parcimonies.

    -             Ce qui devait arriver, arriva Wald !  En ce dimanche du 1er février 1908 rentrant de son palais de Vila Viçosa, Dom Carlos était assis comme Dieu le père dans son carrosse décapotable. Sa majesté gesticulait avec grâce, en bras de chemise blanche, faisant des gestes paternalistes vers le Zé-Povinho. Une bénédiction royale se déroulait du côté d’Alcantara et une autre du côté de la Mouraria. Tout d’un coup le soleil, déjà endormi, raviva sa lumière. Venues de nulle part, l’on vit jaillir deux taches noires fonçant comme un éclair sur cet arbre vermoulu drapé de blanc, poum ! poum ! Tatapoum ! Éclate un feu d’artifice laissant tomber en forme de palmier une lumière tirant sur le vert et un jaune tâché d’un rouge couleur de sang.

    -             Le roi venait de mourir Wald !  Mais écoute ! Ce sont peut-être, les anges du ciel en train de pleurer :

     

    « Le Régicide Royal »

    Dimanche 1er février 1908

    Régicide Royal

    Faucille du palais de Lisbonne

    Cœur, corps, âme d’une vie si bonne !

    De Dom Carlos roi du Portugal

    Oh sang ! Oh sang du cœur !

    Tu es acteur de la douleur

    Mais aussi sanglot,

    Triste Sanglotement,

    Vain défoulement,

    Vengeance en boomerang

    N’es-tu qu’historique passion ?

     

    Oh Histoire faite de sang

    Dans le crépuscule noir

    Réalité ou rêve dans le vent

    D’espérance nourrie de tragique espoir !

     

    Louis XVI de France,

    Nicolas II de Russie,

    Maintenant Dom Carlos de Lusitanie !

    Mais pourquoi nom de Dié

    Pourquoi autant de sang

    Bon sang ou mal sang ?

    Pour un aléatoire changement.

    Mais pourquoi ô Histoire

    Tu fais de la mort la vie

    Puis une vie de sang

    Pourquoi tu lèves si haut

    Tous ces drapeaux

    Avant blancs et maintenant

    Verts bleus jaunes …

     Mais toujours rouges

    Symbolisant une vie

    De misère, d’injustice, de lutte

    Au prix de notre sang

    Pourquoi ô être inhumain.

    Pourquoi autant

    De tragiques folies ?

    Mais Wald ! Mon Wald

    C’est qu’à la fin

    L’homme, la femme, l’enfant

    Toujours pas des êtres humains.

    Avec un visage maintenant clair comme un ciel sans nuages grand-père sentencia :

    -              Après la douceur du train de vie du passé, après la fraîcheur bienfaisante du palais Royal de Villa Viçosa, la monarchie d’espoirs perdus, d’orgies infinies rendait au diable son corps mal élevé, son cœur impudent, son âme infâme.

    Le moins contrarié du monde papy et comme célébrant une grande victoire il cria :

    -             Le roi est mort ! Vive la République ! Vive la République Portugaise ! 

     

    ***

    Mercredi 5 octobre 1910

    -             Halte là ! Pas si vite papy ! Dit Wald nuançant l’enthousiasme de son grand-père.

    -             Que veux-tu encore insinuer, mon contestataire monarchiste ?

    -             Eh ! Toi papy, le républicain ! C’est qu’en vérité, ta république n’est arrivée que deux ans plus tard ! Es-tu trop pressé de voir arriver la république ou es-tu en train de perdre ta ciboulette ? Ajouta Wald taquin.

    -             Vas-tu respecter cette colline touffue, même si elle blanchit à la vue de tes beaux yeux malins ! Lui rétorque grand-père sur le même ton.

    Avec la mort du roi, Dom Carlos, mais aussi du prince héritier, Dom Felipe la couronne fut attribuée au deuxième enfant Dom Manuel II. C’est vrai que pendant deux ans et demi la calèche royale fit tout son possible, pour chercher sa bonne voie.  Cependant, les chemins étaient sombres, sinueux et dans un si mauvais état que, la monarchie fit une sortie en tête à queue et dut finir sa vie en exil.

    Et voilà ! Le 5 octobre 1910 arriva triomphal ! Les portes de la ville de Lisbonne, fondée par Ulysse, s’ouvraient sur la Nouvelle Avenue de la Liberté.

    Mademoiselle La République arriva triomphale, suivant la française Marianne. Elle était tout sourire au vent, toute de vert et rouge vêtue avec une sphère armillaire jaune en son milieu. Le soleil, couleur vermeil, brilla en cette belle journée. C'était déjà l’automne.

    Sur le Terreiro do Paço de Lisbonne, une foule de milliers d’hommes, autant de femmes et plus encore d'enfants, chanta sa joie, ayant pour demain des rêves teintés du vert de l’espérance. Du Bairro alto, d'Alfama, de la rue de l'Argent, de la Rue de l'Or, de la rue du Zè-Povinho, la foule, variée et nombreuse, entonna un nouveau chant à la gloire d'un nouveau peuple :

     

    La Portugaise.

    Héros de la mer, noble peuple,
    Nation vaillante, immortelle,
    Relevez aujourd'hui de nouveau
    La splendeur du Portugal !
    Entre les brumes de la mémoire,
    Ô Patrie, on entend la voix
    De tes illustres aïeux,
    Qui te guidera vers la victoire !

    Aux armes, aux armes !
    Sur terre, sur mer,
    Aux armes, aux armes !
    Pour la patrie, il faut lutter !
    Contre les canons marcher…

     

    La foule de plus en plus joyeuse arrivait de toutes les rues, débouchant comme des ruisseaux en crue dans le grand fleuve de l'Avenue de la Liberté. Mais ce fleuve ne débouchait pas dans la mer de Paille, comme le Tage, mais dans une mer de  de fanions, de drapeaux rouges, verts, jaunes  aux nouvelles couleurs nationales se dirigeant vers le Terreiro do Paço , la place principale de Lisbonne .

    Une foule plus importante que les lieux pouvaient en contenir scandait ensemble, en harmonie, animée par un infini espoir :

     

    -             Liberté ! Fraternité ! Egalité !

    Du Pain ! Santé ! Education !

    Ô Peuple Portugais

    Pour le bien de la nation !

     

    Pendant ce temps, grand-père jeune soldat, seul et ému, un peu inquiet, mais confiant, arpentait du haut de ses 20 ans, le sourire aux lèvres, les rues du haut Lisbonne pour prévenir en cas de danger à tout instant.

    Cependant, une vingtaine d'années après, en ce 28 mai 1926, grand-père, faisait déjà sa lessive dans le fleuve des déceptions et des illusions perdues.

    En effet, toutes ces eaux impétueuses et blanches de naïveté vont déboucher dans une mer noire aux eaux glauques qui dura longtemps, très longtemps. Mais le Portugal pouvait s’enorgueillir d’avoir à sa tête le plus grand chef, le plus grand homme d’état de tous les temps : du passé du présent et même du futur !

     Cette mer devint peu à peu une mare d’eaux stagnantes au-dessus desquelles soufflèrent des tempêtes d’autoritarisme aveugle, d’intolérance divine, d’un bruit de bottes, d’un nationalisme de village ne voyant plus loin que son nez.

    Et si par malheur, une tête osait se lever légèrement au-dessus du niveau de ces eaux elle serait emportée par le drame aux genres multiples : Péniche, Tarrafal, Aljube, Machava, Caxias, Antonio Maria Cardoso, Angra do Heroismo, Madeira, Matadouro, Oe-kussi... 

    Pendant cinquante ans la Météo nationale affichait un ciel gris de tempêtes laissant derrière elles des catastrophes humaines, économiques, sociales et accentuant chaque année une pauvreté dont seuls les dieux de la capitale étaient fiers.

    Les autres, des millions, en ont eu assez de ce mauvais temps et par tous les moyens fuirent vers des contrées à l’air transparent et ensoleillé de l’Europe qui portaient un nom du diable: Démocratie.

     

    ***

    La Machine des « …ismes »

     Dans les années 30 grand-père regardait avec effarement la propagation, comme du chiendent, de la ciguë. C’est que cette mauvaise herbe fleurissait peu à peu dans les jeunes jardins de toute cette Europe ou presque. 

    En effet, grand-père observait avec inquiétude que la propagande de son venin était plus terrible que l’ensemble des plaies qui se sont abattues sur l’Egypte de Ramsès II à l’époque de Moïse.

    C’est que chaque jour davantage, les croix gammées s’agitaient sous des vents furieux, ivres d’une folie qui crucifiait quotidiennement la vie des sages Socrates.

    Les jardins de l’espoir se transformaient dans des sinistres et terrifiants cimetières.  La Liberté était remplacée par la censure, le collier de la rigueur de servilité. La détention du pouvoir de tous était méprisée et volée par un tyran. L’idéal de l’être humain était confisqué par la machine brutale de tous les « ismes ».

    La vie cédait la place à la mort.

    Même la beauté naturelle de toutes les fleurs était remplacée par la mort cachée sous des tombes récentes qui semblaient onduler dans l’espace plat du cimetière. C’était une unique mer assassine faucheuse de toutes les vies différentes et variées. C’était le désert humain du néant.

    Grand-père s’inquiétait de plus en plus de la mauvaise tournure que prenaient les choses. Wald prétendait que son papy perdait la jugeote. Il devenait perplexe. Parfois, il ne croyait en plus rien et le jour suivant il devenait croyant voir superstitieux. Un jour Wald crut même que son papy divaguait comme don Quichotte dans son combat avec les moulins. Ecoutez donc !

    ***

    Papy le Prophète

    Il était une fois … Grand-père s’est imaginé dans les vêtements de Moïse libérant son peuple hébreu non pas du pouvoir du pharaon, mais des griffes du fascisme satanlazariste.

    Ainsi une nuit de clair de lune de l’année 1932 un bâton torsadé de cognassier grand-père grimpa au mont Sinaï de cette Lusitanie qui ne ressemblait en rien à un désert, mais à un gros village. Il n’y trouva aucune force ou réconfort, mais le visage d’acier d’une lune remplie de désespoir.

    Il tenta de voir plus loin, perçant dans le firmament un trou avec son regard. Mais il ne vit qu’inquiétude, des gros nuages chargés d’obscurité et de mauvais augure. Rien de bon ! Après un silence de plomb, lourd d’angoisse, autant que de peur, il laissa éclater une sorte de colère pour justifier une liberté qu’il n’avait plus.

    - Rien de rien ! Ni tomates ! Ni pain ! Ni patates ! Ni de mains libres pour les cultiver et encore moins pour les vendre ! Ils arrivent et se servent comme s’ils étaient les propriétaires. Nous avons traité, soigné, cultivé mais le jour de la récolte ils décident et finissent par nous voler le fruit de notre travail et nous laisser dans cette vie misérable. Des vampires ! Des vampires ! Ils mangent tout et nous laissent sans rien !

    Wald regardait avec inquiétude. Il ne comprenait rien à ce qui était en train d’haranguer son papy.

    Pendant ce temps grand-père craignait d’avoir été entendu, mais poursuivit néanmoins dans une sorte de murmure :

    - Des vampires !

    - Des vampires !

    Ils boivent notre vin !

    Ils mangent notre pain !

    Ils nous mangent tout

    Ils nous laissent sans rien

    Une fois le ventre plein

    Ils s’en vont.

    Ils s’en vont en dansant

    Dans le ventre de la nuit

    Ils reviennent

    Ils reviennent en riant

    Tôt le matin

    Les vampires ! Les vampires !

    Ils boivent notre sang !

    Ils mangent notre pain.

    Ils nous laissent sans rien

    Ils nous volent toute illusion

    Puis nous jettent en prison !

     

     

    C’est que grand-père se rappelait avec un dégoût truffé de révolte, la vente de quelques sacs de patates, à la dérobade de l’État Nouveau. Cet acte lui valut “un mois de vacances” à la prison de Guardangal.

    Mais avait-il le choix ! Il fallait bien engranger un peu d'argent. Il fallait bien payer les engrais. C'est qu'ils coûtaient une fortune. Pas de cruzados ni d'escudos. La bourse familiale était vide. Mais que faire ?

     Au village, après les razzias des vampires, les hommes peu à peu devenaient des zombies. Dans une attitude de vaincus de la vie ils marchaient en zigzagant, les bras ballants, n’ayant comme refuge et cachette que leur caverne intérieure.

    Les femmes invoquaient tous les saints, tous les êtres de Lumière : Principautés, Archanges, Anges, Mères des Anges ; Les êtres intermédiaires : Dominations, Puissances, Vertus ; Les êtes Supérieurs : Séraphins, Chérubins et Trônes et Dieu à la fin.

    Mais n’ayant aucune écoute ni des uns ni des autres, elles se tournaient vers leur dernier secours, Notre Dame de Fatima. Elle qui fut femme, épouse et mère saurait les écouter.

    Ainsi du matin au soir toutes habillées de noir de la tête aux pieds, elles tournaient autour de la statue du village, comme des folles, pleurant comme des madeleines, le genou en sang, les yeux en rivières de larmes quémandant la protection de la mère de Jésus.

    -             Ô Notre Dame nous sommes « umas pobres desgraçadas » des pauvres malheureuses ! Viens à notre secours. Tu ne peux pas nous abandonner ! Ô Marie ! Ô épouse ! Ô Femme ! Toi la mère de Jésus ! Toi qui fus poursuivie par ce dictateur d’Hérode comme nous le sommes aujourd’hui ! Toi qui donnas à la lumière dans une sale étable. Tu ne peux nous abandonner et nous laisser dans cette misère.

    Les hommes l'âme de granite, le cœur dur, comme la pierre de la carrière du village ne priaient pas. Ils lâchaient leur dévolu de révolte et de colère dans des protestations étouffées poivrées de mots grossiers et vulgaires.

    -             Raios partam o Maricas. Que le diable emporte le vieux garçon,

    C'est-à-dire Satan Lazar, qui ne s'était jamais marié et vivait seul, comme un ermite, au Palais de São Bento.

     

    ***

    Celui qui chante éloigne le malheur

    Dans d’autres moments moins sombres papy faisaient contre mauvaise fortune bon cœur. Il se disait qu’il valait mieux faire sourire la misère.

    En effet grand-père sentit naître en lui un fado triste. Tout d’un coup son cœur se mit à chanter de douleur et de tristesse à l’intérieur de lui-même.

    -             Quem canta seu mal espanta ! dit-il avec une lumière d'espoir.

    Cela voulait dire que, celui qui chante éloigne la douleur.

    Il quitta le potager en courant où il était en train de travailler. Mais auparavant il jeta la binette, donna un coup de pied dans l'arrosoir et envoya au diable Satan Lazar et ses travaux de jardinage. Les salades, les tomates pouvaient bien attendre. Le soleil était parti se coucher aussi et son Wald lui manquait par-dessus tout.

    C’est que son Wald était son petit dieu. Un dieu qui faisait des miracles. Le simple fait de le voir lui permettait de sortir de cet enfer du spleen pour le faire rentrer dans la vallée de la gaité.

     Pour aller de l'avant, grand-père avait besoin de croire dans une nouvelle vie. Une autre vie, où son petit-fils, son petit Wald brillait comme un soleil. Son Wald, son petit Wald était son jardin. Ne pouvant plus supporter son absence, il l'appela.

    -             Mais où est-il mon sauvage ?

    -             Mais je suis là. Je suis là, près de toi papy !

    -             Près de moi ou près de Sœur Rachel ?

    -             Près de toi, mon grand idiot !

    Après une seconde cherchant ses mots Wald ajouta :

    -             Papy ! Mon Papy ! Je te taquine avec sœur Rachel. Parfois j’ai peur de te perdre ! D’autres fois, je ne sais pas comment te dire... Elle est comme une mère ou une mamie que je n'ai pas...

    -             Si tu as une grand-mère, mais une grand-mère qui ne te mérite pas.  Mais tu m’as avoué l’autre jour que sœur Rachel était ta tatie ou ta mère. Tu deviens débilus ou quoi Wald ! Après un cours silence.  Alors sœur Rachel est une mamie pour toi ? Puis se ravisant aussitôt. De toute façon, mon petit Wald tu as un papy que voilà ! Je suis là ! Je suis là pour toi !

    -             Ce n’est pas vrai ! Je n'ai plus de papy, car ça fait une éternité que je n’ai plus d’histoire ni le soir, ni… Même sœur Rachel est au courant de ton abandon. Tu nous oublies et nous délaisses !

    -             Ah bon ! Mais comment. Quel idiot est mon petit-fils ! ça alors ! Il ne manquait plus que ça. Mais tu vas avoir des histoires tous les soirs ! Même !

    -             Je crois que l'idiot, c'est toi ! Tu as un papy et tu auras une autre histoire, une histoire vraie, une histoire un peu...

    -             Tu es le meilleur des papys !

    -             N'exagérons rien, mon petit st Valentin !...       

    -             J'ai des fourmis dans les mains et mon petit doigt me dit que ce n'est pas une d'histoire qui te trotte dans la tête et occupe ta pensée !

    -             Que veux-tu dire ? Demande papy étonné.

    Puis Wald ajouta d'un air malin.

    -             Mais tu es avec moi ou tu es en train de rêver à ma tatie ! …  Demande Wald d’un air malin.

    -             Chut ! Assez d’imaginer des bêtises ! Dit grand-père dans un faux semblant d'autorité. Maintenant prends le petit tabouret, assieds-toi près de moi et écoute une nouvelle histoire.

     

    ***

    Comme d'habitude, avant de parler, Grand-père se racla la gorge, son regard perdu dans le ciel il commença à paraphraser.

    Cependant, je remarquais que cette fois-ci son histoire ne commençait pas par, « il était une fois ». 

    Mais écoutons puisqu'il nous le demande :

    -             Nous étions dans la décade des années 1930, entonna mon papy sérieux, comme tenant le rôle de professeur d'histoire.  Les tomates « rouges » faisaient défaut dans cette Europe qui se regardait en chien de faïence. Les chiens enragés, redressés sur leurs pattes, se voyaient en supérieurs mâles gallinacés. Ainsi ils convertirent le tout vieux poulailler européen en gallo drome de combats de coqs ! Les deux coqs Ibériques, après des escarmouches internes, fatigués et vaincus par la lâcheté, laissèrent l'italien hypnotiser les foules et le germain mordre et aboyer !  

     

    ***

    Tout d'un coup le visage de grand-père changea de couleur, ses yeux semblèrent cracher des étincelles alors que ses mains tremblaient quelque peu.

    Que se passe-t-il, se dit l'auditeur dans son cœur inquiet.

    -             Dans notre belle ville, la Princesse du Tage, la ville qui a vu partir hier des marins à la découverte du Monde inconnu, à la rencontre d'autres peuples, d'autres civilisations... Te rends-tu compte mon petit Wald ? Le Dieu, que l'on nomme créateur, a créé les hommes, les noirs, les blancs, les … rappelle-toi de tes cours de catéchisme. Mais l'on oublie de dire que les Portugais on crée le Métis, les...

    -             Ô Papy n'exagère pas ! Mais continue ton histoire dit Wald.

    -             Çà c'était hier, te dis-je mon Wald, mais aujourd'hui à Lisbonne, après avoir assisté à une messe de bénédiction au Monastère des  Jerônimos, célébrée par le bienveillant  Cardinal Serpillère, Notre Sauveur National, a décrété dans la sacristie :

     

     

    « La Révolution des Tomates Vertes ! »

    Après 30 ans de paix,

    De progrès et de stabilité

    Amen !

    Après 30 ans...

    On apprécie dans ce Portugal Nouveau

    La joie de la pauvreté

    Qui réside dans cette grande richesse

    De donner et en être satisfait !

    Amen !

     

    Après 30 ans...

    Nous vivons entre quatre murs

    Blanchis à la chaux,

    Que c’est beau de vivre de religion et d'air frais !

    Amen !

     

    Après 30 ans...

    Nous respirons une odeur de romarin,

    Parfois nous mangeons une grappe de raisins dorée,

    Et nous satisfaisons de deux roses dans le jardin,

    Amen !

     

    Après 30 ans...

    C’est dans le vent d’afficher dans la façade de la maison,

    Un saint joseph en azulejos,

    Amen !

    Après 30 ans...

    Que c’est beau de rêver d’un soleil de printemps,

    Et rêver d’une promesse de baisers

    Amen !

     

    30 ans de paix ? ...

    Tous les Portugais

    Et peut-être aussi

    Toutes les Portugaises

    Toutes les provinces

    Du Minho à Timor en Océanie

    Tous les blancs,

    Tous les noirs,

    Tous les jaunes,

    Tous les métis et métisses,

    Tous doivent participer,

    A la révolution des tomates vertes !

     

    -             La révolution des Tomates vertes ! Mais tu te moques de moi papy ! Je ne te comprends pas ! Tu me parles comme si j’étais déjà un adulte, proteste Wald.

    -             Leur révolution c’est du vent Wald ! C’est de la propagande pour faire rêver les cœurs et endormir la raison.  Puis papy ajouta :

    -             En cette Europe les Duces, les Führer, les Caudillos, les tyrans rouges et ceux qui n’ont rien à faire de la vie des autres sauf de la leur, ils nous racontent des salades, manigancent, trafiquent, escroquent, magouillent. Puis parfois organisent des farces électorales et avec la volonté et la bénédiction de la croix, ils deviennent des papas, des petits pères du peuple, enfin des dieux tout puissants, miséricordieux.  Puis quand l’envie ou le caprice les prend ils déclarent leur révolution des tomates vertes !

    -             La révolution des tomates vertes ! Papy crache un sourire rouge et se tourne vers Wald.

    -             Tu comprends mon Wald !

    -             Je crois papy ! Je ne sais pas ! Mais continue ton histoire papy !

    -             Mais ce n’est pas une histoire Wald ! Enfin ! C’est la réalité !

    -             Oui mon joli papy !  J’ai peur ! ça me rappelle mon Angola, ma mère et mon papa !  Wald va se nicher dans les bras de son papy semblant avoir une peur bleue.

     

    ***

    La révolution silencieuse des 3 F

    Grand-père n’adhéra pas à la révolution des tomates vertes. Mais comment veux-tu, mon cher lecteur, qu’il adhère à ce type de révolution.

     Au cours de sa longue vie, il avait été échaudé par toutes ces révolutions des extrêmes aussi bien de gauche que de droite.

     Toutes voulaient créer un homme nouveau, toutes prétendaient construire une société meilleure. Cependant, toutes se sont soldées par des millions de morts et une société pire que celle d’avant !

    Non, lecteur ! Grand-père était un réformateur. Il voulait garder ce qui était bon et améliorer ce qui lui semblait défectueux.

    -      Les extrêmes, les extrêmes d’un côté comme de l’autre, il faut les renverser par la lutte, mon petit Wald ! Répétait souvent et avec confiance grand-père.

    En ce qui concernait la révolution des tomates vertes disait grand-père en russe avec autorité et roulant les « rr » Революция никогда не когда-либо. Я знаю, где мы будем вести риторику революционеров. Ce qui semblait vouloir dire. 

    -    Révolution ! Révolution ! C’est un joli mirage surtout quand on a soif dans le désert de la vie ! Non ! Non mon petit Wald ! Pas cela !

    Je sais où nous mènent les belles paroles des révolutionnaires !  

    Si l’estomac de grand-père ne supportait pas la révolution des tomates vertes, il ne supportait pas non plus la propagande d’une autre humoristiquement appelée :

     « La révolution silencieuse des trois F » Le Fado, le Football et Fatima !

    Si la révolution des tomates vertes lui donna un ulcère à l’estomac, cette autre lui donnait de l’aérophagie comme la soupe aux choux.

    Ces « Trois F » étaient les trois drogues de bienfaisance nationale qui s’appuyait sur autant de piliers :

     -   Tenez et mangez du Fado qui chante le bonheur d’être pauvre et simple, car heureux les pauvres ils monteront avec moi au Royaume des cieux !

    -   Tenez et buvez du bon football ! Pendant que vous les benfiquistes, les fans du Sporting étripez les fans du FC Porto, je peux crier au monde que le Portugal est en paix !

    -  Tenez mangez et buvez ces spectacles de pauvres hommes et femmes tournant à genoux en sang autour de la chapelle des apparitions de Fatima. Pendant ce temps-là je peux montrer au Monde que le peuple portugais marche debout et avec orgueil !

    Du cirque ! C’est ce que notre bon et sage « Caudillo », la plus grande imminente matière grise nationale de tous les temps, distribuait comme richesse économique sociale à un peuple illettré à 70%. Puis haussant les épaules de déception, papy ajouta :

    -             Dans un pays d'aveugles, notre borgne est roi ! Conclut grand-père d’un air dégoûté.

     

    ***

    Mais comme tu le devines, mon cher lecteur, l'on ne s'opposait pas à ce roitelet qui se prétendait un grand roi illuminé, ni à la révolution des tomates vertes, ni à la révolution des 3 F sans supporter ses conséquences.  Et mon pauvre lecteur, ce qui était prévisible d’arriver finit par arriver un jour malheureusement.

     

    ***

    Ainsi au moment où les loups quittent leur tanière pour faire leurs mauvais coups et que les crapules font leurs sales tours, deux gardes républicains, qui selon grand-père étaient indignes de la république, sont venus, une fois de plus, cogner comme des brutes chez lui. La porte en chêne de l’entrée, peinte expressément en bleu, pour éviter que Satan ne passe pas, a fini par céder, sous les coups de crosse de ces diables mal aimés de la population du village.

     Grand-père, méfiant comme un juif des chrétiens, à cause de leurs tours de cochon, était en train de se préparer pour filer à l’anglaise avec sa mule.

    Malheureusement, il n’eut pas le temps de « coger las de villa Diego » c'est-à-dire prendre la poudre d’escampette, comme il avait l’habitude de le dire dans son castillan de Ciudad Rodrigo.

    Finalement il n’avait pas de quoi se plaindre puisque papy ne passa qu’une petite semaine dans la maison de vacances à l’ombre de Soutugal. Ce type de maisons accordées à tous ceux qui osaient lever leur petit doigt de contestation aux grandes idées ou révolutions du Chef infaillible fleurissaient dans ce Paradis qui était le Portugal. Ainsi chaque lieu de canton pouvait s’enorgueillir d’en posséder une. Celle de Soutugal avait le joli nom de « Liberdade » ce qui voulait dire Liberté.

    Mais plus bas, cher lecteur tu sauras le pourquoi et le comment et la petite histoire de ce nom sarcastique de prison. Mon papy aimait beaucoup les sarcasmes, mais pas la prison !

     

    Oui, lecteur ami, tu peux sourire si tu ne peux pas t’en empêcher. En effet, je conviens avec toi que c’est là un drôle de nom pour une prison. Il ne faut pas s’étonner de rien dans le Paradis Où le Chef a Toujours Raison. Leurs salamalecs étaient particulièrement grotesques et décorés de la fine fleur du ridicule. Il se peut que le nom de la prison Liberté renvoie ta pensée aux images du film de Chapelin, Le Dictateur, qui est en effet à mourir de rire.

    Cependant lecteur, tu peux rire tout seul. Quant à moi je n’ai point envie. C’est que je comprends que le malheur des autres nous touche moins que le nôtre.

     

    ***

    Le soir même du jour où papy fut emmené en Liberté pour passer une petite semaine de vacances à l’ombre, le petit Wald eut deux grands malheurs.

    Premièrement, il est tombé malade. Il a commencé par avoir mal au ventre. Puis vint la nuit. Ce fut une nuit inoubliable et sans fin. Le petit lapin de grand-père passa la sainte nuit avec le pot de chambre collé aux fesses. Se tordant de douleurs mal placées, il courrait entre le lit et le jardin le petit popotin en feu. Il s’est avéré être une sacrée diarrhée entrecoupée d’une festivité de coliques autant musicales qu’odorantes.  

    - Tu sens mauvais comme ton grand-père, hurla de sa chambre, le diable de la maison.

    C'était ma grand-mère, la Jézabel cher lecteur.

    -                            Mais il va empester toute ma maison ce bâtard !

    Elle pouvait sortir son sac de crabes et scorpions, sa méchanceté glisserait sur moi comme pluie sur plume de canard.

    Tout d'un coup ma conviction se confirma grâce à une explication de Claudina en cours de Catéchèse. Elle nous avait enseigné l'origine du mal.

    -             Il n’y a pas de doute ! Se dit Wald à lui-même en silence oubliant presque les coliques. Cette garce de Jézabel est l’incarnation du mal ! Se dit Wald le disciple de Claudina.

    Selon l'évêque Irénée de Lyon du IVème siècle, le mal au féminin venait du fait que des anges déchus se sont approchés de quelques femmes et elles ont été souillées à leur contact. Ils enseignèrent à ces femmes, ancêtres des sorcières, les drogues, les charmes, les herbes de la magie. L'ange Azazel alla plus loin, il leur enseigna aussi la fabrication des bracelets, des parures, des fards et tutti chianti.

    -             Tu as signé un pacte avec Azazel. Lui dis-je rouge de colère. Tu es la méchanceté en personne ! Papy a dit que tu avais le diable au corps. Lui criais-je ensuite. Je l’ai accusée de tout cela, plus par révolte que par croyance. Papy ne croyait pas dans toutes les balivernes d'Irénée et autres docteurs de la foi et moi je pensais comme lui.  Surtout ce jour- là, car je l’imaginais sous la torture ou face à des interrogatoires

    -             Comment t’appelles-tu ?  Nom et prénom. David ! Mais tu es juif ?

    -             Es-tu déjà allé dans un pays communiste ?  As-tu eu des contacts avec la racaille du P.C.P. ?  Mécréant de merde, jure-le sur la croix ! Il parait que tu es athée. Le curé de ton bled prétend que tu te fais rare à l’église !

    -             Mais il va à la synagogue Chef ! C’est un dévot du talmud, dit un garde républicain maigre, comme un clou au teint vert olive, d’un rire de mépris de soldat romain dépouillant les vêtements de Jésus sur la croix au mont nommé Le Crâne.

    -             Ferme-là toi le Maigrichon ! Montrant par le ton de la voix qui était le chef.

    -             Signe ici, en bas, suivit de la mention, Lu et approuvé, tu as intérêt à signer si tu veux rentrer chez toi. Et écoute aussi un bon conseil. Il se dit que ton petit bâtard angolais file du mauvais coton aussi bien à l’école qu’à l’église. Il se prénomme Wald ? est-ce cela ? Mais où êtes- vous allés chercher ce nom de mécréant. Comme s’il n’y avait pas dans ce pays un nom décent, bien de chez nous…

    -             Je ne savais pas exactement, j’avais des soupçons que mon papy passait un mauvais quart d’heure en Liberté. Il me manquait plus que de raison.

    Après ce pic de colère et de tristesse, je suis allé me calmer de nouveau dans mon lit. Premièrement, je me suis mis à compter les moutons pour m'endormir.

     Après, déjà sous domination du dieu Morphée, je me suis mis à revivre en flash-back le conte de la Louve de Valverde que grand-père m'avait raconté la veille au soir :

    -             Écoute Wald ! Écoute attentivement, l'histoire de « La louve de Valverde ». Il ne faut pas en perdre une miette ! Me pria-t-il d’abord , puis il commença : Il était une fois une louve aux deux chandelles qui hantait les régions montagneuses de Valverde...

     

    ***

    Le conte de la Louve de Valverde

    Selon Grand-père, à cette époque-là, Valverde était un gros bourg de quelques 900 âmes que la contrebande sauvait, bien que mal, de la misère. Il se situait en Espagne, à deux heures de trot de mule, mais avec la Grise de papy. Elle se nommait ainsi à cause de son pelage brillant couleur d’argent. Il fallait emprunter un chemin de chèvres et de mérinos, parsemé de cailloux et de trous dont il fallait se méfier les nuits où la lune jouait au salon des absents. Le chemin serpentait, tout en montant et en descendant sur l’échine bombée de la Serra de Malcata.

     Soudain, au détour d’un gros rocher en granit que le patois frontalier nommait « calliaü », les oreilles de la mule de papy se dressèrent comme deux cartouches coniques remplies de figues sèches.

    Finalement, ce n’était qu’une pauvre louve. Elle allait boitillant, avec ses deux petits louveteaux qui la suivaient à la queue leu leu. Bien que malheureuse, elle dégageait encore une mythique frayeur à l’enfant que j'étais.  De ses yeux, flashait une lumière jaune si intense que l'on avait l'impression qu'elle éclairait le chemin avec ses deux chandelles à l’huile d’olive.

    Grand-père fit une pause et comme si son esprit était ailleurs, il dit en coupa court en guise de conclusion :

    -             Les loups, soyez gentils mangez de la verdure et arrêtez de faire peur à mon petit lapin blanc, mon petit sauvage, mon petit Wald.

     

    ***

     

    Mon confident et ami lecteur, dans les années de mon enfance, je devais aller chantant et riant, les petits bras tendus, faisant le salut fasciste dans mon uniforme de la Jeunesse Portugaise.

    Mais auparavant, entre six et onze ans environ je devais suivre obligatoirement les cours de catéchèse de la seule institution religieuse officielle : le catholicisme. Les deux institutions, la religieuse et la paramilitaire ainsi que les dires de mon grand-père, me perturbaient.

    Il me semblait être tiraillé, manipulé de tous côtés. Et moi, j’avais seulement envie d'être un enfant.

    Pour anesthésier tout ce mal vivre je confiais mon corps à des taches agricoles de la ferme de papy et je noyais ma douleur d’orphelin dans le sel de la Mer Morte dont le niveau montait grâce aux deux rivières de mes yeux. Certainement que mes larmes augmentaient aussi la surface des terres irrigables d’Israël, et par conséquent la beauté de ses paysages et le bien-être envié de ses habitants. 

    Cette histoire de la Mer Morte et d’Israël, je n’avais pas conscience de son existence, ni aucune connaissance. On n’en parlait pas. Pourtant, en pressentiment, j’aimais déjà autant ce pays que maintenant.

    Sache encore lecteur que malgré ce long récit qui prétend donner vie à un passé d’oralité, le caché, le non-dit, ce qui a été oublié, ce qui a été laissé de côté est plus vaste, plus long que ce fleuve de mots qui comme le Jourdain souffre, s’épuise de soif pour alimenter et traverser la Mer Morte.

    -             Mais ne pleure pas mon beau Jourdain ! Voici que les filles de Loth t’apportent non pas une cruche d’eau mais une cornée de bon vin élaboré par Noé, le premier viticulteur de l’Humanité pour étancher ta soif ! Mais c’est à boire avec modération, car leur ruse ajoutée à la perfidie de tes ennemis peut emmener ton embouchure à ta perte et à ta fin.

     

    ***

    Après ce petit détour par Israël, pays mythique de lait et miel, mon cher lecteur et compagnon de route, je vais te raconter la suite des causes de mon mal au ventre.

    Depuis l’emprisonnement de papy à Liberté, il avait un visage particulièrement abattu, dominé par une terrible tristesse.

     

     Un peu de superstition, mon ami lecteur, ne fera pas de mal à personne. C’est qu’il était certainement écrit que, dans cette chaîne humaine que nous sommes, les uns après les autres, j'avais été probablement choisi pour coucher sur du papier ce drame de papy, mais aussi l’oralité de la vie et l’ancienne tradition villageoise.

     

    Peut-être pour ne pas accentuer ma douleur ou ma naïveté enfantine grand-père ne voulait pas me parler de son arrestation, ni me raconter de nouvelles histoires. Il semblait fané, comme les arômes blancs à l’entrée du jardin potager, lorsque j’oubliais de les arroser les soirs d’été.

    Certainement qu’il se souvenait des paroles lâchées par le  cœur de pierre de grand-mère Isabel. Au village de Roustina certains habitants avisés la nommaient la Jézabel à cause de ces vices et malfaisances.

    Ma dite douleur provenait aussi de la honte que j’éprouvais du métier de contrebandier de papy.  

    Le père Trampoline pensait que c’était un métier peu honnête et il me le fit savoir un jour, à la sortie du catéchisme.

     Le bon curé, chemin et modèle de tous les villageois était aussi le symbole du pouvoir religieux et représentant de dieu à Roustina. Je me devais, comme bon catholique et comme personne, lui faire confiance et respect comme à un père de famille.

    En même temps qu’il attirait mon attention avec des gestes il s’approchait de moi.

    -             Que devient-il mon petit Wald qui se fait rare au chapelet du soir ?

    -             Mes devoirs scolaires Monsieur le curé.

    -             Oui ! Oui ! Pour le travail scolaire ! Puis levant le doigt l’indicateur en signe de rappel à l’ordre. N’oublie pas que le plus important est le salut de ton âme !

    Tout en continuant à me parler il commença à poser ses mains pataudes sur mon cou, tout en me poussant vers l'intérieur de la sacristie. Une fois dedans, il ferma la porte et me prit les mains dans les siennes. Elles étaient brûlantes. Il semblait éprouver du plaisir à réchauffer les miennes. Allait-il me lâcher, me suis-je dit en silence. Au bout de quelques instants je commençais à me sentir mal à l'aise. Cette fois-ci ce n’était pas mon ventre, mais la tête qui se mit à danser en rond. Je n’en pouvais plus de ses avances et me suis mis à crier :

    -             Je veux partir, mon papy m'attend à la maison, lui dis-je avec une envie d'être à cent lieues de là.

    Au même instant, contrarié, il me dit en me repoussant :

    -             C'est vrai ce que l'on dit au village sur ton grand-père ?

    -             Mais que dit-on sur mon grand-père, monsieur le curé ? lui demandais-je le regardant droit dans les yeux.

    -             Eh bien ! …

    Après une petite pause, baissant les yeux, gêné il ajouta :

    -             L'on dit partout qu'il se consacre à ce malhonnête travail de contrebandier. Puis il ajouta menaçant.

    -             Tu sais mon garçon, un contrebandier, n'est pas un bon travailleur, ni un bon chrétien, ni un bon portugais...

    -             Mais vous ne savez même pas ce que c'est que travailler, lui dis-je étonné de ma réponse. Puis j’enchéris.

    -             Mon papy m’a dit que vous escroquez les pauvres gens depuis leur baptême jusqu’à leur enterrement. Vous leurs volez l’argent qu’ils n’ont pas. Mais ma désinvolte furieuse ne s’arrêta pas là et j’ai poursuivi.

    -             Vous êtes comme les corbeaux vous vivez de la chair morte. Ces mots qui me venaient de mon papy faisaient allusion aux enterrements qui le père Trampoline se faisait payer grassement. Puis, dans une révolte qui me fit éclater en pleurs et en sanglots étouffés, je criais :

    -             Vous mentez, vous mentez ! Mon papy est mon papy ! Ce n'est pas vrai, mon papy a beaucoup d'amis, mais vous lui voulez du mal. Je vous déteste, dis-je en détalant de la sacristie de l'église, comme le lièvre devant la menace du chasseur.

    Ces pleurs avaient laissé place à une vengeance qui naissait pour la première fois en moi.

     

    ***

    Le négoce de la contrebande entre l’Espagne et le Portugal était lié à la situation économique désastreuse des deux pays.

    C’est que pendant la période 1936-39, les trois longues années de la Guerre Civile d'Espagne, la pauvreté des personnes des deux côtés de la frontière luso-espagnole avait atteint les bas-fonds de ce qui pouvait accepter la nature humaine.

    Cette pratique illégale du commerce était une des façons pour les pauvres gens de pouvoir avoir un peu plus et pour moins cher que dans le commerce légal.

    La faim attaquait comme l’hyène et l'argent disparaissait en fuyant comme un voleur.

     C’est que la première loi, la plus primordiale pour tous, aussi bien du côté de la frontière portugaise qu’espagnole, était de remplir un peu les ventres trop vides.

     

    ***

    La Reine sainte Isabel 

    Ma tyrannique grand-mère Isabel portait le même prénom que la reine sainte du Portugal, l'épouse du roi troubadour dom Denis Ier. C'était là, hélas, leur unique point commun ! La reine Isabel, en plus de son haut statut, était une femme de cœur, aimant faire du bien sans regarder à qui. Ma grand-mère, elle, n'avait pas de cœur ! Ni vis-à-vis des autres, ni et à l'égard de ses proches.

    La reine, qui n'était pas encore sainte, un jour fut dénoncée pour « dissipations du trésor royal » qu'elle dépensait en aumônes et soins auprès des indigents. Un jour d'hiver, surprise par le roi, elle n'eut que le temps de cacher sa bourse sous son manteau. Le roi, voyant sa gêne, lui demanda avec autorité :

    -             Madame, mais que dissimulez-vous sous votre manteau ?

    La reine lui répondit :

    -             Mais ce ne sont que des roses Seigneur pour garnir l'autel de Saint Antoine de Lisbonne dans la chapelle que je viens de faire construire.

    Le roi, incrédule, lui répliqua aussitôt :

    -             Madame mon épouse, sachez qu'il n'y a point de roses en janvier dans ce royaume !  

    D'un air un peu fâché, il lui donna l'ordre de se découvrir immédiatement et de lui confier l'objet suspect.

    La reine, les larmes aux yeux, subit sans ciller cette humiliation et lui dit :

    -             Je ne peux point désobéir à mon roi et seigneur ! Que votre volonté soit faite.

    Devant le roi et sa suite, la reine Isabel ouvrit son manteau, laissant apparaître un magnifique bouquet de roses.

    Le roi, y reconnaissant un acte surnaturel, se repentit sous le champ. Puis, tombant à genoux d'admiration devant son épouse, il lui demanda pardon.

    -             Mais faites à votre guise ma femme et seigneurie.

    La bonté de la reine se répandit comme un éclair à travers le Royaume du Portugal. Elle fut canonisée par l’église catholique romaine en 1625. Sa fête a été portée au 4 juillet. Le roi, dom Denis, était déjà un grand poète troubadour, mais à dater de ce jour, il devint un grand homme d'état et un grand sage.

    Pour combler le tout, il créa la 1ère Université du Royaume à Coimbra, faisant de lui un des rois les plus estimés de l'histoire du Portugal. Depuis ledit épisode, historique ou légendaire, le roi laissa à son épouse toute liberté de gérer elle-même ses actes charitables et elle devint dans le cœur du peuple La Reine Sainte du Portugal.

     

    ***

    Une année avec plus de bas que de hauts s’était écoulé depuis mon retour de l’Angola. Cependant, mon hargneuse grand-mère continuait à se complaire dans une attitude d’aigreur et bassesse. Depuis le matin jusqu'au soir et ainsi tous les jours, elle avait estampé sur son visage une amabilité de porte de prison. Si, dans l'après-midi, on lui demandait la moindre faveur, elle ouvrait son tablier et vidait son sac de scorpions.

     

    Mais assez parlé, assez de détours mon curieux lecteur. Tu connais la malheureuse nuit de Wald avec son pot de chambre.

    Tu te rappelles aussi que grand-père à cause de ses protestations et refus à l’égard des deux drôles de révolutions, celle des tomates vertes et celle des 3 F, qu’il fut fraichement cueilli par le panier à salade et parti sous mes yeux en pleurs à Liberté, les mains attachées derrière le dos par une jolie cordelette en coton blanc.

     Mais tu ne connais pas le côté marchand de scandales de ma turbulente grand-mère qu’elle a tissé aussitôt après à son mari en chemin vers Liberté entre deux méfiants gardes républicains.

    Ecoute-la donc si tu peux :

     

    -             C'est à cause de ton entêtement à vouloir faire l'original ! Monsieur est borné et au lieu de défendre l'honneur de la famille, il la salit. Ma famille à moi jouissait d’une bonne réputation et maintenant, où en est-elle avec toi ?  Mais pense donc à ta femme, ou au moins à tes enfants. Tu m'entends ? Ce n'est pas à toi que Monsieur le curé ou les gens respectables font des reproches sur ta mauvaise conduite, mais à moi et seulement à moi. Mais pourquoi cela m'arrive à moi mon Dieu ? Je suis une malheureuse. Tout est ta faute. J'ai honte d'être la femme d'un rouge, d'un mécréant, d'une merde piétinée de contrebandier. Ma famille, depuis des siècles, depuis toujours, a été catholique, respectée et avec des gens respectables. Avec toi, je suis en bas. Tu veux me mélanger à ces assassins de Jésus, à ces gens sales, à ces vauriens que je n'aime pas. Je me sens rabaissée, humiliée.  De plus, ces gens de rien, des pauvres, des malhonnêtes, des naïfs, qui vivent comme des animaux, osent me détester ! Il ne manquait plus que ça ! Tu oublies que je ne mange pas de ce pain-là. Tu oublies que je ne viens pas de ces gens-là. Je ne suis pas ça David !

    Puis, ma prétendue grand-mère se mit à crier pour que tout village l’entende. Sortant de mon calme je l’ai criblé du regard et lui dit à voix basse.

    -             Il faut avoir tombé bien bas pour laver ainsi en public, ton linge sale !

    D’un regard méprisant et faisant un signe de croix, comme si j’étais le diable elle pesta :

    -             Toi l’enfant du péché, va en enfer avec celle qui t’a enfanté et ton maudit grand-père !

    Une année avant lors de mon retour de l’Angola je serai tombé par terre abasourdi par la méchanceté des mots que je venais d’entendre. Mais à force d’affronter son cœur de pierre le mien devient plus fort et résistant. Je lui ai crié sur le même ton tout en implorant mon papy du regard :

    -             Heureusement que mon papy n’est pas là pour t’écouter ! Puis redoublement de colère. C’est toi qui as dénoncé mon papy ! C’est à cause de toi qu’il est à Liberté peut-être en train d’être interrogé ou même torturé ! Tu n’es pas ma grand-mère, car tu es un monstre ! En même temps que je l’injuriais, je pleurais à chaudes larmes. Je connais tes méchancetés à l’égard de mes parents et en particulier de ma mère.

    C’est à cause de toi qu’ils sont morts. Tu les as assassinés ! Quand je serai grand je ne sais pas ce que je ferai de toi ! Je te hais ! Je te déteste ! Tu es une garce avec ta propre famille ! Jézabel ! Jézabel !

    Mais le monstre schizophrénique finit par ignorer ma présence en me tournant le dos. Puis rentrant à la maison tout en remontant sur ses ergots, elle se mit à nouveau à vilipender mon papy absent :

    -             Espèce de youtre rouge ! Tu ne comprends pas que jamais je ne me mélangerai avec ta populace, avec ta racaille. Je ne suis pas n'importe qui ! Je sais d'où je viens. Je sais où je veux être. Je sais où je veux aller. J'ai une famille, j'ai un nom, moi ! Mais, tu ne comprends rien, rien de rien mon pauvre contrebandier !

    Pendant qu’elle continuait à percer d’injures les nuages, les gamins, et les moins gamins, curieux, s'accumulaient en bas de l'escalier de la maison. L’on dirait que tout le village était là, comme les mouches cherchant la meilleure merde fraîche des bouses de vaches. Mais celles-ci n’avaient que faire des humains. Tout en se vidant de leurs excréments, à la queue leu leu, elles procuraient le meilleur chemin entre les pavés de la rue et s’éloignaient tranquillement vers les prés verdoyants. Mais la grand-mère, la Jézabel, sentant du brouhaha dans la rue elle revint sur le haut de l’escalier où elle continua à vitupérer contre mon pauvre papy :

    -              Mais quand la tête n'a pas de « jugeote », c'est le corps qui paie. Et tu vas payer et faire une promenade bien méritée, à l'ombre de la Liberté.  Eh bien, allez en toute « Liberté » Monsieur Racaille et contrebandier !

     

    ***

    Les paroles de ma grand-mère « En toute Liberté Monsieur le contrebandier » était en réalité un coup de fouet et de mépris qui déchirait les chairs démocrates et humanistes de mon grand-père.

    En réalité, le nom de la prison, venait du fait qu’elle était située dans l'Avenue de la Liberté de Soutugal. La rue aurait été ainsi nommée au lendemain de l’implantation de la République en 1910. C'était une époque de grand espoir et de libertés nouvelles.

    Mais le drame, le comique, voir le sarcasme de cette période c’est qu’à l’époque de la jeune République Portugaise il y avait de la place, de l’espoir, de la liberté pour tous, tandis que papy et ceux comme lui n’en avait plus maintenant !

     

    ***

    Cher et ami lecteur, je me tourne vers toi. Tu es mon compagnon de voyage dans le monde de la vie passée de Grand-père. Tout au long de ce chemin accompli, je te sens, à côté de moi, marchant, toujours marchant avec moi, mais parfois toi derrière et moi devant comme don Quichotte et Sancho Panza.

    Un jour tu es Sancho et moi don Quichotte et le lendemain le contraire. Parfois, je suis devant, mais souvent c'est toi. Parfois tu grimaces, parfois tu protestes. Il t'arrive même de m'applaudir et me réconforter. Mais est-ce que tu crois que je ne vois pas aussi sur tes lèvres se dessiner un sourire teinté d’incrédulité et de stupéfaction ! L’on dirait même que tu affiches une certaine distance…

    Quelle chance, tu as le pouvoir d’exprimer ce que tu sens en toi, librement ! Te rends-tu compte ?

    Mais pour que tu puisses le faire et vivre et te réaliser librement aujourd'hui, combien de jeunes dans la fleur de leur vie, combien de femmes, d'hommes mariés n'ont perdu leurs partenaires pour que tu fusses nôtre, ô Marianne Démocratie !

    -             Mais pourquoi continuer à parler de ce passé ? Tu veux me culpabiliser au quoi ? Proteste le lecteur peu envieux de poursuivre cette conversation.

    -              Je crois que papy tenait à te faire remarquer cela. Mais pourquoi traînes-tu, pourquoi, tu n'avances pas ?

    - Que ton lecteur veuille bien se mette à ma place, qu'il s'imagine, menottes aux poignets, franchissant les portes de la prison Liberté. Que ton lecteur vienne vivre en ce pays de Satan Lazar. Qu'il vienne vivre ce que nous vivons ... dit grand-père avec une larme s’arrondissant dans ses yeux incompris.

    En me rappelant les paroles, de ce temps-là, je sens dans ma gorge un goût amer. Je sens se dessiner dans mon cœur une caricature du journal Charlie Hebdo dénonçant le non-respect des droits humains en ce temps-là. Mais en même temps, je sens aujourd'hui la joie de la musique, de la liberté gagnée.

    Tout ne fut pas vain, bien au contraire.

    -  Tu vois mon compagnon de route. Mais ne traînes pas. Regarde aussi autour de toi. Rien n'est jamais acquis pour toujours. Mais dépêche-toi ! Viens ! Je t'attends !

            - Ce qui m'étonne, dit grand-père d'un air philosophe, c'est que le plus souvent, par commodité, nous sommes indifférents au mal des autres. On ne veut pas l'imaginer et encore moins se mettre à la place des autres.

    Chacun sa croix !  Dis-tu lecteur, avec un petit air de vouloir zapper et passer à autre chose. Eh bien, marchons, passons à autre chose. Mais fais attention, veille à ne pas tomber ! Ne voudrais-tu pas m'accompagner pour rendre visite à grand-père dans sa cellule de Liberté ?

    -             Mais nous y sommes déjà, fait remarquer avec un sourire le lecteur !

     

    ***

    En Liberté à Soutugal

    En général, grand-père n'était pas du genre à s'enfuir et à vivre dans une caverne. Il aimait taquiner, provoquer, tapoter les épaules de l'autre, parler, plaisanter et rire. Au village, il avait toujours besoin de créer une relation chaleureuse entre ses amis.

    Il voulait vivre une vie en paix.

    -             Parler, c'est avancer dans la vie. Parler, disait-il, c'est vivre, vivre en harmonie.

    Mais ce jour-là, il se sentait épuisé. Son corps était enfermé dans cette lugubre cellule de Liberté. Elle ne laissait pas passer les rayons rieurs du soleil. Une humidité vicieuse comme un serpent lui pénétrait les poumons. Il toussotait de temps en temps. Son corps lui pesait et il tomba comme du plomb sur une sorte de lit en bois à peine dégrossi. Sans faire attention au gardien qui fermait à clé une grille rouillée, son esprit encore libre et léger lui souffla à voix basse :

    -              Parler, c'est se donner une vie, une vie de liberté, même dans cette prison au nom comique de Liberté !

    Et il riait ! Mais il était seul et coincé entre quatre murs. Son corps était là presque par terre, allongé, fatigué.

    Pas vraiment humilié. Non ! Mais surtout emprisonné. Il se sentait seul sans personne à qui parler. Cependant personne ne pouvait emprisonner sa pensée. Celle-ci agissait librement, chevauchant par le monde, au rythme du galop du cheval de l'imagination :

    -             Pourtant ! se dit-il, si ensemble nous acceptions, non pas de porter la croix des autres, mais au moins, de leur montrer de la compréhension, de la solidarité, du soutien, leur montrer qu'ils ne sont pas seuls. Ainsi, ils pourraient aller de l'avant et nous aussi.

    Puis avec une mine de celui qui porte une charge trop lourde, grand-père ajouta avec une tristesse qui marqua son visage doux :

    -             Il y a des moments où la vie est une garce avec toi. Elle est contre toi, t'épuise physiquement, moralement, te menace, te fait peur, te montre que malgré ta volonté, tu subiras la loi du plus fort et que tu finiras comme un petit rien, seul, les pieds dans l'eau glacée de janvier, à la prison de Caxias. Tu finiras par comprendre que quelques coups de poing rabaisseront le peu de dignité humaine qui restait encore en toi.

    -             Cela est impossible de nos jours. Ce n'est plus la même époque, proteste mon ami lecteur.

    -             Attention ! Attention ! dit grand-père. Quand on naît dans un berceau en or l'on a du mal à imaginer la pauvreté, quand on naît en démocratie l’on a du mal à croire au manque de la libre expression, rappela grand-père.

    Puis, après un moment de réflexion, il ajouta.

    -             Mais le diable ne frappe pas toujours à la même porte. Quand tu t'y attends le moins, il vient défoncer la tienne. Si le Diable voyait que nous l'observons et que nous le regardons fixement dans les yeux, si nous nous donnions le temps de nous arrêter, ou au moins de nous pauser et de lui faire remarquer qu'il n’y aura pas de diablerie sans contrecoup, le saligaud ne ferait pas ses coups tordus.

    Grand-père fit une pause pour mieux marteler ses mots :

    -             Le Diable, comme tout diable, ne pense qu'à faire des diableries, sinon il ne serait pas le diable. Il serait comme toi et moi, il voudrait le partage, l'équité, la justice, le respect, la démocratie... Après un moment de réflexion papy insista.

    -              Mais le diable, depuis des siècles, depuis toujours, ne pense qu'à lui et à ses amis. Il veut le pouvoir, l'honneur, la richesse, soit par la force, soit par la ruse. Il dira toujours que c'était son devoir de protéger les bons contre les mauvais. Les méchants sont toujours les autres. Les autres. Les autres !

    D’une façon inespérée grand père se leva, se gratta la tête, puis il ajouta avec conviction :

    -             Et pour finir la crapule se fera bénir par l'église, la synagogue, la mosquée ou autre chapelle. Il saura s'entourer d'amis, mais qu’il abandonnera ou jettera même en prison dès qu'ils deviendront encombrants.

     D’une manière soudaine, inespérée et calme grand-père, se tut. Un souvenir de douleur étrange lui assombrit soudain le visage. Son attention sembla se dissiper dans un ailleurs de tragédie, visible à la rougeur de ses yeux humides. Puis, dénouant le nœud de sa gorge et parvenant à dominer son émotion, il conclut :

    -             Le diable n'hésitera jamais à enlever la vie des autres, par lâcheté ou traîtrise, pour sauver la sienne et ses propres intérêts. Pour lui, la vie n'a pas d'importance, sauf la sienne.

     

    « Tu es pessimiste, tu n'as pas confiance dans la vie, tu ne crois pas dans l'avenir », sembla lui dire une voix provenant de sa caverne intérieure.

    -             Non ! dit grand-père avec conviction.

    Puis il poursuivit :

    -             J'essaye de voir l'avenir sous un soleil meilleur, sinon j'abandonnerais. Si je n'avais pas confiance dans l'avenir, comme tu dis, je mettrais un terme à cette vie. Mais, j'y crois et mes enfants, mon petit Wald, mes amis, ces gens que tu vois au village de Roustina, me poussent à aller au-delà.  Mais je sais que le diable, comme le serpent, lorsqu'il le pourra, sortira de son état d’hibernation et crachera son venin.

     

    ***

    QUELQUES JOURS APRES LA SORTIE DE LIBERTE

    ***

    La Modernité est-elle moderne ?

    Il est vrai que le village de Roustina se trouvait sur une colline à environ 700m d’altitude. C'était déjà la limite ouest de la meseta, un plateau situé au centre de la Péninsule Ibérique.

    Le nom de la péninsule viendrait de ses premiers habitants connus : les Ibères. Plus tard, les romains lui donnèrent le nom d'Hispanie.

    Mais en hiver, les influences continentales se faisaient sentir à Roustina . Quelquefois, il soufflait de Castille un vent sec qui coupait les oreilles des paysans comme des lames de rasoirs s’ils ne portaient pas leur traditionnel béret noir.

    -             Ne jamais sortir dehors, sans rien sur la tête mon petit Wald ! Conseillait grand-père.

    -             Mais papy, ne sois pas toujours ringard ! Le béret n’est plus à la mode ! Faisait remarquer Wald d’un air moqueur, comme s’il voulait affirmer son côté rebelle et indépendant.

    -              Ah ! Ah ! Ah ! Mon Wald est en train de devenir fou ! Que Saint Antoine de Lisbonne lui pardonne, car je ne le peux point ! Plaisanta grand-père, puis plus sérieux :

    -             Il me semble que tu te laisses influencer par une modernité stupide, Wald !

    -             Écoute papy ! Pour une fois, ne pourrais-tu pas être un petit peu moderne ? Taquine encore Wald, puis avec une certaine provocation :

    -             « Es mesmo um labrego » Quel paysan alors !  Asséna Wald. Cette expression qui venait des gens de la ville pour mépriser ceux de la campagne était dans la bouche de Wald.

     C'était de sa part plus un ballon d’essai qu’un comportement de mépris. C’est que Claudina l’avait traité de la sorte au catéchisme. Wald se doutait bien que le mot « labrego » n’était pas un compliment mais il ne savait pas. C’était un mot dont le sens lui échappait encore. Ce mot ne faisait pas encore partie de la liste grandissante de son petit carnet chiffonné de vocabulaire.

    -              Oui Wald je suis « Labrego » ce qui signifie celui qui laboure la terre et je n’y ressens aucun mépris, comme certains d’en haut, le pensent. J'ai même une certaine fierté d’être et d’appartenir à ceux qui travaillent la terre et vivent à la campagne. Après une pause et un ton sérieux dans la voix.

    -             Tous les métiers sont dignes mon cher Wald. Bien sûr, quand ces métiers sont faits avec honnêteté et sérieux pour le bien de tous. Mais c’est vrai aussi que parfois, il y a des gens qui se sentent méprisés par des gens qu’ils jugent plus haut dans leur tour d'ivoire. Alors, peut-être pour soulager leur douleur, ils pensent se valoriser en méprisant à leur tour d’autres personnes qu’ils situent plus bas dans l'échelle sociale. Grand-père saisit au vol le regard de Wald et lui dit droit dans les yeux :

    -             Des balivernes ! Des balivernes de gens qui n’ont pas ni les pieds, ni les racines dans cette terre. Grand père montra avec le bras tendu comme un guide, les terres et les cultures du village. Wald dressa les épaules et se sentit fier de son papy qui remarqua aussitôt la portée positive de ses explications. Il se dit à lui-même :

    -             C’est naturel qu’un enfant ne sache pas, mais l’on voit bien qu’il ne cherche qu’à savoir à comprendre et nous les adultes nous devons être présents pour combler ces lacunes, sinon ces gamins partent dans tous les sens et parfois vers le pire comme certains au village.

     

    ***

     Puis grand-père poursuivit, mais à haute voix :

    -             Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire de prétendue modernité en ce qui concerne le béret que papy t’a acheté à la foire de la saint Pierre. Mais dis donc Wald, tu dénigres les vertus du béret ou celles de saint Pierre ? dit papy en riant.

    -             Mais, ni les unes ni les autres, papy ! Que veux-tu que je sache. De saint Pierre je sais uniquement que Claudina nous a dit qu’il était le concierge du paradis et qu’il ne laissait passer que les bonnes personnes.

    -             Ah !  Cette Claudina ! Une mère fouetteuse d’enfants, dit grand-père faisant semblant d’être étonné. Puis il ajouta :

    -             La modernité ! La modernité ! Un mot fourretout pour les nigauds Wald. C’est qu’au nom de la modernité, au lieu de te faire avancer, l’on te fait reculer dans le confort et le bien-être. Cette modernité-là n’est pas synonyme de progrès mon Wald ! Comme souvent il faut choisir, trier l’avoine de l’ivraie ! Mais en ce qui concerne le béret c’est quand même une bonne protection de la tête contre les forts froids de l’hiver et les grosses chaleurs de l’été. Puis en guise de conclusion.

    -              Mais en effet, il y a toujours des petites têtes qui s’en vont toutes nues dans le froid et puis elles attrapent des rhumes et autres maladies. Maintenant que tu es informé c’est à toi de choisir ce que c’est le mieux pour toi !

     

    ***

    La fête du dieu Soleil

    -             Ecoute papy ! Je ne sais pas si avec toi je suis libre de choisir ! C’est que tu présentes toujours les choses de telle façon que ton idée semble la meilleure ! Cependant je ne porterai pas ton affreux béret !

    -             Ah ! Et pourquoi Monsieur ?

    -             Ton béret est peut-être confortable, pratique et selon toi il serait logique que je le porte ! Pourtant je voudrais te dire une fois de plus que je ne le porterai point !

    -             Quel idiot alors ! Tu ne suis pas ce que de raison !

    -             Non ! Te dis-je ! Ta raison n’est pas la mienne !

    -             Et quelle est donc la raison, Monsieur?

    -             Le ridicule ! Tout le monde se moque de moi à l’école ! J’en ai assez de passer pour le roi du carnaval !

    -             Voilà que Monsieur maintenant se laisse manipuler par le que dira-on ! Incroyable !

    -             Papy ! Les victoires naissent aussi dans les défaites !

    -             A vos ordres mon commandant !  Mais passons à autre chose !

    -             Quoi papy ? Une nouvelle histoire ! Olé ! Olé ! Olé e Olé !

    -             Ne crie pas victoire trop vite ! Je voudrais te parler d’une ancienne, très ancienne tradition du village : O Madeiro

    -             C’est quoi ça papy ?

    -             Il parait que c’est une ancienne tradition qui daterait des celtes !

    -             Parce qu’il a eu des celtes ici à Roustina ?

    -             Pas uniquement des celtes, mais aussi des wisigoths, des vandales, des phéniciens, des romains etc.

    -             Et moi je suis de quelle origine papy ?

    -             A te comporter comme tu te comportes avec moi tu dois être un vandale ! Papy éclata de rire !

    -             Tu n’es pas drôle ! Mais l’explication de ton Madeiro arrive ou quoi ?

    -             Eh bien quand j’étais jeune comme toi.

    -             Mais tu n’as jamais été jeune. Je t’ai toujours vu vieux avec tes cheveux blancs en pétard et une barbe qui pique à faire fuir un hérisson !

    -             Et quoi encore ! Je ne suis pas vieux ! j’ai juste quelques années de plus que toi.

    -             Quelques années ?  Mais que le jeune homme amoureux de ma tatie, ne se vexe pas !

    -             Qu’est-ce que tu insinues là ! Je crois que je vais me coucher et te laisser à tes suppositions de mauvais goût !

    -             Mais papy ! Depuis Liberté tu es à prendre avec des pincettes ! Tu n’iras pas au lit tant que je n’aurai pas les explications sur le Madeiro et les festivités autour de cette tradition de ta jeunesse !

    -             Eh bien ! A Roustina les festivités de Noël sont accompagnées d’une ancienne fête païenne. Juste avant la messe du coq, appelée aussi de minuit, les jeunes du village allumaient un grand feu de bois, sur la place centrale du village. Tous les habitants du village, se réunissaient   autour du Madeiro dans une communion générale. Les jeunes dansaient en cercle et comme jadis leurs lointains ancêtres, encourageaient avec le feu le dieu soleil déclinant, car il atteignait à cette période de l’année le point le plus bas des cieux. Mais Wald de tout cela les jeunes, ni les moins jeunes n’en avaient pas conscience. Ils faisaient cela pour le respect de la tradition.

    -             Mais papy je ne te comprends pas. Mais à Noël, le 25 décembre l’on célèbre la naissance de Jésus !

    -             Oui, si tu veux ?

    -             Comment ça, si je veux ! C’est pourtant ce que Claudina nous a enseigné au catéchisme !

    -             Ecoute cela n’est pas tout à fait vrai mon petit Wald ! Mais tu sais dans le Nouveau Testament il y a beaucoup de inexactitudes ! Mais peu importe cela ! 

    -             Comment cela peu importe ! S’il y a des mensonges alors comment trier la vérité de ce qui ne l’est pas ?

    -             Ecoute Wald d’une part Jésus n’est pas né ni le 25 décembre, ni en l’an zéro de notre ère, ni en cette période de l’année ! Et qu’est-ce que cela peut nous faire. Cela ne change rien dans l’affaire.

    -             Papy tu dois justifier, car tes affirmations sont graves !

    -             Mais si je devais te justifier toutes les erreurs de la Bible, il me faudrait deux vies !  Mais renseigne-toi et tu verras ! Mon propos ce soir est de te raconter cette célébration ancestrale bien plus ancienne et sur laquelle sont venues se caler les festivités Chrétiennes de Noël.

    -             Comme tu voudras papy ! De toute façon c’est toujours toi qui décides et moi je dois jouer l’enfant bien élevé, t’écouter !

    -             Ecoute donc ! Cette soirée-là était d’une spéciale magie. Pendant que les plus jeunes dansaient et sautaient même par-dessus des flammes, les plus vieux se contentaient de réchauffer les pieds glacés en sautillant et en approchant les mains du feu. C’est que l’âge ne pardonne pas !

    -             Allez ! Allez ! Tu es encore jeune puisque tu es amoureux ! Mais je n’en dis pas plus ! Je fais comme toi ! Mais continue mon jeune papy !

    -             Merci, garçon insolent à ces cheveux blancs ! En effet les visages des vieux devenaient particulièrement rouges, grâce à la chaleur des flammes. Mais les yeux de ceux qui étaient sous le vent pleuraient à cause de la fumée. Tout le monde parlait ou riait aux éclats et tous se plaignaient d'avoir trop chaud par devant et trop froid dans le dos. Cela donnait des mouvements de foule étonnants ressemblant à des possédés du dieu tout puissant, le Soleil !

    Tout en tournant autour du Madeiro, c'est-à-dire le feu de gros bois, les anciens tournaient en même temps sur eux-mêmes. Tandis que les flammes bleuâtres mordaient à belles dents le noir du firmament. En même temps, l'on entendait une musique saccadée, qui provenait du cœur du feu. C’étaient comme des notes d’un feu d’artifice jouées par les bûches en bois de châtaignier rouges, d’une joie mélangée à une colère qui finirait en cendres. Mais à cette pétarade s’accordait une autre musique plus harmonieuse dans le ciel noir créée par le crépitement de petites étincelles. L’on aurait dit des mouches de feu. 

    -             Papy je crois que je vais me convertir à la foi de ton dieu soleil !  Il va falloir raviver cette tradition ancestrale au village !

    -             Mais comment cela, s’il n’y a plus de jeunes au village ! Tout le monde s’enfuit de ce pays pour trouver meilleure vie en France, en Allemagne et autres pays démocratiques et prospères !

    -             Moi je ne veux pas me mêler de vos histoires d’adultes ! Je ne veux pas aller en Liberté, comme toi ! Moi papy, je veux croire au père Noël, puisqu’il m’apporte chaque année des oranges. Si tu savais comme j’adore les oranges ! Leur intérieur est savoureux et leur couleur extérieur me fait penser aux vacances scolaires. Ce que je me sens libre papy !

    -             Comment cela Wald. Maintenant tu n’aimes pas aller à l’école.

    -             Ce n’est pas cela papy ! Vraiment tu es vieux ! Tu ne comprends vraiment rien aux jeunes !

     

     

    ***

    C’était presque midi. Papy venait chercher son petit vandale à la sortie de l’école. C’était son habitude. De plus il profitait pour échanger quelques mots au sujet de son Wald avec la maîtresse Mlle Imelda. Par la fenêtre ouverte de la salle de classe l’on entendait clairement la fin du cours d’histoire.

    -             … En conclusion, disait maitresse, de Castille arrivèrent aussi de malchanceux mariages royaux. En effet ce fut à cause de l'un de ces malheureux mariages que le Royaume du Portugal se trouva gouverné pendant 60 ans par les trois Philippes, rois d'Espagne de 1580 à 1640…

     

    Mais il est midi mes chers enfants !

    Fermons cartables livres et cahiers

    Une semaine laborieuse de plus est terminée.

    Il est plus que temps de prendre du bon vent

     

    La jolie bicyclette bleue de Mlle Imelda attendait avec impatience juste à gauche de la sortie de la salle de classe. L’on dirait un petit cheval en train de piaffer désireux de partir au galop chez les parents de sa maîtresse.

    -             Ah cette dominatrice Castille ! Elle se croyait déjà le Portugal dans la poche Mademoiselle ! Mais il lui passe une fois de plus sous le nez ! Hein ! Courageux ces lusitaniens !  S’enorgueillissait papy en s’adressant à Mlle Imelda !

    -             Mais il vaudrait mieux que ce Portugal se donne à l'Espagne ! dit maîtresse Imelda en riant sur le dos de Grand-père. 

    -             Ça, jamais ! répondit grand-père péremptoire.

    Puis se retournant avec un large sourire il ajouta :

    -             Bon dia professora ! Como vai a senhora ? Bonjour ! comment allez-vous ?

    -             Mais voyez-le vous-même ! Provocante et à juste raison ! Dit-elle d'un sourire ensoleillé.

    Papy admirait ce rayon de soleil qui était maitresse Imelda. Et celle-ci adorait papy comme s’il était son deuxième père aussi bien pour sa gentillesse, que pour ce qu’il était. Lorsqu’ils se rencontraient, ils ne pouvaient pas s’empêcher de se taquiner mutuellement. C’était là une manière de faire vivre et donner corps à leur profonde amitié.

    -             Non ! Vous n'avez pas raison mademoiselle. Voulez-vous jeter par terre plus de 800 ans de « Lusitanité » dans ce vaste monde ? Que faites-vous de cette langue, la plus parlée dans l’hémisphère sud et une des plus parlées au monde ? Voulez-vous quitter le monde lusophone avec ses 11 millions de kilomètres carrés de superficie. Souhaitez-vous trahir plus de 290 millions de personnes qui composent la communauté d’expression portugaise. Voulez-vous abandonner une des premières économies mondiales du XXIème siècle ?

    Grand-père monte la voix comme s’il voulait réveiller une conscience endormie.

    -                      Mais pourquoi criez-vous Monsieur David ? Je ne dors pas. J’écoute vos arguments et s’ils s’avèrent bons j’y adhère.

    Grand-père une fois de plus faisait double jeu. D’un côté, il fit semblant de ne rien entendre et d’un autre côté, il martelait son opinion avec conviction, comme s’il voulait convaincre même les pierres de la carrière de Lajes à la sortie du village.

    -             Allons ! Allons Mademoiselle Imelda ! Vous semblez ne pas avoir conscience de cela ! Voulez-vous jeter le bébé et l’eau du bain, comme ça, dans le fleuve Coa ! Voulez-vous balancer ainsi le fruit du travail de neuf siècles de nos ancêtres ? Vous ne pouvez pas oublier toutes ces larmes, toutes ces souffrances, toutes ces vies pour être ce que nous sommes devenus. Notre Portugal a un devoir de responsabilité et de respect par rapport à nos frères lusophones. Pendant des siècles, avec ces nations, nous avons eu une histoire commune, avec des hauts et des bas, je vous l’accorde. Nous sommes une grande famille et nous ne pouvons pas la trahir Mademoiselle !

    Comme souvent grand-père se laissait emporter par le verbe. L’écho de la musique de ses mots semblait le faire voler au-dessus des cimes des montagnes de la Serra da Estrela.

    Avec le calme de la sagesse, Grand-père s’arrêtait de parler et écoutait avec une attention discrète, l’effet que cela produisait chez ses interlocuteurs. Puis se rendant compte que ses paroles atteignaient la cible, il enfonçait le clou dans du bois mou.

    -             Franchement, voulez-vous faire partie du troupeau de moutons gardé par ce berger qui est la Castille !

    -             Je vous comprends, mais ce n'est pas exactement cela Monsieur David. Les catalans, nos frères galiciens, les basques, les asturiens, les Andalous... sont-ils plus mal que nous ?

    -             Ni pire, ni mieux !  Leur Bestamontes est-il meilleur que notre Satanlazar ? C'est la même crotte, la même saleté !

    -             Je sais Monsieur David ! Pourtant une Union Ibérique démocratique pourrait être un avenir de paix et de progrès.

    Mlle Imelda appuyait distinctement sur les syllabes du mot Union. Puis elle ajouta :

    -             Si cette Union Ibérique avait de bonnes relations politiques et sociales avec les pays lusophones et hispanophones, regardez-les sur une mappe monde, vous imaginez le rôle politique, linguistique et culturel dans le monde ?  Nous sommes de la même famille ! Imaginez comme ce serait beau une Union Ibérique démocratique ! Et pourquoi pas ne pas envisager dans l’avenir la construction d’une Union Luso-Hispanophone senhor David ! Les rêves parfois se transforment en réalité !

    -             Vu ainsi ! Convint grand-père. Mais le plus urgent pour le moment est de nous débarrasser de ces deux satanés. Cinquante ans sous leurs bottes ! Nous n’allons quand même pas attendre qu’ils meurent tranquillement dans leur lit !

    -             Si je tarde Monsieur David, mes parents vont s’inquiéter ! Excusez-moi, mais je dois y aller.

    -             Mais vous êtes pardonnée ma chère princesse ! Allez ! Allez ! Et fouettez-moi ce beau cheval bleu à deux roues !

    Papy dû se contenter de voir s’envoler au vent avec tendresse les jolis cheveux couleur de fougères d’automne de Mlle Imelda. 

     

    ***

    La Tripe Espagnole de Papy

    Même si grand-père avait parfois des poussées de chaleur et de passion lusitanienne, il pouvait en avoir autant pour sa voisine, l’Espagne. A ce moment-là, prenant une posture de fier hidalgo, il enfourchait sa mule, se croyant en selle sur le fantastique et mystique jument de don Quichotte, la Blanca Luna.

    Et voilà que grand-père partait, galopant par monts et par vaux Ibériques, dans un discours épique sur l'Espagne.

    Cependant, ce soir-là, grand-père était abattu. Sa Blanca Luna était blessée. Ses épaules s'affaissaient sous le poids de son armure, sa fière allure courbait l'échine. Il avait le moral plus bas que la semelle de ses chausses de chevalier défenseur des faibles.

    -             Mais papy tu as une tête d'enterrement. Tu sembles plus mort que les morts. Adelante abuelito, allez papy ! Allez les enfants de la patrie, le jour de gloire est arrivé !

    -             Arrête Wald ! Arrête de tourner le couteau dans la plaie. Ce n'est pas un jour de gloire. La radio républicaine voisine vient d'annoncer que notre Marianne espagnole vient de tomber de son piédestal, de notre piédestal. Son cœur est brisé, sa robe traîne par terre. Il ne nous restait plus qu'elle. Où veux-tu que l'on aille maintenant ? Combien d'années cela va durer ? Combien ? Est-ce que je vais avoir une vie assez longue pour la revoir ?

    Grand-père éclata en sanglots, désemparé. Moi je me tus en silence. J'aurais aussi voulu avoir mal pour partager et alléger sa douleur. En regardant ses yeux pleins de larmes où tant de fois j'avais vu briller le soleil de printemps, le mal au ventre me revint. J’étais aussi triste et ne comprenais pas la gravité de la situation.

    Dans cette peine de grand-père pour l’Espagne, je commençais aussi à sentir en moi une sympathie pour ce pays, puis grandir en moi un espoir. Je me suis approché de grand-père et l'ai pris dans mes bras :

    -             «Abuelito, yo soy el nuevo jinete de la Blanca Luna. Te hago la promesa que mi brazo sera fuerte para defender a Mariana en Iberia». Ce qui voulait dire Mon petit papy je suis le nouveau chevalier de la Blanche Lune. Je te fais la promesse de défendre Marianne en Ibérie.

    -             « ! Si, creo en ti, jinete de mi corazon ! ¡Creo en nosotros, creo en ella! Allà vamos chico ! ». Oui, je crois en toi, mon petit chevalier de mon cœur ! Je crois en nous, je crois à la république. On y va mon garçon !

    -             Mais papy je ne suis qu'un enfant chevauchant vers ses 12 ans. Que s'est-il passé ? Dis-moi la vérité, fais en sorte que mon esprit curieux brille dans les rêves de la nuit Ibérique.

    Sans se faire attendre, ni prier, comme il le faisait souvent, grand-père dans la lumière du clair de lune se mit à raconter :

    -              Il était une fois un roi et un évêque qui, à la saint Jean, arrivaient avec leur culotte à la main !

    -             L'image de la culotte à la main me fit éclater de rire et papy enleva le masque de tristesse que je dénichais au fond de ses yeux.

    -             Tu ris Wald, mais en général, au cours de l’Histoire, les rois et les évêques,  en plus de leurs amusements nombreux de culotte, mangeaient souvent ensemble l'agneau populaire. Le premier le tue et le deuxième bénit le méfait, de manière qu'à la fin le mal devient le bien.

    Puis poursuivant d'un air plus grave qu'à l’accoutumée :

     

    ***

    Le Pacte de Paco Le Fou avec le Diable

    -             Maintenant, voici l'histoire, la vraie histoire du Messie National du Pays Voisin (M.N.P.V.)

    Il était une sorte de nain horrible à voir. Stature médiocre. Cou grêle. Visage émacié. Yeux dans un trou noir. Front rugueux et crispé. Crâne brillant en pointe. Oreilles velues. Dents de sanglier. Tête de mort bordée de tristes épaulettes penchées en avant. C'était un galicien mal dans sa peau, nommé Paco Le Fou pour les uns et Bestamontes pour les autres. Mais l'on ne sait pas vraiment comment nommer ce démon. Il paraît que parfois il apparaissait en chat noir, ou bien encore en forme de vachette landaise qui voulait se faire passer pour un taureau. Ce qui était sûr, c'est qu'une légende faite de mauvaises langues de Ferripol prétendait que pendant son enfance, la fraîcheur humide de « a murriña », une sorte de crachin, lui avait rouillé le cerveau.

    D'autres prétendaient que notre Bestamontes avait été méprisé, abandonné par ses parents. C’est pourquoi il décida de s’enfuir dans les monts de la cordillère cantabrique. Wald, c’est dans ces lieux reculés qu’il commença son initiation aux malices des sorcières et ingénuités de Satan.

    De plus mon petit Wald, les archives zélées du saint tribunal de l'inquisition affirment qu'il y aurait trouvé un ours menaçant suspendu dans les airs. Les hurlements de la bête attirèrent une foule de morts désemparés, échappés du feu qui brûle éternellement les mauvaises âmes au centre de la terre.

    Avec leur aide, le petit malin, Paco le Fou, mit d'abord le fauve diabolique en fuite et ensuite le tua. Avec un courage satanique, il s’empara de la peau de l'ours dans laquelle il s'enveloppa. Puis déguisé en none, il s'introduisit dans une communauté de sorcières, en déshonora plusieurs et en engrossa quelques-unes.

    -             Ô papy ! S’exclama Wald étonné de la tournure qui prenait le récit. Grand-père ne prêta pas attention tellement il était dans le cœur de son histoire.

    -             Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Wald se tenait le ventre à force de rire aux éclats, mais papy poursuivait.

    -             De plus en plus converti aux arts diaboliques de la jonglerie, de la moquerie, du rire, de la musique, de la danse et autres festivités   diaboliques, il créa le désordre spirituel dans le royaume de Dieu. C'est ainsi qu'il se livra avec d'autres démons et sorcières à différentes débauches et orgies de table en honneur de Dionysos et de Vénus.

    Mais ce fut au cours de la célébration du solstice d'hiver de l'an 1936 qu'il découvrit sa foi dans les saturnales. Une autre fois, tard dans la nuit et sous l'influence des vapeurs fortes d'une queimada, Paco le Fou fit la connaissance de Lucifer en personne, le plus vertueux démon dans la malice :

    -             Sois le bienvenu dans le Paradis des Ténèbres. La porte est étroite, mais le chemin est large.

    -             Depuis des années, parmi les miens, je pratique avec foi en vous les plus grandes méchancetés, lui dit le galicien.

    -             Nous ne sommes pas sourds à vos malignes qualités : orgueil et oisiveté, colère et cupidité, violence, luxure et vanité, lui rappela l’ingénieux le grand Satan.

    -             Ô majesté, Prince des Ténèbres, chef des armées du mal du ciel et de la terre, s'exclame hypocritement l'indigne galicien.

    -             Assez dit Paquito, même si grande est ta vertu, immense est ta flamme. Est-ce que ton offrande sera à la mesure de ta croyance et de ta hargne ? Que donnes-tu au Prince du Royaume des Ténèbres, ton corps ou ton âme ?

    -             D'abord la vie du premier né de mon village, puis toutes ses descendantes âmes, dit le galicien qui se croyait encore plus malin que le diable.

    -             Affaire conclue, dit le diable. Mais avec quelques conditions mon ami Paco que voici : point de croix, à la croisade des chemins. Aucune façade de maison bleue devant mes yeux. J’ai horreur du bleu comme tu sais.

    -             Majesté ! Majesté ! Puis le galicien ajouta avec dévotion. Dans votre Royaume, je veux entrer et toutes vos demandes sont acceptées. Et maintenant, permettez que je me retire dans mon village de Ferripol afin que je puisse vous rapporter au plus vite l'âme du nouveau-né.

    -             Allez, allez partez accompagné de mon meilleur ange aide de camp, car en cet endroit même, je vous attends demain matin. Dit Satan avec une malice étrange dans ses yeux noirs rayés de sang.

    -             Mais Wald écoute la suite avec attention et tu vas voir le dénouement de cette histoire.

    -              C’est que plus malin que le Malin et plus grand traître encore était notre Paco Bestamontes, le galicien. En effet, le premier nouveau-né du village naquit dans une mystérieuse maison. Mais ce ne fut pas une personne qui vit la lumière dans la maison, mais un noir chaton !

    -             Papy ton galicien est très fort en malice !

    -             Pas uniquement mais cela n’empêche pas que le diable n’avait pas encore dit son dernier mot. Ecoute la fin, insista grand-père.

    -             Lucifer se voyant trompé par plus démon que lui, prit le galicien par la peau des fesses et d’un coup de pied au cul, l'envoya en l'air.

    Volant là-haut et mort de peur, le galicien fit dans son froc, puis il retomba comme un sac de merde au sud du Maroc !

     

    ***

    Suite de l’histoire du fou galicien

    Contenant tant qu'il pouvait de sa main droite la chevauchée de son ventre, Wald riait aux éclats, imaginant le ballot galicien tombant le cul par terre. Mais grand-père, faisant semblant de rien, poursuivait son histoire :

     

    -             Mais l’histoire n’est pas encore tout à fait terminée Wald. Ecoute donc encore un peu, demande papy. Puis poursuivant dans son élan.

    -             Au Maroc espagnol, sous le soleil chaud, et le bien nommé sirocco, voilà que le ciboulot de notre galicien, dit justement Paco Le Fou, se dessèche. Et comme Don Quichotte, il attrape la maladie de la folie.

    -             Mais Papy ton Espagne est un pays de fous ! S’exclame Wald piquant au vif son grand-père.

    -             Wald je te prie de respecter ce grand pays qui n’a rien à envier au Portugal ni à un autre pays ! Grand-père se montra catégorique et demandant un peu de sérieux à Wald à travers son regard.

    -             Je sais papy ! Ce que tu peux être susceptible. L’on dirait que tu es plus espagnol que les Espagnols ! Mais poursuit donc ton histoire.

    -    Wald ! Je me sens espagnol, mais d’une certaine Espagne ! Cependant ce n‘est pas le propos de maintenant. Peux-tu m’écouter sans m’interrompre tout le temps ?  Grand-père montra les gros yeux, puis poursuivant comme si rien ne s’était passé.

    -   Et voilà mon petit Wald que ce diable de Paco Bestamontes, au nom de Dieu et imitant don Quichotte, se mit en partance pour une croisade soi-disant pour libérer l’Espagne !

    -  Mais papy, tu m’as bien dit l’autre jour que l’Espagne était un pays libre à la suite d’élections démocratiques.

    - Tout à fait Wald, les élections de février 36. Mais je viens de te dire que le galicien a perdu la cervelle comme don Quichotte.

    Tu te rappelles Wald que, selon la fiction de Miguel de Cervantès, Don Quichotte lut tellement de livres de chevalerie qu'il en perdit la cervelle. Le pauvre idiot, sec de cerveau, il enfourcha Rossinante, son maigre cheval, s'en fût lutter contre les moulins à vent. Dans sa folie, il les voyait comme des êtres ennemis. C'est un livre comique et fait rire les grands et petits enfants.

    -             Mais mon papy qui avait les pieds sur terre ne riait pas de la folie du galicien. C'est qu'il voulait rétablir au nom du Diable les injustices du passé dans le sang et la douleur.

    Puis dénigrant le personnage avec un certain humour, il poursuivit :

    -             Peut-être voulait-il jouer à Don Quichotte ou peut-être à cause de ses cauchemars de la nuit passée qui le laissaient en nage, au petit matin du 17 juillet 1936, sans cœur et sans âme ce diable mit en feu les deux Espagnes.

    -             Deux Espagnes papy ! Je pensais qu’il n’avait qu’une seule Espagne !

    -             Tu sais Wald, en général dans un pays tu as souvent deux pays.

    -             Mais parle clair pour une fois ! Tu as encore peur ? C’est ça !

    -             En gros, il y avait une Espagne qui voulait la démocratie, qui voulait en finir avec les injustices sociales, qui voulait tout simplement vivre une vie décente et non pas une vie dont même un chien n’en voudrait pas. Puis il y avait une autre Espagne qui n’entendait pas partager le pouvoir et encore moins perdre des privilèges du passé qui lui permettaient de mener une vie de roi.

    -             Mais je pensais que c’était une histoire de Dieu, de…

    -             Non Wald. Cela n’est qu’un prétexte qui cache les vrais motifs. Mais Wald je ne peux pas te parler de cela sans sortir du sujet qui nous concerne aujourd’hui. Ecoute s’il te plait, dit papy plus sérieux et taciturne que d’habitude.

    -   Et voici, mon petit Wald, le Nouveau Messie National du Pays Voisin que ne parvenant plus à brider sa folie, se mit en selle sur son cheval « el Sali ». Saisissant une épée dans une main, tenant la croix dans l’autre, il partit au galop décidé à couper la tête de l’hydre rouge qui depuis 1917 piétinait déjà les deux versants de l’Oural. L’hydre rouge, criait-il, n'arrivera jamais sur les rives chrétiennes de notre Grande et Unie Espagne. «Arriba España! España! ¡Una! ¡Grande!» ¡Vive l’Espagne ! Une Espagne Grande ! Une Espagne Indivisible !  S'égosillait-il en criant du haut du balcon de l’Alcazar de Séville, tandis que Monseigneur l'évêque de Tolède de la Sainte Église Catholique Apostolique Romaine bénissait le saint homme et son sacré discours.

    ***

    Autres diableries et folies de Paco Le Fou

    - Papy ! Je crois que « tu Gallego loco » ton galicien fou, a perdu sa tête comme saint Jacques de Compostelle !

    - Certainement mon petit Wald ! Mais ainsi commença une grande tragédie. Oui mon petit lapin, ce fut une Apocalypse endiablée au nom de Dieu. Elle mit tout d’abord toute l’Espagne à feu et à sang. Plus tard, en 39, ce fut le tour de toute l’Europe avec d’autres diables aussi mauvais que les nôtres, conclut grand-père avec un visage livide comme je ne lui avais jamais vu.

    Puis me regardant avec une profonde tendresse dans le fond de ses yeux il ajouta :

    -             Il me semble qu'il y avait, malgré tout, une grande différence entre le vaillant Don Quichotte et le satanique galicien. Le premier n'était qu'une fiction, fruit de l'imagination de Cervantès, tandis que le deuxième tua des milliers et des milliers de…

    Papy toussota et ne voulut pas finir sa phrase. Peut-être qu'il souhaitait que Wald s'informe de lui-même sur le dit personnage.

    -             Papy ! Tu ne termines pas la phrase parce que tu es un peureux. Tu crains la P.I.D.E., la censure ou Satanlazar ? Dit Wald décidé à ne pas laisser son papy esquiver le sujet.

    Le grand-père était satisfait de l'intransigeance de son petit homme, mais il n’en laissa rien deviner. Puis, il lui rétorqua avec un air de complicité :

    -             Tu sais mon petit Wald, en vérité ce galicien fou n'était qu'un faible. Mais lorsque que les faibles ont une once de pouvoir ils deviennent des tyrans.

    ***

    L'Ingénieux Noble Don Wald de Lusitanie

    Après un court silence de réflexion papy insista encore sur le point suivant :

    -             Puis vois-tu Wald, tandis que Don Quichotte n’était qu’un personnage de roman. Comme je te l’ai déjà dit, il est devenu fou parce qu'il avait lu trop de livres de littérature chevaleresque. Il était un fou avec le cœur en or. Don Quichotte n'était pas dangereux, bien au contraire. Puis continuant dans un ton un peu magistral.

    -              Cervantès considérait cette littérature de chevalerie dangereuse pour les esprits faibles et son style démodé pour l'époque. L'un des objectifs de Cervantès était donc de moderniser, de créer un style nouveau de littérature adapté aux temps nouveaux de la renaissance. C'est que nous étions déjà en 1605, au début du dix-septième siècle, Wald. Et l'on peut dire que Cervantès arriva à ses fins. En effet Wald, Le grand Cervantes parvint à construire avec son livre la cathédrale de la littérature universelle.

    -             Olé ! Olé ! Olé ! Oh là ! là ! là ! Papy je commence à me sentir un peu espagnol comme toi. Je crois que j’aimerais être don Quichotte ! Est-ce que je pourrais lire l’Ingénieux Noble Don Quichotte de la Manche, mon papy adoré ?

    -             Tous les enfants devraient le lire. Tous devraient lire Don Quichotte, La case de l’oncle Tom, David Copperfield, Matin Perdu, Mon Bel oranger, Le Petit Chose etc. Cela voudrait mieux Wald au lieu d’apprendre par cœur et par la force sans rien y comprendre des versets du Coran ou des litanies de saints en latin. Wald était enthousiasmé et devenait de plus en plus euphorique. Il ne put s’empêcher de couper la parole à grand-père

    -             Papy, moi je veux comprendre, je veux agir en toute liberté et en connaissance des choses ! Mon papy adoré, j’aimerais tellement être le nouveau Noble et Vaillant Don Wald de Lusitanie et partir, partir à travers notre Portugal, aller dans tous les villages, dans toutes les maisons, pour protéger les enfants, les femmes, les anciens, les faibles et punir, châtier les méchants comme ce Bestamontes galicien et ce Satanlazar du diable !

    -             Eh ! Eh ! Eh ! Wald pas de sottises ! Fais attention à ce que tu dis ! Mais tu te crois où ? Tu te crois en France le pays de la démocratie et de la liberté ! Le clair de lune n'est pas encore là, dans ce pays, mon petit !

           Quant à la lecture de Don Quichotte, bien sûr, tous les enfants et les non-enfants devraient le lire. La lecture, que dis-je, la bonne lecture enrichit nos connaissances et affine notre réflexion. La lecture est amitié, est sagesse, est savoir vivre. Un vrai homme Wald doit avoir une tête bien faite et bien remplie dans un corps sain.

     Mais Wald, revenons à notre noble chevalier Don Quichotte., C’est vrai qu’il était un fou, un naïf, mais finalement pas tant que ça Wald. C’était surtout un homme en quête d'amour, un chevalier qui avait le cœur sur la main.

     Il abandonna sa vie, sa maison et s'en alla, errant à travers cette Espagne du VIème siècle, pour faire le bien, pour aider les nécessiteux, pour protéger les orphelins, les femmes, les vieux, les enfants, pour défendre les faibles contre les malfaisants. Il était l'Ingénieux Noble Don Quichotte de la Manche !

     

    ***

    Mais où se trouvent les livres dans ce pays ?

    Une fois de plus papy arrêta son explication et essaya de voir la portée de la discussion sur Wald. Puis, rassuré il tira une conclusion :

    -             Cet indigne fils de la belle Galice, où l’on parle presque la même langue que chez nous, n'était pas un fils de Dieu, ni de Cervantès. Il était d'un autre acabit totalement différent. Vraiment tout le contraire Wald. Mais si la curiosité te pique, si tu veux en savoir davantage sur le personnage, mon petit lapin blanc et noir, comme dans un exercice à trous, remplace par des antonymes les mots qui définissent ci-dessus notre Ingénieux et Noble Don Quichotte de la Manche ! Allez Wald ! Enfourche ton cheval à deux roues et va donc à la bibliothèque de ton école ou de ton quartier et informe-toi ! Comme tu le sais, un garçon averti en vaut deux !

    -             Mais papy, je crois que tu es devenu fou comme Don Quichotte !

    -             Mais pourquoi donc ? Pourquoi donc !

    -             Mais papy ! Réveille-toi ! Arrête de toujours rêver ! Regarde la réalité de notre village, de notre Portugal ! Où est-ce que tu as vu une bibliothèque. Qui dispose du moindre livre à Roustina ou dans les villages environnants ?

    Wald faisant mine d’être furieux contre la prétendue naïveté de grand-père s'en alla sur le balcon. Mais, il en revint aussitôt avec une sentence qui surprit son papy :

    -                      Je n’aime pas cette Galice de dictateurs, ni ces galiciens de merde. Ce sont tous des cons !

    -                      Eh ! Halte là ! Halte là, mon garçon ! Mais qu’est-ce que c’est que ces propos pleins de méchanceté et d’une grossièreté que je ne soupçonnais pas !

    ***

    Wald, j’en ai assez de ces héros qui arrivent après le dur de la bataille !

     

    -                      Mais papy ! Ton Paquito, ton Bestamontes ou ton Fou Galicien, ou je ne sais plus exactement, car tu as tendance à changer les noms de peur, ou je ne sais pas par quelle autre raison, n’était-il pas un galicien de Galice ? Tu n’es pas encore très clair. Toujours en fuite. Tu es un peureux, un fuyard, un lâche, un …

    -                      Wald ! Wald ! S’il te plait ! Halte là ! Ça suffit ! En ce qui concerne mes peurs, ma personne, ne t’en mêle pas ! Cela me regarde ! De plus, je les gère comme je peux et du mieux que je sais. J’en ai assez de ces héros qui arrivent après le dur de la bataille !

    Puis, poussant une vraie gueulante comme il ne lui en arrivait pas souvent :

    -                      Je n’ai pas à recevoir des reproches, ni des accusations de manque de courage de quelqu’un qui n’a jamais dû faire face à une telle situation. Quand j’ai vécu, ce que j’ai vécu Monsieur, il reste des traces, des marques, l’on se méfie et pour tout vous dire, l’on fait et l’on vit cette vie de merde comme l’on peut, mon petit Monsieur ! Sachez que, même si les années passent, la peur, la méfiance ne nous quitte plus !

    -                      Oh mon papy, mon petit lion à la crinière blanche, mais je ne voulais pas, je ne voulais pas te blesser le moins du monde. Mas eu te amo avôzinho do meu coração ! Mais je t’aime mon petit papy de mon cœur.

    -                      Ça va ! Ça va ! C’est passé. Mais quelle mouche t'a piqué pour parler ainsi de ce que tu ne connais pas. As-tu déjà mis les pieds en Galice ?

    -                      Mais mon papy, je n’ai mis mes pieds, ni en Galice, ni nulle part ailleurs sans que tu y aies déjà mis les tiens. N’est-ce pas toi qui m’as dit que personne ne peut quitter ce pays de Satanlazar !

    -                      Parler ainsi de cette belle Galice. Qu’est-ce qui t’a pris ? Tu n’as pas le droit de généraliser de la sorte. Tu te comportes comme ces gens qui généralisent à partir d’un seul exemple.

    -                      Mais Papy ton Paco, ton Bestamontes, dit le Fou, n’était-il pas galicien ? N’était-il pas un voyou qui a fait beaucoup de mal autour de lui ! N’est-il pas une de ces crapules de dictateur qui a accaparé le pouvoir politique illicitement et en tuant assassinant des êtres humains tout simplement parce qu’ils avaient d’autres valeurs et opinions ?

    -                      Oui ! Oui ! Wald ! Mais il n’a pas été le seul. C’étaient d’autres moments, d’autres époques. Et qui te dit que demain n’en aura pas d’autres ? L’histoire du monde est remplie de gens de cet ordre.  Mais Wald, je t’en prie ! Cela ne veut pas dire que tous les galiciens sont des méchantes personnes. Tout le contraire ! Tout le contraire Wald !

    -                      Ah ! Tu crois papy ! Tu es trop gentil ! Toujours prêt à pardonner ! Quant à moi c’est œil pour œil et dent pour dent !

    -                      Oh Wald ! Je te comprends, mais un être humain humaniste ne peut pas, ne doit pas agir de la sorte. Mais cela est un long débat que je ne peux pas te tenir maintenant. Ce que je tiens à te dire en ce moment, c’est que la Galice est le plus beau pays du monde !

    -                      Voilà que papy maintenant tourne galicien ! Se dit-il, puis se tournant vers grand-père : Tu es comme Fernand Mendes Pinto ! Une fois de plus tu exagères !

    -                       Peut-être ! Mais sache mon petit Wald que, ou plutôt écoute :

     

    ***

    L’Arrivée des Galiciens en Ibérie

    -                      Il était une fois…, il y a beaucoup d’années, les galiciens sont arrivés dans la Péninsule Ibérique.

    -                      Ah ! Et où ? Quand ? Comment ? Pourquoi, papy ?

    -                      Eh bien l’on m’a raconté quand j’étais enfant comme toi que ce peuple vivait tranquillement dans des îles lointaines, verdoyantes battues toute l’année, par le vent de l’autre côté de la mer. Une mer où le brouillard est tellement épais que les marins grecs finirent par l’appeler La Manche. C’était un pays dénommé Britannica ou quelque chose comme cela, paraît-il. Mais un jour, le matin d’un brouillard à couper au couteau … 

    -                      Hum papy ! Ton histoire semble délicieuse ! Ô papy, ton histoire de galiciens sent la mer comme le poulpe à la plancha de Pontevedra !

    -                      Mais Wald, un peu de calme. Tu sembles déjà plus excité que les puces des chevaux sauvages des monts de Galice ! Vas-tu me laisser terminer mes phrases et suivre le fil de mon récit au lieu de me couper tout le temps ? Ne t’ai-je pas dit, de moult fois déjà, que dans la vie il faut savoir respecter l’autre. Il faut savoir parler, mais il faut aussi savoir écouter à son tour !

    -                      Sorry ! Sorry ! Dad ! Dit-il en se pincent le nez pour avoir un bon accent bien britannique, imitant en cela sa maîtresse d’école qui semblait être enrhumée, lorsqu’elle parlait la langue de Shakespeare.

    -                       C’est que tu me fais perdre le fil de mon écheveau te dis-je !  Ces gens apportèrent une nouveauté dans la péninsule Ibérique ou les indigènes vivaient dans des cabanes de bois et parfois en pierre.

    -                      Quelle nouveauté papy ?

    -                      Toujours pressé ce Monsieur Wald. Tout le monde sait qu’il ne va avoir que douze ans en juillet prochain. Mais ça promet déjà ! Et qui va le supporter ? Ah ! Quelle nouveauté dis-tu ? Mais leurs nouvelles maisons, mon petit Wald.

    Au début, ils construisaient des maisons rondes, en toit de chaume et une seule porte, comme ouverture, pour se protéger du vent et du froid. Mais, de plus en plus, ces maisons disposaient de sortes de fenêtres et de portes légères et sans serrures. D’ailleurs pourquoi faire celles-ci, puisque tout le monde vivait en harmonie, en confiance comme une grande famille.

     La dernière nouveauté c’est que ces maisons possédaient deux compartiments. Le premier était en rez-de-chaussée destiné aux animaux, des vaches le plus souvent. En hiver, ces animaux étaient un précieux chauffage et dès le printemps elles tiraient l’araire et la charrette. Celle-ci était d’une grande technologie pour l’époque. Avec les roues pleines, les charrettes étaient d’une résistance incroyable et étaient garanties à vie, pas comme la pacotille que l’on fabrique maintenant.

    -       Oh ! Papy s’il te plaît ! Je connais déjà la musique ! Avant tout était meilleur. Ô ! La nostalgie du temps passé !

    -       Tu as peut-être raison Wald ! Mais figure-toi que ladite charrette apporta un modernisme et un confort de figurer dans le livre d’or de l’histoire de la Galice. C’est qu’elle servait à transporter tout matériel, comme transport en commun et même comme moyen de locomotion lors du dernier voyage des humains. De plus, mon petit bonhomme, je voudrais attirer ton attention sur la beauté d’une légende transmise par la voie de l’oralité :

    -       Papy !  Mais, c’est clair comme à la pleine lune ! Puisque ces galiciens-là ne savaient ni lire et encore moins écrire !

    -        Mais écoute donc ! L’on disait que les essieux des charrettes chargées pleuraient la douleur du travail des hommes après avoir été chassés du paradis, mais à vide ou presque, ils chantaient la joie de vivre dans leur nouveau paradis !

    -                      Mais quel paradis papy ? Tu nous martèles chaque jour que le paradis est une invention des différentes églises !

    -                      Mais la Galice, la Galice mon bonhomme ! Sois patient, attends un peu et tu vas savoir pourquoi.

    -                      Mais dis-le-moi tout de suite, au lieu de me faire poiroter toute la soirée. Ce que tu peux traîner, ce que tu es lent, quand tu te mets à parler.

    -                      Mais que fais ce Monsieur de la patience ? Monsieur veut tout et tout de suite. Sache Wald que Rome ne se fit en un jour et la Galice non plus ! Sois gentille pour une fois Wald ! Tu veux ? Sois mon petit lapin blanc ! Il parait que c’est cette ancienne musique des charrettes, faite de rires et de pleurs que les gaiteiros, les joueurs de cornemuse, jouent de nos jours debout sur les falaises tournées vers la mer immense et souvent agitée ! Est-ce que tu sais que la cornemuse en Galice s’appelle la gaita et les musiciens qui en jouent se nomment os gaiteiros !

    -                      Ah Papy ! Dit Wald en riant aux éclats. Maintenant je comprends mieux l’expression un peu pimentée d’érotisme. Não me toques na gaita !  Papy, ça doit être une musique romantique et pleine de nostalgie !

    -                      Oui, oui, mon garçon. C’est une musique qui te fend le cœur et qui t’arrache les tripes. Ça donne un sentiment profond de murriña. Mais ne vas pas le crier sur les toits Wald ! L’on dit que celui qui écoute cette musique en rêve toute sa vie et où que l’on soit dans le monde l’on éprouve une grande nostalgie du pays et un fort besoin de retour en Galice !

    -                      Mais ce fort sentiment est la murriña ! C’est comme notre saudade papy ? N’est-ce pas ?

    -                      Mais ne t’ai-je pas dit, plus haut, que la Galice et le Portugal parlent de tout temps la même langue, ont les mêmes origines ethniques, les mêmes sentiments et presque les mêmes paysages.

    -                      Oh papy, une fois de plus tu exagères comme Fernand Mendès Pinto !

    -                      Mais pas du tout. A l’époque romaine ils parlaient la même langue et Baccara Augusta, la ville de Braga d’aujourd’hui, était la capitale de la Grande Galice. On pourrait presque dire que le portugais que nous parlons aujourd’hui, n’est qu’une évolution du galicien ancien, dit aussi le galaïco-portugais.

    -                      Eh papy ! arrête de me vendre du chat pour du lièvre !

     

    ***

    La Galice berceau des Portugaliciens

    -                      Mais si Wald. Rappelle-toi de ton cours d’histoire sur la fondation du Portugal avec ta maîtresse Mademoiselle Imelda.

    -               Le conté Portucalensis, c’est-à-dire la Galice du sud, fut donné par Alfonse VI roi du Léon en dote à sa seconde fille Dona Teresa lors de son mariage avec Henri, un chevalier de Bourgogne. Comme tu sais ce conté est devenu le Portugal en se développant vers le sud au cours du XII et XIII siècles. Tandis que la partie nord de la Galice fut donnée en dote de Mariage à sa fille ainée Doña Urraque lors de son mariage avec Raymond, l’autre chevalier bourguignon.

    La partie nord de la Galice, par la suite de l’histoire, fut accaparée par la Castille, mais leur cœur resta toujours galaïco-portugais !

    -               D’accord papy, maintenant je comprends mieux. Et écoute, mais il ne faut pas le crier sur les nombreux clochers de la Gaellicia, pour ne pas créer des jaloux. Mais je crois que je me sens galicien :

     

    Teño murriña

    Teño saudades tamén

    Eu choro as tuas belezas

    Ô Galiza

    Nossa terra mae !

     

    -                      Bravo Wald. Bravo ! Tu es portugais de cœur et galicien dans l’âme. Pour célébrer cela, le prochain 25 juillet, jour du Jacobeo, nous irons en pérégrination à Saint Jacques de Compostelle et tu y découvriras des merveilles.

    -                      Quelles merveilles papy ? Il ne s’agit pas d’un conte de fées galiciennes. Maîtresse nous a dit que la Galice est une terre de fées et autres légendes celtes !

    -                      Oui en effet. Dans chaque village reculé, il y a des fées qui hantent vallées et montagnes et à minuit, au clair de lune, l’on peut même les apercevoir en train de se désaltérer dans les fontaines des Rias Baixas. Parfois, elles emportent pendant toute la nuit les enfants sur leurs balais en or et les font voler au milieu des étoiles.

    -                      C’est incroyable ! Peut-être que j’y trouverai une fée moi aussi.

     Oh papy ! J’aimerais tellement voir ça !

    -                      Rien de plus facile Wald. Ce soir on ira sur le mont de l’Antalaya pour regarder le ciel !

    -                      Eh papy ! Mais je ne crois pas à tes fées galiciennes ! Et arrête de me prendre pour un plouc analphabète et idiot. Tu oublies que l’année prochaine je vais passer l’examen d’admission au Lycée de Guardangal !

    -                      Mais pas du tout Wald !  Combien de fois ne t’ai-je pas montré le chemin de Saint jacques de Compostelle dans le ciel ? Dans certaines régions on l’appelle aussi la voie lactée !  Eh bien si tu regardes au-dessus de toi, tu peux voir nettement une étoile qui brille, c’est Altaïr. Ensuite tu dévies ton regard un peu vers le bas dans le firmament et voilà les fées qui dansent entre les étoiles dans une sorte de fumée blanche ! Mais il faut bien regarder pour les voir !

    -                      Oui Monsieur ! Puisque tu le veux ! J’irais même les voir dès ce soir pour te faire plaisir ! Mais c’est quoi ce Jacobéo dont tu m’as parlé ?

    -                      Eh bien, tous les quatre ans, le 25 juillet, les galiciens, qu’ils habitent en Galice ou ailleurs dans le monde, viennent assister à de grandes et belles fêtes en honneur de Saint Jacques, patron de Galice.

    -                      Mais papy ! Maitresse Imelda nous a dit que St. Georges était le patron du Portugal et St. Jacques de l’Espagne !

    -                      Oui Wald mais, la Galice fait partie de l’Espagne.

    -                      Peut-être, mais ce n’est pas juste ! La Galice ne parle-t-elle pas la même langue que nous ? N’a-t-elle pas le même cœur, la même...

    -                      Oui ! mille fois oui ! Mais écoute Wald, va-t-on encore prendre les armes, faire les mêmes guerres du passé, changer les frontières ? Non, cela suffit. A écouter tes interpellations il faudrait toujours courir deux lièvres à la fois. Moi je ne sais pas faire Wald !  Papy semble manquer de patience.

    -                      Ne me coupe pas à chaque instant et permets-moi de poursuivre mon récit ! Ce que je voulais te dire c’est que de tout le monde chrétien arrivent des pèlerins guidés par ce chemin de Saint Jacques, dessiné dans le ciel, qui les mène jusqu’à la merveille des merveilles chrétiennes.

    -                      Mais c’est quoi cette merveille que tout le monde cherche et qui se trouve en Galice ?

    -                       Mais Wald, si tu lisais un peu plus, tu saurais que c’est la cathédrale de Saint Jacques de Compostelle. Je crois qu’il n’y pas de plus belle merveille lorsque le soleil, en se couchant, enlace de ses bras dorés sa façade. Il semble alors vouloir l’emporter avec lui. Je crois même, que cet astre de lumière a du mal à se coucher seul après !

    -                      Mais pourquoi papy ?

    -                      C’est que je soupçonne le soleil d’être un romantique, au cœur d’artichaut, comme les galiciens.

    -                      Olé ! Olé ! Vive les artichauts et pendant que l’on y est Saint Jacques de Compostelle aussi. Mais papy, qu’est-ce que c’est que cette autre vantardise qui prétend que la Galice est le plus beau pays du monde ?

    -                      Mais ce Monsieur qui prétendait que la Galice était un pays de dictateurs et de gens petits, plus bas que terre, n’est-il pas encore rassasié de Galice ce soir ? Monsieur désire-t-il un plat de fruits de mer des Rias Baixas ou des tripes à la mode de Porto ? Tu vois l’ignorance est le pire de tous les méchants préjugés !

    -                      Papy ! S’il te plaît ! Ne me prends pas pour un galicien de la Coruña !

    -                      Si tu ne m’avais pas coupé la parole plus haut, tu le saurais déjà, Monsieur L’Impatient !

     

    ***

    -                      Eh bien ! Il était une fois…

    -                      … il y a bien une éternité, ces anciens galiciens habitaient tranquillement comme je t’ai déjà dit de l’autre côté de la mer sur des îles ventées et pluvieuses. Ils y vivaient en paix et le plus heureusement du monde. Tout le monde se respectait et vivait comme une grande famille unie comme les cinq doigts d’une main ! Ils étaient de bons paysans et encore de meilleurs pécheurs !  La seule guerre qu’ils livraient c’était contre la mer d’où ils retiraient leur principale nourriture.

    -                      Ah je comprends pourquoi les Portugais et les Galiciens mangent beaucoup de poisson !

    -                      Mais une fois, un maudit matin d’épais brouillard, arriva du ventre de la mer une harde de monstres plus que des hommes, des cornes sur la tête et mal habillés. De plus ils sentaient mauvais comme du poisson pourri. Mais le pire de tout c’est qu’ils étaient armés jusqu’aux dents d’armes inconnues. Impossible de résister, pour ces gens de cœur, face à des bêtes sauvages qui n’étaient qu'affamées et assoiffées de sang ! Grand père respire à fond puis continue :

    -                      Au début du massacre, les pauvres habitants qui vivaient en ces lieux depuis des temps immémoriaux furent surpris dans leur paisible sommeil. Ils tombaient comme des agneaux égorgés par des dagues, couteaux et autres instruments de mort. L’on racontait qu’au milieu du village, le vert du paysage, était fendu par un ruisseau de sang rouge coulant vers le lagon.

     Les femmes criaient épouvantées, les enfants pleuraient, les druides priaient. Les vieux, impuissants et regrettant leur jeunesse, serraient les dents, écarquillaient les yeux incrédules de ce qu’ils voyaient.

    Mais ces êtres habitués à se battre contre la forte mer et fiers ne pouvaient pas se laisser abattre comme des moutons. Dans le linceul noir de la nuit ils organisaient une riposte avec courage, astuce, lucidité et sagacité. Au même instant dans la cruauté de la nuit au détour des chemins du village, des hommes à la fleur de l’âge qui avaient pu miraculeusement échapper au massacre tendaient d’immenses filets de pêche invisibles aux yeux aveugles des envahisseurs. A la force de bras et ensuite secondés par la puissance brute des vaches, ils tirèrent ensemble les filets vers le lagon où une bonne partie des assaillants sanguinaires moururent noyés et une autre fut dévorée par des poissons attirés par l’odeur du sang.

    -       Papy je n’aime pas le sang.

    -                       Les femmes dans les premiers instants du combat restèrent pétrifiées de peur. Mais elles comprirent très vite l'immensité du danger. Le mieux était de prendre la fuite. Elles prirent les enfants les plus jeunes dans les bras, et conduisirent avec hardiesse et ruse dans les bateaux tous ceux qui ne pouvaient pas combattre.

    L’on entendait du fond de l’abîme meurtrier, qui virait à une lumière translucide couleur d’acier, les voix rauques et déterminées des hommes crier avec empressement :

    -                      A la mer ! A la mer. Les bateaux ! Tout le monde sur les bateaux !  Vite ! Vite !

    -                      En effet, la mer qu’ils ne connaissaient comme personne, était leur unique sortie pour échapper à la mort. Même si nos galiciens s'étaient battus comme des lions avec une force et un courage surhumain, il était impossible de résister à un ennemi beaucoup plus armé et surtout beaucoup plus nombreux.

    Plus de la moitié de nos vaillants galiciens perdirent leur vie terrestre. Cependant, l’on raconte que les oiseaux marins, cormorans, fous du bassin, mouettes et même les sternes attristées du sort de leurs protecteurs qui depuis toujours leur jetaient en pâturage les poissons inconsommables aux retours de pèche, enlevèrent la nuit les corps des malheureux leur donnant la mer comme sépulture tandis que leur âme s’envolait dans un tapis blanc rayé obliquement de bleu.

    -        Oh papy mais ce sont les couleurs du drapeau galicien !

    -       En effet Wald, mais aussi celles du drapeau argentin, pays où beaucoup de personnes sont d’origine galicienne. Dieu a créé le monde, mais les galiciens ont fait l’Argentine !

    -       Papy, l’on dirait que les galiciens est le peuple élu de dieu ! 

    -               Certainement ! Certainement ! Ce qui est sûr c’est que ce peuple laissa aller leurs bateaux à la cape pendant plus d’une semaine sans savoir quelle décision prendre.

    -               La fuite est toujours une confusion papy.

    -               En effet Wald ! Quelques-uns, très nombreux, voulaient revenir pour enterrer leurs morts et récupérer ce qui de droit leur appartenait depuis la nuit des temps. D’autres légèrement plus nombreux ne pouvaient pas revenir et habiter des maisons, cultiver des terres imbibées de leur sang. Comment dormir dans des lits où avait coulé le sang de leurs proches. Comment naviguer dans une mer colorée par leur sang ? Comment pécher et manger des poissons qui avaient dans leurs entrailles le sang de leurs maris, leurs femmes, leurs enfants, leurs amis ?

           -       Oh papy ! Quelle horreur ! Je ne veux plus manger du poisson ! Même pas de la morue à Bras !  Mais papy les galiciens ont été des réfugiés de guerre, comme les républicains espagnols, comme les migrants qui arrivent par des milliers dans des embarcations de fortune par la Méditerranée !

          -    Mais oui Wald exactement. En réalité nous sommes tous des anciens immigrés qui ont fui la faim, les dictatures, les guerres, les persécutions religieuses, les invasions, mais nous avons la mémoire courte. Nous oublions des moments difficiles, comme 14-18 et 39-49 où des milliers et des milliers de gens étaient jetés sur les routes sans savoir où aller ni retrouver refuge sur les bombes. Je te dirais plus Wald, souvent ce sont ces anciens migrants les plus intolérants dans leur pays d’accueil à l’égard des malheureux nouveaux arrivants !

             -  Mais Papy ! Comment ces gens-là peuvent avoir un cœur de pierre si dur ? Comment refusent-ils de donner ce que qu’ils ont reçu ?

             -   Papy ! Est-ce que nos anciens galiciens ont-ils été bien accueillis dans leur nouvelle terre, car les sachant bons marins je doute qu’ils aient tous péri sous les flots ?

    -                      En effet Wald les plus pressés d’arriver ce sont installés dans ce que l’on appelle aujourd’hui l’Irlande, l’Ecosse, le Pays de Galles proches de leur ancienne patrie. As-tu remarqué la similitude des noms en « gal » Galles, Galice, Portugal. Mais d’autres voulaient aller plus loin et ils se sont installés dans les Asturies d’aujourd’hui. Cependant un autre groupe, désireux de s’éloigner encore plus de cette douleur, sont allés encore plus loin. Ce sont nos galiciens d’aujourd’hui. Mais ils ne s’installèrent pas tout de suite.

    -                      Ah ! Ils sont insaisissables ces Galiciens !  Mais papy, n’avaient-ils pas assez de naviguer sous les vents forts, les crêtes hérissées, souvent mortelles du golfe de Gascogne et de la mer Cantabrique ? L’on dit que c’est une mer où sombrèrent des milliers de bateaux. Comment ont-ils fait pour doubler le terrible cap du Finisterre. J’ai entendu dire que ce cap est un cimetière de marins !

    -                      Tu as raison mon garçon ! Mais ne t’ai-je pas dit que les Galiciens sont de sacrés navigateurs ! L’on dit même que de leurs berceaux ils ont fait les premiers bateaux !

    -                      Des sacrés bonhommes ces Galiciens papy !

    -                      En effet, mais tu sais l’on peut dire autant des autres peuples. Si tu lisais leur l’histoire tu y découvrirais des faits semblables. C’est pour cela que je t’invite à lire davantage, car l’ignorance est la cause de tous les maux !

    -                      Mais papy ! Combien de fois dois-je rappeler à ta mémoire qu’il n’y pas de livres au village ! Et surtout dans les maisons des pauvres comme nous.

    -                      Mais Wald tu exagères ! Nous ne sommes pas pauvres.

    -                      Peut-être ! Mais nous n’avons pas de livres chez nous, papy ! Comment puis-je apprendre.  Bon ! Je sais déjà qu’à toi tout seul tu es une encyclopédie, mon papy ! Comme j’ai de la chance de pouvoir te feuilleter tous les soirs ! Ah ! Ha ! Ha ! Ha !

    -                      Tu es un impossible et impatient petit diablotin, mais tu es un beau petit garçon, mon petit Wald !      Mais je t’aime comme tu es, mon petit galicien, mon petit sauvage, mon lapin blanc et noir !

    -                      Mais moi aussi meu avôzinho, mon petit papio, mon lionceau mal léché. J’aime même ton abondante crinière blanche, toute en bataille, au sortir du lit le matin.  Je ne t’embrasserai plus, car tu piques plus qu’un hérisson de mer ! Et papy, abrège la jolie épopée de tes galiciens, car je commence à tomber de sommeil. C’est qu’il est plus de minuit ! Cependant, je veux savoir, ce soir, pourquoi la Galice est le plus beau pays du monde !

    -                      Bon, dépêchons donc, car Morphée rôde autour de moi aussi !  Eh bien nos valeureux galiciens débarquèrent dans l’estuaire du Minho. C’est un endroit qui leur paraissait un bon havre de paix et propice à remonter dans les terres. Ils ont nommé cet endroit Caminha, ce qui veut dire chemin, car ils pensaient y construire un port et un quai qui leur servirait de chemin de départ pour peupler et défricher ces terres vierges ou presque.

    -                      Essaie d’attacher le mot port et « cal », c’est-à-dire le quai et tu verras le résultat.

    -                      C’est tout trouvé : Port-u-cal mieux, Portugal ! olé ! olé ! gagné !

    -                      Du calme, du calme ! Ne va pas réveiller les pierres de la carrière de Lajes du village de Roustina qui doivent déjà dormir tranquillement à cette heure-ci !

    -                      Allez papy ! Mais dépêche-toi de finir avec ces demi-dieux de galiciens !

    -                      Tout d’abord mes galiciens, comme tu dis, ne se sont installé nulle part tout de suite.

    -                      Mais pourquoi ils n’étaient pas fatigués de traîner de village en village comme les gitans ?

    -                      Mais Wald les gitans ne traînent pas comme tu dis ! S’ils vont de village en village ce n’est pas pour voler des poules, comme disent certaines langues de vipère, mais en quête de travail. C’est que le travail ne leur tombe pas du ciel et il ne vient surtout pas chez eux pour les sortir du lit. Le boulot mon bonhomme, par les temps qui courent, il faut se lever tôt et aller le chercher et surtout pour les gitans !

    -                      Mais papy tes tortues de galiciens ? Eh ! Mais dépêche-toi d’arriver toi aussi !

    -                      Voilà ! les Galiciens traversèrent en long en travers, la péninsule Ibérique et même le reste du monde

    -                      Et quoi papy ?

    -                      Eh bien après avoir bourlingué à travers le monde entier ils ont décidé de s’installer dans la plus belle région du monde :

     

    La Galice !

     

    Olé ! Olé ! Vive la Galice

    Un feu de serments de vigne

    Grillant de belles saucisses

    Deux petits verres d’eau de vie

    Un gaiteiro jouant de la musique

    Au cœur doux comme la ria de Vigo

    A l’âme la plus bigote de Braga

    Papy ! Quel menu magnifique

    Olé ! Olé ! Vive la Galice

    Et sa fameuse queimada !

     

    Maintenant petit Wald !

    Faire pipi et au dodo !

    Il se fait plus que tard

    Le train des songes de Morphée

    Est déjà sur le point de départ !

     

    ***

    Le Présent dans le Passé

    Mais mon cher lecteur qui se croit oublié. Ce n’est pas parce que je ne te parle pas avec des mots que tu fais partie de la liste des laissés pour compte et des oubliés. Non lecteur, tu marches toujours à côté de moi, même dans la route du silence.  Puisque le moment est venu de renouer le fil du dialogue avec des mots, je vaudrais porter à ta connaissance le fait suivant à propos de Wald, homme adulte, bien avancé déjà dans son âge.

    Son corps reste encore musclé, mais son ventre se ballonne un peu déjà et ses cheveux sont devenus plus blancs que neige. Malgré le fait d’être dans la fleur de son âge il se voit encore comme un petit garçon entre les jambes de son papy. Se laissant surprendre par un voyage dans ce passé, tout d’un coup, il se sent comme happé par une profonde et douloureuse nostalgie de son grand-père.

    Ce fut au moment où le soleil derrière les crêtes dorées des îles Mèdes, situées en face de la paisible ville catalane d’Estartit, partait de l’autre côté de l’horizon. Aussitôt après, sans trop tarder, les étoiles grimpaient et se mettaient à leur place dans cette grande assemblée du firmament.

    Plus personne ou presque n’était sur la plage sauf un couple de jeunes adolescents trop occupés à en finir avec leur virginité sous la protection d’un voile blanc d’une certaine nébulosité.

    Wald en bermuda jeta un dernier coup d’œil du côté de l’Escala, puis un autre inutile du côté de Palamôs et ensuite il plongea dans les flots. Il sentit en lui un pincement de cœur et en même temps l’agréable fraîcheur de l’eau.

    C’est que l’après-midi avait été chaud. En effet il avait profité du bien-être de l’ombre du figuier du jardin du mas pour lire le livre « l’Islam enseigné aux enfants et à leurs parents » de Tahar Ben Jelloun où le grand sage marocain ose affronter certains fauves musulmans dits extrémistes.

    Comme c’était agréable de sentir son corps glisser dans cette mer un peu plus fraîche du soir. Se disait-il d’une voix sensuelle et encore plus vibrant de sensibilité dans une lumière ouatée de nostalgie. Dans la poche de son bermuda qui, n’était ni trop grande ni trop petite, il avait glissé ce qui serait bientôt une bouteille à la mer, avec à l'intérieur un papier pour grand-père :

     

    Grand-père ! Tu es

    L’étoile qui brille à l’horizon

    Du soir jusqu’au matin,

    Brille, scintille sans raison.

    Donne- moi ta main !

    Ma belle étoile, allez, va…

    Reviens, ne t’éteint pas.

    Ma douce lumière du matin.

    Mais mon étincelle tient bon !

    Tu es ma lueur de fond

    Soleil de mes yeux verts

    De tous les instants

    De tous les moments nuit et jour

    Tous les jours, été comme hiver

    Ô mon papy !

    Lueur qui jamais ne s’éteint !

    Ma Soupe rouge aux trois rondelles de saucisson

    Ma Soupe verte fumante au chou galicien

    Une cuillerée de vin rouge

    Une autre de nostalgie

    Une pincée de sel

     

    Wald, la soupe ! Avant de partir à l’école

    Déjà neuf heures du matin

    Mange avec plaisir, cet adorable parfum

    Dans ton assiette creuse

    Dans ton bol de rouge argile

    Celle avec ton joli prénom

    Dans un cœur dessiné au sable blanc !

     

    Aïe Papy elle me brûle

    La gorge et même le palais

    Je n’en veux plus

    Il est l’heure, je m’en vais !

     

    Mon garçon, cette soupe est la clé en or

    Qui protège de la faim

     

    « Tenho morriña

    Terra do meu pai !

    Tenho saudade 

    Terra da minha mãe !

    Ai ! Ail ! Ai ! Meu lindo bem !

    Tenho morriña, tenho saudade

    Do meu avô também ! »

     

    Souffle un air frais de nostalgie

    Tu seras toujours ma vie.

    Ô mon papy !

    Lueur qui jamais ne s’éteint !

    Tu seras toujours ma soupe

    Ma soupe d’amour et nostalgie

     Fumante au chou galicien !

     

    ***

    ****   ****

    ***

     

    Wald évoque le souvenir de son père

    Si mon grand-père était un homme adroit de ses mains, mon père se débrouillait comme un manche à balai.

    Bien qu’à la maison, le balai rond en paille ainsi que l’épluchage des nouvelles pommes de terre, dites argentines, étaient mon affaire et celle de ma chipie de petite cousine Karina. Du haut de mes dix ou onze ans, je galopais avec le dit balai. C’était mon petit cheval.

    Mais souvent je montais avec papy sur son vrai cheval pour aller dans les champs ou pour aller en costume de dimanche à la ville de Soutugal.  Mais le cheval fait du manche à balai avait quelque chose de spécial. C’était mon cheval à moi.

    Une fois sur mon cheval en bois, comme mon papy sur le sien, je me sentais un homme, presque un adulte.

    -             Hue ! au galop ! Au trot ! Hue cheval ! Je galopais autour de notre maison. C’était une maison faite en granite dont les murs étaient faits de gros morceaux de pierre taillée, dont les joints avaient été blanchis à la chaux. Les portes et fenêtres faisaient éclater un bleu délavé sous les rayons de soleil de l’été comme de l’hiver.

    Pendant que je faisais le Don Quichotte monté sur le manche à balai ma cousine, Karina, 3 ans plus jeune, balançait dans son berceau de bois de pin sa poupée en chiffons.  Elle voulait attirer mon attention en me montrant son côté maternel, mais moi je voulais lui montrer de quoi j’étais fait et l’art de bien chevaucher.

    -             Mais ! Mais ! Mais ! protestait à voix basse le lecteur.

    -             Ton père se débrouillait comme un manche à balai, mais comment procèdes-tu avec nous. Tu nous laisses là en train de poiroter sur le seuil de la porte de la maison. Tandis que toi tu t’y installe, nous oublies et de fil en aiguille tu changes de fil et tu couds le tissu à ta façon !

    -             Ô mon ami lecteur dans la façon de coudre à la machine ou à la main tu voudrais bien avoir raison ! Puis je te demande pardon et pour te satisfaire écoute, regarde, vois ci-dessous, comment papy fit sans surfilage ses ourlets de pantalon !

     

    ***

    La poussière biblique de papa

    En effet, Papy, voyant que son fils n’était pas fait de la même poussière biblique que lui pour travailler la terre pensa l’envoyer, après le certificat d’études, chez sa sœur Lucia, institutrice à Martingal, pour faire des études secondaires.

    Mais cette décision n’allait pas couler comme un fleuve tranquille. Il y avait tout un tas de rochers, des pierres, des chutes et précipices à surmonter.

     C'est que grand-père n’avait pas toujours eu de bonnes relations avec sa sœur et cela depuis leur jeune âge. Mais c’était quand même la famille et où donc son fils serait-il mieux que chez sa sœur ?

    Mais d’un autre côté il se rappelait que sa sœur avait toujours été une petite garce difficile à cuire. Et pour confirmer cela, il se disait en lui-même que, l’on a beau, ma sœur et moi, être sortis tous les deux des mêmes entrailles maternelles, avoir eu le cordon ombilical coupé par les mêmes vieilles cisailles qui servaient aussi à tailler la vigne au mois de février lorsque les couleuvres commençaient à sortir de leurs trous, ils étaient différents. C’était le jour et la nuit.  Mais selon lui, si la famille peut avoir du linge sale à laver, elle doit le laver en famille et si possible dans la même pierre du rio Coa.  

     D'une certaine façon, ajouta-t-il, la famille c’est comme les doigts de la main. Ils sont tous différents par la taille, par la façon d'être, d'agir, de palper, de toucher, mais ils sont tous unis. La main est la famille et les doigts, ses membres, se répétait-il peut-être pour mieux s’en convaincre. Mais le sale caractère de sa sœur c’était avant, quand ils étaient jeunes et vivaient chez leurs parents. Maintenant avec l’âge elle a dû prendre du plomb dans la cervelle.

    -             Peut-être qu’oui, peut-être que non ! se dit-il en hochant la tête.

     

    ***

    La guerre des poux

    C’est que sa sœur Lucia, selon papy, se prenait pour la lumière du jour. Elle était là, toujours prête à vous chercher les poux dans la tête, comme mon institutrice Mademoiselle Imelda.

    -             Mais lecteur insatisfait, ne t’en va pas ! Assieds-toi sur le petit tabouret de Wald, en bois de pin et comme lui écoutant son papy pendant les longues soirées d’hiver, tends le cou et affine l’oreille :

    A chaque rentrée scolaire, année après année, du mois d’octobre, Maîtresse décrétait la guerre à tous les poux du village. Et comme si ce n’était pas assez, elle continuait son zèle guerrier anti-poux tous les jours de classe jusqu’à la fin du mois de juin de l’année suivante. Ensuite, pendant les trois mois de vacances, les poux pouvaient se reposer à l’ombre, améliorer leurs armes et revenir en force en octobre.

    C’était comme la guerre entre absolutistes et libéraux au Portugal tout au long du XIXème siècle. Quelques mois de repos et ensuite les belligérants revenaient régulièrement aux escarmouches détruisant tout, laissant les pauvres sans culottes, le ventre à donner des heures et le cul à l’air. Ces amusements de la noblesse s’intensifièrent à partir de cette maudite année de 1822, celle de l’indépendance du Brésil. Ce triste évènement historique, selon les tripes patriotiques de ma maitresse Imelda, jeta aux crocodiles du rio Ipiranga le destin héroïque du Monde Lusitanien qui allait du fleuve Minho, au nord du Portugal Continental, jusqu’à la lointaine île de Timor en passant par l’Afrique, l’Asie, l’Océanie et l’Amérique du Sud.

    Quant aux poux de l’école, eux aussi revenaient à chaque rentrée d’octobre, vigoureux et avec des nouvelles stratégies militaires, faisant des ravages sur les champs de bataille des petites tresses couleur châtain et du foin dru coupé en brosse des garçons. Ceux-ci jetaient au visage de certaines filles des piques moqueuses et taquines comme « oh elle a des poils de renard et des yeux de chat ». Ces jeux, une pincée de poudre de trop dans le canon, faisaient rire aux éclats la majorité des garçons, mais cela contribuait à créer aussi, entre les filles, une solidarité contre les garçons qui allait se manifester pendant quelques mois.

    Vers le 13 juin, jour de la Saint Antoine de Lisbonne, le saint Valentin lusitanien, la guerre cédait la place à des petites amourettes entre garçons et filles. A partir de cette date, tous ces oiseaux piaillaient davantage, sentant dans leurs petits cœurs l’odeur des vacances et le parfum des pâquerettes aux yeux d'or largement ouverts en cette période de l’année et qui poussaient à vue d’œil dans la partie consacrée à la pelouse de la cour de l’école.

     

    ***

    Comme La vieille horloge

    Et la tête de grand père, à cette époque-là encore poivre et sel, continuait à se balancer « de cà para là e de là para cà », comme la pendule à poids de la vieille horloge du salon, sans prendre de décision définitive.

    C'est qu'il se rappelait, comme si c’était hier, des conflits entre sa sœur Lucia et sa mère Anna. Leurs disputes devenaient hargneuses, comme une guerre civile au sein de la famille. Pourtant il lui semblait, qu’auparavant, il n’y avait jamais eu un mot plus haut que l’autre qui puisse faire trembler le plancher en pin de la maison ou la flamme de la chandelle à huile qui tentait, tant bien que mal, d’éclairer les joues rougeâtres aussi bien de sa mère que de sa sœur. Comme elles se ressemblaient.  S’il n’y avait pas eu les 19 ans d’âge qui les séparaient et la petite fossette sur le menton de la plus jeune, l’on aurait pu croire qu’elles étaient sœurs jumelles.

    Peut-être, le souvenir de ces images, défilant comme un film sur l’écran de sa mémoire, fit couler sur son visage, à demi labouré, deux petites larmes rondes brillantes comme des étincelles couleur d’argent roulant sur une fleur de lys tout blanc.

     

    ***

    La Dame blanche

    A l'extérieur de la maison, le ciel gris pleurait aussi. Grand-père regardait la pluie fine tomber sur le jardin à travers la vitre de la cuisine. Elle formait presque un fin brouillard, une sorte de dame blanche des marais bien élevée. C’est qu’elle faisait attention à ne pas déranger par ses caprices le soleil de printemps. Elle se posait, avec une attention divine, sur le grand bouquet de fleurs roses du cerisier. Puis, à travers la pelouse, elle se frayait un chemin avec délicatesse, pour ne pas faner, ni la couleur bleuet des crocus, ni le cœur doré des pâquerettes. Grand-père, de plus en plus absorbé par le spectacle, balayait des yeux le jardin. Il découvrit des gouttes plus grosses et plus rondes, comme des billes de verre, glissant, hésitantes et avec lourdeur, sur les larges feuilles de l’arum, fièrement solitaire dans son coin à droite de la porte fenêtre de la cuisine. Enveloppé par une petite douleur de nostalgie, grand-père fixait l'arum de ses yeux presque humides.

    Sur le dru des feuilles vertes, il croyait voir la vigueur, la détermination déjà des vertes années de sa sœur. Il se rappelait elle, quand ils allaient au bal du village, ensemble, comme s'ils étaient des fiancés. Il se souvenait de sa robe blanche en soie estampée de ramages bleu ciel, serrée à la taille. Comme elle lui allait à merveille ! Puis, sans savoir ni pourquoi ni comment, ses yeux glissèrent et allèrent se poser sur le calice blanc de la fleur. Son imagination, le prenant par la main, il dessina d’un coup de crayon rose la jeunesse rieuse de sa mère sur la page blanche de sa mémoire. Était-ce sa mère ou sa sœur ? Une silhouette semblait se superposer sur l'autre, se confondant et n'en faisant qu'une seule. La Dame Blanche.

    -             Que ce temps de pluie est morose. Je me demande si je n'ai pas aperçu la dame blanche de la nostalgie. Pourtant il n'y a pas de brouillard dans la vallée. Je crains que cette pluie m'ait endormi !  

    Se frottant la tête à la racine de sa crinière de neige il murmura :

    -             Je sors dans le jardin prendre une bouffée d'air frais.

     

    ***

    La lumière du jour prenait congé pendant que l'obscurité du soir revenait calmement prendre sa place.

    Ne voulant pas non plus rester là, planté à ne rien faire, sans montrer son pouvoir, le clocher de l’Église de Notre Dame du Rosaire retentit pour donner l'ordre au village de célébrer les vêpres. C’est qu’il était déjà 19 heures et le moment pour Monsieur le curé, dont on parlera plus tard, de faire marcher au pas ses ouillages au son de la musique autoritariste de Satanlazar.

     Pendant ce temps-là, grand-père sortait avec regret de son songe sentimental.

    -             Il faut revenir à la réalité mon petit bonhomme, se dit-il à lui-même.

    Puis il ajouta en chantonnant :

     

    -   Je sais ! Je sais ! Je sais !

    Je suis du signe du cancer,

    Je suis le roi de la danse :

    Un pas en avant et deux en arrière,

    Pourtant à un certain moment de votre âge

    Il faudra, oui, il faudra bien

    Mon cher Monsieur, le crabe

    Prendre une décision,

    Mais une décision sage !

     

    Une décision, c'est le pas en avant et une décision sage ce sont les deux pas en arrière fit remarquer le lecteur avec un petit rien d'humour.

    Cependant, la musique du mot sage réveilla sa réflexion, comme le son du clairon annonçant le rassemblement des troupes colonialistes portugaises pour combattre leurs terroristes indépendantistes en Afrique lusophone.

    Mais en ce moment c’étaient surtout les images du passé de sa sœur qui arrivaient au galop dans sa tête.

    Il se rappelait les bizarreries contestataires de sa sœur qui mettaient fin au calme, à la tranquillité, et aussi à une paix dans la famille qui avait duré des siècles et des siècles.

    -             Amen ! Ajouta ironiquement le lecteur.

    En même temps grand-père se rappelait, comme si tout cela datait de la veille au soir, de la litanie de sa sœur qui aboutit à la tragédie qui tu vas découvrir ci-dessous cher et ami lecteur :

    -             Mais pourquoi, maman, dois-je faire toute seule la vaisselle ?

    -             Mais pourquoi David ne la fait-il pas aussi.

    -             Pourquoi papa ne balaie jamais la maison ?

    -             Mais pourquoi, maman, nous, les femmes mangeons-nous toujours debout et après les hommes ?

    -             Pourquoi nos hommes ne nous respectent pas, ni comme mère, ni comme sœur, ni comme femme, ni comme… 

    -             Mais pourquoi ? Pourquoi maman ? Pourquoi …

     

    Une gifle, puis une autre, puis une autre encore. Les mains de la mère claquaient sur le visage brûlant de sa fille. C’était comme le feu d’artifice du 13 mai 1917 en honneur de Notre Dame de Fatima. Celui-ci éclatait, crépitait, illuminait le miséreux et affamé ciel bleu de la Cova da Iria.

    Grand-père, pas celui que je connaissais aux cheveux blancs, mais celui de la photo sur le buffet, en noir et blanc, le regard jeune et séduisant accouru affolé :

    -             Mais maman regarde dans quel état je suis ! J'étais en train de traire les vaches et vous ici dans la cuisine en train de vous battre comme si on était à la guerre des chiffons. Mais que s'est-il passé ici ?

    Puis se rendant compte de la gravité du drame, il s'approcha de sa mère en pleurs, comme si c’était elle qui avait pris les coups, d'un mouvement décidé il essaya de la calmer dans ses bras.

     

    ***

    -             Mais maman arrête !  Calme-toi ! Calme-toi ! Et toi, ma sœur qu’as-tu fait pour provoquer ce courroux !  Mais pourquoi ? Pourquoi vous être battues de la sorte ? S’écria-t-il imaginant sa sœur mortellement blessée et sa mère, les mains attachées derrière le dos, entre deux gardes républicains.

    Un court instant il a eu une peur de voir sa mère condamnée à la prison.  De la force de ses vingt ans, il la serra dans ses bras avec force et respect. D’une main, il essayait de calmer l'ardeur de la dispute de cette femme dont il avait rêvé quelques rares fois en songe dans les premières années de son adolescence. De l’autre main, il tarissait avec tendresse ce ruisseau de larmes amères, pleines de désespoir qui coulaient sur les joues déjà un peu ravinées de sa tendre maman. Ainsi au fur et à mesure que les pleurs malmenés par les cahotements des hoquets suivis de sanglots, les larmes se jetaient perdues et désespérées dans la mer fermée du fatalisme, de la révolte et d’un remords qui rongeait par l’intérieur ses entrailles.

    -             Ce n'est rien maman dit son fils ! Ça va passer ! Ne t'inquiète pas ! Cela arrive parfois.

    Il sentait contre lui ce corps tremblant de convulsions, au rythme des sanglots venu d'une musique de fado qui déchirait son cœur dans la douleur.

    -             Je ne voulais pas ! Je ne voulais pas ! Pleurait-elle en s'excusant.

    Puis, laissant échapper de son cœur une note de léger soulagement :

    -             Tout ce que j'ai enduré ! Ce n'est pas une vie ! Parfois il voudrait mieux...

    Mais elle n'osa pas terminer sa pensée teinte de couleur noire. 

    En même temps le tout jeune homme qui fut grand-père, pensait en imaginant ce couteau pointu, affûté sur la pierre usée d'ardoise en bas de l'escalier, remuant dans la plaie ouverte à intérieur des entrailles de sa mère, de sa grand-mère, de son arrière-grand-mère, depuis des années, depuis des siècles éternels.

    Des larmes de douleur, de toute une vie d'oppression, de discrimination intériorisée et résignée, descendaient abondamment sur son visage. C'était une mer douce de tendresse, où les rides comme des vagues, s'enroulaient avec amour dans le sable fin et doré qui soufflait dans le tourbillon de son cœur.

     

    ***

    Après la pluie arrive le soleil

    Mais, mais, comme toujours après la pluie, même de larmes, arrive le soleil.

    C'était un petit soleil d'un matin d'été, aux rayons de tranquillité, de calme, accompagné sereinement d'un petit vent frais. Celui-ci, avec zèle, s'appliquait à sécher le visage en larmes de cette femme, mais aussi le visage de toutes ces femmes victimes de machisme, autoritarisme et autres fléaux terminés en « isme ».

    Comme un petit enfant défiant en courage son père, le vent se mit à tourner en rond ne sachant pas quoi faire. Un nuage se mit à bouger puis un autre, le jeu lui procurait du plaisir. Alors voilà que le petit vent regardant timidement le soleil gonfla ses joues et commença à souffler avec enthousiasme. Les nuages se mirent à avancer à la queue leu leu. Une fenêtre de ciel bleu allait peut-être s’ouvrir au-dessus de Roustina, le village qui vu naître le petit Wald.

    Mais chaque personne de Roustina avait gravé dans sa mémoire, depuis très longtemps, la présence d’un ciel gris, parfois très noir qui pouvait leur tomber sur la tête à tout moment.

    -             Mais quelles seraient les prévisions de l'avenir ? Se demandait mon jeune papy. Est-ce que l’indignation silencieuse de sa mère et des autres femmes, bonnes à tout faire, de ce pays allait-elle perdurer encore et encore, pendant des années ?

     

    ***

    Les deux amours de papy

    Pendant ses vertes années, grand-père n'appréhendait pas, loin de là, les problèmes féminins liés à ses deux femmes, sa mère Anna et sa sœur Lucia.

    Bien que dans sa conscience raisonnait parfois une autre demi-guitare lointaine qu’il ne parvenait ni à définir, ni à préciser chantant un fado dont les paroles avaient l’habitude de s’envoler vers les étoiles lors de certaines soirées débordant de nostalgie.

     Mais maintenant, ce qui lui tenait à cœur, c'était de réconforter sa mère, de soutenir sa sœur, de faire régner à nouveau l'harmonie dans la famille. De plus, cette tragédie qui l'avait affolé maintenant le rassurait. Devait-il leur montrer le bonheur d'avoir dans ses bras, sa mère d'un côté et sa sœur de l'autre.

    Deux femmes qu'il aimait de tout son être, même si une autre apparaissait parfois aux contours mal définis. Elle était encore loin, mais elle s’approchait de plus en plus. Celle-là évoluait dans un univers de questions, tandis que les deux premières faisaient partie d'un présent et d'un long passé rassurant.

    Quel plaisir de sentir les battements du cœur de sa mère au rythme des sanglots et de sentir aussi le regard doux et maintenant soumis de sa sœur.

    Il n'aimait pas les disputes, même s'il devait admettre que les altercations permettaient souvent de faire avancer les choses dans la vie.

    ***

    Douleurs et inquiétudes d’une mère

    De son côté à elle, dona Anna la maman de papy, la douleur des sanglots se transformait petit à petit en bonheur.

    Ses deux enfants étaient à présent noués à sa chair comme dans le passé. Mais en grandissant, elle avait parfois l'impression qu'ils lui échappaient un peu plus chaque jour. Même s'ils étaient là, chaque jour dans la maison, elle les voyait s'éloigner de sa chair petit à petit. Elle les sentait partir, avec inquiétude, vers d'autres vies, d'autres bras.

    Mais n'avait-elle pas fait la même chose avec ses parents ? N'était-ce pas cela le destin d'une mère de sentir des égratignures dans son cœur en voyant s'éloigner ses « enfants ingrats » vers d'autres chemins ? 

    -             Mais est-ce qu’ils vont savoir se frayer un bon chemin dans la vie ? Ne vont-ils pas s’égarer dans ce monde chaque jour plus mauvais à ses yeux qui n’avaient jamais vu plus loin que la petite ville de Soutugal située à une quinzaine de kilomètres de de son petit village de Roustina. - Ô ma petite mère Sainte Marie protégez mes deux petits enfants qui me sont plus précieux que la prunelle de mes yeux !

    Elle ne pouvait surtout laisser deviner à ses deux enfants, pour ne pas les inquiéter, les inquiétudes angoissantes qu'elle ressentait et remuait là, au fond de ses entrailles.

     Mieux vaut se mentir, ne pas dire, ne pas parler. Mieux vaut se murer dans le silence pour ne pas aviver ses sentiments à leur égard. Pourtant son cœur clamait, criait avait envie de parler de sortir des mots de tendresse, d’amour, de douceur cachés dans le tabernacle de sa chapelle intérieure de son corps.

    Mais ce silence, n'était pas du silence, mais la plus longue conversation avec soi-même au sujet de ses enfants. Ses enfants étaient sa chaire. Le jour qu’elle s’en irait définitivement elle continuerait à vivre dans ses enfants. Elle se dit tout-à-coup :

    -             Est-ce cela la résurrection dont parlait le curé du village les jours où il était plus berger pastoral que dénonciateur auprès des autorités noires du régime de Lisbonne ? Puis balayant du regard tout autour d’elle de peur d’avoir été entendue.

    -             Mais il n’y avait pas à avoir peur de rien.  N’était-elle pas dans les bras forts et rassurants de son fils ? N’était-elle pas collée à la chaleur du corps de sa fille déjà une jolie petite femme ? Mais pourquoi cette dispute. Elle ne s’en rappelait plus ni du pourquoi ni du comment. Rien. Avaient-ils entendu ses questions venant de son intérieur ? Non, elle n’avait rien dit à haute voix. Le plus important c’est qu’elle se sentait dans les bras de son fils et tellement proche de sa fille. A un moment de cette étreinte elle eut pourtant envie de crier son bien être :

    -              Est-ce cela le bonheur d'une mère ?

     Peut-être. L'on n’est jamais sûre de rien, même si elle avait envie très envie d’y croire. Le quotidien à la maison, au village avait ses épines, mais à cet instant précis, elle était unie à ses enfants. Un instant d’illumination ou de perte de connaissance, elle crut même les sentir bouger dans son ventre.

     Puis un doute mélangé de rêve et réalité l’interrogea comme dans un murmure venant de loin.

    -             Était-elle une femme ou était-elle encore une enfant ?

    Sa mère, à elle lui avait dit et souvent répété qu’avec l’âge, les adultes devenaient des enfants. Quel âge avait-elle ? Avec le travail dans les champs, à la maison, elle n’avait pas vraiment le temps de se poser ce type de question. Peut-être que les femmes habitant la ville de Guardangal, tirées à quatre épingles, se la posaient mais pas les femmes comme elle au village. Mais mon dieu regardez-moi comment je suis accoutrée dans ces vieux vêtements usés et fripés. Mais cela avait-il de l’importance ? Non, aucune !  Ses deux enfants étaient le seul centre de ses joies et préoccupations.

     

    Tout d’un coup elle sentit ses jambes se revigorer et tout en baillant, elle s’étira des bras comme si elle venait de se lever à six heures du matin.

    Une lumière sortant de l’ombre des temps éclairait d’une façon nouvelle son doux visage :

    -              « Ta fille a eu le courage de se révolter contre le serpent de la tradition » et contre certains pouvoirs dominateurs mâles qui, depuis des temps sans mémoire, manipulèrent, étouffèrent et profitèrent abusivement d'elle-même, de sa fille, de sa grand-mère, de son arrière-grand-mère, les réduisant toutes à un statut de servantes. Elle venait de réaliser que sa fille avait osé ce qu'elle, sa mère, son arrière-grand-mère n'avaient pas été capables de faire. Se révolter ! Se révolter !

    Sa fille était une femme téméraire. Une femme qui affrontait ce destin, cette tradition bien chrétienne, bien élevée, bien respectueuse de l’obéissance aveugle aux hommes, une tradition, une morale qui ne la respectait pas en tant que femme.

    Sa fille était une femme debout et elle, sa mère, en était fière.

     

    ***

    Il semble que ce fameux jour, le jeune homme qu’habitait mon grand-père n'ait pas vu, ou sut voir, le serpent qui rampait sur l’atrium de l’église de Notre Dame du Rosaire. Celui-ci chauffé, par un soleil fils de l’aube républicaine, commençait à pointer à l’horizon de ce Portugal vermoulu par une monarchie conservatrice vieille de huit siècles. La bonne conscience de la jeunesse de papy continuait aussi à dormir tranquillement, comme celle des autres hommes, jeunes et moins jeunes.

    Lucia qui n’en voulait pas du tout à sa mère, Anna, de ce qui venait de se passer, regarda dans les yeux son frère et tout en prenant sa mère dans ses bras chantonnait en parodiant :

     

    Ma petite maman,

    Tu sais !  Tu sais ! Ô tu sais !

    Ma toute petite maman

    Nous les femmes, toujours nous avons

    Ô maman !

    Toujours Nous avons

    Sur la tête, sur le dos

    Derrière et devant

    Ô maman !

    Trois dictateurs au moins nous avons

    Satan Lazar dans la rue

    Monsieur le Curé, dans toute notre vie

     Essaie de faire de nous des Maries

    Ô maman !

    Et comme si ce n’était pas suffisant

     Nos chers hommes

    Se croient les cheffes de la maison.

    Eh ! Eh ! Eh !

    Eh bien ! Non ! Non ! Nom !

    Halte-là ! Halte-là ! Halte-là !

    Ô ma petite maman !

     

    Nous les femmes à tous les trois

    Nous disons. Non ! Non !

    Halte-là à la tradition !

    Halte-là à la religion !

    Halte ! A leur « bonne » éducation !

    Halte à Satan Lazar

    Avec sa morale Dieu, Famille, Nation

    Autant diable que vieux garçon !

     

    Rires ! Rires aux éclats !

    Nom de Dié

    Ô Grand Satan-Lazar !

    Ton Portugal marche sur la tête

    Tombe ! Mais tombe sur tes pieds !

     

    Satan Lazar Le Vieux !

    Mais quelle idiotie

    Déjà plus de 40 ans

    Se parodiant en bon chef de famille

     

    Mais ça suffit !

    Ça suffit Satan Lazar !

    Ô ma petite maman

    Des siècles de soumission !

     

    Eh ! Eh ! Eh !

    De conclure avec conviction :

     

    Dis à ton lecteur de fournir un effort de réflexion

    A l’égard de tous les Satan Lazars,

    Dans la rue,

    Dans l’église,

    Dans les champs

    A la maison !

     

    ***

    La foire de la Saint Pierre à Soutugal

    La foire de São Pedro le 29 juin faisait battre le cœur de toute la Raia située autour du district administratif de Soutugal.

    Géographiquement, La Raia est collée dans toute sa longueur au ventre brûlant de la Castille et à la fraîcheur verdâtre du fleuve Coa. Les habitants, d’un côté et de l’autre de la frontière, parlent un langage différent, aussi bien du portugais, que du castillan. Cependant tous vivaient au diapason de la foire de São Pedro. Tous les événements importants ou pas, joyeux ou tristes, se situaient dans le temps par rapport à la foire de São Pedro.

    « De la foire de São Pedro à la mi-juillet il faudra faire les moissons…. Avant la foire de São Pedro il faudra rentrer les foins… Entre la saint Antoine et la foire de São Pedro je vais marier ma fille. Et ainsi de suite, commentaient les villageois.

    C’est que la foire de São Pedro était une caisse de résonance dans la tête des villageois, bien que cette résonance pût être différente selon chacun d'eux. En outre, pendant ces deux jours de foire se passait toujours quelque chose qui marquait les esprits ou les cœurs des frontaliers. Ainsi se nommaient-ils avec une certaine fierté.

     

    ***

    Où se trouve la carte de la Raya

    A les entendre parler de leur Raia, l'on aurait dit que ses habitants formaient un peuple, presque une grande nation. Mais sans nationalisme aucun.

    Grand-père, enfilait une chemise en lin sans col de son défunt père, puis ajouta d’une voix douce d’huile nageant dans un fond de vinaigre :

    -             Dans notre contrée, pas de nationalisme comme à Lisbonne ou à Madrid, mais de l’héroïsme et de la fierté pour une vie de solidarité. Je te prête, tu me prêtes, tu me donnes je te donne.

    La Raya était une grande famille unie mais divisée en deux parties, la castillane et la lusitanienne.

    Quand les villageois allaient à reculons à la Alcadia, c’est-à-dire à la Mairie de Ciudad Don Rodrigo, ils regardaient avec une curiosité naïve et stupide une vieille carte de l'Espagne en forme de taureau. Elle était là, provocante, accrochée au mur blanc juste devant la porte d'entrée. Les paysans se moquaient de la provocation se demandant :

    -              ? Donde està el mapa nuestro, el de la raya ? Ce qui voulait dire, mais où se trouve la carte de notre pays, la Raya ?

    Mais finalement, ce qui les intriguait le plus, c'était cet aigle de couleur noire au milieu des armoiries, affirmant agressivement : « España Una, Grande, Libre » ce qui devrait vouloir dire : Une Espagne unie, grande et indivisible. Pour ce qui était de l’adjectif « libre » papy en riait le dénonçait avec énergie :

    -             C’est un pur mensonge ! Puis il ajouta la voix plus calme. Il suffisait de regarder les personnes avec des yeux ouverts pour s’en rendre compte. Point de liberté. Il n’y avait pas de doute là-dessus. Sinon pourquoi les gens vivaient dans la peur de la Guardia Civil. Pourquoi des gens par milliers fouillaient le pays chaque jour chaque nuit ? Pourquoi autant « d’espagnolitos » partaient travailler pour gagner leur pain dans cette soi-disant mécréante France aux mœurs décadentes selon la propagande du bon Madrid ?

    Malgré cela la campagne de la Raya, bénie par le soleil radieux du printemps, se couvrait de fleurs. Les coquelicots sous un arc bleu-ciel dansaient dans leur robe rouge, au gré du vent, au milieu de la vaste mer de blés tendres et verts. On aurait dit l'Eden.

    Les aigles planaient nombreux, heureux et silencieux dans le ciel azur. Mais personne n'avait jamais vu ou entendu un aigle dire des sottises pareilles comme l’aigle bicéphale de la Alcadia. En revanche, après avoir regardé à deux fois si les rues étroites de la ville n'avaient pas d'oreilles, les paysans murmuraient dans un silence indulgent :

    -             «Esta gente de la Alcadia y de Madrid se dan aires de dioses, pero son unos diablos idiotas!» Ces gens de la Mairie et de Madrid se donnent des airs divins, mais ce ne sont que des diables stupides !

     

    ***

    Mairie de Don Rodrigo

    Un écriteau en grosses lettres jaune, rouge, jaune sur la façade toute blanche éblouit l’œil du passant écrasé par le soleil :

     

    « Dieu, Patrie, Famille

    Discipline, Ordre, Autorité ! »

     

    Une petite pancarte sur la porte en carton délavé aux lettres brulées par le soleil tonne sur le citoyen :

     

    « On ne rentre pas dans la Mairie de notre illustre Caudillo Paco Bestamontes comme dans un moulin ! »

     

    Quelqu’un en silence s’interroge :

    -             Où est passé leur respect à notre égard ?

    -             Mais regardez-moi, comment il est fagoté, celui-là !  Quel paysan ! Bougonne le concierge de mauvais poil.

    Puis tirant plaisir de son autorité :

    -             Eh ! Toi là-bas ! Attends un peu ! Mais où est-ce que tu te crois ?  Tu es à la Mairie bonhomme ! Rhabille-toi espèce de plouc ! Un peu de décence. Tu te crois en train de garder les cochons dans ton bled ? Ne regarde pas ça avec cet air de sauvage du fin fond de la campagne ! Quel bouseux ! Un vrai cul-terreux ! Ce n’est pas une vache qui est à la fenêtre, mon pauvre balourd malappris ! C'est la carte de l'Espagne, la Grande Espagne ton pays, avec ses armoiries. Tu comprends ! Son Excellence que tu vois là est notre chef de l’État. C'est le Généralissime, Caudillo d'Espagne, par la grâce de Dieu...

    Il exprima son mécontentement d'un air supérieur :

    -             Allons ! Allons ! Sois un Monsieur que diable ! D’ailleurs, tu ne peux plus passer ! As-tu vu l'heure ? Il faudra revenir après 14h. Les bureaux sont déjà fermés, rouspétait entre ses dents Monsieur le Concierge en Chef de la porte d'entrée de la Mairie, el señor José Bentavides.

    -             Je vais apprendre à ces péquenauds analphabètes ce qu’est l'heure, ce qu’est la discipline ! Mais se croient-ils dans ces pays mous et corrompus où les pauvres diables comme ce pedzouille mettent des papiers dans les urnes. Il ne manquait plus que cela arrive dans mon pays, ma grande Espagne ! Viva El Paco ! Arriba España aboyait-il, droit comme un menhir et le bras tendu en avant comme un éventail.

    Après un silence ressemblant à une crise de folie étouffée, Monsieur le Concierge en Chef de la mairie de Don Rodrigo se surprit tout d’un coup en train de parler à tue-tête.

    Ce qui était étonnant c’est qu’il ne savait plus vraiment sur qui il pestait.  C’était sur ces pauvres paysans ou sur lui-même ?

    Il ne savait plus. En revanche il était sûr d'une chose. Il se sentait mieux lorsqu'il faisait des remontrances à plus bas que lui.  Ça lui faisait presque plaisir. Oui, c'était cela, un plaisir qui ressemblait à ces orgasmes de femmes de peu de vertu qu’il visitait une nuit par mois et passait toutes les autres à s’en rappeler avec une vicieuse nostalgie.

    C’est que sa femme, Maria de la Concepción, qu'il appelait par le petit nom de Conchita quand il était avide de crème au chocolat, avait pris l'habitude de le repousser pour un oui ou pour un non. Il ne fallait pas qu'elle s’imagine qu'il allait s’abaisser et tourner autour d'elle, à quatre pattes, les oreilles traînant par terre comme un chien.

    -             Je suis un homme moi ! Que soy un macho coño ! Qué se cree la chiquilla esa. Je suis un vrai mâle ! Mais qu’est-ce qu’elle se croit la gonzesse !

    -             Puisqu’elle faisait la garce, la salope, le samedi soir au lieu d'aller de tapas y copitas avec elle, il irait en romeria voir les saintes femmes de la nuit dans leurs propres chapelles, ornées de frous-frous rouges aux lumières tamisées où, sentait le parfum de la bougie mélangé aux vapeurs fortes de Tio Pepe. Elle ne sait pas de quoi je suis capable.  Comment je n’ai pas le droit ? Je fais ce que je veux ! Je peux boire un verre, deux, trois ou toute la bouteille si cela me chante.   La vieille allait voir de quel bois je me chauffe. Comment non ! Mais qu’elle la ferme la sale femelle aux mollets de bique.

    -              Mais qu’est-ce qui m’arrive ?

    L’on dirait que le Tio Pepe lui montait au visage au lieu de lui descendre dans la panse ballonnée.  Le concierge se sentant de plus en plus chef concierge au fur et à mesure que son visage devenait rouge de colère.

    -             N'était-il pas un homme d'autorité, de discipline. Un homme, un vrai ! Quoi ! Pas une de ces feuilles de laitue verte de républicains, prêts à faire caca dans leur froc devant le moindre caprice d'une femme. Non, lui était un mâle, un homme pour de vrai. Et il savait le lui montrer ! Son air macho se lisait dans son visage couleur rouge tirant sur du vinaigre :

    -             ¡Qué soy un hombre y eso nadie me lo quita coño! Ne suis-je pas un homme ! Nom de mes deux !

    Il avait entendu des ragots, mais il n'allait quand même pas baisser l'échine. Un homme comme lui marche la tête haute et toujours tournée vers l'étoile providentielle de la grande Espagne.

    En effet, sous la protection des lumières fades de la nuit, il savait que ces langues de vipère anti-Paquistes avaient osé affirmer, qu'il avait fait du zèle, particulièrement dans l'assassinat d'un soi-disant très grand poète grenadin.

    Mais pour lui ce soi-disant poète n'était qu'un dégénéré, un pédéraste, un fouteur de désordre, un énergumène au service de la racaille.

    -             Tous des fils sans père ! Et la mère patrie ne pourrait avoir dans son noble giron des bâtards matérialistes rouges. Quant à ce prétendu poète, sa tête était un sac de puanteur qui ne devait pas salir les vertus des bonnes âmes chrétiennes. Aucun regret à avoir pour ce salop ! Il avait plus que mérité ce qui lui était arrivé. Bon débarras ! Les mauvaises herbes n'avaient rien à faire dans le beau jardin de notre nouvelle Espagne !

     

    ***

    Il était le chef

    En étant plus jeune José Bentavides avait de l'affection pour le vin rouge de tio Pepe, le soleil d'Andalousie. Mais par constitution physique ou autre raison les vapeurs éthyliques de ce précieux alcool lui montaient à la tête à la vitesse du Talgo Séville-Barcelone. Aussitôt, il pouvait manier el cuchilo ou devenir un pistolero avide de sang au comportement agressif, violent, couronné d'autoritarisme prêt à découdre avec plus faible que lui.

    Plus de vingt ans après, la soixantaine déjà bien tassée, l'on pouvait trouver encore dans son âme un fond de bouteille acide datant de ce temps-là. A peine les administrés campagnards pénétraient-ils dans la pénombre et les mystères sombres de l'édifice, que le chef concierge se donnait du plaisir à leur lancer des pics, mais de manière graduée et administrés selon l’apparence du visiteur.

    C'est que, pendant son adolescence, son père aussi se plaisait à le rabaisser plus bas que terre et à l'humilier.

    -              Eh ! Toi paysan, galicien de las Alpujarras, parle-moi en castillan. En castillan clair et propre ! Tu m'entends ! Ici nous sommes en Espagne, nom de Dieu !  

    Ah ! Je ne dois pas le dire si haut. Je ne devrais pas le crier ainsi. Tu ne dois pas. Mais n'était-il pas le chef ? Il fallait que cela se sache, sinon à quoi ça sert d'être chef.

    Un petit écriteau sur le coin gauche de la porte à l'encre noire délavée menaçait :

    -             Ne criez pas, je ne suis pas sourd !

    -             Oui, chef !

    En effet, il était le 1er chef à partir de la fin et le trentième de la pyramide administrative de la Alcadia de Ciudad Don Rodrigo. Il se tenait là, avec autorité, en travers de la porte d'entrée.

    Son petit uniforme noir, un peu décoloré par le soleil, était propre et bien repassé. Il laissait échapper de son col de chemise ripée, un cou de vautour long et maigre, se terminant par une petite tête d’émeu où se débattaient quelques plumes sur les côtés de sa calvitie.

    Il ne se rebiffait jamais contre un ordre venant de plus haut. Ce n’est pas qu'il n’en avait pas envie, mais un ordre c’est un ordre ! Puis ajouta en silence :

    -             Un ordre c’est sacré ! Que diable, s'il est donné, c'est pour être obéit. « Puta Madre de dios ! » criait-il à haute voix. C’était un gros et laid juron à la mesure de sa colère, mais que l’on pourrait traduire par la jolie expression de papy « non d’une pipe à tabac » ! Même si l’ordre nous fait mal, ça ne se discute pas. De plus, à quoi ça sert ! Ceux d’en haut doivent réfléchir pour donner des ordres et ceux d'en bas doivent obéir. Obéir ! répétait-il peut-être pour s’en convaincre ;

    Parfois Satan le harcelait et à ce moment-là il était prêt à désobéir à ceux qui étaient plus haut que lui et à les envoyer tous au diable. C’est qu’il en avait par-dessus son béret basque et en voulait à tous ses nombreux chefs inutiles qui travaillaient, ou faisaient semblant, dans des bureaux commodes faute d’être confortables et pratiques.

    En effet l’argent de Madrid n’arrivait qu’à compte-gouttes. Les traces de la guerre étaient encore là et bien là.

    -             A certains moments de la journée de travail il les comparait, ceux des bureaux, à une vraie plaie de doryphores s’abattant sur les potagers de pommes de terre situes dans les environs proches de la petite ville. Son propre potager à lui qui l’aidait bien à finir les fins de moi, avait été un cadeau venant d’en haut dû à son zèle à l’égard du régime, un service pas toujours honnête de sa part. Mais on ne mange pas de sa conscience. - Qu'ils aillent au diable, ces fils sans mère !

    Que dieu lui pardonne mais trop c’était trop.  C’est qu’il les voyait revenir de déjeuner au restaurant, satisfaits et le ventre plein.  Ces « hijos de puta » ces fils sans père osaient traverser la porte, passer devant lui la posture hautaine sans le regarder. Pire, s'ils le regardaient, c'était avec un regard de maître à domestique qui voulait dire : mon pauvre diable, compare ton salaire au mien. Moi, je pèse la valeur de mon salaire. Toi, tu es qui, avec ton salaire de petit concierge, un salaire qui ne se voit même pas dans une main. Te voilà catholique pratiquant, Paquiste, phalangiste, nationaliste. Tu te crois un vrai et bon espagnol qui a su choisir son camp en 36 ! Mais regarde-toi, pauvre diable ! Sache que dans la vie, tout est argent, petit concierge. Est-ce que tu as compris, minable !

    ***

    Il n’était pas un minable

    Il n'était pas un minable ! Les minables c'étaient eux ! Aucun honneur. Ils ne pensaient qu'au fric. Des traîtres au grand idéal de cet espagnol indomptable Pepe Rivera.

    Un vrai homme qui en avait ! Les autres, il les haïssait tous, tant qu'ils étaient. Il les détestait tout autant que ces sales mouches, qui venaient se noyer sans cesse dans l'huile de ses sardines qu'il mangeait directement dans la boite.

     Pour ne pas attirer l'attention des regards méprisants, il prenait la précaution de s'installer discrètement, presque en cachette, dans un coin de la cour arrière de la Mairie. Il était 13h30 passé et la faim le taraudait. C'est que son estomac même avant l’heure du repas criait comme un putois en réclamant les sardines dormant dans des draps jaunes d’huile d’olive dans le creux délicieux de la jolie boite.

    C’était un régal de manger sa petite boite de sardines à lui tout seul. Partager ! Qu’il était croquant ce croûton de pain qui se laissait faire sous ses pauvres dents. Tout ceci bien préparé par sa femme avec un certain sens de devoir et la soumission de la bonne épouse.

    Mais il devait quand même faire attention. C’est que s’il avait le malheur de tâcher son uniforme elle saurait lui passer un savon du même degré équivalant à sa soumission.

    S'il était un chacal, elle savait être une hyène. Depuis des années, il avait appris à ses dépens que lorsqu'elle pouvait avoir le dessus il subissait la vengeance de sa soumission cachée. Le croûton de pain noir était alors dur comme les cornes du Diable. Mais il devenait mou, gluant, aussitôt trempé dans cette huile fine et dorée au soleil d'Andalousie.

    Avec ses gros doigts, il avait du mal à racler la toute petite arrête qui restait au fond, mais avec ses yeux il emportait tout le sourire dévergondé de la belle andalouse figée sur la boîte, épaules nues, lèvres charnues, yeux noirs.

    -             La boite de sardines ! Mais c’était régal de chef ! Se dit-il l'estomac satisfait. Dios mio ! Mon Dieu ! Que c’'était bon, presque un péché de gourmandise.

     

     

    ***

    « Miercoles ! » 

    Cependant, en un centième de seconde il fit une horrible grimace de dégoût.

    -             « Miercoles ! » cria-t-il de dégoût, mais sans oser prononcer le mot au mauvais odorat de cinq lettres commençant par m… Mais que foutait là cette salope de mouche au fond de la boîte ! Berk ! Pour un peu ! J’espère que cette diablesse d’andalouse ne m’a pas fait avaler une mouche ! 

    Se sentant coupable, il s’excuse de ses faiblesses :

    -             Aïe ! Mon Dieu ! Ces femmes, notre tentation !

    Puis débarrassant son uniforme de la moindre miette, heureusement sans tache d'huile aucune. Le chef concierge était presque satisfait.

    Presque, parce qu’en revenant vers la porte, il vit son portrait se refléter en entier dans le cadre d'un carreau. L'uniforme noir lui donnait un air d'enterrement et accentuait son visage buriné. Que faire ? Les années ne pardonnaient pas. La cravate, jaune aux rayures rouges du parti phalangiste, relevait pourtant son teint et lui donnait l'image de se sentir quelqu'un. Pourquoi se plaindre ? Bien sûr il ne pouvait pas manger du bifteck toutes les semaines.

    Les sardines étaient là comme témoins. De plus, quand il avait un bifteck, il fallait bien le partager avec sa femme, Conchita. Mais que diable, même s’il ressentait assez souvent des moments de déprime, de vaches maigres, il fallait positiver, positiver toujours, croire dans ce grandissime général, soleil de l’Espagne victorieuse, rayon divin de la très sainte église apostolique romaine.

    C’était vrai aussi qu’il avait le grand privilège et la chance de ne pas travailler sous ce soleil de Satan qu’au mois d’août écrasait toute la Castille. Mais sa grande fierté il la tirait de l’ombre d’une certaine nuit, à Grenade. C’était dans une épaisseur sombre d’une nuit spéciale de 1936 qu’il avait commis «la chose » avec deux autres !  Il avait pris la poudre d’escampette dès le lendemain. Mieux vaut prévenir que remédier.

    Il ne regrettait pas d'avoir quitté ces ploucs de républicains, pas vraiment des Espagnols de pur-sang chrétien. Sournoisement, ils restaient toujours des musulmans liés à l’ancien califat de Grenade. Ils n’étaient que des chiens mauresques, sans dieu ni loi, des empoisonneurs de l'eau des fontaines. Des vraies vermines de notre Nouvelle Espagne, voilà ce qu'ils étaient.

    Jamais ! Jamais tant qu’il s’appellerait José Benavides, jamais il ne ferait confiance à ces faux chrétiens et anti-christs républicains.

    Non, son choix de fuite fut le bon. Il ne le regrettait pas. Ce qu’il pouvait détester ces cocos républicains de tout poil.

    -             Notre Généralissime en a éliminé un million, mais il aurait dû en liquider encore davantage. Bande de salopards ! Mais qu’ils crèvent tous la gueule ouverte et les tripes à l’air.

    En tout cas, l'autre, le pédé, le soi-disant écrivain, il paraît qu'il était aussi poète, il a eu ce qu'il méritait. En lui-même, il sourit de satisfaction. Il avait été malin comme un renard de la Sierra Nevada, il avait su partir au bon moment avec sa femme et ses deux mioches.

    Depuis plus de 25 ans, ni vu ni connu. Comme il se sentait bien à Don Rodrigo, ville calme où il n’avait jamais de troubles provoquées par la racaille. Que dieu donne longue vie à notre grand chef, qu’il continue à mater de sa main de fer tous ces terroristes du diable.

    -             Mais ils ne me font pas peur tous ces dégénérés. Se surprit-il en train de crier à haute voix.  Puis il se dit dans un murmure.

    -             En cas de problème, pas de soucis il ferait le lièvre. Que Notre Dame Del Rocio soit louée !  

    Le Portugal de Satanlazar, pays ami, n'était qu'à deux enjambées !

     

    *

    Le Castillan Dieu Soleil

    Nous n’étions qu’au début du mois de mai. Pourtant là-haut, culminant dans le ciel azur, Dieu, le Soleil brillait glorieux et tout puissant sans miséricorde aucune. Sa vengeance frappe d’une main de fer le visage doux et vert des créatures du printemps.

    Depuis la fin février, ce dernier, n'avait fait que rire, danser, chanter, se multiplier. Pendant tout ce temps, animaux, larves, racines, bourgeons, oisillons n’avaient accompli que dépravation, en forniquant comme des lapins !

    Tous les fruits de ce satanique plaisir étaient déjà là sur cette terre dorée de Castille, prêts à manifester la joie de la vie.

    Mais ô nature, quel abus de pouvoir, de perversion, de déchéance, d'arrogance à l’égard de ton divin Soleil si bon et miséricordieux.

    Mais Dieu Soleil tient à montrer sa puissance et sa gloire. Dans une très grande colère, déchire les nuages et punit par le feu, brûle, écrase, châtie caillou, pierre, herbe, terre, animal, moustique, fleur et fontaine. Ô Soleil forte puissante divine que dans son grand déluge de courroux d’autorité, de volonté, de personnalité, l’arrogance ou naïveté de la vie, il veut corriger, dominer, annihiler, anéantir, annuler, détruire, punir.

    -             Mais le soleil est Le Soleil ! Nom de die !

    Déjà le fleuve Agueda n'était plus qu'un fil cassé d'argent. Le bœuf meuglait de soif. Les yeux de charbon de l’âne semblaient se vider dans l’abreuvoir. Il n’y restait plus que l’image de l’eau. Sous ses sabots le sol semblait se dérober. La mouche tournait en zigzague. Elle ne trouvait pas la moindre odeur fraîche de vie même pas dans une buse de vache. L’oiseau chanteur et rieur ne sautillait plus de branche en branche dans l’arbre. La fraîcheur rouge du coquelicot se fanait.

    Nous n’étions qu’au début de l’été, mais la Castille n’était plus qu’un désert brûlant fait de poussière grise.

     

    ***

    Le Jardin de la Fontaine

    Malgré cette vaste désolation un homme plus vieux que son âge réussit, non pas sans mal, à trouver un petit coin de paradis. Il fallait bien trouver un refuge pour échapper à la furie du divin soleil. Ce lieu d’un peu de fraîcheur n’était autre que le modeste jardin de La Fontaine de la petite ville castillane de Don Rodrigo situé à deux pas de la mairie, dite La Alcadia.

    Le vieil homme en poussant la petite porte en fer forgé aperçu au fond du jardin un banc en bois peint aux couleurs nationales. C’était un petit

    banc tout gringalet et sans âme. Mais le vieux se dit que c’était un bon endroit pour tuer son temps en attendant.

     C’est que le concierge en chef de la Alcadia lui avait refusé l’entrée d’un ton de voix méprisant.

    -             Eh ! toi l’idiot du village. Tu ne sais pas lire ? C’est fermé ! Tu n’as pas une montre ?

    -             Vous avez raison monsieur je ne sais pas bien lire. Mais l’horloge du clocher n’a pas encore sonné midi ! Rétorque le vieux dans un ton de voix calme comme pour s’excuser.

    -             Tous les mêmes sans dieu ni lois !  C’est Fermé te dis-je ! Reviens à 16h30 !

    Que faire sinon attendre. Attendre encore attendre le bon vouloir de ces gens. Il ne lui restait plus qu’à tuer tout ce temps en mâchant avec colère et surtout amertume une paille de seigle qu’il sortit de sa poche de pantalon. C’était un pantalon fait d’un velours rayé, plus qu’usé, de couleur grise comme la poussière. Toujours le même pantalon été comme en hiver depuis des années.

     Mais voilà qu’un homme, une sorte d’extra-terrestre habillé d’une sorte de pantalon trop court et jamais vu dans les parages, s’approcha :

    -             Bonjour Monsieur ! Le banc est petit, mais pourriez-vous me faire une petite place ?

    -             Bien sûr ! Comment non !  Asseyez-vous Monsieur !  Avez-vous assez de place ?

    -             Quelle chaleur étouffante et nous ne sommes qu'au mois de mai ! Je ne suis pas habitué à tant de chaleur ! Hier j'étais encore sous la pluie et les nuages de chez moi ! Mais que l'on est bien à l'ombre dans ce jardin. Ça rafraîchit un peu l'air le petit jet d'eau de la fontaine.

    -             C'est le paradis Monsieur, approuva avec un sourire l'homme assis et sans âge.

    Gilles Sanchez, se sentant en confiance, se lança en espagnol après un court silence :

    -             «¡Qué gente tan poco acogedora, esos los de la Alcadia!» Ce qui voulait dire approximativement que les employés de la mairie étaient accueillants comme des portes de prison.

    Malgré toute une vie vécue en Bretagne, l'espagnol lui revenait en mémoire sans trop de difficultés pour l'instant. Les automatismes de la

    Langue parlée, finiraient bien par se régler tout seuls au fur et à mesure du temps passé en vacances. Puis poursuivant avec un petit sourire amer.  

    -             Pas aimables à la Mairie ! Je me suis fait jeter dehors comme un chien. L'on dirait qu'ils n'aiment pas les étrangers. Pourtant, je n'avais besoin que d'un petit renseignement. Mais où peut-on manger et surtout dormir ce soir dans ce village ?

    -             Ce n'est pas un village, mais une ville, une ville d'histoire. Cette ville s’appelle Ciudad Don Rodrigo.  Ah ! Mais c'est une honte Monsieur. Ils font trois fois pire avec nous les Espagnols ! Faire ça à des étrangers ! Ce sont des gens sans vraies valeurs. Des señoritos en uniforme et costume cravate, mais sans éducation ! Se comporter ainsi avec des étrangers ! Même si je ne vous connais pas, je vous le dis droit dans les yeux : nous, à la campagne, dans notre Raya, nous ne comportons pas comme ces gens-là.

    Ils nous disent que l'Espagne est notre pays. Mais je vous le dis comme je le pense, nous ne sommes pas de cette Espagne-là Monsieur. Regardez-nous et regardez-les. Croyez-vous qu’ils nous ressemblent en quoi que ce soit ? Même le regard est différent. Ils nous regardent de haut en bas et nous de bas en haut, sans qu'aucune parole ne soit prononcée. Mais c'est compter sans notre fierté qui jaillit de nous-mêmes comme les eaux des sources du rio Coa sortant du cœur et des entrailles de notre Sierra de Malcata. Je vous le dis, Monsieur.

    Puis après un petit silence de méfiance.

    -             Monsieur n'est pas de la Raya, pas vrai ?

    -             Si ! Si ! Si !...

    -             Ah ! Je ne vous suis pas ! ¿portugués, español? ¡Ah! ¡Ha! ¡Ha! Non ! Non !  Je vois. Ça saute aux yeux. Vous êtes touriste ! Mais d'où vient Monsieur ?

    -             De Bretagne, de...

    -             Ah ! Grande-Bretagne, Angleterre...

    -             Non, non de Bretagne, de France.

    -             Mais où ça se trouve ? Je ne vois pas. Avec tous ces nouveaux pays indépendantistes...

    -             Non, la Bretagne n'est pas indépendante. C'est la France. Bien que certains...

    -             Ah ! Ici les Basques, les Catalans, les... Enfin des disputes, des haines, des familles divisées, des ... Non ! Non ! Ce qui nous manque à nous, c'est l'union et la démocratie... Mais que dis-je... Ce n'est pas le moment d'en parler.  Surtout pas ici, devant cet édifice. Est-ce que Monsieur aime notre Mairie ? Elle est jolie, n'est-ce pas. Surtout à l'extérieur. On dit que sa façade principale est de estilo gotico isabelino…

    -             Style Isabellin ajoute le touriste.

    -             Vous devez vous y connaître en styles. Moi, j'aimerais savoir, mais mon père à 6 ans m'a fait berger. Ma sœur Pilar elle, a eu de la chance, elle a pu apprendre à lire, à écrire, à compter. Aujourd'hui elle ne fait rien ou presque, elle a la chance de passer toute sa sainte journée assise devant le téléphone et une machine à écrire. Elle est secrétaire chez un médecin au village et toutes les fins de mois un salaire. Quelle chance vous dis-je ! Mais je viens à vous, oui, la Mairie est jolie à l'extérieur, car à l'intérieur, il y a trop de gens pas jolis, pas jolis vraiment Monsieur...

    -             Vous aimez parler et vous parlez bien ! Mais comment vous appelez-vous si cela ne vous dérange pas ?

    -             Mais pas du tout. Tout le contraire. Mon nom de baptême est Manuel. Mon nom, du côté de ma mère, Garcia et du côté de mon père, Rodriguez. Devant vous, Manuel Garcia Rodriguez. Mais au village et pour les amis, je suis seulement Manolito, le barbier, pour vous servir et vous déboiser la colline, si besoin ! Ha ! Ha ! Ha ! C'était pour blaguer ! Excusez-moi.

    Suit un long silence, puis :

    -             Ah ! Vous venez de France ! Je vois... J'aime la France.

    -             De Bretagne Manolito ! Vous connaissez ? Vous avez visité ? Vous...

    -             L'on raconte qu’à la fin de la guerre, beaucoup de républicains, pour échapper à la vengeance des vainqueurs fascistes, nationalistes et intégristes cathos, se réfugièrent en France. Il y a eu beaucoup de morts, beaucoup d’atrocités, beaucoup de misère et aujourd'hui ce que vous voyez...

    -             Oui Manolito ! Ce fut ce que l’on appelle la Retirade.

    -             Vous avez entendu parler de cela ! Vous connaissez ?

    -             Oui, je m'intéresse à l'histoire de votre pays et d'après mes souvenirs, car je ne sais pas bien lire, la  Retirade se fut l’exode des républicains espagnols à la fin de la guerre civile de 36 à 39.

    -             Vous imaginez les problèmes ! En effet, 250 000 militaires et autant de civils qui échappent à l'impitoyable répression phalangiste. En même temps en France la situation se complique. Le Front Populaire tombe, et avec Pétain, ce n'était plus pareil ! Des camps de réfugiés s'installent partout, même sur les plages. Les conditions de vie y sont déplorables, pas d'installations sanitaires. Des zones paludiques sont même déclarées officiellement. De février à juillet 1939, 15 000 personnes meurent dans les camps, la plupart de dysenterie, avec un taux de mortalité supérieur à 60%. Ce fut un drame humanitaire. Un grand drame pour tous ces pauvres, Señor Manolito !

    -             Vous me surprenez Monsieur, je découvre avec vous les chiffres de cette fuite ! Puis, il y a eu la deuxième guerre mondiale.

    -             En effet, la plupart de ces réfugiés ont été enrôlés dans des groupements de travailleurs étrangers en France. Fin 1940, 200 000 travaillaient dans de tels groupements, 75 000 dans les fortifications, 25 000 dans les rangs du travail forcé de l'organisation Tod de l'Allemagne Nationale-socialiste, 20 000 dans les mines et l’agriculture, le restant dans les usines.

    De plus avec l'entrée en guerre de la France en septembre 1939 s'accentua la répression et certains de confession juive furent déportés vers les camps d'extermination nazis...

    -             Pauvres españolitos. Que c’est inhumain de devoir fuir son pays. Mais ici après la guerre personne ne parla de cela. Tout fut étouffé. Moi je croyais savoir et finalement je ne savais presque rien sur cette tragédie de nos républicains espagnols en France. Il a fallu que je découvre vraiment ce drame national par la bouche d’un étranger. Puis après un silence

    -             Oh ! Monsieur ! Mon cher Monsieur ! Vous ne pouvez pas imaginer à vous entendre combien je regrette de ne pas savoir lire.

    -             Je vous comprends. Mais Manolito, vous savez lire un peu et il n’est jamais très tard.

    -             Si peu et comme moi beaucoup dans ce pays. On était si pauvre pendant la guerre que l’on n’était pas encore né et il fallait déjà fossoyer la terre avec nos parents. L’école n’était pas pour nous et où est-ce qu’il y a des écoles pour les misérables ?

    -             Je sais cela señor Manolito ! Mais je voudrais attirer votre attention sur ce qui suit.

     Si La Retirade a été une fuite des républicains espagnols fuyant les massacres des nationalistes à la fin de la guerre avec ses drames et tragédies, elle a constitué ensuite un apport humain et culturel pour le pays d’accueil. Le sud de la France et pas uniquement, a bénéficié d'un poids démographique auquel s'ajoute un poids économique très concret. On y rencontre beaucoup de choses, beaucoup de personnes, beaucoup de noms teintés de la musique de chez vous.

    -      Aujourd’hui encore Manolito, combien de gens de par le monde ne sont-ils pas obligés de fuir leur pays pour des raisons semblables à La Retirade ?

    -             Oui je vois Monsieur !  C’est aussi pour cela que j’adore votre pays. Oh ! Votre France. Il paraît que l'on y respecte les gens d’en bas comme moi. Ici, non. Puis il ajouta avec un sourire de rêve sur les lèvres :

    -             Liberté ! – Égalité ! – Fraternité ! Droits de l’Homme ! Scande Manolito, comme un soleil républicain radieux en roulant les « R », envieux des paroles qu’il continuait de marteler encore. Puis il ajouta les yeux brillants. Quelle chance vous avez en France Monsieur ! Ça doit être beau de pouvoir vivre sans se cacher, sans peur, librement !

     

    ***

     Il n'y avait plus de frein. Les barrières avec son interlocuteur s'étaient levées. Maintenant il éprouvait un grand plaisir à parler librement avec ce français qui ne l’était plus, ni davantage un touriste, mais un ami, un type de personne qu’il n’avait jamais rencontré. Un homme libre !

    Cependant il fallait toujours faire attention aux autres. C’est que par habitude ou par l’instinct de défense, ses yeux ne s’arrêtaient jamais de regarder autour de lui. Les mauvaises oreilles contrôlant, surveillant, perquisitionnant partout dans le pays n’étaient jamais loin:

    -             Ils disent que c’est notre pays, mais ils mentent comme la lune.

    -             Comment cela ? Je ne comprends pas. La lune ment ?

    -             Ah ! Monsieur est un homme de la ville !  Je vois ! Dans notre pays La Raya nous avons l’habitude de dire que les gens de la ville apprennent dans les livres. Nous, à la campagne, nous apprenons de nos parents, mais aussi de ce que nous racontent les anciens. Tous ces gens de la ville que vous voyez là, dans toutes ces sections administratives, en train de s'agiter, de faire semblant, se croient des savants, mais en réalité ils ne savent que peu de chose. Est-ce que je me trompe ?

    Manolito n’attend pas une réponse, car il éprouve un grand besoin de parler :

    -             Parfois, je ne sais pas Monsieur. Regardez tous ces avocats, des gens sans loi. Ce ne sont qu’une bande de baratineurs déguisés en uniforme de défunt, toujours en noir, comme des rapaces. Des docteurs ? Non Monsieur ! Des voleurs ! Voilà ce qu’ils sont ! Puis poursuivant dans un ton de révolte.

    -              L'on dit qu'ils sont allés à l'Université de Salamanque. Mais pour apprendre quoi ? Pour apprendre à nous mépriser, à nous voler quand on demande justice. Puis avec plus d’abnégation dans la voix.

    -                Je ne sais même pas où ça se trouve Salamanque ! Il paraît que l'Université est une sorte d'école, uniquement pour les señoritos et les fils à papa. Des gens de richesse.

    Après un court silence Manolito poursuit :

    -             Je ne dis pas qu'il faut cracher sur la richesse. Qui n'a pas envie de vivre mieux ? Mais cette richesse hautaine a été ramassée, goutte à goutte, du sang et de la sueur de gens simples et laissés pour compte.  Des pauvres diables des villages qui n’ont pu apprendre qu’à gratter la terre pour survivre, Monsieur.

    -             Leurs écoles ? Mais ce ne sont que des lieux où ils n’ont pas appris à construire ce pays et à servir ses gens, mais des écoles, où ils ont appris à nous plumer sans vergogne ! Je ne sais pas. Mieux vaut se taire Monsieur.

    Manolito affichait maintenant un âge indéfini par les traits contractés de son visage burinés par le soleil.  Mais dans son parlé il semblait sûr de ce qu'il disait et en même temps, l’on dirait qu’il doutait aussi. Après un long silence, il ajouta :

    -             L'on nous dit que nous avons la chance d'avoir un curé au village. Un berger pastoral, épiscopal ou national. Je ne sais pas exactement le mot. Je crois qu'il se termine en « al » ou quelque chose comme ça. Pour dire vrai, je n'aime pas ces mots, surtout le dernier.

    -             Ah ! Mais je ne vous comprends pas Manolito !

    -             Eh ! Eh ! Ne faites pas l’étonner ! Mais si Monsieur ! National ! nationalistes, National socialiste et pourquoi pas National communiste ! Tous des extrémistes où il n’y a pas de place pour l’Homme Monsieur !   Avec ces mots et leurs idées, ils nous mettent dans la mierda ! Oui Monsieur dans la mierda, vous avez bien entendu ! Au lieu de nous laisser cultiver tranquillement les terres, élever dignement nos enfants.

    Il fit une pause puis avec conviction, il affirma :

    -             Oui, nous les pauvres, nous les méprisés, nous avons de la dignité, nous ne sommes pas des fainéants, nous travaillons du lever au coucher du soleil, été comme hiver. Nous avons de l'honneur Monsieur.

     Mais au moment des récoltes et sans que nous sachions pour quelle raison ou quelles idées, ils viennent nous chercher pour faire leurs guerres et servir de chaire à canons. Oui Monsieur des guerres qui ne sont pas nos guerres. Cependant ils nous obligent à les faire, pour remplir leurs poches, pour servir leurs intérêts, pour faire leur saloperie de charcuterie où nous sommes les dindons de la farce.

    Après, après leurs guerres Monsieur, quand ils n'ont plus besoin de nous, ils nous laissent pourrir comme du fumier dans nos champs, avec des séquelles ou des bras et jambes en moins. Manolito crache la paille qu’il mâchait en même temps que son visage devient couleur de feu.

    -             Mais du fumier sortent les plus belles fleurs Monsieur ! Puis interrogeant du regard l’étranger.

    -             L'on dirait que je vous ennuie ? C'est qu'à la campagne on n’a pas beaucoup d'amis pour parler de ça. Il y a des moments où il faut que je parle pour vider la pression de la marmite. Vous comprenez ! Excusez-moi, Monsieur.

    -             Mais surtout pas ! Continuez señor Manolito ! Mais vous riez ou vous vous moquez ?

    -             Les deux à la fois Monsieur ! Excusez-moi, mais après ce que vous m’avez raconté sur la Retirade, Vous êtes ! Vous êtes pour moi, une vraie révélation rationnelle ou une révélation nationale ! rires. Pardon !  Vous n'aimez pas ? Soyez donc ma révélation divine mon ami !

    -             Vous continuez à vous moquer de moi Manolito !

    -             Oui parce que je vous parle en ami ! Mon cœur a besoin d’amitié pas de colère ! Je me surprends à rire, moi qui ne riais plus depuis la mort de mes deux parents pendant la bataille d’el Ebro ! Quel carnage entre les deux Espagnes, entre familles, parfois même entre frères. Et la grande église Monsieur elle est toujours du côté du mal, des puissants, des plus forts. Ils disent de belles choses dans leurs sermons le dimanche, mais leur comportement est tout le contraire Monsieur.

    -             Vous ne semblez pas porter notre mère l’église dans votre cœur Manolito ?

    -             Ce n’est pas cela Monsieur. Il y a beaucoup d’hommes et de femmes d’église qui sont des gens de bien, mais la plupart et surtout ceux d’en haut des hypocrites des… Preuve de ce que je dis prenez comme exemple le curé de mon village. Il a beaucoup de connaissances, comme les avocats, comme les… mieux me taire Monsieur, notre curé est aussi un rapace, un corbeau, même dans la couleur. Regardez Monsieur. Dans la vie quotidienne et misérable du village il n'est pas là pour nous aider, ce qu'il veut c'est se remplir les poches, nous manipuler, nous dénoncer auprès des hautes instances et surtout vivre de notre chair, de la naissance à la mort !

    -             Comment cela ? Je ne vous comprends pas Manolito !

    -             Mais regardez ! Il nous impose des rites religieux : baptême, mariage, enterrement et que sais-je encore. Mais après, il vous fait tout payer à son prix. Du haut de sa chaire il sermonne d'une manière, puis après il fait selon ses convenances. Mais...

    -             Ah oui, en effet. Mais Manolito vous deviez me parler des mensonges de la lune ! 

    -             J'y reviens ! J'y reviens mon ami ! Vous savez ! J'aime parler avec les gens de la ville. Je dois convenir que certains savent beaucoup de choses. Toutes ces choses que les gens savants présentent dans leurs livres. Moi Monsieur j’aime parler, mais je ne sais pas bien parler. Je ne suis presque pas allé à l’école, je vous le répète. Je suis une personne simple. Dans nos villages nous n’avons pas grande chose. Pas de médecin, pas de pharmacie, pas de commerce, et surtout pas d’école. Est-ce que vous comprenez ? Eh ! Eh ! Oui Monsieur et quand on n’a rien et on ne sait rien, on se fait manipuler, tromper, voler. Voler Monsieur !

    -             Je suis avec vous Manolito. Cela me fait mal à moi aussi. Allez ! Allez Manolito ! J’ai besoin que vous me parliez de la lune !

    -             Ah ! Vous ne saviez pas que la lune ment ? Un peu de patience j’y viens ! Oui, la lune ment Monsieur, comme tous ces bons à rien de la ville. Vous savez, je ne le dis pas pour vous Monsieur, car quand vous parlez, vous ne faites pas de chichi comme ces gens de don Rodrigo. Vous êtes différent ! Vous me plaisez mon cher ami !

    -             Merci pour le compliment ! Mais vous aussi Manolito ! 

    -             Vous les Français ne semblez pas vous comporter comme ces autres orgueilleux fans de Paco et méprisants envers le petit peuple. Ils croient être des savants et ne manquent pas l’occasion de vous le faire savoir. Ils se croient sortis de la cuisse de Jupiter ! Mais... Ils se protègent, se déguisent derrière leurs costumes, leurs uniformes comme dans une comédie. Ces personnages parlent avec des manières, des masques, pour cacher ce qu'ils sont. Des marionnettes, des lèche-bottes de Madrid.

    -             C’est que nous en France Manolito avons déjà une assez longue vie de démocratie et de ses valeurs de respect à l’égard de l’individu et du citoyen.

    -             Ça doit être cela. Ici nous ne savons même pas ce que c’est la démocratie Monsieur. Mais écoutez-moi

    -             Monsieur ! Quand vous voulez faire une statuette en bois, vous commencez par enlever l'écorce avec votre couteau opinel, puis à l'intérieur, si vous ne trouvez que putréfaction et décomposition, que voulez-vous faire avec cela ? Mais rien. De la paille pourrie. C'est ce qu'ils sont ! Dit-il avec animosité et en crachant part terre. Je ne veux blesser personne mais... Excusez-moi !

    -             Ne vous inquiétez pas. Vous pouvez me faire confiance. Mes racines viennent de la campagne, de la terre. Je saurai bien cultiver mon potager en cas de besoin. Mais, si je suis allé à la ville, si j'ai fait des études, c'était mon choix et celle de mes pauvres parents pour apprendre et aussi pour échapper à la vie dure de la campagne. C'était du moins ce que je croyais...

    -             Mais oui, les études, les diplômes, l’éducation sont les plus grandes richesses, le plus grand héritage que les parents peuvent laisser à leurs enfants, Monsieur le breton de…

    -             De Bretagne !

    -             La mémoire commence à me manquer Monsieur ! Nous, on est de la Raya. Du Portugal ? De l'Espagne ?  Ils l'affirment, mais moi je ne sais pas. Des menteurs, des menteurs Monsieur, comme la lune !

    -             Au revoir Manolito ! Je dois vous laisser !

    -             Mais mon ami français ! Ne partez pas ! Je vais vous expliquer tout de suite l’histoire de la lune. Chose promise, chose due ! C’est une histoire vraie Monsieur puisque je viens de l’inventer ! Manuel rit de ses propos ou de lui-même. Puis se donnant des airs de personne pressée.

    -             C'est que la lune quand elle a la forme d’un grand « D » elle prétend qu’elle diminue et lorsqu'elle a la forme d’un grand « C »  elle prétend grandir et c’est tout le contraire qui se passe ! Regardez le ciel. Vous n'avez pas de ciel, chez-vous, en ville ?

    -             Si ! Si ! Mais on ne le regarde pas. Quand on travaille, on n'a pas le temps de rien ! Et la pollution, le bruit, les odeurs, c'est ...

    -             Mais c'est l'enfer mon cher Monsieur ! Chez nous, dans notre Raya, ça sent bon. Nous avons les oiseaux au printemps, les cultures en été, les fruits en hiver, les jeunes filles ! Ah ! Oh les femmes ! Les étoiles et le clair de lune très souvent. Il faut voir ça Monsieur. Mais dites-moi, ne voulez-vous pas passer par la maison ce soir ? Nous avons une de ces saucisses fumées et du bon chou galicien. Moi-même je vous préparerai ça. Un régal !

    -             « Muito obrigado, muchas gracias », merci beaucoup, mais pas le temps vraiment. Je dois y aller Manolito !

    -             Comme vous voudrez. Ce fut un grand plaisir de parler avec vous. Toujours pressés, vous autres, les gens de la ville ! Toujours à la va vite. Pas le temps pour les personnes. Eh bien ! Passez quand vous voudrez.

    -             Gracias Manolito ! Merci Monsieur ! …

    -             Mais vous partez et je ne connais même pas votre nom !

    -             Olivier ! Olivier Martins Ropal ! A bientôt Manolito. Je vous donnerai de mes nouvelles. A bientôt ! Merci à vous !

     

    ***

    La Carte d’Identité

    Il est presque 14h. Le soleil continue à alimenter en bois la fournaise. Toute âme vivante transpire de chaleur. Les petits poissons rouges de la fontaine se serviraient bien un verre d'eau fraîche pour calmer le feu qui brûle leur gosier.

    Manolito commence à pencher la tête comme les plateaux d'une balance. 

    S'il ne craignait pas la Guardia civil, il ferait bien une petite sieste allongée sur le banc public. Mais à quoi bon, dans quelques minutes il sera probablement reçu au service de l'état civil, sauf s'ils trouvent encore un motif pour le refouler.

    Il ne s'agit pourtant que d'une histoire de certificat de naissance pour obtenir cette déesse de carte d'identité, ce sésame, qui lui autoriserait l’entrée dans le paradis, dit-on. 

    Mais lui, il n'avait rien demandé. Lui, Manolito n'en n’avait rien à cirer, ni de la nationalité, ni de cette maudite carte. Allait-elle lui apporter de nouvelles chaussures pour remplacer celles qui, depuis le froid de l'hiver dernier, bâillaient à chaque pas comme des huîtres portugaises ? 

    Ce qui était sûr, c'est que cette garce de carte lui avait déjà fait perdre une journée de travail. On lui avait chanté un chant de gloire en honneur de dieu, de la famille et de la patrie.  

    - Hombre !  Tu dois savoir que Notre Espagne n'est quand même pas une république bananière, ni un pays d'apatrides, mais Ta Patrie, une nation civilisée et admirée dans le monde. Chaque citoyen doit se sentir fier d'être espagnol. Il doit arborer cette carte d'identité comme un étendard et montrer aux autres nations la grandeur de Notre Espagne. C'est un honneur señor Manuel ! 

    -   L'Espagne ! L’Espagne ! Est-ce vraiment notre pays ? S'interroge-t-il en silence avec autant d'incrédulité que d'ironie. Nous le voudrions.  Peut-être ! Mais qu’avons-nous dans ce pays ? Rien ! Même pas un endroit où laisser tomber notre corps fatigué, presque mort. Nous, des Espagnols ? Mais on nous y traite comme des animaux ! Des esclaves au travail. Un morceau de pain dur, des espadrilles en hiver, les pieds nus en été. Voici notre lot accordé par notre grande Espagne ! Puis faisant un bilan de sa vie.  

    - Ils nous prennent pour des dindes de Noël. Mais c'est leur Espagne pas la nôtre ! Ce qui me reste de mieux à faire, c'est de me coucher de bonne heure et demain, dès l'aube, à faire comme les autres : me lancer sur les chemins, traverser les Pyrénées, me cacher comme un lapin, puis me sauver et atteindre l’autre côté de la frontière. Une fois là-bas, travailler. Saisir sa chance. Devenir quelqu'un ! Être un homme ! Être une personne respectée ! Vous entendez ! Respectée !

    Mais que possédons-nous dans cette Espagne Paquiste de Mierda ? Rien de rien ! Regardez-moi ces champs de Satan. Ils sont durs et secs comme les cornes d’un taureau sauvage.

    Pourtant du lever au coucher du soleil, nous les arrosons avec notre sang, avec notre sueur. Après avoir courbé l’échine sous un soleil de plomb, tous les jours, pendant des mois, nous n'avons pourtant qu'une maigre récolte. 

    C'est une récolte qui, dans le meilleur des cas, ne fera que tromper nos ventres et ceux de nos enfants. Le pire de tout, c'est que ces champs ne sont même pas à nous, mais à eux, eux qui possèdent aussi les terres noires situées en bordure des fleuves et des sources d'eau. 

    De la grandeur de l’Espagne, nous n'avons que des ventres mous et ne possédons des yeux que pour voir la misère. Mieux vaut se taire, pour ne pas finir à prison de Carabanchel. 

    Mais savons-nous ce que signifie avoir ou même posséder ? Pouvons-nous choisir, faire notre vie, réaliser notre personnalité ? Nous sommes traités pires que des bêtes, des bêtes de somme à la solde des autres depuis 40 ans !

    Je crois même que parfois notre jugeote leur appartient. 

    Ils savent la fondre, la mouler, la transformer, la faire leur. Nous ne nous appartenons pas. Notre vie entière, notre travail quotidien est leur propriété, leur propriété privée. 

    Il n'y a pas de place pour nous ici. Nous sommes leur troupeau ! Comme des loups, ils arrivent la nuit, prennent, se servent, égorgent les plus faibles. Puis ils s'en vont, et quand leur besoin se fait sentir à nouveau, ils reviennent. N’existons-nous que pour assouvir leurs besoins ? 

    Ici, il ne s'agit pas de crier pour être entendu. Ici, il n'est possible que de murmurer, pour ne pas se compromettre. Cependant je vous le dis, notre pays n'est pas celui-ci, mais ailleurs, de l'autre côté des Pyrénées. C’est là-bas qu’il y a des champs qui attendent d’être travaillés.  

    Mais en attendant, l’horloge de la modeste cathédrale de Ciudad don Rodrigo venait de marteler la demie. Il était 16h30. Il était temps de retourner à la Mairie et d’y affronter le bon vouloir méprisant des employés mais seulement s’il réussissait à passer la porte d’entrée gardée d’un zèle excessif par Monsieur le Concierge en Chef de la Mairie de don Rodrigo.

    *** 

    Mais ne sois pas pressé 

    Cher lecteur je sais que tu es là en train de marcher sur ce chemin, pas très lointain dans le temps, à mes côtés, mais parfois un tantinet derrière moi.  

    Je sais bien que tu n’es pas fatigué, que tu prends un certain recul pour analyser la vie de ces gens et que tu prends aussi du temps pour contempler la beauté de ces champs, de ces prairies chemin faisant. Comme tu le vois, j’ai fait, moi aussi, une petite pause pour calmer mon cœur, pour revigorer mes jambes et surtout pour te regarder. Mais ne voudrais-tu pas t’assoir, sur cette pierre recouverte d’une mousse que l’on dirait du velours ! Allez viens à côté de moi contempler la beauté de la montagne et questionner le lointain !  

    Mais cher lecteur, maintenant que tu t’es un peu reposé, levons-nous et marchons ensemble en cette journée belle de complicité et écoutons encore ce que ces dignes mais pauvres gens de la Raya pourraient encore nous dire. N’es-tu pas curieux d’écouter, d’apprendre, de savoir ?  

     Oui, je le savais, tendons l’oreille écoutons pour mieux comprendre et tu verras qu'en cheminant ensemble et tout en noircissant ce chemin fait de pages blanches, nous allons mieux nous entendre. 

     Mais taisons-nous maintenant. Nous arrivons déjà en bas de la montagne.  

    Déjà arrivés, si vite ! Ah ! Tu es étonné. Mais mon ami lecteur ne t’es-tu pas rendu compte que chemin faisant, bien sûr en bavardant, que nous descendons beaucoup plus vite que lorsque nous remontons. Pourtant la distance est la même ! C’est qu’au-delà de la gravité il y a une autre étonnante raison ! Je me retourne vers toi et lis dans tes yeux que la curiosité te pique déjà.  

    Est-ce que tu veux savoir pourquoi ? Eh bien voilà ! Ecoute l’explication ! 

    Effectivement tu descends beaucoup plus vite ces vieilles montagnes de la Raya, parce qu’elles sont peuplées, selon certains conteurs de légendes et d’histoires, par toute une myriade d’âmes en peine et aussi par un nombre encore plus grand d’anges.  

    Tu ne me comprends pas mon cher lecteur où je veux en venir dans mes propos ?  

    C’est que les âmes en peine ce sont des créatures tristes, désœuvrées, inconscientes dans la vie et tout autant dans la mort. Le pire de tout c’est qu’elles passent leur temps sans but aucun.  

    Tu vois lecteur, elles ne sont pas uniquement en peine, elles sont également perdues !  Aucun dieu n’en veut dans son royaume, ni dans le sous-sol du paradis et encore moins dans les hauteurs riches et confortables du ciel. 

     Mais quel profit pourrait-tirer la bonté divine de leur entrée dans le domaine céleste ?  

    La porte est définitivement fermée ! Que les âmes perdues continuent d’errer dans la dérive éternelle des mystérieuses montagnes, dieu n’en veut pas chez lui ! 

    En revanche les anges sont faits d’un autre bois ! Non pas de châtaignier lecteur ami, comme Saint Antoine de l’église de notre dame du Rosaire de Roustina, mais en bois d’acajou importé de la ville de Nova Lisboa en Angola, la ville d’exil du petit Wald. T’en rappelles-tu encore ? 

    En réalité peu importe de quelle matière sont faits les anges dans cette histoire. Ce qu’il faut souligner lecteur, c’est que les anges bien qu’expulsés du ciel, par le Tout Miséricordieux, ont toujours grande envie d’y retourner. Depuis lors ils ne rêvent que de s’asseoir à la droite du père et bénéficier à nouveau des privilèges et largesses de la cour de dieu.  

    Qui n’est pas attaché à ses privilèges et prêt à les défendre bec et ongles. Regarde donc lecteur la société qui est devant toi. Eh ! Eh ! Lecteur qu’y voyons-nous ? Une petite partie de la société qui conjugue uniquement le verbe « posséder » à la première personne du singulier et du pluriel.  

     Mais si tu veux vraiment ouvrir les yeux, il y en a qui ne veulent pas les ouvrir, je te l’accorde, tu y trouves en bas de l’échelle, une grande majorité qui vit dans la jalousie et obsession du dit verbe. Ceux-là aussi sont disposés à casser même tuer pour y parvenir. C’est que la vie dans les montagnes de la Raya, ou de notre Vallée de Larmes, est un éternel recommencement. Mais mon cher lecteur, ne nous égarons pas dans ces chemins étroits et plein d’embouches et revenons au fil conducteur de notre conversation sur les anges de cette contrée. 

    Dans les flancs montants et descendants des montagnes de la Raya les anges accomplissent une lourde peine bien particulière. Celle-ci a été causée par rébellion et orgueil à l’égard du Tout puissant. C’est pourquoi lecteur que dans toutes ces montagnes les anges font du zèle à servir dieu en espérant racheter au plus vite la place perdue auprès de Lui.  

    Ainsi à peine les anges trouvent un voyageur comme toi et moi marchant dans la montagne, voilà qu’ils s’agroupent derrière toi et te poussent à aller plus vite presque à courir en descendant. C’est qu’ils s’imaginent qu’en te poussant lecteur, ils te feront rentrer dans la superbe et luxueuse église dressée dans le bas de la vallée et une fois dedans tu ne seras plus la brebis égarée, mais la bonne brebis retrouvée fière d’appartenir au grand troupeau de dieu. Ainsi les anges n’ont pas travaillé pour rien, leurs efforts seront payés en heures sup par le Tout Puissant et pourront racheter en même temps et au plus vite leur retour parmi les Grands du Ciel. Dieu ne peut que se réjouir de constater que sa population de serviteurs va grandissant grâce au travail efficace de rabattage de ses anges.  

    Mais ce n’est pas tout dans cette histoire. Il reste la partie moins lucrative de ce négoce divin. La montée ! 

     En effet lorsque tu marches vers le haut d’une montagne ou d’une simple colline faisant ton chemin tu te rends bien compte lecteur que tu peines à monter, que tu te fatigues davantage, que tu n’avances pas, que ton cœur s’essouffle, que la vie est plus dure qu’un os. 

    -             Et alors ! Pourquoi donc ? 

    Mais tout simplement parce qu’il n’y a plus d’anges pour te pousser. Pas exactement ! Je ne dois pas te mentir lecteur, même si cela est chose commune chez les humains pour embellir les tristesses de la vie. Il reste encore un ange. Mais ce pauvre ange boite autant de la jambe droite que de la jambe gauche ! Dans ces circonstances comment peux-tu lecteur aller de l’avant dans les côtes de ces montagnes ou de la vie ?  

    C’est là un travail ardu, ingrat que les anges valides ne veulent pas faire. Ce n’est pas rentable. Hors de question de travailler par amour et de l’eau fraîche. Ce n’est pas avec ce type de travail, peu reconnu et sans prestige, que l’on gagne le royaume du Ciel !  

    -             On ne veut pas y perdre nos délicates plumes blanches, te répondent ces anges dans un gloussement grave accompagné d’un battement d’ailes.  

    Encore une fois de plus lecteur, je te demande d’observer avec attention la société. Qui effectue les travaux les plus pénibles et les moins bien payés, ici-bas ? Eh bien ! Les différentes sortes d’anges boiteux et il y en a ! 

    Le job n’est pas rentable ni pour ces anges avides de pouvoir, d’ambition démesurée, de fort orgueil, ni pour dieu, car que vas-tu trouver dans le haut des montagnes ! Non ! Non ! Lecteur ! Tu n’y trouveras ni de somptueuses églises ni de cathédrales regorgeant de richesses. Non ! Tu y trouveras parsemées dans le silence et l’oubli des montagnes de pauvres et misérables petites chapelles, des ermitages habités par des religieux si pauvrement habillés qu’ils semblent avoir été oubliés de tous les dieux. Eh ! Dis-moi lecteur quel pauvre diable de ce monde rêve de gens mal habillés et vivant dans la pauvreté ? 

    Au contraire ce qui nourrit les vocations, ce qui alimente la foi, ce qui anime chaque pauvre pécheur chrétien, qu’il soit orthodoxe, catholique, protestant, coopte, chaque variété et espèce de musulman, c’est l’amour de la splendeur des maisons de dieu, la richesse de l’accoutrement de ses dignitaires représentants et une espérance de vie éternelle dans la grandeur royale des cieux. 

     Eh ! Lecteur ami, ne voudrais-tu pas croire que tout pécheur pauvre, ou pauvre pécheur prie le ciel avec dévotion et grande foi pour obtenir la Richesse et la grandeur de Notre Seigneur. 

    Eh ! Justement lecteur quand on parle du loup on en voit la queue ! Voilà un homme qui a une tout autre apparence vestimentaire. On le dirait plus pauvre que Job, portant une barbe hirsute et mal lavée. Il semble s’appuyer avec difficulté sur son gourdin tordu, le corps recouvert d’haillons, le visage couleur de cire et creux comme une coque de noix. Il paraît plus vieux que le temps. Mais que fait-il là, à l’entrée du hall de l’entrée de la mairie de Don Rodrigo en train d’haranguer en vociférant une dizaine de badauds habillés, eux aussi, comme des pauvres diables ?  

    Lecteur, approchons-nous de la scène avec discrétion et voyons ce qui se passe ! 

    ***

    Un vieux rebelle

    -             Quelle bande de sauvages ! Mais regardez là-haut sur ce mur en chaux blanc, juste à côté de la carte d’Espagne et du crucifix. Même les aveugles le voient. Quelle misère ! Vous n’êtes que des moutons ! Des ignorants aveugles ! Comment est-ce possible ? Mais regardez !

    Le vieux certainement autant déçu que furieux par l’attitude passive des badauds brisa en deux le bâton qui l’accompagnait. Mais ce geste d’éclat ne fit bouger la petite assistance.

     Personne ne voulait ni regarder, ni écouter, ni prêter attention à ses paroles. C’est que la peur s’était enroulée à leurs tripes et remontait comme un serpent dans la pensée de chacun et paralysant tout le monde. 

    -             Regardez ! Le portrait en noir et blanc ! C’est votre propriétaire ! Bande d’esclaves soumis. Vos vies lui appartiennent. Tout ce que vous faites, tout ce que vous pensez, tout ce que vous êtes est à lui. Lui seul décide pour vous et pour tout, bande de moutons !  Un silence de panique commençait à faire fuir dans un brou abra étouffé la petite assistance

    -             Mais ne partez pas bande de lâches ! Vous ne savez pas ! Puis redoublant de colère

    -             Est-ce possible que dans cette Espagne un enfant, une femme, un homme, un cheval de picador, un taureau des grands domaines d’Andalousie, un saint des myriades d’églises de ce pays, une bigote des chapelles d’Avila, un moine, un moineau, un chien et tout ce qui bouge   ne sache pas que ce dictateur, que ce voleur, que cet escroc…

    -             Le pauvre vieux n’eut pas le temps de terminer sa phrase. Quatre policiers, au visage vert comme leurs uniformes, plaquèrent le vieux contestataire au sol dans un bruit sourd, lui firent avaler un cri de douleur et à sa vie mordre la poussière.

    Tout se termina aussi vite qu’un éclair. Une seconde après plus de policiers, ni de vieux. Tombés du ciel, les uniformes verts, sont repartis aussi vite qu’ils sont arrivés.

    ***

    Allah Akbar 

    Mon petit Wald, depuis quelques instants, je suis assis là, près de toi sur cette pierre recouverte de mousse. Elle est douce comme du velours. Cependant le chemin à travers toutes ces péripéties historiques, malgré la beauté des vallées et montagnes de la Raya est pénible et fatigant. C’est pourquoi de temps en temps je m’arrête et me repose tout en contemplant la beauté de ce pays. Mais depuis une bonne demi-heure ce n’est pas le paysage de la sierra que je regarde, mais ton visage qui me semble un peu dubitatif et un tantinet fatigué aussi.

    -             En effet papy, c’est que l’histoire du vieux rebelle est encore une de tes fictions engendrées par ton imagination ! Insinua Wald pas sûr de ce qu’il affirmait mais plutôt pour avoir une réaction.

    -             Il n’y a pas de fumée sans feu. Mon Wald, l’histoire est vraie puisque je l’ai inventée pour toi.  Répondit grand-père d’un ton rieur, puis avec du sérieux dans le regard. 

    -             Wald, le vieux eu tort de parler comme il le fit à l’égard de tous ces braves gens. Mais il dit vrai quand il parle du fameux portrait de la Mairie de Don Rodrigo ! C’est bien le portrait du plus grand propriétaire. Il possède tout, il dirige, tout, il impose, ordonne, commande tout et tout le monde sans avis et sans partage dans ce beau pays d’Espagne.  

    -             Mais pour qui tu me prends papy ? Cela n’est pas possible ! Où a-t-on vu autant de puissance et d’autoritarisme ?

    -             Ouvre les yeux Wald, ce n’est quand même pas rien, mets-toi ça, dans ta petite colline déboisée, l’on dit de lui que c’est le plus grand Général, le plus grand Savant, le plus grand, des grands d’Espagne, le plus grand homme d’état de tous les temps !

    -             Qui dit cela papy ?

    -             Sa propagande Wald !  Sa...

    -             C’est quoi la propagande ? Papy, je n’ai qu’un peu plus de dix ans ! Tu sembles l’oublier ! Mais le plus, le plus grand, le plus grand, Allah Akbar ! C’est Dieu ! Puis d’un air malin et incrédule.

    -             Ecoute-moi papy ! Dieu est partout. Il est à l’église, au village, au gouvernement, à table, dans les champs, dans les usines de ce pays s’il en avait, dans les vies de tous et de chacun, dans … Mais regardant dans les yeux son papy Wald amadoue le ton de sa voix.

    -             Quel dieu ? Tu crois à cela Wald ?

    -             Papy, mais tu me prends pour le galicien simplet faucheur de nos foins l’année dernière ?

    Papy surpris par de tels propos hocha la tête. Puis un petit sourire naquit dans ses lèvres. Cela semblait vouloir dire que Wald était bien le petit fils de son grand père.

    ***

    Mais qu’est-il devenu le vieil homme ?

    Patience ! Patience ! Cher lecteur, je vois ton regard inquiet se tourner vers moi pour me demander ce qui est arrivé au vieil homme. Mais pourquoi me demandes-tu ce que ton imagination te dit. Tu ne devrais pas te contenter uniquement de ce que je te dis ou de ce que l’on dit.

    -             Allez ! Monte sur ton cheval, comme Don Quichotte et parcours entre les lignes l’histoire de ton pays. En manégeant ta monture va par les blanches terres de la Manche, fais au petit trot un détour par El Toboso. Mon cher lecteur, tu y trouveras surement une Dulcinée ou alors un Sancho Panza, qui peste l’odeur d’oignon, réclamant le titre de gouverneur d’une île.

    -             Allez ! Ne reste pas là planté comme un soldat à attendre midi à 14h.

    Mais pour le moment prends ton mal en patience, fais-moi confiance. Un jour, si la mémoire ne me joue pas un tour, je reporterai ici, avec fidélité toute cette histoire qui te laissera émerveillé, mais aussi assoiffé de cette eau limpide et fraîche de la fontaine de mon village que je buvais en été.

    Je te laisse imaginer le, glou, et glou…

    Le plaisir et aussi le goût

    Ô mon lecteur ! Et pardessus tout

    Viens boire ce délicat coca de chez nous !

    Lecteur ami ! Mais combien de fois dois-je te dire qu’il faut lire entre les lignes et imaginer ce que n'est pas écrit ! Ne te laisse pas mener comme un mouton sans tête par de belles paroles. Tu sais bien qu’à côté de la fontaine il y a des eaux imbuvables, tu sais bien qu’à côté des palaces il y a des taudis, qu’à côté de ceux qui savent tout, il y a ceux dont on dit qu’ils ne savent rien.

     Prends le Lusitanien de grand-père, le contrebandier, croise la frontière. Mais fait très attention de ne pas être ni vu, ni attrapé sinon ton dos pourrait le regretter.

    En effet je ne voudrais pas qu’il t’arrive la même mésaventure qu’à Wald.

    -             Ah ! Tu es curieux ! Alors le monde de Papy et de Wald est à toi ! Mais écoute donc ! Ecoute l’aventure espagnole qu’ils voudraient te raconter :

    Il était une fois… Un certain dimanche de printemps chez papy le pain manquait et l’argent encore plus. Il se plaignait également d’une jambe et il demande à Wald :

    -             Mon petit homme, monte le Lusitanien et va acheter deux ou trois miches de pain de l’autre côté. C’est qu’en Espagne c’est moins cher Wald !  Mon petit cavalier ne voudrait-il pas faire plaisir à son papy ?

    -             Oh mon papy ! Bien sûr que si !

    Papy n’avait pas encore finit sa demande que Wald était déjà en train de celer son cheval. Mais voyant que la celle était encore trop lourde pour son âge, papy vient l’aider à faire correctement cette besogne. Puis avec une tape sur les épaules du jeune contrebandier il l’encouragea.

    -             Allez Wald ! Va, mais fait bien attention aux carabiniers !

    Wald a fait plus qu’attention. A l’allé il n’eut aucun problème, mais au retour quand il s’y attendait le moins le lusitanien se cabra et le jeune contrebandier tomba presque à terre. Aussitôt un carabinier mal fagoté dans son uniforme vert-kaki lui crie à tue-tête.

    -             Halte là contrebandière de merde ! Qu’as-tu à déclarer ?

    -             J’ai acheté deux miches de pain pour mon papy !

    -             Tu as acheté ou volé ? Descend tout de suite de ta bourrique ?

    -             Mais c’est un cheval Monsieur. C’est le cheval de mon… je n’avais pas eu le temps de finir ma phrase qu’un coup de bâton, suivi d’autres, tout au long de mon dos, me fit voir les étoiles à midi.

    -             Fils de pute, tu laisses ce pain espagnol en Espagne et tu fous le camp tout de suite dans ton pays de merde !

    Je me suis relevé comme je pus, pris les rênes de Lusitanien et m’en alla en larmes qui anesthésiaient un peu ma grande douleur. Je voulais mourir.

    Et ainsi se termina tristement et dans la douleur cette histoire vraie de Wald.

    E toi lecteur, fais bien attention à ton échine aussi. En effet les temps changent plus vite que l’on le pense et il pourrait t’arriver la même chose qu’à Wald ou encore te trouver dans la pauvre situation du vieil homme pour avoir exprimé son opinion.

    ***

    A la Mairie de Soutugal

    Sur le mur du hall d’entrée de la Mairie de Soutugal la carte du pays accrochée au mur n’avait pas la forme d’un taureau, mais d’un rectangle. C’est que l’on était au Portugal. Mais c’était là la seule différence.

    Comme en Espagne lecteur, tu peux voir le Crucifix au milieu, à gauche le portrait d’un Satanlazar te regardant à te faire peur, à sa droite le portrait d’un vieux général qui n’osait pas te regarder.

    -             D'un air hautain et même méprisant l’employé de l’Etat Civil se montrait au guichet comme un dictateur de plus dans cette campagne peuplée de gens humbles et dociles. En l’observant se comporter à distance l’on pouvait imaginer qu’il était là, à la fenêtre du guichet, uniquement pour rabaisser son public et rappeler à ces ploucs, à ces ignorants frontaliers que le « V » de vache, ne se prononce pas comme le « B » de bourricot.

     Et comme si ce n’était pas assez son air méprisant, il éprouvait un plaisir indicible à considérer ces campagnards comme des imbéciles. Si son adrénaline nerveuse montait, il pouvait même les traiter d’ânes et d’autres noms d’oiseaux. En d’autres occasions il optait pour se donner un air sérieux de dieu tout puissant. Mais le plus souvent animé d’un air narquois il se faisait passer par un maître en conférences de l’Université de Coimbra. Il abaissait son auditoire plus bas que terre, en faisant la leçon à des hommes et des femmes humbles qui avaient l’âge d’être ses parents.

    Illuminé par les discours moralistes, paternalistes, nationalistes, patriotiques, autoritaires de Satan Lazar il sentait en lui le devoir de messager biblique de mettre dans le bon chemin tous ces tordus, même à coups de pieds, si sa seule autorité le jugeait nécessaire pour le bien de son patron de Lisbonne.

    En d’autres occasions il sentait grimper dans sa ciboulette la vocation d’instituteur. Dans son cartable des livres d’histoire, de géographie, de morale, qui avaient fait des preuves depuis plus de quarante ans, dans ses mains une canne de bambou afin de réveiller les têtes attardées des 50% d’analphabètes de la Raya et même du reste du pays à l’abandon.

    Néanmoins il n’était pas moins sûr qu’un tel sens de devoir et de zèle ne se termine pas au camp de Tarrafal au Cap Vert ou dans une des bonnes prisons du pays. C’est que Satan Lazar avait averti à de moult fois :

    -             Je ne veux pas de docteurs dans mon pays, mais des gens de paix capables de travailler nos champs et nos campagnes.

    ***

    Maria da Fonte  

    Grand-père portait en lui depuis de bonnes années une révolte contre cette paix qui tournait le pays vers arrière, tandis qu’ailleurs l’on courrait vers le progrès économique, social et politique. Il se rendait compte que le pays était de plus en plus isolé du reste du monde et que les gens, en particulier à la campagne, n’avaient pas d’avenir.

    -              Un jour on finira avec cette paix qui sent la bouse de vache fraîche ! Prodigua-t-il.

    C’est que l’agriculteur qu’il était, imaginait une petite révolution sentant l’air pur de la campagne à 6 heures du matin. Combien de fois pendant la sieste, à l’ombre fraîche du frêne bordant la petite place d’en bas du village, n'avait-il pas rêvé d’une révolte à la Maria da Fonte !

     En effet, au printemps de 1848 cette femme du peuple mit sur sa poitrine décolletée un œillet aux couleurs de la future République de 1910. Elle provoqua un soulèvement populaire contre l’autoritarisme du gouvernement de Costa Cabral, mais pas uniquement, car cette révolte avait une forte composante féminine. C’est pourquoi elle resta dans l’histoire connue sous le nom de Maria da Fonte.

    Selon les lectures de Grand-père cette rébellion, féminine et paysanne, est partie de la municipalité de Povoa de Lanhoso, bourgade située dans le haut Minho, puis s’étendit petit à petit à tout le nord du pays finissant par emporter comme une inondation de printemps l’ensemble du Portugal.

    La force populaire de ce mouvement finit même par avoir la peau du gouvernement, mais également d’influencer par la suite l’engagement de papy. C’est ce que le petit Wald crut découvrir bien après la montée de grand-père au Limbe où il doit continuer à pousser des gueulantes à l’égard de Satanlazar.

    ***

    Wald fera des études

    Dans la tête de grand-père la décision était prise. Son petit Wald fera des études. Il était inimaginable que son petit-fils reste au village dans l’ignorance, victime des railleries méprisantes de la ville. Il ne sera pas la risée des fonctionnaires administratifs de la Mairie de Soutugal !

    De la Foire de Sao Pedro aux premiers jours de juillet, le temps avait passé très vite. Presque aussi rapidement que la traversée du maigre fil d’eau estival du Coa en sautillant de pierre en pierre. Pas besoin, en cette saison, d’aller rattraper le pont à une bonne trotte de là. Cependant il était hors de question de rater une pierre et de mouiller les rustiques chaussures, mais tellement précieuses. Elles étaient inusables à vie. En effet, Manuel Pires, considéré un génie au village venait de faire une invention. Au lieu de continuer à faire les traditionnels sabots, il eut l’idée de remplacer la semelle en bois, par une semelle découpée à partir d’un vieux pneu de voiture. Le gamin le plus espiègle et satané ne pourrait jamais venir à bout de la robustesse des nouvelles chaussures. Mais le nom de cordonnier sciait mal à Manuel Pires, car lesdites chaussures n’étaient nullement cousues avec la moindre corde mais avec un fil, dur comme du fer, fait à partir de poils de cochon noir enduits de cire.

    Grand-père se passant les mains sur sa tignasse blanche en guise de peigne ne pouvait pas ne pas se sentir fier de sa décision à l’égard de l’avenir académique de son petit Wald.

    Il voyait déjà son petit-fils monter sur l’estrade pour recevoir son beau diplôme de fin d’études primaires. Il porterait les chaussures faites par Manuel Pires, bien soignées, avec les chaussettes en coton blanc tricotées par sa tatie. La couleur trancherait avec le pantalon noir tout en s'associant à merveille avec la blancheur de la petite chemise à manches courtes.

    Wald, son petit-fils, aurait l’air d’un beau et vrai monsieur.

    ***

    Fier de lui-même ?

    Grand-père était fier de son Wald, mais également de lui-même. Mais il était hors de question de le montrer d’une manière ostentatoire. C’est qu’il avait avec les autres une relation d’ouverture et il était conscient que chacun avait dans sa personnalité des atouts et des faiblesses. Pourtant en le regardant avec attention, on voyait bien qu’il se plaisait à donner de lui une image d’un homme malin et débrouillard. En effet, il se débrouillait presque toujours pour dénouer la corde infestée de quelques mauvais crabes, aussi bien du village que de la petite ville proche de Soutugal,  qui prétendait étouffer  avec quelque loi ou ruse les pauvres villageois.

    C’est vrai aussi que, sans avoir fait de grandes études, celles-ci n’étaient que pour les enfants dites de bonne famille, grand-père avait différentes cordes à son arc.

    Il était paysan, commerçant en bétail, laboureur, charpentier, contrebandier, conteur, mais aussi un tantinet syndicaliste, incroyablement anti-cureton, diablement anti-Satan lazariste et grand pratiquant de l’amitié avec presque tout le monde.

    Comme paysan, sa relation avec la terre était d'ordre sentimental, amicale, sensuelle presque féminine. L’art du laboureur lui venait naturellement de son âme. Dans une main douce l’aiguillon, dans l’autre ferme l’araire, il dirigeait avec goût la paire de bœufs tout en dessinant dans le champ de labour des sillons tout droits qui laissaient bouche bée d’admiration les passants.

    En toute occasion, mais essentiellement au cours des longues soirées froides et enneigées d’hiver, entre amis et la bonne humeur, autour d’une poêlée de châtaignes grillées animées par une cruche de vin qui se laissait boire, grand père était l’admiration de tous par ses dons de parole , dans l’humour et l’imagination.

    Comme un poisson se mordant la queue, le conte donnait du rêve aux enfants, l’opinion ouvrait les yeux aux aveugles, les incartades comiques faisaient rire les femmes, l’habit de monsieur Trampoline, le curé du village, ne faisait pas de lui un moine, le grand chef du pays plus diabolisé que sanctifié devint Satanlazar pour l’éternité. Tout jeu, débat ou idée pendant la sacrée soirée prétendait oublier tous les malheurs du village dans la risée.

    Mais les lendemains des jours de pluie, après avoir pris un petit verre d’eau de vie grand-père sentait l’appel de la terre. Il partait pendant des heures sans prévenir personne. C’est qu’il rendait visite aux terres fraîchement labourées. Il parlait de l’odeur de cette terre comme s’il s’agissait d’une femme en couches. Il la prenait dans la paume de sa main, la caressait de ses doigts, s’imprégnait de sa chaleur humide et ensuite la laissait tomber tout en la caressant entre ses doigts. Quelques secondes de silence s’écoulaient et comme s’il parlait à quelqu’un il disait d’une voix rassurée :

    -             A la Saint Pierre, nous allons avoir des pommes de terre grosses comme des citrouilles et la chère douce comme le ventre d’une femme.

    ***

    Mais savoir est pouvoir.

    Pourtant malgré le don de parole réel grand-père était hanté par un certain malaise, voir complexe de ne pas avoir fréquenté assez l’école. Lors des conversations de rencontre de famille à la Toussaint, à Noël ou à Pâques il souffrait d’une sorte de domination de la part de sa sœur ainée, l’institutrice. En plus du verbe, celle-ci était une vraie encyclopédie.

    De plus elle avait une aisance pour tirer au clair ce qui était caché avec ruse entre les lignes de la combine politico-religieuse de Lisbonne et les chemins tortueux et glissants du curé du village, le père Trampolin. Dans une conversation, quel qu’il soit le calibre des protagonistes, sa sœur ne se laissait jamais vendre de la farine de seigle pour de la farine de blé.

     Dans ces moments-là, grand-père ne pouvait pas cacher la fierté d’être le frère de sa sœur. Il l’admirait en tant que sœur et encore davantage comme femme.

    -             Ma sœur est une femme qui sait séparer le blé de la paille !

    L’idée des études de son Wald, qu’il portait dans son sang et qu’il martelait dans sa tête lui couteraient la peau des fesses, comme lui faisait remarquer sa radine de femme. Mais qu’importe ! Coûte que coûte son petit-fils irait au lycée et pourquoi pas ensuite à l’université. Il n’était pas libre de parler dans ce pays du Gogoland, mais personne ne l'’empêchera de rêver. Je veux rêver ; du mieux et du meilleur pour mon petit-fils, mon petit Wald. Puis à voix haute répondant à l’avarice de sa femme :

    -             Le meilleur héritage que nous pouvons laisser à nos enfants ce sont les études. Le savoir est la plus grande richesse des hommes !

    -             Ton fils ? Mais il est mort dans ce pays de terroristes sauvages.

    -             Wald est mon petit-fils. Il est deux fois mon fils. Je te l’ai dit moult fois.  Tournant le dos à la femme dont les paroles étaient toujours acides il pleura la mort simultanée, douloureuse atroce de son fils Claudio et de sa bru Virginia en Angola lors de la révolte contre le régime autoritariste de la métropole au printemps de 1961.

     

    ***

    La vie plus dure qu'un os

    Bien sûr il n’était pas totalement aveugle. Un bon contrebandier doit même voir clair dans l’épaisseur de la nuit. Il en savait quelque chose. N’avait-il pas déjà usé les sabots bien ferrés par Manuel le Gitan de cinq chevaux, à traverser la frontière clandestinement ? Toujours par un temps du diable et des chemins où Jésus n’aurait jamais osé passer. Les troupeaux de vaches, de moutons, de porcs il fallait bien les diriger à travers champs, montagnes, les dissimuler dans le maquis loin des yeux avides et rapaces des carabiniers espagnols. Sinon c’était laisser aller à l’eau-vau toute une semaine d’un travail de forçat. Les temps étaient plus durs qu’un os !

    La contrebande se faisait obligatoirement toute l’année, mais particulièrement l’hiver. Il n’avait rien d’autre à faire ni dans le village ni alentour et il fallait bien manger. C’est qu’un estomac vide ne te laisse pas en paix et plus il est vide et plus il réclame et crie sa révolte. Il exige, impose, te harcelle comme l’autre de Lisbonne.

    En plus du vent « sieiro » continental, soufflant du ventre enneigé de la Castille, un froid glacial, à couper au couteau, vous fouette le visage, vous givre les sourcils, vous brule la pointe du nez, vous congèle les autres parties du corps que la bonne morale ne permet pas ici de mentionner.

    De ces temps-là papy gardait des souvenirs horribles. Qu’on ne vienne pas lui dire, à lui, que la vie avant était meilleure. Dépassant déjà ses quatre-vingt-dix automnes, ces cauchemars d’antan inondent encore sa mémoire.

    Même la vie des bêtes était plus douce que celle des contrebandiers. Eh ! Le pire de tout, c’est que parfois le gain de la contrebande se perdait dans la besace des négociants malhonnêtes, d’autres fois dans le bissac des carabiniers espagnols ou dans la gibecière des douaniers portugais.

    Pourtant ce que lui faisait le plus mal c’était peut-être cette voix de peur, imprécise qui le taquinait chemin faisant avec les bêtes. Elle était aussi négative, hésitante, se disputant dans le plus profond de son être avec une autre plus positive, plus avenante, plus rayonnante, plus téméraire qui, heureusement, l’emportait le plus souvent. C’était cette dernière qui faisait de lui ce qu’il était ou ce qu’il croyait être. Il ne  le savait pas vraiment, même s’il la questionnait sous toutes ses coutures.

     Parfois grand-père marchait au cul du bétail comme un zombi. Résultat de la fuite constante à la peur, manque de sommeil, angoisse, stress. Des nuits de marche dans le noir de la nuit, mais le sourire du clair de lune n’était pas vraiment le bienvenu. Celui-ci faisait de tout le monde une cible facile aux fusils des carabiniers.

    Il arrivait que grand-père aux premières lueurs de l’aube, parfois plus endormi que réveillé, dominé par la fatigue fut dérangé par une question à brule pourpoint de la part de ses compagnons :

    -             David ! “Estàs a pensar no Sezudes ?”. Sezudes était un mot populaire du parler de la Raia, un terme pas vraiment précis dans sa signification. Cela devrait dire approximativement, David es-tu en train de divaguer derrière le troupeau ?

    Mais le contrebandier également à cheval en tête du troupeau n’avait jamais la chance de pouvoir s’assoupir ou de baisser sa surveillance, bien au contraire. Il devait choisir le chemin le plus sûr, le plus court et surtout être capable de parer aux innombrables dangers. Il fallait avoir l’oreille fine comme le loup, l’odorat affiné comme un chien de chasse, la vue du rapace, la ruse du renard, l’intuition et le sens de l’orientation d’un chat. Et bien sûr avoir pour monture un malin cheval lusitanien retraité des « touradas » et être un bon cavalier.

    Toutes ces aventures périlleuses de contrebandier au long de longues s années avaient donné à grand-père un certain savoir, une excellente pour comprendre le monde, analyser les gens, démasquer les intrigues et même dévoiler les combinaziones et corruption de Lisbonne, mais aussi du chef-canton la petite ville de Soutugal.

    Grand-père savait mieux que quiconque que, celui qui a le couteau et le fromage entre les mains, le coupe et le partage comme il veut. Grand-père ne se faisait pas d’illusion, il savait que la plus grosse part du fromage irait aux gens de pouvoir et de quelque savoir et aux lèches bottes qui les soutenaient.

    Dans ces moments-là sa sœur lui revenait en exemple. Sa sœur elle, vivait à la ville elle, achetait des livres elle, lisait des journaux, tous les journaux, les bénis du régime et même les maudits qui arrivaient clandestinement de l’étranger. Sa sœur était différente. Elle était Madame l’institutrice. Elle avait du savoir et du pouvoir

    Il devait se l’avouer. C’est cela qui lui manquait à lui. Il ne pouvait pas accepter que son petit-fils en soit privé une fois adulte.

    Grand-père voulait espérer un avenir meilleur pour son Wald. Grand-père avait aussi envie de rêver. Papy avait envie de voir de ses yeux courir à bride abattue ce cheval que monterait son petit-fils. Il le voyait déjà instituteur, même professeur diplômé de l’Université de Coimbra, marié à une femme avec la tête sur les épaules. Que son cœur le protège de ces femmes transparentes peinturées comme des poupées russes et rien dans la ciboulette.

     Peut-être que son petit-fils lui ferait accepter la mort tragique du père et de la mère de Wald. Voir la vie poursuivre la lignée de la famille…

    ***

    Un canard sans sa tête !

    A l’aube de ce 3 juillet 1935 grand-père sauta du lit. Il en avait assez de se tourner et se retourner encore. Le sommeil n’arrivait pas. A quoi ça sert d’attendre celui qui ne veut pas venir. L’on ne peut pas faire boire un âne qui n’a pas soif se dit-il en lui-même.

    Mais pourquoi cette nuit d’été lui semblait pourtant plus longue que celle de la Saint sylvestre ?

    Pourtant en cette saison de l’année les nuits sont extrêmement courtes. Les corps des villageois travaillent du lever au coucher du soleil au village. Ce n’est pas le temps de se reposer et tout sommeil est peu.

    C’est le temps de cueillettes et moissons. Les corps moulus par le dur labeur manquent de repos. Mais personne n’écoute leurs plaintes :

    -             On n’est pas encore couchés que l’on doit déjà se lever !

    Pourtant, le corps de grand-père ce jour-là n’était ni fatigué, ni manquait de sommeil. En ce jour de juillet, il y avait chez lui une force incroyable, un instinct que le poussait vers la petite ville de Soutugal. Pourquoi ?

    Cher lecteur, chère lectrice l’on dirait que tu ne sembles pas comprendre la raison de cette frénésie de grand-père. Pourtant tu connais mieux que quiconque ses qualités, ses défauts ainsi que la motivation principale de sa vie. Alors pourquoi laisser ta réflexion en attente d’une réponse qui te tomberait du ciel. Rien ou presque rien ne tombe jamais du ciel, sauf peut-être de la pluie. Allons donc avance, de par tes pas, résous toi-même les énigmes de toute vie, celle de grand-père de Wald, mais aussi la tienne.

    Prend le fameux petit tabouret de Wald, assieds-y, deviens pour quelques instants l’enfant que tu as été et écoute ce qui suit :

     Pour célébrer les fêtes de Noël, il était courant dans le village de Wald, que la maitresse de maison décapite, une poule ou un canard. C’était une scène assez macabre. On pourrait même arguer qu’il s’agit d’une maltraitance barbare infligée à un animal. Certainement que ces arguments ne sont pas sans fondement et sans doute faudrait-il trouver une mort plus douce à ce pauvre animal.

    Bien sûr lecteur qu’il y a des morts inhumaines et condamnables, voir inutiles, dont il faut en finir. Pourtant dans le sacrifice de cette poule ou de ce canard, il y a en lui, la résurrection de notre vie.  Mais mettons ce débat important de côté pour le moment.

    C’est que le petit Wald lorsqu’il eut l’occasion d’assister à la dite scène ne se posa aucunement ces questions prématurées pour son âge. Il ne vît que le côté drôle et incompréhensible de la situation. En effet si par mégarde son papy lâchât le canard, sans sa tête, celui-ci s’échappait en courant en direction du poulailler !

    Eh bien cher lecteur ! C’est qu’en ce jour très matinal d’été, un des plus beaux jours de papy, celui-ci se comportait comme le dit canard !

    Son corps ne réclamait pas le repos du lit, mais à partir en chevauchant à toute hâte son lusitanien, afin de rejoindre sa tête à lui qui était depuis la veille en compagnie de son petit-fils à Soutugal !

    Son Wald y passait avec brio et tranquillité l’honorifique examen de certificat de fin d’études primaires !

    Mais tu l’avais déjà bien deviné, cher lecteur.

     

    La selle de Manuel Cigano, le gitan

    Il demande à Zè-Luis, l’employé agricole, de seller le lusitanien et les 2 mules avec les selles des jours de fêtes celles qui avaient été joliment faites par un gitan au nom de Manuel Cigano.

    Les traits du visage de celui-ci rappelaient ceux de ses arrières ancêtres, provenant de l’Inde, mais aussi mélangés à ceux d’Egypte, pays où son peuple était passé jadis.

    Manuel, le gitan était un homme imaginatif dans la conception et le décor de son ouvrage. Un connaisseur ne pouvait pas confondre son travail avec celui d’un autre maître dans la matière.

     Lors de la conception de ses selles, Manuel y exprimait sa personnalité et même l’histoire inconnue de son peuple. Les trois ou quatre selles qu'il avait faites pour les montures de mon grand-père, avaient la forme d’un gros cœur dont la partie arrière était ronde et celle de devant se terminait par une pièce en métal en forme de T.

    Lorsque la monture franchissait le seuil de la porte, et qu'elle passait de la pénombre de l’écurie à la lumière du jour, ce T, en cuivre doré, en plus de servir d’appui au cavalier, réfléchissait une lumière où l’on apercevait par éclats les couleurs de l’arc-en-ciel.

    Ce flash de lumière attirait en premier les regards de l’observateur attentif, ensuite emprisonnait admiration de ses yeux et après, les emmenait hypnotisés vers les décors de la couture latérale qui faisait le tour de la selle. Ce décor était un joli point de croix qui donnait vie et éclat à une ligne en lin de couleur verte du côté droit de la couture et une autre ligne rouge du côté gauche. En son milieu plus étroit et plus mince courrait une ligne jaune qui rehaussait l’harmonie des trois couleurs de la république au grand bonheur de grand-père. Cette grande couture reliait les deux parties de la selle. Celle du bas était faite d’un cuir couleur naturelle, souple, doux au toucher et adaptée à la morphologie particulière du dos de chaque monture.

    Il était hors de question, impensable même, de ne pas seller une monture avec sa propre selle et cela au risque de blesser l’animal. De toute façon si vous ne respectez pas ces règles simples, la bête vous le fera vite savoir d’une manière ou d’une autre. Chaque animal a sa morphologie, sa personnalité, son langage, son caractère que le bon cavalier se doit de  bien connaître. Sinon au lieu de vous donner son amitié la monture, qui n’est pas bête, mettra votre comportement irrespectueux par terre.

     La partie supérieure de la selle était faite d’un cuir teinté de couleur bordeaux  plus résistante, elle était  modelée selon la morphologie du cavalier ou de la cavalière. C’est qu’un cavalier et sa monture dans leur démarche ne doivent faire qu’un.

    A ce sujet, soit dit en aparté cher lecteur, il y a même des historiens qui se laissent aller à penser que l’harmonie du cavalier conquistador espagnol et portugais, dont la selle y est pour beaucoup, campés fièrement sur leur monture, ne faisant plus qu’un, a contribué à berner les indiens d’Amérique sur leurs intentions réelles !

    Mais, cher lecteur, ce qu’il est permis de dire en guise de véracité, c’est qu’il était tant le cœur que Manuel, le gitan, mettait dans l’exécution de son ouvrage, qu’il ne serait pas juste à son égard de ne pas remarquer la belle association entre les lignes des coutures de la selle avec le mouvement et la démarche élégante de papy chevauchant avec fierté son lusitanien en ce jour de l’examen de Wald.

    ***

    Rêve ou cauchemar de Grand-père

    Il est 9h. Le soleil déjà tout débraillé et en sueur, chauffe à tout va cette matinée du début de juillet.

    Grand-père cavalier au cœur si vaillant, devant carabinier, policier ou douanier sent maintenant son cœur s’emballer et perdre les étriers.

    Mieux mettre pied à terre pour ne pas tomber. On dirait que le don Quichotte de la Raya vient de prendre dix ans de plus. Tout en prenant appui sur la rambarde il va s’assoir, à l’ombre bien en haut de l’escalier intérieur, qui monte au 1er étage de l’école Municipale de Soutugal. Il s’efforce de garder prise en concentrant son regard sur le sable blanc de la cour, toute vide. Mais la lumière vive qui s’en dégage lui fait fermer ses paupières. Est-il en vie, est-il en train de dormir, de rêver ou cauchemarder ?

    Il semble accuser le coup. Ce n’est pas facile pour ce papy de porter en gestation pendant quatre ans, au cours du Ce1, Ce2, Cm1, Cm2, comme femme enceinte, tout cet espoir déposé sur son fils Claudio, sur sa bru Virginia, qui disparurent d’une mort brutale en Angola. Tous ses espoirs retombent sur son petit-fils, le petit Wald de son cœur. En ce moment de la matinée son petit est en train d’accomplir quelque chose de plus que son examen de fin d’études primaires.

     Et celui qui n’est plus le tout jeune David est un grand-père, le cœur tantôt au galop, tantôt au trot et même dans ses chaussettes. C’est qu’aujourd’hui, il est grand-père, papy, mais aussi père, mère et même grand-mère !

    -             C’est un mystère cher lecteur et lectrice.

    Toute la famille est en lui, dans une seule et unique personne, pour son Wald.

    Papy David est aussi, en ce moment, diverses identités.  En ce jour d’été papy, mi assis, mi allongé sur l’escalier de l’école de Soutugal sommeille profondément. Il semble naviguer tranquillement dans son sommeil comme poissons de rivière nageant sans se presser pour atteindre la mer

    Puis bien endormi, grand père laisse aller son rêve vers d’autres contrées. Il louvoie simultanément entre le présent et le passé.

    Rêve de papy, es-tu cette tragédie de la tauromachie qui se décline en trois unités : le passé, le présent, et le futur !

    Il voit en rêve son petit Wald, un petit taurillon au centre de l‘arène en train de subir les banderilles de ses examinateurs comme s’il s’agissait de la fête brave de la tauromachie aux arènes du Campo Pequeno à Lisbonne.

    Après l’émotion, la fatigue, l’angoisse, papy se retourne, il se vautre sur l’escalier, comme taureau de corrida après l’estocade. Un léger souffle brise un ronflement de gargouille bouchée.  Rêve au cauchemar, il galope à bride abattue à travers les espaces et le temps.

    Serait-il maintenant ce taureau paissant tranquillement dans les verts pâturages en bordure du fleuve Coa ! On dirait qu’il rumine avec une marguerite blanche au cœur jaune. Est-il homme au taureau ? Est-il David ou Wald ? Papy se retourne encore tout en continuant à parcourir le royaume des songes.

     

     L’idée d’un taureau avec une marguerite blanche au cœur d’or pendant de son museau, prend forme dans son inconscient. Serait-elle la mémoire de ces vertes prairies, de ces herbes grasses du printemps ? Il s’en est donné du bon temps, en sautant, en courant des espaces, en respirant cet air pur au milieu de la nature. Quelle vie !

    L’étable, l’enclos, l’herbe sèche sentant l’enfermé et le moisi, ce n’était pas pour lui. Il n’était pas n’importe qui. Il était un taureau, aux qualificatifs nobles de brave et sauvage.

    Mais ce taureau est-ce lui ou son Wald ? Un brouillard dans les idées le laisse dans le doute. Mais où est-il dans la prairie ou dans l’arène ?

    Le fier taureau écorne tout ce qui passe à sa portée. La rage de ses cornes acérées envoya au diable une silhouette. Comme un vrai taureau qu’il était, il rasait tout sur son passage. Pourtant au moment où il ne s’y attendait pas une banderille lui perce profondément les chaires. Son sang en jets saccadés rougit abondamment le sable blanc enveloppé dans une nouée de poussière. Mais qu’est-ce que sait que cette douleur terrible qui l’étouffe. L’idée de la mort surgit et le trouble. Puis se reprenant.

    -             Mais ne vaut-il pas mieux vivre pendant quatre ou cinq ans sans patron, ni maître, dans la liberté des près et mourir debout en luttant dans l’arène que vivre comme un veau opprimé dans l’étable pendant six mois et mourir comme un lâche sous le couteau de l’abattoir ?

     Petit taureau en nage, se moque de la mort après avoir vécu la vie. Dans un ultime regard au seuil de la mort, mais le sang lui trouble déjà la vision, il croit apercevoir en haut de la tribune un écriteau en lettres rouges sur fond doré.

    « Se dijo el toro antes de morir, Qué pena dejar este Mundo sin probar las pipas Fagundo »

    Ce qui donne dans ta langue cher lecteur : Alors le regard éteint, il se dit : Quel dommage de laisser ce monde sans avoir goûté les bonbons Rubiconde.

     

    L'examen

    La porte entrouverte de la salle d’examens du 1er étage laisse passer un léger courant d’air, mais aussi des voix rauques suivies d’une voix d’argent :

    -             Quelle est la racine carrée de 1926 ?

    -             Quelle est la superficie du Portugal ?

    -             Comment fut nommée la 1ère dynastie ?

    -             Quels sont les noms des fleuves et montagnes du Portugal ?

    -             Le Portugal est-il une démocratie ?

    -             Non Monsieur le Professeur d’histoire et géographie. Le Portugal n’est pas un pays de mous, ni de désordre, ni de gens sans loi ni foi ! Le Portugal est un pays d’ordre, de respect, d’autorité garantis par une noble et forte dictature dont le chef est notre bien aime le Dr Salazar.

    -             Justement Monsieur Wald, qui est-ce le docteur Antonio de Oliveira Salazar ?

     Se mettant au garde à vous Wald continue à répondre comme un perroquet.

    -             Le docteur Salazar est le plus grand homme d’état portugais de tous les temps, il est le grand chef qui a toujours raison, il sait d’où il vient et il sait où il va. Il est plus grand, plus grand que dieu, que …

    -             Oui ! Oui ! Presque ! Mais pas tout à fait, Monsieur Wald. Dieu est au-dessus de tout. Corrige l’examinateur de religion et morale. Mais continuons suggère le chef de jury légèrement offusqué qui tenait à montrer qui était le chef.

    -             Notre belle patrie gouvernée par son excellence le Dr Salazar est-elle un petit pays ?

    -             Oui Monsieur le professeur ? Un froid semble glacer la salle qui transpire de chaleur. Puis Wald se reprend d’un air sérieux.

    Pas du tout Monsieur ! Le Portugal est grand, très grand grâce à ces illustres, guerriers, navigateurs, conquistadors, grâce à tous ces grands portugais comme le Dr. Salazar. Après une pose il reprend avec assurance.

    -              Le Portugal est grand Monsieur le professeur. Il va du Minho jusqu’à la lointaine île de Timor en passant par l’Afrique, l’Asie et l’Océanie. Le Portugal a conquis le …

    -             Très bien, Très bien Monsieur Wald. Maintenant récitez votre poésie :

    -             Et quand est-ce que ce gamin va réciter le Notre père qui est aux cieux ! Vous exagérez collègue ! S’insurge le prêtre et professeur de religion et morale.

    -             Pas le temps Monsieur le curé. Regardez le nombre de candidats. Puis faisant un geste d’impatience.

    -             Votre poésie Monsieur Wald. Pressons ! Allez ! On vous écoute !

    Et le petit Wald comme un petit canari se mit à épiloguer :

    « Oh mon village ! »

    Le bien nommé Soutugal

    Oh Mon Village, mon village natal

    Tu es le plus joli du Portugal

    Au nord, tes terres grasses abreuvées par le Freixal

    Au sud tes vergers inondés par le Coa

    Il n’y a pas un autre village comme toi.

    Comme j’aimerais être de tes terres le laboureur

    Avoir le juste pain quotidien

    Vivre dans la paix et la grâce de ton Seigneur !

    Des jolies collines coiffées aux eaux couleur argent

    Des vallées parfumées aux fleurs bleues de lin.

     

    Oh mon village, mon village natal

    Tu es le plus beau du Portugal !

     

    Comme j’aimerais avoir les dons de Camões

    Chanter humblement tes beautés

    Sillonner la mer verte de tes collines et tes vallées

    A bord d’une fière caravelle

    Et montrer à tout le Portugal !

    La gloire de mon village natal !

    Une partie du public au fond de la salle s’assit, applaudit et on entendit ce tintamarre jusqu'aux quatre coins du Portugal.

     Mais une autre partie, la plus nombreuse, se leva et cria en silence :

    -             Qu’ils arrêtent de nous bassiner avec ce nationalisme, patriotisme de pacotille et cette autosatisfaction de pauvreté chrétienne.

    Tout cela s’entendit aux quatre coins de la Liberté


    ***

    Le Rêve de grand-père

    Tant bien que mal Papy se réveille. Il sort en titubant d’un long rêve qui dura plus que le temps de l’examen.

    -             Quel cauchemar étrange. Mais où est mon Wald ?

    La réalité c’était qu’avant de parvenir à l’étape finale des examens du mois de juillet il a eu au moins quatre années d’une préparation où il a fallu sauter par une myriade d’obstacles les uns plus infranchissables que les autres.

    En effet tous les maîtres, présentaient les meilleures et mieux remplies petites têtes de toutes les écoles des villages du Canton de Soutugal. Elles étaient brunes, noires, blondes, couleur châtain, bien peignées, en brosse, en bouclettes ou avec la respectueuse et disciplinée raie latérale.

    L’on dirait de petits anges contents d’avoir mangé tout le sucre et les nombreuses gourmandises que le ciel accorde aux petits enfants sages. Ainsi parlait sœur Rachel au catéchisme.

     Pourtant tout au long de ces quatre ans, depuis le « B, à Ba » du début et ensuite l'amoncellement de faits historiques, de textes épiques sur Dieu, sur la patrie, sur la famille, mais aussi de problèmes de géométrie, de calcul, de tables de soustraction, de division, tout dû être gravé sur les stèles de la boîte crânienne des petites têtes.

     Bien sûr, pour faire pénétrer tout ce bon savoir dans ces belles petites têtes il a fallu beaucoup d’ordre, d’autorité, de discipline, d’hymnes au garde à vous, beaucoup de prières, messes et chapelets.

    Cela ne pouvait se faire que grâce à une pluie quotidienne et bienfaisante de coups d’une baguette de bois de cognassier que tombaient généreuses pendant quatre bonnes années.

    Seulement ou presque Sœur Rachel en avait assez de ces pluies et de cette grisaille qui assombrissait l’âme et fendait le cœur. Mais que pouvait une religieuse servante de dieu devant tout un village dirigé, d’un bon pouvoir divin, par le père Trampoline ! N’était-il pas en nom du grand chef et de dieu le pasteur du village ?

    -             C’est un devoir patriotique et de bon catholique que chaque petite tête sélectionnée, sache sur la pointe de la langue, tout le programme officiel. Sinon où va-t-on ?

     

    Les têtes fêlées

    La peur s’empare de toi et s’installe dans ton corps et tout ton être. Elle sera ta compagne quotidienne pendant ta jeunesse, ton âge d’adulte, pendant ta vieillesse.

    Elle ne te quittera que le jour de ta mort.

    Oh, résistantes, oh, héroïques petites têtes bien peignées et bien lavées, combien parmi vous ne sont pas restées fêlées, martyrisées, traumatisées, délaissées, abandonnées perdues à vie au bord du chemin de la connaissance et du savoir. Combien de poètes, combien de techniciens, combien de professionnels, sans travail, ont subi cette exemplaire éducation.

     Combien de jolis coups de cette règle à trous ont dessiné de jolies ampoules rouges dans la paume de la main droite ayant ainsi besoin de l'aide de la main gauche pour alimenter la terreur de la dictée quotidienne.

    Combien de petites bosses, dont grosseur et le nombre, dépendaient de la magique baguette ont été dessinées au hasard sur les pauvres petites têtes.

    Pauvre figuier au bois doux, tu donnes des figues, pour toi c’est tout. Et toi vaillant cognassier de tes fleurs tu fais des coings pour faire de la marmelade, mais sais-tu à quoi servaient tes pieds qui ont été ainsi mal aimés. Tu fais des rejets, ces vertes et dures branchettes dont on fait des baguettes pour rompre, feindre les petites têtes fêlées.

     Sacrées baguettes vous faites de la musique sur les petites têtes pour divertir le bon maître.

    Combien de chapeaux d’âne pour celui, ou celle qui n’est nullement un âne. Combien d’humiliations, combien de brimades pour faire de petites têtes bien alertes.

     A ton tour, pique la vache lente, cogne sur le joyeux cabri et le gros cochon, aiguillonne le taureau, frappe à tout va le mulet et encore plus l’âne, donne un coup de pied au chien et au chat, éperonne et fait saigner le ventre du cheval, cela te semblera normal.

    Mais où sont les petits moutons sans tête. Ils seraient désireux de paître dans des belles prairies et désireux de découvrir avec plaisir et confiance chaque jour de nouveaux pâturages, jeunes, moins jeunes, à tout âge.

    Rien à découvrir et encore moins à s’épanouir, mais tout est à dresser, tout est à mouler, tout est à faire obéir, tout est à plier comme du carton mouillé.

    Mais quoi diable, on a de fortes têtes à bâtir, bâtir et en avant marche, cours, cours moussaillon sinon, sinon, petit soldat t’attrape. De toute façon, grand capitaine, tu passeras à ton tour à la trappe.

     

    Finalement il vaudrait être une peau de chèvre pour tambour bien tendue qu’une petite tête battue !

    Ce n’est pas avec de doux sentiments que l’on fait des hommes, mais à la dure que l’on fait des soldats. Ce n’est pas avec des « pourquoi maître » et des « comment maîtresse » que l’on dresse un jeune arbre tordu, mais avec un dur et droit piquet qui lui sert de tuteur.

    Mais à la fin, Petite tête, vas-tu comprendre que c’est avec des « comme ça et pas autrement » que l’on piétine le raisin et que l’on fabrique du vin ?

    ***

    Vieille Recette de Cuisine

    Cher lecteur pose sur le feu de la cheminée une marmite en fonte. Tu vas y mettre l’école de ton passé, le comment tu as été élevé, le comment tu as été créé, le comment tu as été éduqué, ajoutes y ce que tu as fait. Ensuite laisse bouillir pendant trois bonnes heures à feu doux, touille de temps en temps tous les ingrédients.

    Tu serviras le tout dans un grand plat, ce que tu y verras n’est pas un miroir ou un mirage, c’est toi !

    Il est 16h. Wald, figure en excellente position dans la longue liste des élèves « approuvés ».

    Cependant les « ânes » n’ont pas été autorisés à se présenter à l’examen. Comme des déchets après une forte pluie, ils vont flotter, rouler sur eux-mêmes, s’échouer dans les eaux glauques et stagnantes des mares situées dans le bas des villages.

    Les ânes vont accompagner, les canards, les rats à la queue visqueuse, et autres vaux-rien que personne ne veut voir.

     Ce ne sont que des déchets de la bonne société incapables d’égaler, les héros de la mer, le noble peuple, la nation vaillante et immortelle !

    Ce n’est pas que grand-père approuva ces vérités-là. Loin de là !  

    Grand-père relisant deux fois, trois fois la liste où figure le nom de son petit-fils saute comme un cabri ivre de joie. Il se frotte les yeux pour ne pas pleurer ou peut-être pour exorciser son terrible. Son Wald est bien sûr la liste. Il ne tient plus en place, instinctivement il lève les bras en l’air comme s’il venait de remporter la plus glorieuse victoire et prends son Wald dans ses bras comme si c’était la première fois.

    -             Maintenant tu ne vas plus travailler avec tes mains. Tu ne seras plus un esclave comme nous. Tu ne saliras plus tes petites mains. Mon petit lapin tu seras un Monsieur travaillant avec une plume dans tes mains et à l’ombre, mon Wald !

    Il prit alors, chaleureusement les mains de Wald dans les siennes.

    Dans la cour au sable blanc de l’école primaire de Soutugal s’élève un énorme nuage de poussière enveloppant une explosion de joie immense. Le soleil là-haut semble aussi adhérer à la bonne humeur générale, en abaissant l’ardeur de ses rayons. On dirait qu’il veut aussi être de la fête !

    ***

    Le Retour des Têtes de Laurier

    Il était 16h30. L’ardeur du soleil se calmait déjà. Les petites têtes couronnées de lauriers, pouvaient maintenant se mettre sur le chemin du retour vers leurs villages respectifs.

     L’ambiance de fête, contrastait maintenant avec le comportement inquiet du matin. Aussitôt les résultats connus, chaque maître d’école envoya des avisos à son village porter la bonne nouvelle. Celle-ci était arrivée plus vite que le vent surfant sur les vagues de cette mer de collines qui séparait Soutugal des bourgs du canton.

     En effet, la petite caravane d’ânes, mulets, chevaux montés par les parents avec les enfants pouvaient déjà entendre des échos de joie se manifestant par quelque feu d’artifice sporadique, tiré en l’air selon la tradition. L’arrivée dans le village serait festive, mais surtout empreinte d'une immense fierté.

    -             L’on n’est pas si ignorant comme le prétendent ces gens de la ville. Eclata la voix de papy comme une salve de mortiers !

    ***

    Le Séminaire

    Sous la musique au timbre d’acier et le ton harmonieux des sabots, les montures avalaient à bon rythme le chemin scabreux. C’était le retour au village. A chaque pierre franchie, les bêtes chargées de leurs cavaliers, semblaient se lancer le défi à savoir laquelle d’entre elles arriverait la première.

    Tandis que grand père, surfant encore sur la vague de la fierté retrouvée, se retourne vers un jeune couple. Celui-ci chevauchait, trois pas en arrière, un cheval lusitanien accompagné de son fils nouvellement diplômé aussi :

    - Si on nous laissait faire, nous pourrions montrer à ces mangeurs de  laitue de la Mairie de quoi nous sommes capables. Mais la plupart des enfants qui sont là, seront demain en train de travailler dur dans les champs avec leurs parents et au revoir l’instruction !

    - A qui le dites-vous !

    - Après l’on dit que les villageois sont bêtes stupides et ignorants.

    - C’est cela, tout à fait, mais que pouvons-nous y faire !

    - Mais les prendre au mot. Il nous faut réclamer, exiger une éducation pour tous et gratuite. Ils nous rabâchent que tous les ans l’on construit des lycées des écoles. Mais où sont-elles ces écoles réellement ? Qui au peut se les payer, si au village nous avons à peine de quoi nous nourrir et nous vêtir. Tous ces pauvres gamins n’auront, en guise d’instruction, que le travail de subsistance à gratter la terre, de soleil à soleil, comme le firent pendant des siècles parents, grands-parents et arrière-grands-parents. Comme des esclaves monsieur-dame !

    - Oui ! Néanmoins il nous reste une carte à jouer : Le séminaire !

    - A jouer ou à manigancer ! Mais nous avons déjà trop de tonsures ! Encore des vaux-rien à nourrir.

    - Ne croyez-vous pas que vous exagérez un peu monsieur David ?

    - Non mon cher monsieur ! Les pauvres ne vont pas au séminaire pour devenir curés, mais pour échapper…

    - Echapper à quoi ?

    - Mais à l’ignorance où ils veulent nous garder. Eh ! Eh ! Monsieur-dame ! Ne rentre pas au séminaire qui veut !

    - Ah !

    - Allez ! Vous ne savez ou vous ne voulez pas voir !

    - Mais dites toujours ! C’est que vous ne parlez qu’à demi-mot !

    - Croyez-vous que par les temps qui courent peut-on parler autrement ?

    - Cela je vous l’accorde. Toute précaution est bonne à prendre ! Mais ne perdons pas totalement espoir ! Le séminaire est une porte de sortie pour les meilleurs !

    - Oui, une bien petite porte et un chemin très étroit pour accéder à ce Paradis !

    - Que voulez-vous dire ?

    - Mais vous le savez bien. En dehors de l’église point de salut. De plus si vous négligez, un peu soit peu, votre dévotion sans faille à monsieur le curé, le père Trampoline, si vous ne courbez pas l’échine, si vous ne pliez pas tous les jours vos genoux sur le plancher en granite et gelé de l’église du Rosaire, si vous n’étanchez pas la soif d’éloges aux gens bien du village, cher monsieur, vous n’aurez aucune chance de labourer leurs champs et votre fils ne pourra jamais rentrer dans leur royaume.

    -        Mais malgré tout, quelques bonnes volontés y arrivent quand même !

    -      Oui ! Oui ! En effet. Mais pour y apprendre quoi ? La vie d’en haut quand nous vivons ici-bas ? La vie de l’après que nous n’avons même pas à présent ? Une vie d’amen à tout et de confinement intellectuel ?

    -       Un peu de confiance monsieur David et tant mieux si cela passe par quelques messes, chapelets, hosties, pénitences, confessions, du cirage et…

    -       En effet, si vous le voyez ainsi ! Peut-être qu’il vaut mieux le peu que le rien ! Peut-être qu’il vaut mieux les tonsures de chez nous que rien du tout !

    -      On devrait essayer monsieur David ! Quand on n’a rien on ne perd rien ! Et dites-moi ! A quoi sert la mort des héros pour ceux qui restent en vie et pour ceux qui la perdent ? Mieux vaut de continuer à croire à la vie et à lutter pour l’améliorer !

    -       Ça y est ! On est arrivés Papy ?

    Mais non Wald ! Pas encore ! Tu peux continuer à dormir ou du moins à te reposer. Tu en as bien besoin après toutes ces vaillantes émotions ! Allez dors encore mon petit lapin. Je te réveillerai une fois arrivés !

    Puis grand-père se retournant une fois de plus vers le couple du lusitanien avec un air curieux et à voix basse.

    -             Vous savez, votre compagnie me plait. De plus le bavardage stimule la marche de nos montures et ce chemin de chèvres leur fait croire qu’elles marchent sur une route goudronnée française lisse comme un une feuille de papier !

    -             Ah ! Ah ! Vous y êtes déjà allé ?

    -             Non ! pas du tout ! Mais il n’y a pas plus de deux nuits, j’ai discuté avec un vieil ami qui y a immigré. Ça doit faire une dizaine d’années qu’il travaille là-bas. Il a quitté le pays juste après le plan Marshal.

    -             C’est quoi ça ? Je ne connais pas ! Dans ce pauvre Portugal on ne sait jamais rien. Et le peu que l’on sait est truffé de propagande mensongère. Et comment distinguer le vrai du faux !

    -             C’est une affaire d’argent. Les Américains ont une peur bleue de l’ogre brute de Staline. C’est que les Russes après avoir avalé tout jusqu’en extrême orient, veulent maintenant dévorer aussi tout l’occident. Tous ces malheureux pays, après la dent pointue de ce maniaque fou et dangereux d’Hitler, risquent maintenant de tomber, comme un château de cartes, sous la botte de ce satanique géorgien.

    -             Et les Américains ?

    -             Les américains envoient plein d’argent à ces pays afin de sauver les peuples de la misère et empêcher que ceux–ci ne tombent dans le discours de séduction du « prolétaires de tous les pays unissez-vous »

    -             Mais Monsieur David, c’est cette union prolétarienne qu’il nous faudrait à nous aussi !

    -             Pas du tout ! Leur union n’est que dans les mots. C’est la même m…. Hitler n’est pas bien, mais Staline n’est pas mieux. C’est du kif-kif bourricot ! De plus notre gouvernement a fermé les yeux aux horreurs du Caudillo voisin, de 36 à 39, ensuite il a pacté de 39 à 45 avec l’obsédé des juifs allemand et maintenant, les yanquis se méfient de notre marionnette nationale. Puis grand père voulant changer de conversation.  

    -             Mais laissons tomber cela. Nous avons nos propres soucis. Dites-moi. C’est comment votre nom déjà ?

    -             Manuel Alègre, mais pour vous mon ami, Manuel suffit !   

    -             Alègre ! Ah Le joyeux ! Mais vous au moins vous n’avez pas un nom tombé du ciel comme la plupart des gens de ce pays ! Rires. Vous me plaisez autant que votre nom. Grand-père content, rit aux éclats. Puis d’un air plus calme. Avez-vous écouté dernièrement Radio Prague ?

    -             Vous savez monsieur David. Cet examen de la quarta classe nous coute la peau des fesses. Depuis Noël on tire le diable par la queue. Même pas du pétrole pour la chandelle le soir. Alors la vieille radio doit patienter pour les pilles !

    -             Oui Manuel, je vois ! Raison de plus pour ne pas rester dans l’obscurité. Radio Prague n’est pas non plus une lumière, mais faute de mieux…

    -             Et alors quoi ?

    -             Eh ! Bien ! Ils prétendent que la semaine dernière la garde républicaine de Soutugal a encore remis à Franco, des républicains espagnols qui avaient trouvé refuge chez nous après la guerre.

    -             Ces pauvres diables sont poignardés par ce Bestamontes par devant et sur le dos par Satanlazar. Ils s'échappent pensant trouver du refuge chez le pays hermano. Ils pensaient nous faire confiance, mais nous leurs faisons des croques en jambes par derrière et une fois par terre, les ramassons et les livrons en cachette au Caudillo. Satanlazar et Franco même vermine, même herbe, même bourricot.

    -  Pauvres républicains. Les temps sont mauvais par ici, mais moins pires qu’en Espagne. Quelle consolation !

    -  Attention monsieur David ! Regardez qui arrive là-bas !

     

    ***

    Les gardes républicains

    Au même moment la peur s’empara des montures et cavaliers et en particulier des deux enfants. Le bon train de la discussion fut tout d’un coup recouvert d’un nuage de silence et remplit d’une atmosphère de méfiance. Deux silhouettes vertes arrivaient en face. Une de chaque côté du chemin. Ce que l’on aperçut en premier fut les casse-têtes en bandoulière et les fusils pointant le ciel. C’étaient deux gardes de la république qui n’avaient rien de républicains !

    L’on n’entendit qu’un bonjour timide d’un côté et, un regard arrogant et menaçant de l’autre. Rien de plus.  Finalement au bout de ces longues minutes interminables tout le monde fut soulagé de voir disparaitre derrière dans le virage les malvenus intrus.

    Aussitôt après toute cette inquiétude disparut.  C’est que la fraîcheur de la fontaine en contrebas de la rivière du Freixal était là, à portée de main, comme une amie pour les apaiser des inespérées émotions.

    Les montures s’y précipitèrent, presque en courant, pour se désaltérer dans cette eau courante brillant sous le soleil. A leur tour les cavaliers mirent pied à terre et à genoux au bord de la fontaine buvaient avec bonheur cette eau pure et naturelle. Quel bel plaisir réconfortant et bienfaisant. Comme si ce n’était pas assez, l’on se passait même quelques gouttes du précieux liquide sur le cou et la poitrine.

    -             C’est un bonheur de paradis, dit grand père en riant.

    Mais à peine étaient-ils remontés à cheval que l’on dévisageait déjà le clocher, droiture de général, regard macho, dominant l’église. Il était le chef au milieu du paisible village.

    - Nous sommes presque arrivés ! Ce fut un grand plaisir de bavarder avec vous ! Eh ! Petit Wald ! Réveille–toi ! On est arrivé ! Allez petit lapin, dit au revoir à ces monsieur-dame !

    - Au revoir ! Félicitations encore Wald ! Une demi-heure encore de chemin et nous serons arrivés ! Au plaisir de vous revoir bientôt monsieur David.

    - Merci et bonne continuation à vous deux. Salua grand père d’un geste d’adieu amical.

    ***

    Augusto le petit Régisseur

    Pendant ce temps au village l’atmosphère de fête et de fierté montait dans le ciel. La nouvelle avait été rapportée, sur sa nouvelle bicyclette par Francisco dit Caneca car il aimait plus que permis le vin. Le facteur, avait pédalé rapidement et les résultats de la réussite des examens scolaires s'étaient propagés aussitôt par les rues du village plus vite que le vent.

    Après une journée de chaleur ardente irait-on vers une soirée chaleureuse, se demandait grand père en voyant toute cette agitation festive.

    En même temps, le soleil transpirant à grosses gouttes hochait sa tête lourde là-haut encore, mais sur le déclin. Il était temps de rentrer tranquillement à la maison, se rafraîchir le gosier avec une bière Sagres.  N’avait-il pas fait trop de zèle. Le grand chef l’exigeait. Il était épuisé. Mais devait-il obéir, toujours obéir, obéir aveuglement ?

    C’est que pendant toute la journée il s’était mis à la tâche comme un forçat. Pendant toute la journée, il n’avait pas arrêté de s’agiter autour du grand feu. Une pelletée de charbon noir au milieu, une autre à gauche, deux ou trois à droite. Des langues de feu rouges, bleues immenses s’élevaient très haut dans l’infini menaçant de brûler ciel et terre et toute la création divine.

    - Mais qu’est-ce que ce capharnaüm dans le village, demanda Olivério en croisant au carrefour des Âmes, Augusto Regedor. Celui-ci était le nouveau petit-chef du village, une sorte de petit toutou du Maire de Soutugal et plus serviable encore de Monsieur le Curé, le Père Trampoline. Presque ridicule, serré dans son vieux costume, il portait un col de chemise blanche qui l’étouffait dans ses morsures, mais qui lui permettait parfois d’aboyer. Cependant jamais en présence de ses maitres tout le contraire. En leur présence il n’était qu’un petit caniche docile léchant avec crainte leurs bottes.

    -        Comment peux-tu savoir ce qui se passe au village, toi qui passes le dimanche, ainsi que tous les autres jours de la semaine dans la cambrousse, avec les loups mais, loin de Dieu, loin de la civilisation et du progrès et toujours en train de grogner contre l’autorité ?

    -      Mais Monsieur le Régisseur de Roustina, digne lèches bottes de son excellence le Maire de Soutugal, je ne suis qu’un simple paysan, mais   citoyen et serviteur de « ma » République laïque et démocratique de mon Portugal à moi. S’écria Oliverio d’un ton moqueur tout en le tapant amicalement sur le dos.

     Augusto le Régisseur croyant sa fraiche autorité torpillée par plus petit que lui, se cabre comme un maréchal, et se dressant sur la pointe des pieds tire sur Oliverio à balles réelles :

    - Tu es un serviteur ou un démolisseur bolchevique et matérialiste de « notre Estado Novo » ?

    - Serviteur, serviteur de ma République laïque et démocratique, Monsieur le Maire » ! Tu le sais bien. Ne te fâche pas. Ça ne vaut vraiment pas la peine. Mais dis-moi plutôt. Qu’est-ce que ce feu d’artifice en l’air un lundi après-midi ? Est-ce la fin de de cette paix merdique de ton grand chef qui dure depuis …

    Oliverio vit dans le visage de pierre d’Augusto et dans le feu de son regard qu’il n’était plus le même homme à plaisanter.

    En effet, son nouveau rôle d’autorité municipale de Roustina, bien qu’acquis, grâce à la combinazioni du clan des amis de son honorable excellence, Monsieur le Maire de Soutugal, ne permettait plus la camaraderie amicale du passé. Droit dans ses bottes, raide comme quelqu’un qui venait d’avaler une fourchette à la table de monsieur le cure Trampoline, vociféra une fois de plus :

                     Tu ne peux pas évoquer à la légère des choses sérieuses. La situation de notre glorieux Portugal l’exige. Notre Grand chef, le plus grand homme d’état de tous les temps, du Portugal et du monde entier, le Docteur Satan Lazar nous l’exige avec la plus grande sérénité et sérieux du Présent:

                     Tout pour la Nation, rien, contre la nation ! Rien ! Notre avenir, l’Etat Nouveau ! Notre soleil, Satan Lazar ! Nos valeurs, Dieu Patrie. Notre éducation, Autorité et famille ! Tu dois …

     Mais Augusto, surpris lui-même de la violence et de la tonalité excessive de ses mots, ne finit pas la phrase. Puis après un sourire faussement amical le silence s'installa. Au bout d'un moment et avec un soupçon de sourire forcé, ajouta :

    -             Le feu d’artifice c’est pour marquer l’heureux évènement de ce jour. Nos élèves de CM2 ont été brillamment reçus à l’examen du certificat de fin d’études primaires, mais aussi à l’examen d’admission au Lycée. Tu dois admettre que c’est là, la preuve d’un héroïque effort de notre gouvernement en faveur de l’éducation des jeunes de ce pays. Et tu dois comprendre…

    Oliverio avait surtout compris, que son ami d’école et d’enfance, n’était plus le même homme. Il se demandait en lui-même comment ce peu d’autorité obtenu sans élections démocratiques, avait pu le modifier de la sorte. D’ailleurs qui dans le village savait ce que c’est voter en démocratie. D’ailleurs son statut, une sorte de petit représentant de l’autorité locale, dépendait de la nomination arbitraire de Monsieur Le Maire de Soutugal. D’ailleurs le poste de celui-ci dépendait également de la nomination arbitraire du chef de district et ainsi de suite jusqu’au plus haut sommet de l’état.

    Mais pourquoi, Augusto avait été choisi ? Lui-même ne le savait pas. Un miracle et ces miracles se produisaient dans ce bon pays. Cependant on s’en doutait que ce ne serait pas pour avoir du beefsteak tous les jours, car la viande était rare chez les pauvres diables comme lui, mais pour le moment il avait la moutarde qui allait avec !

    ***

    L’insaisissable Oliverio

    Olivério voyant dorénavant que le titre de régisseur les séparait, comme les hauts murs de pierre, séparent les domaines des riches des humbles maisons des pauvres du village, il changea de sujet en faisant une pirouette de clown avec son corps élastique et un sourire qui en disait long.

    - Je comprends maintenant pourquoi le soleil voulait mettre le feu à la robe blanche de la lune aujourd’hui. C’était pour éclairer les lauriers de nos petites têtes couronnées de cette année. J’ai entendu dire que le fils du Paiva est un livre d’histoire.

    - Mais de quoi tu baragouines Oliverio. Je n’en comprends rien. Quant à ce gamin, j’espère que les livres ne vont pas lui dessécher la cervelle. Cela est déjà arrivé, en quelque sorte, à son grand-père à force de lire des livres de ces cocos, de ces soviets de 1917 écrits par la main de ce diable de Lénine, dit Augusto, satisfait d’avoir réussi à trouver une réplique piquante à la hauteur de l’idéologie de son nouveau statut.

    Ces mots cinglants furent pour Oliverio comme de la soude caustique versée sur une blessure ouverte. Cependant, plutôt que de s’enfermer dans la douleur, il éclata de rire.

    Faisant sienne aussi la morale du proverbe populaire qui prétend « Quem Canta seu mal espanta », celui qui se donne au don de la parole oublie sa douleur.

    Après un court silence Oliverio s’approcha du bord de la fontaine du village et tout en restant debout se mit à déclamer dans un ton de voix qui fit tressaillir les feuilles jaunes-vertes du voisin platane.

    ***

    Oliverio est-il devenu fou ? 

    « Mais qu’est-ce que c’est que ce soleil qui a le feu aux fesses depuis ce matin ? Est-ce que le remords a mangé la conscience à ce paresseux ? Nous étions déjà au mois de juillet et voilà que ce soleil apparaît encore recouvert de son manteau en redingote fourrée à la peau de renard. L’on dirait qu’il marche les pieds froids sur les pavés de la chaussée avec ses sabots de châtaignier. Mais ô soleil vas-tu te décider enfin à donner l’ordre à Vulcain d’allumer la chaudière de là-haut ?

    Puis se déguisant dans une sorte d’habit de moine-prophète, Olivério arquant les jambes, fixant de ses yeux de feu les étoiles, pointant de son index le ciel obscur, il proteste dans un monologue autant tragique que menaçant :

    Eh ! Toi, ô autre Soleil de Lisbonne qui se croit plus grand que dieu. Est-ce que tu continues toujours cloitré dans ta cellule monastique du palais de São Bento !

     Mais quand vas-tu prendre conscience que ce peuple de fiers paysans supporte de plus en plus mal les promesses non tenues. Le peuple commence à perdre patience. Le peuple entier en a par-dessus l’auréole de notre Saint Antoine Lisbonne.

    Ô prétendu soleil de Lisbonne, tu nous trompes. Tu nous voles ce que nous sommes. Tu nous voles ce que nous voudrions être. Tu nous voles tout. Mais fais attention, nous sommes chez nous. Nous trimons pendant toute journée pour toi. Nous en avons marre de tout faire et de ne rien posséder, sauf tes maudites bénédictions !

    Vas-tu écouter nos prières, nos volontés ? Nous sommes près, ô faux- soleil, à partir en guerre contre toi. Si tu refuses de chauffer, nos champs, nos cultures, nos maisons, notre corps, notre cœur, nous avons une âme capable de te brûler, de te condamner à un autodafé. Soleil-obscur, comme tes acolytes, tu sous-estimes notre force, tu ignores notre capacité de résistance, notre courage de nous libérer de ta somnolence dans laquelle tu veux nous endormir. Notre volonté est grande. Nous voulons nous libérer de tes discours de promesses et de ton progrès de propagande. Regarde où nous en sommes aujourd’hui. Toujours en bas. Cela fait plus de 40 ans. Avec toi, où en serons-nous demain ?

     Ô soleil sombre, de mauvais augure, qui crois savoir où tu es et où tu vas, nous saurons un jour te chauffer de notre bois !

    Tout d’un coup, Oliverio, prend une autre posture, son visage semble s’éclairer par une lumière traversant une fenêtre ouverte dans le ciel bleu :

    -             Ô vrai soleil brillant là-haut. Ô toi, mon beau soleil, regarde ce peuple dans les yeux. Il est le capitaine de cette nouvelle caravelle :

    « La Caravelle »

    Oh ! Qu'elle était belle la caravelle

    Navigant et sillonnant la mer

    Une noire et blanche colombe

    Venant d'un autre monde

    Jalouse l'interpelle :

    Mais qui es-tu caravelle

    Pour imiter de tes voiles mes ailes

    Confondre ma couleur avec la tienne

    Sillonner mer ciel et terre

    En douceur et avec douleur.

     

    Tu penses. Oh ! Caravelle

    Te pavanant ainsi

    Dans ta blanche toile

    Conquérir notre cœur ?

     

    Oh ! Mon beau Soleil

    Vert, jaune, vermeil

    Nous avons maintenant

    Et depuis un certain temps

    Un petit courroux

    Dans notre

    Âme et notre cœur !

     

    Oh ! Mon vrai soleil

    Toujours vert, jaune, vermeil

    Mais aujourd’hui, demain

    Enfin ! Enfin !

    Ce n’est plus pareil ! »

     

    Puis Oliverio poursuivit comme dans un conte sans fin :

    « Oh ! Faux-Soleil, te rappelles-tu, encore la semaine passée, les cheminées chauffaient comme elles pouvaient nos maisons et que dire de ta chauffe du dernier mois de janvier et février. Nous avions froids, et nous étions presque glacés. Mais est-ce que tu as vu l’état des portes d’entrée ? Elles sont si trouées que l’on dirait une toile d’araignée. Pourtant, elles étaient bien entretenues par le rabot et les fortes mains de Rogerio, notre charpentier. Maintenant à cause de toi Pauvre-Soleil, elles ferment mal, tout va de travers à cause de cette humidité hivernale et cela par ta faute. Ce froid que tu ne vois pas, cette humidité, que tu ne dois pas confondre avec notre humilité, elle nous gonfle, comme gonfle et éclate le bois de châtaignier dans la cheminée. Mais nous aussi, nous exploserons ta gueule, comme la châtaigne dans le feu.

    Oh soleil-de misère, dix ans déjà que le pauvre Rogerio le charpentier et d’autres, à cause de ta mauvaise gouvernance, ont été obligés de quitter ces champs, que voilà maintenant à l’abandon et au sort des mauvaises herbes comme toi. As-tu vu l’état de son atelier mangé par le vermillon. Il a été obligé de partir. Maintenant le nouveau Tuga construit des charrettes au Brésil pour transporter le café. Il se voit obligé d’enrichir par le travail un pays qui n’est pas le sien. Et maintenant nous manquons de nouvelles charrettes !

    ***

    Mais que peuvent-ils bien se dire ces deux-là ?

    Oliverio ne met jamais les pieds dans l’église de la paroisse. Cela est un signe évident, selon certains, que sa tête écervelée est la maison du diable. En revanche il aime toujours créer de la discussion à la sortie de la messe dominicale à l’ombre nonchalante du figuier, une sorte de deuxième clocher qui appelle au bavardage. Approchons-nous sur la pointe des pieds et tendons discrètement l'oreille :

              - « … que dire de ce nom respect à l’égard de ses amis du village.

              -   Non-respect, dites-vous. C’est aller un peu vite en besogne.

               -  Mais ce pauvre de Rogerio passait son esclave de vie à raboter, à scier, à poncer pour toi, pour moi et pour les autres et pendant ce temps-là sa pauvre femme n'avait rien à mettre dans la marmite.

               -  Et nous ? Sommes-nous mieux lotis. Ma femme depuis une semaine essaie de faire taire nos estomacs avec une soupe de pierre.

               - Une soupe de pierre ? Mais c’est quoi ça ?

                   - Bouche cousue et c’est tout. Autant faire comme lui, se jeter à travers l’Atlantique, et aller racler la terre brésilienne …

               - Mais aller racler quoi là-bas dans ce pays de sauvages !         

               - Tu ne sais pas ça ? Mais les feuilles de cet arbre dont les vieilles feuilles en tombant deviennent des billets de banque.

               - Tu me racontes des histoires à se taper de rire le cul par terre.

             -  Mais tu ne sais pas que dans notre vie de merde il est interdit de rire !

               - Dans ce cas l’on se tire nous aussi.  L’on part dans l’Espagne de « guitarras y panderetas » pour …

              Mais mon pauvre ami, avec la guerre civile, l’on y rit encore moins qu'ici. De plus l’on y meurt par milliers par jour. Après une fraction de seconde de silence de stupéfaction. Tu n’as pas vu hier ces réfugies estropiés et affamés. Il paraît qu’au cours de leur chemin d’exode, ils chassent des souris dans les champs pour survivre. Berk ! Mais quelle famine ! C’est pire qu’ici.

                - Pourquoi berk, il paraît que revenus avec des oignons dans une poêle en fonte c’est meilleur que du lapin. Mais que se passe-t-il en Espagne ?

    - Tu as bien entendu le dernier sermon de notre curé dimanche dernier.

    - Mais je n’y vais jamais. Ce père Trampoline, est l’oreille de la P.I.D.E. et dieu le père lors du jugement dernier selon saint Jean. Ils savent mener l’eau à moulin comme cela les arrange.

    Mais Olivério continuait à rêver debout, il poursuivit ainsi :

    -             Comment cela ? Comment oses-tu parler de lui ainsi, un homme bon, un homme de notre église catholique apostolique romaine. Que Dieu le Père, tout puissant, le saint Esprit, Notre Seigneur Jésus Christ, la Trinité en une seule personne, te pardonne. Rogerio faisant le signe de croix menace. Oliverio, tu finiras rôti en enfer !

    -             Nous sommes déjà en enfer ! Que pouvons-nous craindre de pire ?

    La discussion semble bloquée. Augusto pense que cet Olivério a vraiment un grain de sable dans le ciboulot.

    Olivério lui tourne le dos avec dédain. Enivré par l’alcool de la colère sa révolte explose.

    Oh ! Soleil-sans lumière. A quoi vont servir les diplômes fraichement acquis de nos enfants. Regarde leur table, leurs vêtements, regarde le présent. Pourtant demain tu en auras besoin pour les envoyer pacifier ton Afrique. Mais tu vois bien que depuis 5 siècles ils ne veulent pas de ta pacification civilisatrice.

    Mais sors de la pauvreté indigne ce pays profond qui vit dans un inconfort de sauvage. Pacifie nos cœurs animés par la révolte. Constate l’état de débris de nos vies et nos maisons. Ce vent sec d’hiver transperce de froid les tuiles et glace nos corps mal nourris à la santé fragile. Tu sais bien qu’il passe plus facilement le maquereau et le chinchard à travers les mailles que sur nos tables viande ou cochonnaille. Et… 

    Éole souffle si fort

    Si seulement il pouvait s'essouffler

    Il semble prendre plaisir

    A gifler nos idées et nos corps

    Mais arrête Éole de nous étouffer

    Nos âmes sont déjà des girouettes fatiguées

    Flottant tristement à sa merci.

    Ses morsures sont des sillons ouverts

    Dans notre chaire torturée

    Qu'il nous donne de répit et de grâce

    Rien que pour un instant.

    S’exalte encore Oliverio

    En riant, mi-figue, mi-raisin :

    Te rends-tu compte. Nous sommes maudits par le destin et détestés par ce diable de Dieu Éolien qui te ressemble. Il s’introduit avec colère entre les multiples orifices, des plaies ouvertes dans la chaire de notre maison. Viens voir cette fenêtre à guillotine. C’est nous qu’elle guillotine. Si nous passons le doigt dans son carreau cassé, nous y verrons le présent et notre avenir brisé.

    O pauvre-soleil que tu es, notre maison est plutôt un taudis où même la sainte famille Jésus, Marie, José n’aurait pas accepté d’entrer.

    Mais depuis quarante ans tu nous confisques notre liberté, au nom de tes idées que tu dis venant de Dieu.

    Oliverio parlait d’une voix saccadée au rythme de sa respiration et paraissaient davantage des sanglots que de véritables mots. Pendant quelques instants il se plongea dans un silence sans espoir.

    Puis peu à peu, il dressa ses longues jambes son buste presque recourbé, pointa son regard vers nulle part, et le poing fermé il se met presque à crier :

    ***

    Mais qu’as-tu fait Europe du nord ?

    Et qu’as-tu fait oh Europe démocratique du nord, toi qui fus terrorisée par le même type de Satan ? Heureusement qu’en 1945, par d’autres hommes venants d’outre atlantique tu fus libérée. Mais pourquoi l’Europe du Sud n’a pas eu droit à la même attention ?

    Oliverio dans un premier temps sembla attribuer cette turpitude à la faiblesse humaine, mais aussitôt il ajouta dans une colère mélangée à une sorte de sagesse qui comprenait ce que pouvait être la trahison.

    Comment oh Europe du Nord peux-tu laisser ton sud meurtri, maltraité, abandonné à cet autre Satan depuis si longtemps ? Comment peux-tu laisser pendant toutes ces années des millions de gens dans cet enfer que tu connais pour y avoir vécu ?

    Très fatigué Oliverio se tût, il alla s’asseoir sur la pierre en granit au bord de la fontaine comme un homme qui vient de vieillir 30 ans de plus. Il regarda en arrière, il regarda en haut, il regarda devant lui, puis de plus en plus loin et comme une petite brise qui se transforme en ouragan, il interrogea le ciel comme aurait pu le faire un dieu au seuil du dernier jugement :

    Comment oh Europe du Nord as-tu pu vivre en démocratie, en liberté pendant que dans l’Europe du Sud, juste à côté de toi, des millions de personnes ne l’étaient pas ? Oh Europe du Nord ne dis pas que tu ne le savais pas, car pendant toutes ces années des réfugiés, que tu appelais, non pas expatriés, mais immigrés, arrivaient par milliers chez toi, pour fuir ce que tu avais subi, pendant les années et pendant cette malheureuse Seconde Guerre mondiale ? Comment as-tu pu faire cela ?

    Comment, seule, as-tu pu profiter, d’une part de l’argent de Monsieur Marshall et de l’autre d’utiliser tous ces bras presque esclaves, à très bon marché, prêts à travailler, prêts à produire, sans rien t’avoir coûté auparavant ?

    Tu n’as pas honte, Europe du chacun pour soi et de dieu pour tous, que l’être humain avant de produire il faut payer son instruction et formation ?

    Mais ces machines immigrées, pas besoin d’être formées, pas besoin d’être achetées, mais tout de suite prêtes à tout faire, prêtes à travailler, prêtes à faire ce que tu ne veux pas faire et dans des conditions honteuses de l’être humain.  Tu ne sais pas Europe que ton attitude un jour te reviendra dispatchée de haine à la figure ?

    Oliverio une fois de plus dominé par la révolte de cette grande injustice, s’enferme dans le manteau paisible du silence pour y retrouver du répit et du calme.

    Son corps était fatigué, très fatigué. Sa tête et son esprit épuisés. Sans savoir s’il avait ironisé ou rêvé il s’en fût dans sa vieille maison tantôt en boitant, tantôt pas, comme un chien qui avait reçu un sacré coup de pied au cul.

    Pendant ce temps-là Monsieur Soleil satisfait d’avoir bien travaillé en cette journée d’examens de certificat de fin d’études à Soutugal et d’avoir contribué à la fête de fin d’année scolaire au village de Roustina s’en alla chez sa femme la Lune, bien contente de prendre dans le firmament la relève de son homme. Ce fut un beau clair de lune.

    *

    ***

    *

     

    Même si grand-père n’osait pas avouer ni à la déesse Gaïa, ni à Thémis, de peur d’être censuré, il ne pouvait pas cacher l’admiration, la sympathie, l’amitié même qu’il avait pour Oliverio.

    D’aucuns disaient catégoriquement qu’Oliverio était l’incarnation du mal, d’autres voyaient en lui un être naïf, simplet d’esprit que l’on pouvait librement dénigrer pour mieux se valoriser. Parfois ses dires étaient admirés, mais la plupart du temps ils étaient détestés. Mais le plus souvent, il était le bouffon du village qui faisait rire chacun par ses extravagances. Quelques-uns le croyaient fou et se moquaient de lui. Mais le plus vraisemblable, c’est qu’il savait manier la lame de l’ironie sarcastique pour se défendre et se moquer de tout et de tous.

    ***

    Grand-père, le saint

    Ce soir-là, grand–père, comme s’il était le nouveau prophète se mit à faire des miracles. Il prit son gourdin comme Moïse, mais au lieu de frapper sur un rocher, d’où gicla aussitôt un jet d’eau, il asséna un coup sur ce que l’on nomme le lot quotidien de la condition humaine. C’est-à-dire, l’effort de gagner le pain de chaque jour à la sueur de son front, le besoin de sécurité, le malheur, la pauvreté, le manque de liberté etc… Tous ces maux qui rendent la personne chaque jour un peu plus anxieuse au sujet de son avenir.

     Prophétique Papy, il fit jaillir la joie d’être ensemble, la joie d’être tous là, autour de la table, la joie de nous trouver en ce lieu regardant avec confiance le présent et avec espérance l’avenir. Une vie presque sans peur.

    Grand-père savait être un Dieu. Non pas ce Dieu barbu de la bible, avide de vengeance à la moindre désobéissance, ce Dieu qui éventre les enfants innocents, ce Dieu que l’on doit craindre, ce Dieu menaçant, qui fait peur, qui sème la terreur pour récolter la foi.

    Non ! Grand-père était un dieu qui est. Papy était ce dieu que nous sentons en nous lorsque nous regardons le ciel étoilé. Il était le dieu de la mélodie de l’eau couleur argent qui zigzague dans le lit de la rivière en descendant de la montagne. Ce Dieu musicien qui fait trembler les pâturages au printemps, qui fait frissonner les haies en avril, remuer les broussailles en automne. Il était ce dieu des couleurs, le rouge des coquelicots dansant en mai dans les champs de blé, le bleu du ciel de l’Alentejo en avril, le vert des prés en terrasses du Minho et des Açores décorés de boutons d’or et de blanches pâquerettes, le rose des fleurs de pommier dans la vallée d'Alcobaça, le jaune des champs de seigle dans les Beiras, mais aussi le blanc de janvier des amandiers en fleur en Algarve qui nous fait rêver, sous le soleil, à un grand manteau de neige.

    Levant les bras au ciel, grand-père se tourna vers sa petite famille, sa Rachel et bien sûr l’auréolé petit Wald, il se mit à parler ainsi :

    Écoutez, en ce beau jour de ta réussite scolaire mon petit Wald de mon cœur, voici sur cette table le chevreau grillé dans la braise. Regarde, il se marie joliment avec ces petites pommes dorées et rondelettes comme de petits moutons. Goute-moi ces verts bourgeons de navets bien roulés dans la farine, à côté de ces rouges poivrons grillés. Tout est à déguster avec plaisir et en réclamer davantage mes deux petits choux de mon cœur !

    -             L’on dirait notre drapeau républicain, plaisanta Wald tout heureux. Puis papy poursuivi.

    -             Maintenant, nous allons lever au ciel, en signe de bonheur, nos verres de ce délicieux vin qui n’a rien à envier ni à celui du Dão, ni de Porto, car celui-ci est le fruit de notre travail. Puis comme s’il manquait quelque chose il prît un deuxième verre le rempli de cette eau fraîche limpide et cristalline du nouveau puits. Ensuite posant sa main sur celle de sa Rachel il ajouta. Le vin est un délice et l’eau est la vie ma petite chérie et amie. Aussitôt après prenant Wald dans ses bras il lui dit avec émotion autant que d’admiration :

    -             Pendant ces dix dernières années, mon petit Wald, tu étais comme notre enfant Jésus, mais en ce beau jour tu es devenu, notre Messie, symbole d’une nouvelle vie d’une nouvelle espérance, d’un futur ensoleillé auquel nous avons envie de croire.

    Cette nuit-là fut une nuit de miracles. Pas de peur. Pas de malheur. Pas de méfiance. La sainte famille composée de, David, sa Rachel et Wald célébraient ensemble le certificat de fin d’études du petit Wald sous le ciel étoilé de bonheur de leur Terre Sainte.

    ***

    Ripailles de riches au goût de vengeance

    Mais dans l’Olympe du ciel du village de Roustina un groupe de personnes restreint se prenaient pour dieu le créateur. Ils pensaient avoir du sang bleu et se croyaient parfois sortis de la cuisse de Jupiter d’autres fois ils s’imaginaient de descendance divine ayant été conçus par le saint esprit. Des gens bien. C’étaient les riches de Roustina.

    Installés autour d’une grande table gorgée de mets raffinés ils criaient comme des putois. De telle sorte que, l’on n’avait pas besoin de tendre l’oreille pour savoir ce qu’y se disait. Entre gloutonnerie et gloutonnerie pleuvaient des reproches, des accusations, des menaces, des moqueries, des mépris à l’égard du village.

    Dieu soit loué d’avoir à côté de nous tous ces pauvres et simples d’esprit sinon comment pourrions-nous racheter nos péchés si nous n’avions pas ces mendiants à qui faire l’aumône pour sauver nos âmes le jour du jugement dernier.

    Oui en effet dieu soit loué, dit une grosse voix d’homme, semblant un peu éméché par le trop plein de vin.

    Une voix plus fine, qui semblait être néanmoins celle d’un homme, vaudrait couper de sa lame tranchante tout ce qui n’était pas conforme à ses opinions et idées.

    -             Ce parasite, ce coco rouge, il faut le mettre au pas, lui montrer qui est le chef. Oui il faut lui donner une bonne correction afin qu’il apprenne à obéir à l’autorité. Ce salopard est un sauvage sans foi.

    Le parasite, le coco rouge, c’était Oliverio. Non pas qu’il eut vécu du travail de quelqu’un d’autre, tout le contraire mais, mais parce qu’il pensait et se comportait autrement. Il ne suivait pas les canons, des patrons du village, ni l’encyclique du grand Homme–du-siècle, ce Soleil de São Bento, tout puissant qui ne tolérait jamais qu’on lui fît de l’ombre. Et comment pouvait-on faire de l’ombre à un si grand astre qui savait où il était et où il allait. Il savait qu’il n’avait qu’un seul mouvement, une seule direction, un seul chemin possible, le sien.

    A table on parlait fort pour se convaincre d’avoir raison et on méprisait aussi pour se sentir valorisé.

    Ce pays est dépositaire d’une morale catholique apostolique romaine depuis presque mille ans. Depuis plus de huit siècles les héros de la Patrie propagent la foi chrétienne en Afrique en Asie, en Amérique. Aux quatre coins du monde. Nos fameuses caravelles avec la croix du Christ, Notre Seigneur, estampée sur les voiles blanches sillonnent les océans pour apporter la divine parole à tous ces sauvages africains. Depuis des siècles nous avons la mission messianique de défendre la civilisation du monde occidental et chrétienne. Jadis, nous l’avons défendue contre l’ismaélite. Aujourd’hui, nous la défendons contre ces bandits matérialistes possédés par Satan et assassins de cet infortuné Nicolas II

    Très bien, très bien dit. Nous sommes le dernier bouclier contre le communisme, dit une voix féminine, comme si elle était le saint Michel commandant en chef de l’armée divine.

    Une autre voix à qui l’on donnerait le bon Dieu sans confession se mit à chanter une prière dans une voix mouillée dans une eau bénite vieille de quelques mois :

    « Oh Notre dame de Fatima

    Reine du Portugal et notre mère

    Tu es descendue sur notre terre

    La Sainte Russie tu veux sauver

    De tous ces rouges bolcheviques

    Matérialistes et sans dieu

    Leur place rouge infâme

    Ne pourra jamais supplanter

    Notre place blanche et son âme !

    Oh ! Notre dame de Fatima

    Reine du Portugal et notre mère

    Et de notre Eglise entière

    Tu nous demandes de saints sacrifices

    Beaucoup de prières pour la sauver.

    Que tous tes vœux soient exaucés !

    Amen ! »

    Oh Salvé Marie, reine du ciel, dans cette même année de 1917 tu as choisi notre Portugal notre humble village de Fatima pour demander à ce pays et au monde de prier pour la conversion de la Russie et de lutter contre l’orgueil sanguinaire des athées bolcheviques.

    Sainte Marie a élu notre pays pour indiquer le chemin fait de prière, de sacrifice qui mène à Dieu. Par la pauvreté et l’humilité nous avons l’obligation de combattre cette Europe corrompue par la modernité, l’orgueil et ces autres choses bizarres qu’ils nomment démocratie, laïcité, socialisme, communisme et autres absurdités. Notre chère patrie est le rempart de la citadelle divine qui brille dans l’abîme de la colline.

    Ce mécréant, cet Oliverio lit, semble-t-il des choses peu catholiques.  Des écrits diaboliques, dont le titre serait « Torula, talmud ou encore torah. En tout cas tout ça n’a pas l’air d’être bien chrétien. Cet énergumène, ne fait-il pas partie de ces maudits, dont je ne veux pas prononcer le nom, qui ont crucifié Notre Seigneur Jésus Christ, empoisonné les puits et comme si ce n’était pas assez, ont propagé aussi la cupidité, l’appât du gain sur toute la surface du monde chrétien.

    Jamais cet hérétique ne vient entendre la parole de Dieu, à la messe dominicale et encore moins au chapelet quotidien. L’on se demande si toute cette racaille sournoise du village n’est pas en train de jeter aux orties les valeurs de notre famille et de notre glorieuse patrie.

    -              Mon Père il faudrait peut-être en référer en haut lieu. Pas de temps à perdre Père Trampoline !

    ***

    Le Père Trampoline le bon Pâtre de la nuit

    Monsieur le curé, le père Trampoline faisait aussi partie des gens bien. Les Riches du village. C’était une personne très occupée qui n’avait pas un seul samedi. Le jour du Seigneur il fallait bien travailler aussi !

     Messe le matin à 8h dans l’église particulière de Dona Martinas, messe à 12h dans l’église paroissiale de Roustina. Déjà sous les genoux à 18 h il fallait encore courir au village voisin de Rigal pour célébrer ce diable de messe de 18 h.

    -              Assez ! Assez ! Pardessus la calotte mes amis. Pestaient le père Trampoline devant ses amis, mais intérieurement content d’empocher 50 escudos de plus.

    Pourtant selon les dires de quelques voix des bureaux du diocèse de Gratgal le nombre réduit d’âmes du village de Rigal n’était pas rentable pour permettre la nomination d’un prêtre. Que lui importait cela, au père Trampoline. Après la messe, ces heures supplémentaires étaient payées en pièces sonnantes et trébuchantes et tir-lin-tin-tin, tombaient directement dans le petit coffre de fer blanc déjà bien garni.

    Bien sûr ces pièces avaient été acquises au prix de douleurs dans ses vieilles jambes et au bout d’une journée épuisante. Et comme si ce n’était pas assez pour un dimanche, voilà que, ces maudites bigotes tenaient à se confesser en privé. C’est qu’elles se faisaient un vilain plaisir de communier pendant l’office et le rendant interminable. Cela allait au-delà de sa sainte patience. Il ne disait rien, mais dans sa soutane il les envoyait au diable.

    -             Mais Mesdames, pourquoi vouloir encore vous confesser ? Comment est-il possible d’avoir péché, injurié, dénoncé, calomnié, avoir eu de mauvaises pensées ? Le père Trampoline ne pouvait pas s’empêcher de montrer sa mauvaise humeur. Mais je vous ai confessé hier en fin de matinée 

    -             Si, si disaient les grenouilles de bénitier avec des petits croissements qui sautillaient de leur gorge légèrement découverte. Nous avons des petits rêves osés à nous faire pardonner.

    -             Madame Odile ! Vous, la danse du ventre. Le diable s’en contente !

    -              Mais Monsieur le curé, ce ne sont là que des péchés véniels qui en cas de mort ne ferment pas les portes du ciel père Trampoline. Au pire quelques minutes passées dans la salle d’attente du purgatoire. Allez ! Allez ! Mon père !

    Le bon père Trampoline perdait vraiment patience, mais fini par accepter.

    Allez ! Dépêchons ! Assez de me faire perdre mon temps ! Allez faisons vite ! Mon public va finir par s’en aller !

     

    Le deuxième boulot du père Trampoline

    Sa sainteté de Roustina, le père Trampoline avait aussi l’honneur d’accomplir le rôle de taupe de la P.I.D.E., c’est-à-dire dénoncer la population et d’envoyer au diable les opposants de l’Etat Nouveau.

    Papy prétendait à mi-voix que cet Etat, n’avait rien de neuf, ni de moderne, ni tourné vers l’avenir, mais plutôt le contraire. C’était une copie de passés obscurs de la vie de l’humanité.  Mais aussi un plagiat que certains prétendus innovateurs, comme le maréchal Philippe Pétale en Galia a voulu instaurer et avec quel succès ! Cependant un jeune audacieux et grand militaire a réussi à tout réparer.

    Tout le monde à Roustina sait que le boulot de la taupe, ne se fait pas sous le soleil, mais sous terre. Personne n’ignorait la besogne, et personne n’avait intérêt à savoir. Mieux laisser la taupe à sa taupinière.

      Cependant la principale passion qui faisait vibrer le père Trampoline c’était le sermon dominical. Comme dans un rêve, il montait les quelques marches de pierre froide de la chaire. Une joie mêlée de satisfaction animait son visage à chaque marche. Et il se croyait monter au ciel comme un saint auréolé entouré d’anges battant leurs ailes comme des aigles. Tout en bas les paroissiens admiraient sa céleste ascension.

    Mais une fois dans chaire il devenait fidèle à lui-même. Visage de prédicateur, ses avants bras solidement appuyés sur la bordure en bois doré, les yeux vissés au ciel, comme s’il attendait l’inspiration, tombant en forme de pluie du là-haut. Ensuite il se tournait comme un robot balayant avec ses sourcils plus qu’avec ses yeux le regard soumis des paroissiens.

    Mais avant de commencer son sermon il faisait le contrôle d’absences du village. Et Aïe des absents.  Leurs noms étaient inscrits, sur le champ, dans la liste noire. A partir du lundi matin ils étaient rappelés énergiquement à rejoindre la sainte maison du Seigneur. Si ces stupides brebis avaient la mauvaise idée de persister dans leur égarement, son bâton de berger saurait les remettre dans le bon chemin.

    A la catéchèse on attirait l’attention des enfants sur le mauvais comportement des parents. Comme les enfants étaient pour ces parents plus importants que leur propre vie et plus sacrés que la prunelle de leurs yeux, les brebis égarées revenaient rapidement se mettre sous la protection du pâtre Trampoline.

    Alors le bon prêtre jouait avec joie la parabole du retour de l’enfant prodige. A force de la répéter, il avait fini par l’apprendre par cœur. Pourtant le Père trampoline était incapable d’apprendre quoi que ce soit par cœur. Il était une vraie mémoire de petit moineau.

    C’est pourquoi, il crut que cette facilité inespérée qu’il avait acquis pour raconter, la parabole du retour de l’enfant prodige était un miracle de Saint Antoine, patron du village.

    Cependant Saint Antoine de Lisbonne ou de Padoue, car c’est le même saint, n’aimait pas du tout d’être importuné par ces faits miraculeux. Il voulait bien continuer à trouver des brebis égarées et des maris pour les jeunes filles le 13 juin, mais pour le reste, il ne fallait pas compter sur lui.

     Après ce miracle père Trampoline n’avait plus besoin de chausser ses vieilles lunettes noires, plus besoin de feuilleter avec ses gros doigts les fines pages de la Bible. Il insistait sur la souffrance de ce bon père que pendant une année pleura le départ de son fils, mais il martelait avec insistance la grande joie de ce père le jour du retour à la maison de son enfant. Cette maison-là est notre église, insistait le Père trampoline avec les larmes aux yeux et il était évident que ce bon père était lui-même. Mais tout d’un coup et plus rapide qu’un éclair son visage devenait menaçant comme un tonnerre. Menaçant, il montrait de l’index, pointu comme une flèche, tous ceux qui ne craignaient pas la colère de Dieu.

    A ce moment-là les enfants se laissaient aller à des sanglots, les femmes tombaient en pleurs, comme des madeleines et hommes avaient même la chair de poule.  Le père Trampoline goutait avec plaisir l’effet que cela faisait.

    Heureusement juste à côté de la chaire et tamisant la colère du père Trampoline se dressait rassurante, dans un halo de lumière ensoleillée, la statue de Saint Antoine de Lisbonne sur son autel

     Le saint au regard paternel et doux portait dans ses bras le petit enfant Jésus. Celui-ci avait dans ses petites mains dodues une fleur de lys tout blanc. Grace à Dieu Saint Antoine était présent. Il ne les abandonnerait pas. Saint Antoine était plus qu’un saint. C’était un dieu. Mais il était aussi un père, une mère rassurant hommes et femmes, petits et grands.

    ***

    La peur bleue de grand-père

    Au village le soleil se levait pour tout le monde. Mais tout le monde n’en profitait pas de la même manière. Oliverio depuis l’entretien avec Augusto le Régisseur, se sentait trahi. Taraudé par une colère de tigre il tournait en rond comme lion en cage.

     Il était 10h du matin en ce dimanche ensoleillé de juillet. Ne pouvant plus contenir sa rage, ou sa déception Oliverio vint la libérer chez grand-père. Le voilà déjà en train de monter à grandes enjambées l’escalier en pierre. Il cogne à la porte comme s’il voulait tout casser.

    Grand-père qui était dans la partie basse de la maison en train de s’occuper de ses vaches s’affola. Mais qui pouvait bien perturber ainsi la quiétude d’un matin. Qui osait rompre l’ambiance de paix de ce dimanche. Comment osait-on perturber ainsi le bonheur de la fête de la veille.

    Tout d’un coup il eut une peur bleue. Serait-ce la police de l’état qui cherchait à le coffrer à nouveau ?

    Il était un contrebandier expérimenté et malin comme un renard de la Serra de la Malcata.  Cette fois-ci il ne se laisserait pas prendre comme un couillon par cette saloperie de gardes républicains ou les pides. Ses jambes devinrent tout d’un coup des ressorts, prêtes à rebondir par la fenêtre de derrière la maison, prêtes à prendre la poudre d’escampette et disparaître dans le vert touffu de ces champs de maïs non loin de l’arrière de l'habitation.

     Simultanément dans sa tête, des images de panique défilaient à toute vitesse comme dans un film. Il était le loup traqué par tous les chiens du village. Avait-il été dénoncé. Allait-il encore croupir en prison. Serait-ce plutôt la P.I.D.E., Seraient-ce ces maîtres de la torture et de la répression de Satan Lazar, les frères jumeaux de la Gestapo nazi et de l’O.V.R.A. De Mussolini ?

     Non ! Ce n’est pas possible. Ces hyènes du régime n’agissaient que dans l’obscurité sombre de la nuit. Non ! Il faisait jour et on s’approchait de 11h. Papy après la panique reprenait confiance et devenait plus lucide. Il déduisit vite que ce ne pouvait être autre chose que ces ventrus de gardes républicains, les mal nommés, car de républicains ils n’en avaient rien. Pendant une centième de seconde, papy passa de chassé à chasseur.

    -             Mais ces gardes, ces cochons ventrus, je vais les étriper !

    Mais la tension baisse d’un cran. Néanmoins il est réaliste. Sa compagne, la tragique inquiétude, le poursuit à tout instant. Il pense à ce coup de pistolet possible, tiré lâchement dans son dos. Il a même l’impression de sentir la balle, comme un socle de métal de son araire en train de lui labourer les chairs. Il sent dans son dos une sensation chaude qui alterne avec le grattement froid du cuivre. Il n’a pas vraiment peur de mourir. Mais la vie c’est la vie, murmura-t-il en lui-même. Puis criant sa révolte.

    -             Vermines ! Bande de doryphores ! Je ne veux pas mourir ! Je veux voir mon petit-fils devenir quelqu’un. Bande de traites du peuple, je veux pour mon pays, le renouveau du printemps.

     

    ***

    La prière de grand-père

    Papy avait la capacité miraculeuse de passer de l’été à l’hiver, de la révolte à la paix, de la colère à la sérénité et de la réalité au rêve.

    Oubliant tout de la situation de peur et d’inquiétude qu’il venait de vivre à cause de l’arrivée inattendue d’Oliverio, il se mit à parler à lui-même, comme s’il s’agissait d’une prière qui ne dura qu’un court instant :

    Je veux voir mon petit-fils diplômé, les yeux ouverts capable de démêler les nœuds durs de la vie. Je veux qu’il sache séparer le bon grain de l’ivraie en ces temps de bruit de bottes dans mon pays, en Allemagne en Italie, en Espagne, en Russie et ailleurs. Mon petit-fils, mon petit Wald, se dit-il en se caressant le côté gauche de la poitrine. Mon Wald est mon espoir. Il est cette force qui chaque jour grandit en moi et me fait aller au-delà du courage d’un homme.

    Espérons que dans quelques années, il puisse gagner son pain honnêtement, non pas comme ces parasites de rentiers richards. Comme des vampires ils aspirent le sang du village. Toujours à travailler comme des cerfs au Moyen Âge. Jamais du repos, jamais un loisir. Seulement une vie de taupe cachée de peur, de mépris, de larmes et sueur.

    Souhaitons que mon Wald ne ressemble pas à ces gardes républicains, des traîtres de notre peuple et de notre république. Ce ne sont que des moutons égarés servant une monarchie absolutiste déguisée en république.

    Pourvu que mon Wald soit un constructeur d’une autre société. Une société où un homme libre peut exister, se réaliser par son travail.

    Mais pour y arriver, mon petit Wald il faut passer par les études. Des études honnêtes.

    ***

    Comme un mouton

    Car, mon petit Wald, le peuple sans instruction, une instruction sans valeurs humanistes, est mouton. On le guide dans un abîme et l’un après l’autre il tombe dans le précipice sans le voir. Après il se plaint de douleur, mais il ne comprend pas la cause de la douleur. Il ne sait pas d’où elle vient. Le peuple non éduqué ne pose jamais de question, il suit le troupeau. Il se laisse haranguer. Au nom d’un Dieu, sans le connaître, ou d’une quelconque drogue, il obéira aveuglement à l’extinction de la lumière et massacrera avec bestialité les siens.

    -              C’était la volonté de Dieu, dira-t-il. Absurde. Mais comment Dieu, qui est le bien, mon Wald, peut-il vouloir de telles attitudes et comportements.

    Grand-père qui voyait la grandeur de Dieu aussi dans la beauté de la nature, savait que Dieu était tout le contraire de ce que l’on arguait en son nom. Le peuple sans livres est mouton, renchérit-il, avec une grande tristesse qui se lisait dans ses yeux vert-gris, mais il y a aussi des livres qui transforment les hommes en moutons...

    Haussant les épaules, le regard encore ailleurs, laissent les paroles s’envoler dans le ciel bleu de Roustina il recule d’un pas tout en écartant les jambes. Il semble hors de lui.

    Avec la témérité et le courage de six forcados d'Almeirim, papy saute dans la cour de la maison, qu’il prend par l’arène de tauromachie du Campo Pequeno à Lisbonne. Il lance un cri de force brute prêt à affronter à mains nues les cornes du taureau.

    -             Gardes parasites à la solde de ce grand Escroc National…

    -             Mais qu’est-ce qui t’arrive David ? Es-tu devenu fou ? L’interroge inquiet Oliverio de ce qu’il vient de voir. Réveille-toi ! Réveille-toi ô mon David ! Allez ! Allez ! Revenons à la réalité.

    -             Des cauchemars Oliverio ! Des cauchemars à rire debout !

    Papy devient un autre homme. Après une réticence très masculine, papy ne put s’empêcher de prendre son ami dans ses bras.

    -         Espèce de sauvage, mais c’est toi, mon vieux ! Quel plaisir de te voir, dit grand-père avec un large sourire fendu jusqu’aux oreilles. Spontanément son visage s’éclaira d’une lumière sereine de tranquillité, laissant libérer des sentiments jusque-là emprisonnés.

     -      Mais que fous-tu là, à cette heure-ci. Tu as mis ta femme à la messe, pour venir me faire une blague, ou quoi ? Lui dit grand-père en riant aux éclats.  Puis plus calme et appuyant sa main droite sur le cœur :

    -        Mais quelle trouille tu m’as foutu-là ! Si je n’avais pas un cœur à faire une révolution, je serais certainement mort d’une crise cardiaque. Maintenant son visage rouge était illuminé par le bonheur de cette rencontre inespérée. Grand-père entoura les épaules de son ami en lui tapant avec amitié sur le dos. Puis le passé revenant au galop, son visage se referma à nouveau comme une huître.

    -        Rentrons à la maison. On sera plus tranquilles. On ne sait jamais ! Mais assieds-toi. Attends-moi !  Je vais chercher deux verres à la cuisine. Tu veux du rouge ou du blanc ? Il me reste une bouteille de vin vert. De deux pierres un coup Oliverio. On va célébrer ta venue et la belle réussite de Wald au certificat d’études ! Mais tu m’as fait une sacrée peur quand même !

    Pardon Monsieur ! Pardon Monsieur ! Je ne voulais pas ! Lui rétorque Oliverio avec un semblant de cérémonie. Papy oubliant les mots d’Olivèrio se vide en confidences :

    -                Oui Oliverio, cette garce de peur est là en train de me tarauder à chaque instant. Avant j’avais peur la nuit, mais maintenant j’ai peur jour et nuit. Et cette peur nous l’avons tous ! La peur du voisin, la peur du curé, la taupe noire de Satan Lazar, la peur du policier, la peur des riches du village, la peur de tout. Oliverio, la peur est notre lot quotidien à tous. Comment allons-nous faire ? Quel sera notre avenir, en prison ou à manger les pissenlits par la racine ?  Papy se tient la tête à deux mains.

    -             Parfois, je me demande, mon cher ami, si ma seule raison de vivre n’est que l’avenir de mon Wald et l’amitié de certaines personnes, dont tu fais partie mon cher ami. Nous sommes dans leur étau depuis 1932. De plus je constate qu’il nous serre chaque jour davantage, après la fin de la guerre d’Espagne. Nous avons cru que le pire serait derrière. Après la défaite d’Hitler, nous pensions que le pire était derrière nous ? Eh bien ! Non ! Oliverio.

    Même les Américains changent leur fusil d’épaule.  Ils se conforment même avec les dictatures qu’ils ont combattues hier. Les voilà presque amis avec notre Satan Lazar et le Bestamontes du pays voisin !

    D’autre part, selon les dires des ondes de R.F.I. il parait même que les horreurs de Staline n’ont rien à envier à celles des nazis et des fascistes italiens ! Et dire que nous avons cru à leurs slogans de « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »  C’est de la merde cette Union Soviétique-là. Des procès à la va vite, des emprisonnements, des fusillades, des goulags, des famines, des têtes qui tombent par millions. Par millions Oliverio ! Notre espoir ne peut venir que de France mon Oliverio.

    Tu sais Oliverio, on n’est pas encore sorti de ce champ de fumier à ciel ouvert qui est notre Ibérie !

    ***

    Pourtant notre Terre avec ses beaux vignobles sur les coteaux ensoleillés du Coa, ses étendues de pommes de terre, d’haricots et de maïs dans la vallée, ses champs de blé, de seigle, de sarrasin sur le plateau et sans oublier les vergers d’arbres dispersés de figuiers, cerisiers, pommiers, cognassiers, limités dans les hauteurs de millénaires châtaigniers, font de notre région un jardin d’Eden !

    Nom de Die !  Grand-père laisse échapper la pression de colère qui bouillonne dans sa marmite. Pourtant tout le monde craint de finir ses jours, croupir les pieds dans l’eau, à la prison de Caxias, de Péniche, de Tarrafal au Cap-Vert ou même du lointain Mozambique. Dans ce pays de navigateurs, d'explorateurs, de poètes, les prisons poussent plus vite que les champignons dans nos pinèdes et châtaigneraies en automne.

    Leur objectif politique, n’est pas d’instruire, n'est pas de cultiver la libre pensée, n’est pas de développer la controverse, n'est pas de donner des connaissances, mais de laisser le pays dans l’ignorance, car le savoir leur fait peur.

    Ce pays devient de plus en plus une prison à ciel ouvert administrée par le zélote de Lisbonne retiré dans le temple de Saint Bento. Te rends-tu compte, Oliverio, que nous avions 60% d’analphabètes en 1930 et aujourd’hui nous avons encore plus de 52%. Dans ce pays, mon pauvre Oliverio, le nombre de prisonniers est plus élevé que celui des écoliers.

    -             Ton Portugal est un pays de merde !  Crie Wald en sautant dans les bras de son papy.

    -             Mais tu es fou ou quoi Wald ? Mais tu arrives d’où ? Tu aurais pu te faire du mal. Te rends-tu compte ?

    -             Je m’en fous papy ! Je n’aime pas te voir malheureux !

    Grand-père essaya de calmer la situation et de nuancer les propos de Wald. Oliverio, bouche baie, contemple les yeux humides et tendres ses deux amis.

                     Non ! Non ! Mon petit Wald ! Ce n’est pas le pays. C’est plutôt ce régime et sa misérable minorité qui le soutien ! Le reste du peuple, mon Wald, continue à faire contre mauvaise fortune bon cœur. Grand–père continue dans son étonnement.

                      Mais je te croyais en train de suivre le match Benfica-Sporting à la radio avec ton locuteur préféré Nuno Bras.

                      Mais papy je n'aime plus ni Benfica, ni le Sporting, ni même le F.C. Porto.

                     Ah ! Et pourquoi donc ?

                     Parce que !

                     Parce que ce n’est pas une réponse. Allez dis ! Sors ce que tu as dans le cœur !

                     Mais papy tu m’as toujours dit que ce pays est divisé en trois partis, trois syndicats de moutons : Benfica, Sporting, Porto !

                     Ah ! Mon vieux ! Regarde-moi ça Oliverio. L’air de rien ce petit ne perd pas une miette. Grain à grain la poule rempli son jabot.

                     Papy mon équipe à moi c’est la Briosa. A Academica de Coimbra. C’est que les joueurs de l'Academica sont tous des étudiants. Des étudiants de l'Université de Coimbra. Te rends-tu compte, pas de professionnels pourris par des salaires indécents. Tu m’entends papy, uniquement des étudiants. Cette année avec, Malo, Rui Rodrigues, Tony, Manuel Antonio, Artur Jorge, nous allons gagner la coupe papy !... Les autres ont de l’argent et des muscles, mais nous avons des idées…

                     Ça me fait plaisir d’entendre cela ! Ah ! Des étudiants ! Je sais ! Oui, mon petit Wald nous allons la gagner cette coupe et si les jambes fléchissent nous aurons du cœur et de la tête au stade du Jamor !

     

    Wald le petit Diable 

    Wald aimait faire régulièrement de la lecture pour plaire à son papy. Mais ce matin, c’était un dimanche d’été. Le soleil riait déjà dans le ciel. La lecture de La Morgadinha dos Canaviais, un amour lyrique et bucolique du romancier Julio Dinis 1839-1871 était essentiel, mais ce n’était pas tout dans sa vie.

                      Nom d’une pipe à tabac !

    Se disait à lui-même Wald, en descendant l’escalier en pierre de la maison, pour avertir son papy de l’heure de la messe dominicale qui approchait. Mais pensant le trouver en train de soigner les vaches dans l’étable, il fût surpris de le voir en compagnie d’Oliverio dans une discussion amicale qui faisait plaisir à entendre. Tout d’un coup il s’arrête et remonte aussitôt l’escalier et crie dans un rire d’adolescent moqueur et hardi :

                     Je vais faire un saut mortel comme au cirque. Profitant de la hauteur de l’escalier, il sauta dans les bras d’Oliverio. Celui-ci se prêtant au jeu l’attrapa au vol, mais laissa aller ses bras jusqu’au sol et le relança en l’air et le rattrapa à nouveau pour lui donner plus de sensations.

    Wald ! Wald ! Waldinho !

    Quando ele apanha um livro

    pàgina apos pàgina canta como o grilo

    Nunca, nunca o deixa sozinho !

    Wald ! Wald ! Waldinho ! 

     

    Wald ! Wald ! Petit Wald !

    Lorsqu’il attrape un livre,

    Il le boit sans relâche

     Page après page

    Et le livre devient ivre !

    Wald ! Wald ! Petit Wald !

    Oliverio tout en jouant voulait le féliciter indirectement de la réussite à l’examen et valoriser son goût pour la lecture. Mais Wald se sentait en vacances. Il était temps de jouer plaisanter et rire. Ainsi passant la main sur sa barbe hirsute, il le taquine :

    ***

    Oliverio l’Hérétique

    -             Ça pique ! Ça pique ! L’Hérétique ! Tu as vu l’heure ? Le petit nom d’hérétique venait du fait qu’Oliverio n’allait pas souvent à la messe du père Trampoline. Et ainsi de fil en aiguille Oliverio perdit son nom pour devenir dans la bouche de tous ou presque l’Hérétique. En même temps ce pseudo était appliqué à d’autres hommes peu assidus des offices religieux depuis le départ mystérieux de père Antonio, le fils du village, comme on le verra plus tard. Mais c’était aussi une manifestation d’anticléricalisme populaire et surtout un mouvement silencieux de contestation à l’égard du père Trampoline la taupe de Lisbonne. C’est que les cerveaux silencieux du village contestaient de plus en plus le comportement complice et de soutien du troupeau de bigotes du village. Elles passaient leur temps à crier au loup dans un village où les brebis n’aspiraient qu’à paitre la beauté de la nature dans coexistence pacifique.

    -             Écoute, Petit Docteur, je pensais aller communier à la messe de midi, mais je crois que je vais plutôt aller à la taverne. C’est que les bigotes ont pris les hosties pour des gâteaux à apéritif et de plus elles ont bu tout le vin de messe !

    Petit Wald éclata de rire et demanda dans une attitude sérieuse

    -             Mais pose-moi par terre, je ne suis plus un petit enfant. Eh ! Bien moi, je vais y aller et en courant, car je ne bois que de l’eau. Peut-être reste-t-il quelques miettes d’hosties.

    -             Oh ! Pas la peine docteur pour les hosties, mais pour l’eau, pas de problème tu pourras y faire la grenouille de bénitier ! Allez grenouille ! Va croasser dans les bénitiers ! En disant cela Oliverio lui administre une petite tape amicale sur le derrière.

    Ayant fini de plaisanter avec Oliverio maintenant Wald se tourne vers son Papy. Dessinant des mains un geste de Dominus Vis cum, il lui dit d’un rire divin, tout en se moquant de sa chevelure de lion :

    Ô Mon petit Papy

     Mon Saint David auréolé

    C’est dimanche

    Le clocher t’appelle

    Pour rendre visite à dieu

    Va, mets ton costume noir

    De la même couleur que tes souliers

    N’oublie pas ta blanche chemise en lin

    Les beiges chaussettes en laine te vont si bien

    Mon petit papy

    Mon saint David auréolé 

    Tu es si joliment habillé

    Gare à toi, il ne faut pas le tâcher

    Tu as intérêt à te dépêcher

    Faire, faire très attention

    A ton Petit Lys tout blanc

    C’est ainsi que papy appelait sa Rachel

    Dévouée au pays de lait et miel

    Sinon ! Sinon !

    Ô Mon petit papy !

    Ô mon bien aimé papion  

    Elle Va t’échapper de la main

    Tomber dans les bras de monsieur le curé !

    Ô mon papy

    Mais il est presque midi !

    C’est l’heure

    Mais tu n’entends pas les cloches

    A la messe ! Allons à la messe !

    Trouver ta Rachel,

    Ô mon adoré Papy !

     

    Après la réussite de Wald à son examen, il était évident, même pour un âne grec qui refuse de boire, bien que mort de soif, qu’un nouveau monde était arrivé. Celui des personnes lettrées. De plus, ce dimanche-ci, papy n’avait aucune envie de condamner son cœur joyeux dans une messe plus triste qu’un enterrement où les vivants s’ennuyaient plus que le mort dans le cercueil. Et que dire du sermon. Non ! C’était pénible et inutile comme la pluie qui tombe en mer ! Non ! Papy irait plutôt s’enivrer de rire avec son Wald et son ami Oliverio sur les rives du Coa.

    ***

    Pas de Messe ce dimanche

    -             Mais petit Wald pas la peine d’aller à l’église ! Il n’y a pas de messe ce dimanche.

    -             Comment pas de messe papy ?

    -              Ecoute Wald ! Le Père trampoline avait une grosse arête en travers de la gorge. En se levant, bien que tard, il avait une faim de loup de mer. Sautant précipitamment sur une boite de sardines en conserve il avalait les sardines entières. Le diable qui n’était pas loin ne perdit pas l’occasion de faire des diableries. Il fit tout d’abord renverser la boite pleine d’huile d’olive sur la soutane. Mais le pire fut qu’en avalant la dernière sardine une arête lui resta en travers de la gorge.

    -             Tout le ciel de Roustina en fut averti et la mauvaise nouvelle arriva même au Paradis de Lisbonne. Le Diario de Noticias l’organe officieux du Grand Maitre pour certains le plus grand de tous les temps, voir au-dessus de Dieu, titrait en grosses lettres « Une Arête dans le pied de Dieu »

    Pourtant en lisant l’article vite on s’apercevait qu’il n’y avait pas de quoi fouetter un chat pas plus que le diable. On y découvrait tout simplement qu’un bon et fidèle curé de la province profonde des Beiras, en mangeant comme un souillon et gloutonnement une boite de sardines à l’huile d’olive, se laissa surprendre par une arête non pas dans le pied mais dans la gorge. De ce fait le bon curé ne pouvait pas assurer la sainte messe dominicale de sa paroisse. Que cet empêchement provoqua une inquiétude exagérée et inattendue dans le ciel de St Bento à Lisbonne. En effet celui-ci préoccupé frénétiquement par la baisse probable de son culte de la personnalité se sentait déjà happé par les portes grandes ouvertes d’un enfer qui l’attendait. Un court instant il se crut une âme en peine en chute libre vers les feux ténébreux de l’éternité.

    À la suite de ce tremblement de terre arrivé à un des forts piliers du régime, le père Trampoline curé de Roustina, le Paradis le Lisbonne croyait son dernier jugement arrivé.  Lisbonne savait que les péchés accumulés depuis quarante ans n’était qu’une haute montagne aux pieds d’argile qui pouvait s’écrouler à tout moment, mais il fallait retarder au maximum ce fatidique jour.

    C’est pourquoi le service de la propagande était en pied de guerre. Il fallait éviter coûte que coûte la descente aux enfers qui s’annonçait. Un télégramme spécial fut immédiatement envoyé au pilier du régime des Beiras, le père Trampoline.

    « Il est impératif que la messe dominicale de Roustina ait lieu et le sermon encore plus ».

    Quelques notes explicatives accompagnaient le message :

    Pas besoin de paroles du prêtre. Les âmes serviables sauraient mener à bien le saint office. Le peuple suivra comme d’habitude. Cependant un peu avant le sermon le père Trampoline devrait mettre quelques gouttes d’eau de vie dans son calice d’eau colorée de vin. La force du st Esprit ferait le reste et la gorge de père Trampoline deviendrait dégagée comme avant.

     Cependant, par on ne sait quelles manigances du malin, le père Trampoline sorti de ses habitudes mélangea les torchons et les serviettes de la sainte Messe. Il versa quelques gouttes d’eau teintée de vin dans un calice presque plein d’eau de vie et bu tout d’un coup à la russe ! Le résultat ne se fit pas attendre. Quelques minutes après   le père Trampoline était ivre comme une barrique et roule comme une charrette à bœufs du haut de l’autel.

    Ce fut le soulagement pour tout le village, mais l’inquiétude des riches et des bigotes du village…

     Après ce récit incroyable de grand-père, le petit garnement de Wal ne put s’empêcher de lui rétorquer sarcastiquement.

    -             Alors je cours à la sacristie voir s’il reste quelques gouttes d’eau de vie !

    Ces paroles n’étaient pas encore finies que le petit Wald dans une décision irréfléchie, se croyant un petit soldat de la folklorique Mocidade Portuguesa, fit un salut militaire tout en faisant claquer ses talons, puis quitta précipitamment la maison en courant.

     Une vingtaine de minutes après il revint de l’église avec quelque chose de caché dans sa chemise à carreaux bleus et noirs tirant sur du vert. –

    -             Qu’est-ce que tu as caché là, petite fripouille ? lui demanda Oliverio indiquant sa chemise. Wald indifférant à la question va s’assoir sur une marche située légèrement au-dessus de la tête d’Oliverio, puis le regardant d’une manière espiègle lui répond en riant :

    -             Une hostie au blé noir pour toi « hérétique » ! 

    ***

    Petit Wald joue au professeur

    Wald quelque peu excité par cette histoire malheureuse arrivée au père Trampoline avait envie de continuer à s’amuser avec son ami Oliverio. Après une année de travail scolaire et l’obtention haut la main de son diplôme Wald avait, plus que jamais, envie de jouer.

     - Hérétique !  Avec moi tu pourras te taper le cul en Terre Sainte, mais tu n’auras pas de calice d’eau de vie comme Monsieur le Curé, lui dit Wald d’un ton autoritaire tout en riant à gorge déployée. Ensuite prenant un ton professoral il ajouta :

    - Monsieur L’Hérétique, le cancre de la classe ! Veuillez-vous asseoir droit dans votre pupitre. Je suis le nouveau professeur de Religion et Morale. Aujourd’hui nous allons faire une leçon de lecture.

    Monsieur Wald, droit comme un balai dans son costume noir imaginaire, sortit un cahier qu’il posa avec bruit devant son supposé élève. Sur la couverture verte du dit cahier de classe était marqué en grosses lettres : « SEBENTA » ce qui signifie cahier de brouillon en portugais. Tout en lui montrant avec sa canne de professeur le mot « SEBENTA » il lui demanda d’une voix de peu d’amis :

    - Voyons si ce Monsieur Hérétique sait lire correctement.

    Puis-je commencer Monsieur demande Oliverio se prêtant tout de suite au jeu.

    -             Oui ! Oui ! Qu’attendez-vous, Monsieur l’Hérétique, mais articulez et évitez de lire syllabe par syllabe comme les cancres. Ordonne avec autorité et même certain mépris le professeur Wald.

    -             Oui Monsieur le professeur, répond Oliverio avec une voix d’enfant en s’adoucissant la gorge. Oliverio fit semblant d’être un élève débutant qui déchiffre avec difficulté les syllabes et prononce :

    -             « Se – be – n - ta. Le pauvre élève n’avait pas encore fini que le pseudo professeur lui rit au nez avec un air de celui qui sait tout.

    -             Non Monsieur pas du tout, vous n’avez pas appris votre leçon. Vous n’êtes qu’un animal ! Une misérable bête de somme à la fin. Vous n’avez pas honte d’être si stupide !  Je vais vous mettre au coin avec le chapeau d’âne.

     On dirait que Wald reproduisait des mots et comportements que l’on avait adressés à son encontre.

    -             Regardez bien chaque lettre Monsieur ! Ici c’est écrit :

    « Satanlazar é burro e não tem albarda ! » ce qui signifie, dit Wald :

     Satan Lazar est un âne qui n’a pas de bât ! Mais oui Monsieur ! Je vous explique ! Écoutez bien Monsieur L’Hérétique :

    « S » signifie Satan Lazar 

     « E » C’est le verbe être, « ser ». C’est-à-dire, 3ème personne du singulier de l’indicatif. Donc, « il est ! »  

    « B » signifie « Burro » ! C’est-à-dire « un âne », Monsieur ! 

    « E » Ici c’est la préposition « e ». Cela signifie donc « et ». 

    « N » signifie « não » C’est la négation, « ne + verbe + pas. 

    « T » signifie « tem » verbe « Ter » 3ème personne du singulier. C’est donc le verbe avoir dans le sens de posséder avoir. Cela signifie, il a ! 

    « A » signifie « albarda » ! c’est le bât, le costume des ânes, Monsieur L’Hérétique ! 

    -             Monsieur l’Hérétique ! Je crois que je vais vous en acheter un bât chez les gitans à la prochaine foire de Soutugal, si vous continuez, à être stupide comme l’animal nommé ci-dessus !

     Le petit Wald ne put garder plus longtemps le côté sérieux de son jeu. Il jeta par terre sa canne de professeur et sauta comme un enfant dans les bras d’Oliverio tout en riant comme un fou et fier de son espièglerie.

    ***

    La Récréation

    Grand-père presque jaloux de la bonne entente d’Oliverio avec son Wald ne voulut pas que la fête continuât sans lui. Rusé non pas comme un renard, mais comme un contrebandier, il poussa adroitement son petit-fils vers le milieu d’une couverture qu’il venait d’étaler par terre avec malice et la complicité d’Oliverio. Puis d’un geste rapide de magicien, les deux adultes prirent la couverture aux quatre coins avec Wald qui se trouvait piégé au milieu. Aussitôt ils lancèrent l’enfant en l’air et à tous les trois chantaient :

    Satan Lazar est un âne qui n’a pas de bât !

    Satan Lazar est un âne qui n’a pas de bât !

    Satan Lazar est un âne qui n’a pas de bât !

    Wald riait aux éclats. Papy et Oliverio se laissaient aller gaiement dans le royaume d’insouciance des enfants. Ce fut un moment heureux, une sorte de thérapie contre le stress quotidien de la peur.

     

    ***

    Les Petits Anges Montent au Ciel

    Albertinho adorait faire trin ! trin ! trin ! avec sa clochette lors du cortège d’enterrement des petits anges. Les anges étaient ces enfants qui venaient à peine de découvrir la lumière du jour, mais qui étaient déjà pressés d’aller contempler la lumière de Dieu dans le ciel. Mais ce joli envol vers le Paradis n’était possible que si les petits anges aux plumes douces et pures de cygne avaient reçu le sacrement du baptême. Mais pour que ce rite religieux ait lieu, il fallait trouver des parrains au petit ange. Ce qui n'était pas évident du tout.

    En effet le temps était compté, et il fallait les trouver, comme ça, à la va vite. Le risque était que les angelots, avec leurs jolies petites plumes blanches, leur petit derrière rondelet, leurs joues rosées, soient obligés de faire une halte, ou même, un séjour ennuyeux au limbe qui pouvait durer des années. Tout cela dépendait de l’énergie et de la rapidité des parents à laver par le baptême, le péché originel.

    Pourtant il y avait toujours des parents qui se laissaient séduire par Belzébul. Ils avaient bien aimé se donner au plaisir d’être parents, mais oubliaient le baptême lorsque leur rejeton venait au monde.

    Saint Pierre était intransigeant. Il était hors de question que lui, le Super Concierge de l’immeuble depuis des siècles, ouvre la porte du Paradis à qui que ce soit n’ayant pas en sa possession le certificat de baptême !

    Ces parents sans âme prétendaient que les nouveaux nés n’avaient rien fait de mal et ne pouvaient donc pas être coupables à leurs yeux du moindre péché originel, véniel, mortel ou quoi que ce soit. Père Trampoline protestait, sermonnait, menaçait mais rien n’y faisait.

    -             Mais mes frères, le péché originel est là et bien là, à la naissance de chacun, il est là, comme une tache de sang criminelle sur la robe blanche autant des filles que des garçons.

    Père Trampoline leur faisait bien peur avec Belzébuth. Il le montrait comme un monstre hideux et cornu aux pieds de chèvre, tout habillé d’une combinaison rouge et noire menaçant les nouveaux nés d’une fourche à la main et prêt à les jeter en enfer. 

    -             Ô gens aveugles et incrédules, mais réveillez-vous ! Battez-vous ! Allons ! Allons donc ! Ne soyez pas des lâches, nom de dieu ! Battez-vous pour vos nouveaux nés !   Mais vous ne voyez pas l’ennemi ? Vous ne voyez pas Satan déjà fourche à la main, prêt à récupérer ces pauvres âmes frêles ? La seule manière de les sauver c’est la guerre ! Oui, il faut combattre le Malin, le poursuivre jusqu’aux portes de l’enfer. Il faut le jeter dans le plus profond de la fournaise et qu’il y brûle pendant des siècles et des siècles.

    -              Amen ! Amen ! répondait en cœur toute l’église.

    Les ongles agrippés à la balustrade fraichement cirée de la chaire, se balançant énergiquement sur la pointe des pieds, père Trampoline, comme un général devant ses troupes avant la bataille finale, s’égosillait en criant haut et fort.

    -              Nous voulons la victoire ! Nous voulons la victoire sur les forces du mal mes amis, mes chers paroissiens. Aucun nouveau-né ne doit monter au ciel sans avoir reçu auparavant le baptême ! Le baptême ! Le baptême mes frères !

    Malgré les incitations fortes et gesticulations du pâtre du village le menu peuple restait figé et dubitatif. C’est que ledit baptême coutait la peau des fesses à ces paroissiens à la bourse plus que vide et tout le monde savait qu’il ne fallait attendre aucun miracle venant de ce curé radin comme un pou. A se demander aussi, si les parents ne faisaient pas exprès de faire traîner l’envol des anges pour faire enrager monsieur le curé.    

    On voyait bien que l’argent et les sacrements liés à la mort au mariage et le baptême divisaient les deux parties et menaçaient de schisme l’église de Roustina.

     C’est que selon certains paroissiens le père Trampoline portait en lui une aversion la naissance et la conception de ces nouveaux nés. Cela se manifestait lors du baptême par des comportements, des gestes rudes, des paroles dépourvues de de la moindre tendresse. On sentait comme une vengeance lors du versement de l’eau, maladroit et à ne plus en finir, sur la tête des petites créatures.

    Des parents allaient jusqu’à penser que le père Trampoline vivait mal ce que l’âge ne lui permettait plus de faire. C’était peut-être pour cela qu’il se montrait en certaines circonstances envieux, voir agressif, sur le sujet.

    Et Pourtant lorsqu’il trouvait dans la rue des adolescents il ne finissait pas, de caresser leur chevelure, de prendre leurs mains dans les siennes tout en leur parlant avec la tendresse d’un père. Il ne finissait jamais un mariage sans un rire amusé tout en évoquant les paroles de la bible :

    -             Maintenant allez dans la paix du Seigneur ! Soyez en heureux et multipliez-vous !

    ***

    Le gaspillage !

    -             Quel gaspillage ! Quel gaspillage national !

    Protestait grand-père. Puis ajouta :

    -             Aussi bien à Roustina que dans tous les villages du nord au sud du Portugal et ses colonies, ces pauvres enfants sont laissés à l’abandon culturel et professionnel. Au lieu d’aller se former dans les lycées, rares, dans les universités, inexistantes, pour s’instruire et plus tard enrichir leur pays de leurs savoirs ils s’en vont gratter la terre d’une façon rudimentaire. Une besogne qui leur permet à peine de subsister ainsi que leurs parents.

    Mais cher lecteur, c’est que la méfiance gagnait de plus en plus en vieillissant le radin de Lisbonne. C’était une méfiance que devenait maladive avec le temps. Son cœur devenait sec, son esprit étroit. Ainsi le radin de Lisbonne se méfiait de l’éducation du pays comme le lapin se méfie du renard. Il se méfiait du devant du bœuf, du derrière du cheval et des citoyens de tous les côtés.

    -             Pour aimer, admirer et s'enorgueillir de notre patrie héroïque, de notre état fort, nul besoin d'être instruit. De l'instruction pourquoi faire ? Il suffit de savoir lire, écrire et compter. Tous ceux qui rencontrent quelque difficulté de compréhension, des pères Trampoline sont là pour conseiller, diriger, orienter et faire exécuter.

    -             Pourquoi aurait-on besoin de dépenser plus. Nous sommes un pays pauvre.  Si nous étions tous des docteurs de l'université de Coimbra, qui cultiverait nos terres, qui servirait nos autorités, qui ferait le pain, qui construirait nos maisons ?

    -             Je ne permets pas que le faux savoir perturbe l'innocence de notre peuple. Comme chef de l’état je sais où je suis et je sais où je vais. Le devoir du chef est de commander et celui du subalterne est de respecter ses supérieurs.

    -             Du respect ! toujours du respect ! que les enfants respectent les parents ! Que la femme respecte son mari ! Que l’élève respecte ses professeurs ! Que le paroissien respecte l’ordre paroissial !

    -             Mes chers compagnons, que chacun de nous fasse à sa place son devoir sous la protection de notre seigneur Jésus Christ. Vive notre patrie ! Tout pour la Patrie ! Rien contre la Patrie. Vive le Portugal !

    La harangue radio habituelle se terminait depuis des années et des années par des échos de fond tonitruants qui petit à petit s’en vont dans le néant :

    Vive Satan Lazar ! Vive Satan Lazar ! Vive Satan…Lazar Vive … Vive… ! Azar ! Azar

    ***

    La Patrie de Papy ?

    Papy aimait beaucoup la patrie aussi. Mais il ne s'agissait pas de la patrie nationaliste, autoritariste, d’ordre inconditionnel, d’obéissance aveugle, de cette patrie assoiffée de vaillance guerrière qui sème partout la mort. Papy détestait cette patrie où la vie n’avait aucune importance sauf celle de ceux qui commandent ordonnent loin du front.

    Papy évoquait une patrie dont le symbole était une jeune fille au torse nu. Elle était élégante, gracieuse les traits du visage fins rappelant la beauté grecque. Une légère voilure verte et rouge lui couvrait légèrement les jambes. Le bassin laissait voir la volupté de ses formes. Cette jeune patrie tournait vers l’horizon un regard d’espérance. Ses bras de velours tendrement ouverts semblaient protéger tous ses enfants patriotiquement.

     Dans ces moments sérieux de la patrie papy affichait un regard profond et parlait yeux dans les yeux de son interlocuteur.

    -             La patrie est trop importante pour l’abandonner à ces patriotes qui n’ont que le mot patrie à la bouche et oublient l’être humain qui l’habite. Non, la Patrie, c’est du sérieux. Si vous avez le malheur que la patrie tombe dans les mains de ces gens-là, vous verrez dans quel état vous la récupérez après !

    C’est vrai que papy aimait parler de la patrie, parler de tout. Mais il aimait encore plus écouter. Il aimait particulièrement écouter les idées des femmes, mais aussi celles des enfants et de tous ceux que l'on dit différents. Il était toujours curieux de connaître, de découvrir ce qui vient de l’autre de l’ailleurs. L’autre pour lui n’était pas l’autre, mais le nous. Rencontrer l’autre était pour lui se découvrir lui-même.

    C’était évident aussi que ses yeux brillaient, son regard sautillait lorsqu’il attirait l’attention. Mais c’était une attention humble et en même temps chaleureuse. Sa façon de s'habiller était simple, mais ses idées étaient sages et approfondies.

    Cependant au village les riches, les gens dits bien, le détestaient, il n’en avait cure, mais tout le l’admirait. Quoi qu’il dise ou fasse, il ne laissait jamais personne indifférente. Ses amis en le rencontrant lui tapaient gentiment dans le dos avec un sourire.

    -             Alors comment va notre « intello » ? A cela, il répondait avec une sagesse toute galicienne.

    -              Non ! Non ! Je ne suis qu’un paysan qui sait peu de choses, mais qui cherche toujours à savoir davantage. Chez nous l’école est un luxe. Elle n’est pas pour des pauvres sauvages, comme ils nous traitent. Mais j’essaie d’être un homme, un paysan instruit, concluait-il.

    Le petit Wald n’avait pas de doute là-dessus ! Pour lui son papy était une sorte de dieu, un dieu sage qui avait réponse à tout.

    -   Mon papy est une Bible, mais une Bible différente de celle du père Trampoline répétait Wald à tout moment que son papy était thème à discussion.

    -    Il n’y a que la sainte Bible. Elle est unique ! Pourquoi différente ? Il ne manquait plus que cela ! Explique tes mensonges, lui demandait-on pour le piquer.

    -    Bien sûr qu’il n’y a qu’une seule Bible, mais différentes traductions venant de l’araméen, l’hébreu, le grec ancien. Mais le principal problème est que le père Trampoline présente la bible comme une affirmation, comme une réponse toute faite à tout, tandis que papy l’interroge, l’interprète, l’analyse pour la comprendre.   Mon papy me dit souvent qu’il faut lire toujours entre les lignes en se demandant :

    « Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? Enregistre cela dans le disque dur de ton caillou, ajoutait papy mi sérieux, mi souriant.

    Parfois le mot caillou était remplacé par le mot colline. C’est que papy comparait le corps humain à la surface terrestre de son village. De là, venaient certainement les comparaisons des parties du corps avec les éléments de la nature. Où qu’il soit papy comparait tout à son élément, la terre.

    On ne pouvait pas dire que le choix de ces mots tombait du ciel par miracle. Au premier coup d’œil le nouvel arrivant pouvait observer que la région de Roustina était riche de collines, mais surtout de cailloux. Ceux-ci étaient composés de gros blocs de granit qui avaient des formes variées. Il y en avait qui portaient des noms de personnes ou d'animaux à cause de leur ressemblance soit de l'espèce humaine, soit animale. La tête de la vieille, le gros lézard, la sorcière etc.

     Il parait que le père de papy prétendait que l’origine galicienne du côté maternel faisait de son fils une personne têtue avec une tête dure comme une montagne. Selon Wald cela était inexacte, en revanche son papy avait la personnalité d’un paysan galicien et l’imagination d’un marin de Vigo.

    C’est certainement cette dernière qui fit de papy un personnage historique célèbre !

    -             Comment ? Ce paysan de Roustina ? Le contrebandier de la raya ? Non ! Pas possible ! Et quoi encore ?

    -      Oui ! Oui ! Criait Wald fier et plein d’enthousiasme. Mon papy a fait aussi une découverte. C’est un découvreur comme Vasco de Gama, Gil Eanes et tant d’autres. Oui ! Oui ! Il a découvert Le Pays de la Débrouillardise. Non pas en sillonnant les mers à bord d’une caravelle mais en lisant des livres mystérieux et rares.

    -      Des bêtises ! Personne ne connait ce pays ! Où se trouve-t-il ? Qui l’a fondé ?

    -      Mon papy lui le savait, dit Wald tout fier. Mon papy à moi m’a raconté une histoire que … Wald fait une pause puis se reprend.

    -     Mon papy à moi m’a enseigné que dans le commencement du monde il est dit que le dimanche dieu se lève tôt. A huit heures il était déjà au boulot. Pendant toute la semaine il créa la terre, le ciel, les mers, les oiseaux etc. Tout le monde connait cela. Le vendredi matin ce fut le tour d’Adam. De plus, il n’était pas encore 14h que celui-ci réclamait déjà à dieu, à cor et à cris, une compagne. Qu’il ne voulait pas vivre seul, qu’il lui manquait quelque chose, qu’il ne se sentait pas tout à fait une personne.

    Devant tant d’exigence ou de chantage de la part d’Adam, Dieu lui aurait répondu qu’il pouvait bien attendre lundi. Comme dieu des juifs qu’il était, il devait s’arrêter de travailler à 16h. Que faire une femme, comme ça à partir de rien. Que ce n’était pas une mince affaire. Que le shabbat était un jour sacré et aïe de celui qui osait le profaner. Un châtiment radical lui tomberait dessus comme la foudre, car personne ne doit plaisanter avec la volonté du dieu tout puissant. Et ainsi fut fait.

    Le dimanche aussitôt arrivé au travail dieu créa Eve. Elle était svelte avec des formes, des courbes une dégaine qui voulait imposer et un regard qui en disait long. Dieu fut étonné, mais content de son bon et dit : Que la femme soit et la femme fut.

     En tout début de l’après-midi, Eve encore toute fraîche et sentant encore la terre glaise quitta les mains du potier Céleste et vint rencontrer Adam.

    Pendant les premiers six mois tout fut sourire, mais après le monde fut ce que l’on sait dieu mis les Bons d’un côté et les Bons à Rien de l’autre. Les premiers avec la grâce de dieu prirent de force les meilleures terres et les autres se débrouillèrent avec le reste.

    -             Ce fut ainsi que se fonda Le Pays de la Débrouillardise qui mon papy découvrit dans un livre rare et mystérieux, termina Wald content de son exploit et fier de son papy. Ce pays est habité par des gens multiples, que les gens bien nomment par différents et variés noms. Mais des noms toujours méprisants qui rabaissent et qui dénigrent c’est-à-dire « L’autre ». Cet autre ça peut être aussi, nommé la racaille, ces gens-là, etc. etc. etc. Puis Wald continua :

    Si grand-père n’était pas monté au Royaume des Cieux un certain dimanche matin de décembre de 1971, juste avant la messe Dominicale, il vous aurait montré sur une mappe monde la situation de ce pays. Wald imagina l’index du grand-père glissant sur la carte, ses lunettes rouges chaussant son nez, dépassant d’une façon rigolote son visage d’homme blanc. Puis, il s’imagina aussi comment lesdites lunettes chausseraient le nez de grand-père s’il avait été un homme noir, jaune ou autre chose. Le cœur de l’enfant riait simplement tout en se rappelant des paroles de son papy :

    -             Le pays des Débrouillards est un pays que l’on ne veut pas voir, où on ne veut pas ni aller ni habiter et ceux qu’y sont ne pensent qu’à le fuir. En effet ce maudit pays, se trouve toujours en marge, à la limite, en banlieue et il est pauvre salle et ses habitants passent leur temps à se débrouiller comme ils peuvent ce qui révolte la droiture et attire la colère des gens bien. Ce pays n’est pas connu ni par sa capitale, ni le nombre de kilomètres carrés, ni par le nombre de héros, car dans leur vie ils le sont tous dans leur débrouillardise.

    ***

    Mais Pourquoi donc Devenir Séminariste

    A Roustina les enfants des « autres » n’allaient pas au lycée. Inutile d'y songer et encore moins à l’université. Cependant comme débrouillards qu'ils étaient quelques-uns, un nombre infime, arrivaient à passer les mailles de ce filet qui sépare les Bons des Autres. La maîtresse de l'école primaire rédigeait une lettre élogieuse. Les parents devançaient le lancement du filet qui commençait à être préparé dès le début du troisième trimestre. Ils allaient assidûment à la messe dominicale et même au chapelet du soir lorsque les taches agricoles le permettaient. Il fallait que père Trampoline se rende bien compte que cette famille était une vraie catholique, craintive de Dieu et des autorités. La vocation allait grandissant, le choix du Seigneur se précisait aussi à mesure que l’on approchait de l'examen du certificat d'études qui avait lieu début juillet. Père Trampoline se donnait le temps de la réflexion. C'est qu'il ne fallait pas envoyer une brebis noire dans le troupeau blanc composant le service de Dieu. Après s'être trituré les méninges tout le mois de juillet et consulté son oreiller père Trampoline pouvait rédiger une lettre de deux pages. Dans la première page, il se mettait à genoux devant Monseigneur Potricarpo, le berger principal de l'évêché et directeur du Séminaire de Guardangal. Dans la deuxième page, il vantait d'une façon épique le côté exemplaire de cette famille craintive de Dieu qui était un exemple de famille humble selon les canons du Satanlazarisme. Et père Trampoline pouvait écrire

     « En guise de conclusion j'affirme que, pour tous les motifs exprimés ci-dessus, mon protégé doit intégrer la grande famille des futurs serfs de Dieu ». Ainsi cette nouvelle vocation allait permettre, chose rare, à ce jeune de devenir séminariste, accéder à moindre frais à un enseignement qui lui permettrait d'abandonner les Autres pour rentrer dans le monde des gens bien, les Bons. Un miracle.

    ***

    Escapade dans les eaux couleurs d’acier du Coa

    Mais papy grognait, se plaignait contre un bon nombre de ces vocations. C’est que ces vocations hypocrites, une fois parties au séminaire, oubliaient le village d'où ils venaient, oubliaient les familles pauvres auxquelles ces curetons appartenaient. Ils voulaient à tout prix et par tous les moyens faire partie des Bons, des de Bien. Si on leur parlait de leur passé, ils baissaient les yeux, les mains jointes bedonnaient une prière que personne ne comprenait.

    Papy levait la tête, regardait dans les yeux ses interlocuteurs, il aimait aussi faire des détours, mais il finissait toujours par arriver là où il voulait.

    Un jour, grand-père, pour donner suite à une probable dénonciation dont il n'ignorait pas tout à fait l'origine, voulut protéger une grosse affaire de contrebande. Pour brûler les pistes suivies par la police des douanes, il décida de faire le touriste avec Wald. C'est-à-dire aller faire le poisson dans les eaux claires du Coa. Dans tout ce que concernait la contrebande papy était sourd comme une carpe. Vous pouviez utiliser un tirebouchon pour lui sortir les vers du nez ou les paroles de la bouche rien n'en sortait. Cause perdue. C’était le plus profond mystère religieux !

    Chemin faisant vers le fleuve Coa, le petit doigt de Wald lui disait que papy ne pouvait pas aller se baigner dans le Coa sans son ami Oliverio. D’ailleurs celui-ci ne tarda pas à les joindre sur son âne à la sortie du village.  Petit Wald dénicha dans le fond de ses yeux de papy une peur inhabituelle. Mais faisant semblant de rien lui dit avec humour

    -             Cher David, mais dresse-toi sur ton cheval, on ne dirait pas un cavalier mais un chien qui a la queue entre ses pattes de peur de la coincer dans une porte !

    Petit Wald sentait bien que son papy ruminait quelque chose dans son estomac tout en se montrant abattu, courbé sur sa monture. Wald faisant des tripes bon cœur lui colla un bisou sur le menton et entonna une chansonnette pour remonter le moral de tous :

    Ô mon papy au chocolat et à la vanille

    Ô mon Don Quichotte

    Ô Mon vaillant cavalier

    Ô Mon hidalgo adoré

    Le plus grand et le plus beau

    Du Portugal de Galice et de Castille

    Ô Mon Coa des argentées eaux

    Avec mon héroïque papy

    Je veux nager dans tes flots !

     

    Puis se tournant vers Oliverio lui dit :

    Et toi ! Ô mon Sancho Panza bien aimé

    La peur dans le corps et dans l'âme

    Descends de ton petit âne

    Fais le reste du chemin à pied !

    -             Merci ! Merci mon petit lapin blanc avec des tâches noires sur le flanc ! Allez ! Mais ne cherche pas du vinaigre là où il n'y a que du bon vin. Ai-je besoin de te dire que ton papy est comme le vin à la saint Martin ! Ecoute le dicton : « à la saint Martin va à la cave et goûte le bon vin ». On ne va pas à un enterrement mon petit cureton mais dans les limpides eaux du Coa faire un joli plongeon !

    -             Ah ! Ha ! Ha !  Oliverio se mit à rire aux éclats. C’était un rire forcé. Mais il voulait écarter le gros nuage de tristesse qui ondulait au-dessus de leurs têtes. Et il surenchérit encore en faisant de l'humour :

    -             Mais quelle prière dois-je faire à St Antoine pour que le Sieur David, le Chevalier à la Triste Figure, m'adresse aussi sa noble parole ?

    Aussitôt après l’humour d’Oliverio l’on vit un rayon de lumière éclairer un petit sourire dans le visage fermé de Wald. Ce fut un sourire qu'il étouffa aussitôt, car il n’était pas de circonstance.

    Malgré les efforts, malgré cette promenade au Coa, malgré le semblant joyeux, ce jour-là, papy n'avait pas le cœur à rire. Il était là sans être là. Il parlait sans parler vraiment.

    C'est qu'il avait en arrière-pensée la trahison du séminariste. Comment ce saligaud de curé avait-il pu renier ainsi ses origines sociales, son village, sa mère ?

    Le jeune cheval de Wald cheminait en tête suivit par papy et derrière trainait discret l’âne d’Oliverio. Tout d’un coup papy pique nerveusement son cheval et s’approche de celui de Wald. Tout en continuant le chemin qui devenait plus large lui dit :

    -             Tiens les rênes de ta main gauche et donne-moi ta main droite. Le jeune garçon qui était gaucher se trompa de main et lui montra la main gauche. Grand-père sourit et lui dit :

    -              C'est pareil et d'une certaine manière tant mieux, va donc pour la gauche. Dans ta main tu as cinq doigts tous différents, mais tu vois tous les cinq agissent, travaillent pour ton bien. Dans une famille, dans un village, dans un pays les gens sont différents mais ils devraient agir non pas les uns contre les autres mais agir différemment pour le bien de tous. Mais malheureusement dans la vie certains se laissent corrompre, car incapables de comprendre l'effet très néfaste du vice, de la méchanceté. Ils agissent parfois d'une façon canaille à l'égard des autres et même de leurs parents, montrant par ce procédé leur primitivité bestiale même s'ils se gargarisent d’appartenir aux bons aux gens de bien. Ces fripouilles barbaresques, qu'ils sont en réalité, ne peuvent en aucun cas se faire valoir comme défenseurs de principes, de valeurs, de morales, de civilités, de représentants de la bonté de Dieu. Cela ne leur sert que pour mieux piétiner leurs semblables de leur orgueil, de leurs soi-disant supériorités afin de les accuser de leurs propres ignominies. Dans leur comportement de bêtes barbares ils n'hésiteront pas à renier même jusqu'à ceux qui lui ont donné la vie.

    -             Mais de qui parles-tu papy ?

    -             Mais de ce malpropre de séminariste. Maintenant ordonné, il est devenu traite à la religion de l’amitié de la solidarité, de la justice, du partage équitable entre les humains. Traitre à l’égard de son père et de sa mère qui lui a donné le jour. Traitre à son village. Le traitre !

    Ce comportement descend plus bas que l'attitude humaine. C'est en réalité gangrener la beauté de la vie humaine et aller à l'encontre du mouvement qui gère notre existence qui est basé sur un passé, un présent et un futur. Tu vois mon petit Lapin Blanc, en d'autres mots je suis sur cette terre la suite de la vie de mon père décédé et tu seras en quelque sorte la suite de ma vie présente lorsque je serai mort. Il me semble que le ciel, l'enfer ne sont pas pour demain, c'est-à-dire après notre mort, mais pour aujourd'hui. Notre vie, comme tu le vois chaque est un Enfer, car des malpropres comme ce dit curé, des canailles de Lisbonne, du village nous l'imposent, mais un jour cela changera. Il ne faut pas désespérer, mais bien au contraire garder espoir. Pour cela il ne faut pas rester passif et accepter avec fatalité, le statu quo.

    Et puis se tournant vers Oliverio :

    -              Cette mauvaise propagande, C'est une soupe tournée que l'on veut nous faire avaler de force. Nous devons avoir confiance en nous, être honnêtes avec nous-mêmes et accomplir notre devoir, celui de construire un Portugal, une Espagne pour tous sans vengeance ni maintenant ni plus tard.

    -              Comment ! Sans vengeance ? Ne put s'empêcher de rétorquer Oliverio, qui le désapprouva du regard, mais ne voulait pas rajouter de l'huile sur le feu. Papy tire sur les rênes de son cheval et vient à la hauteur de l’âne.

    -             Oui sans vengeance, sans sang mon ami Oliverio ! Insista grand-père. Mais avec punition suivie d'une possibilité de rachat de pardon. Au niveau politique, la réforme serait préférable au radicalisme. Quant à ce que l'on nomme la révolution elle n'est que le remplacement de crapules par des canailles sous de beaux mots.

    -             L’âne lève la tête se met à renifler, se plante en travers du chemin et commence à braire une symphonie sans fin.

    -             Calme-toi ! Calme toi Russo ! Lui dit avec des petites tapes sur le cou Oliverio. Puis il ajoute en riant

    -             Pardonne à David car il ne sait pas ce qu’il dit

    -             Non et non ! Lui retorque David avec sérieux. Puis le regardant dans les yeux

    -             La vengeance c’est du gaspillage inutile. Rappelle-toi mon cher Oliverio qu'un être humain vivant sera toujours plus utile qu'un citoyen mort. Nous devons aimer les autres, leur donner une opportunité de rachat, mais nous ne pouvons aimer les autres que si nous nous aimons nous-mêmes ! La vie est ce qui a de plus précieux en nous. Tuer ! Jamais ! Il a d'autres chemins que la mort et la torture d'aujourd'hui. Allons-nous, nous comporter demain avec eux, comme ils se comportent avec nous aujourd'hui ?

    Wald ne dit rien. Dans son chemin du silence il se sent heureux. Heureux d’être avec son Hérétique, heureux d’écouter son papy. Il savoure ce bonheur dans le silence.

    -             Il faut savoir punir, mais aussi pardonner Oliverio. Surtout ne pas faire comme ces canailles qui nous parlent de Dieu, de Jésus Christ à toutes les sauces, mais ils sont tous très loin de son chemin.

    -             Amen ! Amen ! Ainsi soit-il ! Ricane Oliverio en guise de contestation. Mais tu es devenu curé ou quoi ?

    -             Non, Oliverio ! Non Oliverio ! Tu connais mon opinion là-dessus ! Mais nous devons essayer d’être meilleurs envers nous-mêmes et surtout améliorer sans attendre cette sapristi de vie. Il faudrait…

    -             Papy ! Papy ! Tu es bavard comme une femme !

    -             Oui Wald je suis très bavard ! En effet, j’aime parler avec toi et mes amis. Je crois que parler c’est une façon d'aimer. Le parler c’est comme de la pluie. Au début tombe une parole, parfois anodine. Après tombe une deuxième, une troisième et d’autres de plus en plus. Il pleut ! Des paroles tombent dru comme des gouttes de pluie. Vite se forment des ruissellements qui deviennent les eaux argentées du Freixal. Ses eaux n’ont qu’une seule idée dans la tête. Se confondre avec le rio Coa. Comme une paysanne amoureuse, saute de pierre en pierre. Puis s’attardent à admirer les peintures rupestres de Foz Coa ! Souriantes, elles se jettent inconscientes dans le lit étroit du Douro. Ne pourriez-vous pas vous prélasser sur les rives dorées des quintas en terrasses de Pinhão goutter quelques larmes de Porto Ferreira. Papy fait une courte pause, puis montrant son éloquence :

    -               Ô eaux pressées et amoureuses, allez-vous jeter dans les bras de l’océan ! Puis reprenant un ton de parole dans une gamme plus basse :

    -             Non mon petit Wald. Le plaisir n'est pas uniquement dans l'écoulement de l'eau depuis la source jusqu'à l'embouchure, mais aussi dans le fait de regarder la nature, les personnes que je vois que je rencontre tout au long de ce chemin. L'important n'est pas d'arriver, car l'arrivée est la fin, mais prendre le temps de vivre et de parler. Puis se tournant vers Wald et Oliverio.

    -             C’est ça la vie mes amis.

    -             Applaudissements, applaudissements dit à voix haute Oliverio tout en tapotant de ses mains le cou de Russo. Ça y est ! ça y est ! Ô qu’il était beau le sermon de Saint Antoine aux poissons. Puis se tournant vers le petit

    -             Wald ! Wald ! Regarde là-bas au fond le Coa. L'on dirait une couleuvre en train de dormir au soleil. Qui veut faire une course au galop avec moi ? Lance-t-il en forme de défit.

    -             Moi, moi répond Wal tout enthousiasmé.

    -             Oui, oui on va y aller au galop, mais attendez un peu tous les deux. Il faut que je vous explique avant quelque chose d’important. Oui attendez une seconde. J'ai besoin de vous expliquer pourquoi j’étais si triste, même si je ne voulais pas vous le montrer ni toi Oliverio, ni à toi mon petit Lapin Blanc. Mais parfois j’ai besoin de parler pour sortir ce qui me fait mal et me révolte. Papy sort de sa poche une feuille du journal Le Soutugal un peu chiffonnée bien que pliée avec soin :

    -             Lis cette horreur indescriptible.

    « Roustina commune de Soutugal »

     Incroyable, un jeune prêtre, fils d’une famille pauvre, natif de la commune de Roustina ne reconnait plus sa mère. Après des études assez brillantes au séminaire le Guardangal le jeune séminariste fut ordonné prêtre. Depuis deux ans il dirige une paroisse dans les alentours de Braga. Mais la nouvelle fonction lui monte à la tête et son cœur il le foule de ses pieds. En effet après son ordination comme pasteur du christ il abandonne ses parents refusant de même de communiquer avec eux. Ce comportement est d’autant plus incroyable que selon nos informations, lesdits parents ont aimé et soutenu matériellement comme ils pouvaient leur fils.

     Il y a de cela quelques son père à la suite d’une longue maladie grave son père cessa de vivre dans la douleur. La douleur de la maladie et aussi celle de l’indifférence de son fils.  Un fils indigne plutôt !  Comme si ce n’était pas assez nous apprenons de source bien informée que cette canaille avant-hier dimanche a refusé de reconnaitre sa mère. Après l’enterrement de son mari elle était venue quémander un peu d’affection, un peu de réconfort, un peu de soutien, un peu d’amour auprès de son fils. La pauvre femme était venue de son lointain village la gorge nouée ne pouvant ni boire ni manger. Au bout de deux jours de voyage à dos d’âne traversant des collines et des montagnes, que même des chèvres n’en voudraient pas, elle s’attendait à être serrée dans les bras de son fils, être enfin tranquillisée pour l’âme de son défunt mari. Mais rien ! Rien de Rien !

    -             Monsieur le curé, une vieille dame prétendant être votre mère vous attend à la sortie principale de l’église, lui annoncèrent des paroissiens une fois que la messe fut terminée.

    -             Quelle mère ou quelle quenouille sans fil me donnez-vous là, réponds le curé froid comme de la glace.

    -             Non ! Monsieur le curé ! Elle dit être votre mère pour la grâce de la Notre Dame de la Conception.

    -             Non ! Une fois encore non ! Je n’ai plus de mère ! La mienne mourut à ma naissance. Je n’ai pas de mère ! Au revoir et ne m’importunez plus avec vos sottises répondit-il d’un coup sec. Aussitôt après, opérant un demi-tour de soldat en marche, il se sauve nerveusement dans la sacristie enlever ses habits de messe.  

    Pourtant, au centre de la place, comme la mère de tous les enfants du village, se pose imposante l’église flanquée par un robuste cloché en granit.

    Pourtant dans le seuil vide de la porte principale de cette même église, une femme est là meurtrie par la mort de son mari. Maintenant sa seule attache à la vie est son fils, cet enfant qui se dérobe, enfant de peu de chose, enfant de rien.

     Et pourtant dans la sacristie de la même église une froideur de marbre inhumaine planté comme croix au cimetière indifférente aux valeurs de l’être humain et aux valeurs chrétiennes.

    Comment cet être, cette chose a pu changer de la sorte ? Elle pense aux tétées, aux premiers pas, les pleurs des premières dents, les sourires, les jeux et ensuite à 11 ans le certificat d'études. Les poulets, les lapins, enlevés de leur table affamée. Les paniers de pommes de terre courbant le dos meurtri de son pauvre mari. Les haricots, les salades, les tomates allant dans la bouche du curé laissant la leur affamée. Tout cela pour la lettre de recommandation du père Trampoline. Tout cela pour qu’il rentre au séminaire.

    Il aurait mieux valu qu’il échoue au certificat d’études, qu’il abandonne cette école de malheur. Il aurait été mieux qu'il aille gratter la terre pierreuse des champs avec le père. Le père, comme elle maintenant, toujours seul face à tout. S’il n’avait pas eu cette saloperie de séminaire, s’il n’avait pas eu cette arnaque de ce Trampoline, aujourd'hui elle serait mère. Elle serait grand-mère. Main dans la main elle irait à l’église avec son petit-fils. Elle irait chercher de l’eau à la fontaine. Avec lui, elle irait chercher des fraises au potager.

     Vide elle est. Vide de rien.

    Mais l’autre, l’autre comme si de rien n’était fera le gai dans la mort des autres. Il chantera le Te Deum ladamus

    Si devant toi, Seigneur

    Nous avons ouvert nos portes

    A celui qu’on rejetait

    Nous aurons le cœur en paix

    Seigneur écoute ma prière

    Ecoute, ô Toi Seigneur

    La vie est un mystère…

    Dans le seuil vide de la porte de l’église une femme pleure son défunt mari et pleure aussi la perte de son fils.

    Dans la froideur sombre de la sacristie de cette même église un fils de dieu indigne d’être le fils de sa mère.

     Comment cet homme a-t-il pu changer ainsi. Elle pense aux tétées, aux premiers pas, les pleurs des premières dents, les sourires, les jeux et ensuite ce certificat d'études qu'elle déteste presque maintenant. Il aurait mieux valu qu’il abandonne l'école et qu'il aille travailler dans les champs. Aujourd'hui elle serait grand-mère, main dans la main avec ce petit fils qu'elle n'aura jamais elle irait chercher des jolies fraises au potager. Elle est seule, terriblement seule. Son mari est mort et l’autre est un mort vivant, se lamente la pauvre femme.

    -             Tu vois mon cher Oliverio cette crapule de cureton aurait pu, par ses origines paysannes, contribuer à l’harmonisation, au rapprochement du haut et du bas de notre société et ainsi créer un pays harmonisation. Au lieu de cela il a préféré se renier et poursuivre le pacte social de la discorde.

    -             Mais tu crois que je ne sais pas tout ça David ! Il y a du temps pour tout, mais aujourd’hui c’est un autre jour. Aujourd’hui c’est le jour de notre Wald !

    -             De notre Wald, souligne David d’un rire heureux ! Puis voyant la moue de mécontentement et d’impatience de Wald

    -             Assez bavardé et tout le monde dans l’eau.

    ***

    Le père Trampoline

    Le curé du village de Roustina n’était pas ni accepté ni bien aimé. Les paroissiens le toléraient faute de mieux. A certains moments de la vie du village il était même détesté. Des ragots prétendaient qu’un jour ou l’autre il serait couru du village à coups de pied dans le popotin.

    Mais une infime partie du village, c’est-à-dire à peine une dizaine de grenouilles de bénitier et les trois familles de richards, plus la meute des loups de Lisbonne le défendait à bec et à ongles jusqu’au sang s’il le fallait.

    Avant même d’être nommé à la cure de Roustina il avait déjà choisi son camp, pas celui des ouailles que normalement il devrait guider et protéger, mais celui des louveteaux du village, obéissants à doigt et à l’œil du grand loup de Lisbonne, le loubard dominant du pays.

    Un mois n’était pas passé, après son arrivée en grande pompe au village, que les villageois l’avaient déjà baptisé de Trampoline. Les villageois lui avaient donné ce curieux sobriquet, car très vite ils ont pressenti en lui un goût particulier pour le jeu du tremplin. Ce jeu avait deux parties fort différentes. La première, c’est-à-dire en face, il vous donnait le bon dieu sans confession. La deuxième qui se déroulait dans votre dos, il était le diable qui vous envoyait griller en enfer. En effet tous les samedis soir, avant le chapelet auquel le village tout entier était vivement convié, il prit l’habitude de convertir la confession en interrogatoire. Et si au cours de cet interrogatoire il s’avérait que vous deviez d’une simple virgule de l’Evangile selon Satan Lazar, vous pourriez vous attendre à la foudre du jugement dernier du dieu de Lisbonne.

    Père Trampoline se démarquait par ses idées spéciales mais aussi par la particularité de son ventre. Celui des paroissiens n’existait pas, car on ne le voyait pas. En revanche, celui du père Trampoline comme celui des riches du village était ballonné. C’était un ballon qui roulait toujours devant eux quelle qu’elle soit l’allure de leur marche. Cela les agaçait, car selon leurs principes d’étiquette bleue, ils devaient être toujours les premiers. 

    Le ballon n’était point un aspect négatif de la vie. Bien au contraire. Sans ventre on n’était rien. De plus le ventre bien rond était un joli signe extérieur d’aisance sociale et un symbole d’appartenance à des gens fréquentables.

    Tous les soirs, père Trampoline attablé à tour de rôle chez les riches du village faisait sienne la bonne chair. La poitrine de porc, le blanc du lard bien accompagnés de chou galicien l'emportait avec goût sur la viande rouge. Tout cela descendait gloutonnement et rondement dans le ballon chrétien de père Trampoline. Le porc était plus qu’une simple viande. Le manger et avec bon appétit était une attitude de dévotion, un rite de conviction religieux de tout bon chrétien. C’était un comportement patriotique, un acte de foi de chrétien afin de démasquer les infidèles et ces faussaires de nouveaux-chrétiens qui continuaient de polluer le pays.

    Mais parfois, parfois père Trampoline se montrait de mauvaise humeur contre cette panse chaque jour plus ronde, plus lourde, plus incommodante. La soutane avait beau être ample et large, pour faire face au coup de la fourchette et du couteau à table, elle devenait certains soirs la croix de sa vie. De plus la rondeur ventrue lui faisait remonter son habit noir de prestige devenant ainsi une sorte de tablier où taches d’huile, de gras, de vin brillant comme les ronds noirs sur la coquille de la coccinelle au printemps.

    Mais ce n’était pas pour autant ni la catastrophe de la fin du monde, si souvent annoncée, ni le jugement dernier. En effet les bigotes du village se disputaient entre elles la soutane de père Trampoline pour savoir qui aurait le privilège de la laver, la repasser et la faire briller. Cela s’apparentait à un dévouement d’épouse fraichement mariée. Mais quand il n’y avait pas de soutane à laver, des prières, des louanges, des cantiques au Seigneur ou des attentions à prodiguer à Monsieur le Curé elles s’adonnaient avec vice et passion aux ragots.   

    Elles étaient toutes habillées de noir de la tête aux pieds. Le châle sur la tête ne laissait apercevoir que le bout du nez. Un nez qui était capable de pénétrer dans le plus petit trou de serrure. Un nez couleur de beurre rance qui allait, fouinant dans les excréments du brouhaha de la vie du village. Elles pointaient leur nez là où il n'était pas demandé.

    Comme des pies voleuses sautillant, s'arrêtant, sautillant encore, regardant encore à droite et à gauche, elles picoraient dans la chair vive ou morte du village. Ensuite, baissant la tête, elles courraient comme des moutons vers l'église. Dans leur frénésie de déballer leur venin, elles se coinçaient dans la porte latérale de la maison de Dieu. Tout le monde voulait arriver la première devant le père Trampoline et à genoux lui livrer leur dévotion.

     Père Trampoline, malgré quelques manques de produits sur la table, à cause de cette guerre des rouges en Espagne, était l’homme le plus heureux.

     C’est qu’il était certainement l'homme le plus entouré de jupons et le pâtre le plus comblé du Seigneur.

    Au cours de sa vie de jeune prêtre, combien de fois n'avait-il pas maudit ce jour où il avait juré chasteté pour la vie. Pourtant ses supérieurs, ses parents, sa famille, même le Messie de Lisbonne, tout ce monde de bien était présents à sa cérémonie d’ordination. Il est fier de rappeler ce jour-là :

    La prière d’ordination de l’évêque. Les rites initiaux. Les litanies des saints. Viennent ensuite les rites complémentaires. Les vêtements sacerdotaux, l’étole et la chasuble, puis enfin l’onction de Saint Chrême sur la paume des mains, signe de la consécration.

    Cependant sa vocation ne fut pas le feu de Dieu de Moïse au mont Sinaï ! Seulement après sept ans d'études au séminaire et beaucoup plus d'hésitations, il embrassa la croix de la prêtrise.

    Mais sait-on comment son père l’avait abandonné. Seule, sa sainte mère le poussa à se mettre au service du prochain, à se soumettre à l’appel de la sainte église et à vouer entièrement son corps et son âme à la volonté divine, le Dieu miséricordieux et omnipotent.

    -              Mais tu auras un gagne-pain quotidien pour les siècles de ta vie. Tu seras la fierté de ta mère, lui faisait-elle remarquer avec les yeux inondés de larmes. Il parait que dans son village inconnu et lointain la pauvre femme passait ses saintes journées les yeux baignés de larmes. Elle pleurait comme une Madeleine à chaque mot qui lui sortait de la bouche.  Dans son village pour tous elle était la Pleureuse. Selon certaines bouches, elle pleurait son soi-disant mari qui serait parti chercher richesse en Argentine huit jours après la naissance de son fils, le futur curé, notre bien connu père Trampoline. Mais selon d’autres mauvaises langues, elle aurait eu dans son lointain village un amour d’une heure avec un curé ou un soldat. On ne savait pas trop bien. L’existence de son éventuel mari, ne serait en réalité que le fruit d’une forte imagination qui à force d’être répétée avait fini par s’imposer dans son esprit, mais pas chez les bonnes mémoires de son village. Les plus anciens prétendaient avec malice qu’elle avait été courue d’un bled de mauvaise réputation une nuit de brouillard à couper au couteau et d’un mystère pas encore révélé. Mais certaines bigotes plus intégristes prétendaient que le manque d’homme était la source de la fontaine de ses yeux.

    Quant à père Trampoline après sa nomination par l’évêque de Guardangal   et sa prise en charge de la cure de Roustina, c’est-à-dire la charge de ses âmes il se mit aussitôt en tête le pari de faire carrière. Pour cela il fallait une dose bien proportionnée de volonté divine et une matérielle ruse :

    -            Un jour, je vêtirai l'habit violet d'évêque ou même le rouge pourpre de cardinal.

    Il était conscient que la dialectique n'était pas son fort. De cela il fallait bien en convenir. Mais que diable il avait d’autres atouts. Ainsi, dès les premiers jours, sa belle soutane noire fut toujours bien repassée par des femmes plus que dévouées, avant de posséder Claudina. Il se rappelle encore cette garce, comme l'enfant se rappelle le goût du chocolat noir qu'il vient de déguster.

    Bien sûr, il a toujours peiné, transpiré même, pour arriver à écrire un sermon qui coulait de lui-même. Comme il aurait aimé avoir le don du Curé de Soutugal. En trois minutes, il te faisait un sermon qui te pénétrait dans le cœur et dans l’âme. C’était aussi facile que pour lui était agréable de boire son petit verre de porto matinal. C’était un plaisir soyeux lui laissait pour toute la journée un goût velouté dans la gorge. Puis il lui vient en mémoire la saveur des pastéis de nata qui accompagnaient le petit porto.

    -             Ô le délicieux porto Ferreira ! Ô les sacrés gâteaux ! C'était un régal de manger, de boire et de prier pour en avoir encore plus !

    Malheureusement père Trampoline n'avait pas été gâté par les dieux en ce qui concernait l’aisance de la parole. Mais, comme la poule qui grain à grain arrive à remplir le jabot, le bon père, avec beaucoup d'efforts et sacrifices parvient à devenir vicaire de Roustina et Rigal. Dieu le savait. Il finissait toujours par y arriver, même si c'était après les autres.

    Enfin le miracle tant espéré se réalisa. Bien sûr le bel habit violet ou le rouge pourpre qu'il avait tellement convoité s'était envolé. Mais il pouvait quand même remercier le Seigneur.

    En effet, grâce à Lui, il avait autour de lui, presque à genoux, toutes ces âmes, vertueuses et attentionnées, qui lui avaient fait tellement défaut au cours de ces longues années où son corps bouillonnait de désirs et voluptés. Ces femmes étaient à ses petits soins, attentives, prêtes à se donner corps et âme, ainsi que toutes les informations, les vraies, les fausses ou les imaginaires sur le village.

    Monsieur le curé serait informé de tout et même du moindre pétard naturel causé par la soupe aux choux galicien, que les paysans analphabètes appelaient les choux de chez nous.

    ***

    Le Chou Galicien

    En ce temps-là, le chou galicien était une bénédiction de Dieu et   surtout pour les tables humbles des paysans. Semé au printemps, il remontait au fur et à mesure qu'on lui coupait les feuilles bien vertes à la nervure blanchâtre et prononcée. Ça lui donnait une fière allure du haut de ses trois mètres. C'était comme un drapeau national flottant au vent du réconfort les jours maigres de l'année. En été il savait s'adapter à la chaleur, même à une certaine sécheresse. Simplement, il baissait tristement ses oreilles d'âne, mais ne pliait jamais.

    A la moindre goutte d'eau venue du ciel, il se redressait comme un échassier sur sa haute jambe unique et prenait couleurs et allure de jeune fille fraîche en âge de se marier. Mais lorsque le précieux liquide ne descendait pas du ciel, malgré les prières et processions, un peu d’eau était remontée du fond du puits à l'aide de la noria qui grinçait avec une mélodie régulière à chaque tour ou sur l’air du couinement du va et vient de la cigogne en bois. En hiver, ni neige, ni gelée ne lui faisaient baisser le caquet et, avec art, il se faisait même un devoir traditionnel d'accompagner les belles darnes de morue la nuit de réveillon de Noël. 

    ***

    Le Regretté Père Antonio

    Le regretté père Antonio était un mort vivant et selon d’autres un vivant mort. Cela dépendait du savoir lire entre les lignes de chacun !

    C’est que ledit père Antonio fils du village et curé respectueux et respecté du village avait disparu un jour d’hiver vers 6 heures du matin, un mois tout juste après la tombée du ciel de Lisbonne que personne n’attendait.

    -             Mais comment cela arriva-t-il ? Est-il malade ? Est-il en prison ? Est-il mort ? Mais on ne meurt pas sans raison. Ne se portait-il pas bien encore hier matin ?

    Une pluie froide, à faire geler les os jusqu’à leur moelle, tombait sur le village et les doutes. Des interrogations de mauvais présage s’élevaient dans le ciel couleur d’acier brillant pour son indifférence. 

    Cependant d'autres langues murmuraient, dans l'obscurité du soir, que père Antonio n'avait pas d'autorité ni de personnalité à l'égard des rustres villageois qui ne connaissent que les lois dures, celles de la jungle dans laquelle ils vivaient. Ce n'est ni avec des carottes ni avec des choux que le berger peut mener dans le bon chemin ses moutons, mais avec son chien et son bâton. Dans les montagnes proches du village rodaient des renards et des loups venant même des lointaines Pyrénées. Une vigilance et une détermination d'acier étaient nécessaires pour contrer ces bêtes matérialistes qui allaient à l'encontre de la loi de Dieu. Tout le monde devait savoir que, selon la loi spirituelle de Dieu, les moutons sont heureux à leur place de moutons et le berger doit être capable de tenir la sienne.

    C'est tout naturellement que père Antonio, un matin de fin d’automne, à l’aube, fut invité, d’une manière peu catholique, par deux envoyés de Monseigneur Potricarpo, l’évêque de Guardangal, à emprunter sur le champ le chemin vers le port de Lisbonne. Trois jours plus tard, il était déjà passager sur le paquebot Santa Maria.

    Sur le quai du port il adressait des adieux de la main à sa malheureuse mère en pleurs. Les deux gorilles diocésains se tenaient droits dans leurs soutanes noires veillant strictement au bon déroulement de leur mission.

    Père Antonio, partait vers les terres lointaines de l'intérieur du Mozambique, la conscience tranquille, mais un gros nœud dans la gorge et une question sans réponse.

    Pourquoi ? Pourquoi ? Qu’avait-il fait de mal ?

    Il quittait ses anciens paroissiens avec nostalgie, mais il n’éprouvait aucune vengeance ou animosité à l’égard de son supérieur diocésain. Cette expulsion n’était qu’une nouvelle croix que le Christ lui demandait de porter loin en Afrique. Il n’était qu’un humble serviteur du Christ et comme tel il avait obéi à l’ordre inespéré venant de son supérieur.

    Mais au village il n'y avait pas, ni la même sagesse d’esprit, ni la même sérénité. Les femmes se fondaient en larmes comme le fromage crémeux de la Serra da Estrela.

    -             Pourquoi nous ont-ils enlevé notre bon père Antonio ! Pourquoi ?

     Les hommes avaient du mal à supporter la douleur du coup de couteau qu'on leur avait porté traitement dans le dos. Les mêmes interrogations dansaient d'une manière macabre dans leur pensée. Comment venger l'affront, comment laver le déshonneur. Comment ont-ils pu faire cela à cet homme, si bon qu’était le père Antonio, le fils de la terre. Comment se passer de cette amitié que seul le père Antonio savait semer et faire pousser dans le jardin de chacun.

    Père Antonio était leur père, leur frère, leur ami et quelque chose de plus encore.

    Lorsque père Antonio arrivait de quelque part tous les enfants accourraient vers lui. A qui une petite tape de tendresse. A qui une parole de réconfort. A qui un une gentille remarque. A qui un sage conseil. A tous un petit cadeau, une châtaigne, une orange, ou une simple figue sèche. Les poches de la soutane de père Antonio n’étaient jamais vides. Chacun recevait quelque chose. Et père Antonio s’éloignait heureux et le cœur rempli de leurs sourires de remerciement.

     Parfois, les parents s’inquiétaient par la vivacité de certains enfants. Mais qu’ils fassent attention ces garnements à ne pas faire tomber le père Antonio dans leurs manifestations tumultueuses de tendresse et d’attention.

    -             Mais ne vous inquiétez pas. La jeunesse a en elle la fugacité et la vivacité de leurs jeunes années.

    -             Mais père Antonio …

    -             Non ! Ne vous inquiétez pas, puis il ajoutait dans un regard paternel et une voix de velours : Laissez-les approcher ! Laissez venir à moi les enfants ! 

    Pendant longtemps des enfants avant de s'endormir revécurent les histoires et écoutèrent dans leur mémoire la voix calme et tendre du père Antonio. D’autres pensèrent à la douceur à la couleur et au parfum des oranges. Ces oranges que père Antonio leur donnait aussi bien dans leurs rencontres dans la rue ou pendant la catéchèse. 

    Maintenant qui va leur dire en riant : Petit rappelle-toi que l'orange le matin c'est comme de l'or, à midi c'est de l'argent, le soir elle tue le sommeil !

    Père Antonio restera à jamais gravé dans leurs mémoires. 

    Mais cela c'était avant. Maintenant et chaque jour davantage un petit groupe de villageois ne reste plus silencieux. Parfois de leur bouche sortent des noms d'oiseau souvent bien poivrés à l'encontre de ce Policarpo, de ce dictateur de Lisbonne et du père Trampoline. En des moments de dépit ils voudraient même envoyer la Trinité griller en enfer.   D’autres plus remontés encore auraient envie de passer à l’acte et renvoyer le Trampoline à l'expéditeur de Guardangal. Mais tous s’interrogent avec désappointement tout en essayant de comprendre ce que leur arrive.

    La grande majorité pense dur comme fer que l’arrivée du père Trampoline, pour remplacer père Antonio comme curé de la paroisse avait été tramée en amont d’une rivière aux eaux troubles et à des méandres parsemés d’un long mystère.

    Lectrice curieuse ne me demande pas de tout expliquer, un mystère est un mystère, nom de dié, un mystère ne s’explique pas. Ainsi le Père, le Fils et le Saint Esprit forment la divine trinité. Ce sont trois qui n’en font qu’un. C’est ça un mystère.

    Ceci ne te suffit pas pour faire une vie magnifique merveilleuse. Mais tu peux ajouter au mystère un peu de poésie et ainsi, tes lourds sabots de Bécassine deviennent alors de légères sandales. De plus tu t'élèves au-dessus de ta condition d’animal et tu marches sur l’eau et sur les nuages et ta vie devient une divine vallée de la plus belle beauté... En ce chemin nous marchons ensemble

    Mais toi aussi lecteur, viens t'asseoir sur cette pierre recouverte d’une mousse verte, douce comme du velours. Repose-toi de la fatigue de ce long chemin qui nous a conduit sur des chemins et des événements douloureux, mais qui nous a permis de découvrir aussi des moments ou beaucoup d'espoirs naissaient même si cette réalité est encore si imparfaite aujourd'hui à Roustina et ailleurs. Regarde vers le ciel et profite de ce bel azur tacheté çà et là de nuages blancs. On dirait qu’ils jouent à saute-mouton avec le soleil en se faisant des clins d’œil comme des amants. Mais approche lecteur, n’aie pas peur, ne sais-tu pas que ta compagnie est le bâton sur lequel je m'appuie pour continuer notre chemin. Attention au soleil de midi, mets-toi à l'ombre si fraîche et agréable de ce frêne, et profite du paysage, mais aussi de la paix, du vivre ensemble d'aujourd'hui et presque de l'amitié qui unit ceux qui s'entre-tuaient il n'y a pas si longtemps. Mais te rends-tu compte de la richesse de cet héritage. Ça sent bon le Portugal. Et Viva España ! Regarde à présent la grande joie démocratique de cette Espagne voisine. Quelle chance ! Elle se prolonge bien au-delà des Pyrénées.

    -             Mais chut ! Silence ! … Et que…

    ***

    … Vogue la galère ou le galion de l’Amitié

    Il était une fois …

    Des bons amis au nombre de trois…

    Wald le petit gamin le plus espiègle…

    Son papy David le Jésus, le Dieu, le Diable

    Oliverio dit l’Hérétique était tout cela à la fois.

    Et aussi le père que petit l’orphelin Wald n’avait pas

    Oubliant la Roustina tristesse sont allées chercher la joie

    Tous les trois, comme des enfants, sont allés se baigner dans le Coa ! Tous les trois étaient l’amitié en une fois

    Oliverio était comme un père pour Wald lui qui n’avait jamais eu la chance de l'être. Avec cet enfant il était doux comme le giron d'une femme.

    -             Attention Wald, ne saute pas de si haut, tu vas te faire mal sur les galets.

    -              Ce que tu peux être bête Hérétique tu crains l'eau comme un chat. Laisse-moi nager entre tes jambes. Waouh ! Ce que tu peux avoir les jambes poilues.

    -             Ouïe petite fripouille ! Arrête de te moquer de moi, mon petit Coco, sinon je vais mettre ton petit visage de craie blanche sous l'eau 

    Assis sur une pierre de la rive, le corps trop blanc, les pieds dans l'eau David souriait.

    Le soleil là-haut admiratif voyait bien que papy était heureux et qu’Olivério, l’Hérétique l’était tout autant. Celui-ci était tout sucre et miel avec le petit. Il le traitait de mon petit Wald ou mon petit lapin blanc selon que le morceau sucre était blanc ou brun. Il le prenait sur ses épaules et ensuite le lançait avec attention dans l’eau.

     Le Coa calme et tranquille se baignait aussi dans ses méandres argentés tout en cherchant paresseusement son chemin dans la verdeur jaunâtre des cultures, le vert sombre des prairies. Mais aujourd’hui, dans la partie la plus profonde et la plus large, il se surprenait à regarder non pas la galère, mais le galion de l’amitié.

    Les difficultés de toute sorte au village les avaient unis comme les cinq doigts de la main. C’est qu’à chaque instant à Roustina, ils devaient négocier à la barre de ce bateau au sillage imprévu, à cause des mauvais coups de vent, venus d’en haut, de Lisbonne, de monsieur le curé, des riches et même des autorités de Soutugal.

    Parfois ils guidaient leur vie au village comme une caravelle. Ils s’éloignaient des hauts fonds de la mer capricieuse de Roustina. Souvent ils étaient obligés de changer de voiles, d'autres fois ils devaient changer de cap selon la force et la direction des vents soufflant de l’anticyclone de Lisbonne. D’autres fois encore dans une mer hérissée de forte tempête, ils étaient contraints de se réfugier dans le cockpit et laisser l’embarcation filer à la cape.

    Ces vents étaient souvent époustouflants, mais acariâtres. D'autres fois, ils étaient autoritaires et même despotiques.  En règle générale, le vent anticyclonique souffle comme il veut. Rien ne peut l'arrêter. Dans une mer capricieuse et imprévue tout le monde est poussé, bousculé, attrapé, balancé là où il ne veut pas aller. L’Eole de Lisbonne selon son humeur faisait ce qu’il voulait.

    En revanche les deux timoniers, avec leur petit, s’adaptaient au caractère de la mer tout en faisant corps avec le navire. Rien ne leur échappait, les pleurs, les douleurs, les grincements de tous les gréements qui comme les nerfs vivants de la caravelle naviguaient et négociaient au mieux les vagues dans cette mer parfois d’huile, mais le plus souvent agitée formant des moutons çà et là de plus en plus blancs.

    Le bon cap pour nos deux timoniers n’est-il pas de s’adapter aux humeurs de la mer de Lisbonne ? Leur devoir de marins du village n’est-il pas de ne pas se laisser surprendre par la violence l’agressivité et le danger de cette mer de Roustina ? L’objectif à tous deux était de faire face à toute tempête, et mener le bateau à bon port. Sinon c’était le naufrage, la mort à Péniche, à Caxias ou, dans le meilleur des cas aller boire la tasse manu militari à l’ombre de Liberté le surprenant nom de la prison de Soutugal !

    ***

    Albertinho le souffre-douleur de Roustina

    Il s’appelait Alberto Yoshua Cohen. Mais pour le curé du village, le père Trampoline, pour les Gens Bien, mais aussi pour les ti Antonio, ti Manuel, ti João, il était « Albertinho ». Le ti..., était un tutoiement populaire, que voulait dire entre toi et moi il n'y a pas de manières. C'était une relation naturelle entre les gens du peuple.

    Mais cette relation naturelle était impensable à l'égard des Gens Bien et du père Trampoline. On s'adressait aux Gens Bien avec un sourire, qui n'était pas un sourire. La bonne éducation prétendait qu'il ne fallait jamais oublier le « Monsieur par-ci, Monsieur par-là » Ce qui voulait dire, tu es en haut et moi je suis en bas. Chacun à sa place et Dieu pour tous. Ainsi soit-il pour les siècles des siècles ! Amen !

    Mais en ce qui concernait Albertinho, ils étaient tous, tous unis dans un jugement qui n'acceptait pas la demi-mesure. Alberto était leur Albertinho. Ce que voulait dire, oh le pauvre ! Oh les paroles douceâtres ! Oh les gestes efféminés ! Oh le pleurnichard ! Il pleure comme une fille. Oh le sensible ! Décidément il a de drôles de manières cet Albertinho ! Se moquaient-ils tous au village quelque soient leurs positions sociales.

    Grand-père pensait simplement qu'il était différent. A mes yeux, mon papy à moi était aussi différent et extraordinaire. Parfois un mot retenait son attention et devenait un motif pour se lancer dans un commentaire sans fin. C'est ce qui arrivait à l'instant avec le mot « différent ». Il affirma avec passion :

    - Il ne faut voir aucun mal à cela. Bien au contraire. La différence n'est pas la décadence, comme le chante la tradition avec insistance. Dans toi, il y a l'autre. C'est un choc avec soi. La rencontre de la différence crée l'innovation, améliore l'avenir en créant le nous. La différence est richesse. Le normal est rejet de l'autre, c'est faire l'autruche. C'est l'uniformisation qui est anormale. C'est une réduction matérielle et intellectuelle ! Ainsi parlait mon grand-père, sans se mettre hors de soi, cette fois-ci !

    Oliverio regarda avec admiration papy et lui dit en guise d'éloge :

         - Toi aussi tu es différent et anormal. Va, je te déteste avocat de l'anormalité !

    Le monde dans lequel vivait le pauvre Albertinho n’était pas du goût de papy. Albertinho plus au moins pointé du doigt vivait les différences de la vie comme il pouvait. A Roustina, comme dans les autres villages et ailleurs, il y avait un modèle, une idée, une pensée, un dieu, un chef.  Pas deux.

    -             Ô différence du nous réveille-toi ! Entonne papy comme dans un prêche.

    Grand-père voulait faire sien, le monde du rêve. Albertinho chaque jour, comme le juif Jésus, portait sa croix. Dans le regard des autres, il était aussi un faussaire, comme le mal compris Judas.

    -     Vois-tu David, Alberto en parlant à papy le regardait comme un chien battu qui trouve un maître attentionné et tendre.

    -      Vivre. C'est le désir de chaque être vivant, mais ma volonté serait de disparaître, partir dans la tranquillité, le repos du néant. Je garde de la nostalgie d'un lieu de bien-être où j'étais avant d'être né. Pourrais-je revenir dans ce passé ou, me précipiter dans l'avenir calme de ce présent qui est la mort ?

    Ce présent dans le regard des autres n'est que douleur de tout instant. Leurs rires sont mes pleurs, leurs commentaires agissent en moi comme de l'acide qui brûle mon âme. Pour eux la lumière du soleil, est une caresse. Tandis que moi, je rase les murs, je rampe, je marche dans l'ombre la tête basse. Alberto s'était assis sur un vieux tabouret en noyer un peu bancal, il semblait fatigué par la portée de ses propres mots. Puis se donnant du courage, il poursuivit.

    -      Mon cher David, comme toi, j'essaie de survivre sous ce régime de Satan Lazar. Mais de plus David, je subis chaque jour la torture de ceux qui m'entourent et se prétendent mes amis. Le paradoxe et la stupidité, c'est que je dois vivre avec mes bourreaux. Quelques gouttes de sueur commençaient à franchir la porte invisible de son visage. Elles voulaient s'échapper de la chaleur qui étouffait son cœur et trouver le vent frais de la rue.

     -    Mon cher David, je suis l’autre ! A leurs yeux je suis l'anormal, le fumier, l'ordure, le mal, le malade, le juif, je suis l’autre. David je suis la risée de leurs stupidités. Ils n'acceptent pas ma différence et ils ferment les yeux sur les leurs. Ils voient, en mal, l'imperfection qui n'est pas en moi, mais en eux. Ils dirigent leur agressivité envers moi. Je suis leur ennemi facile, l'être inférieur et la cause de tous les maux dont ils souffrent. Ils ne cherchent pas les causes de leurs malheurs, dont eux-seuls sont responsables. Ils me désignent de leur doigt accusateur, aujourd'hui, comme hier. Ici à Roustina, mais aussi dans ces Roustinas par le monde et de tous les temps ! Il en sera de même demain. Je suis l'autre. Je suis l’autre David. Je suis le pédé. Je suis celui qui cause le chômage, le manque de sécurité, la crise économique, le désordre, le mal vivre, le danger de la cohésion sociale. Je suis leur Albertinho. Je suis leur juif. Je suis le bouc émissaire dont ils ont besoin pour tranquilliser leurs consciences. Alberto prit dans sa main tremblante un verre d'eau. Elle était un peu tiède, mais quel plaisir, se dit-il en silence, de sentir l'eau dans sa gorge seiche. Puis, il continua d'une voix un peu apaisée et monocorde.

    -   Ils se sentent emprisonnés, dominés, exploités, méprisés, et avec raison, par ces ténébreux personnages qui gouvernent notre pays. Pourtant ces naïfs inconscients déchargent sur moi le mépris dont ils sont victimes. Pensent-ils se relever ainsi de leur abaissement ? Alberto continue après une légère pause.

    -    Pourtant je te le répète David. Idiots qu’ils sont car, ils sont méprisés comme moi. Ils sont aussi l’autre des riches du village, du Père Trampoline, des autorités de Soutugal et bien sûr du dieu tout puissant de Lisbonne. Idiots qu’ils sont David ! Pourtant ils veulent me tuer avec le même poison que l'on veut leur administrer à eux aussi. Il prit à nouveau une goutte d'eau comme le coureur cycliste qui doit produire un effort sur la route. On sentait dans sa voix étranglée un certain agacement.

    -  David ! J’en ai pardessus la casquette d’être leur juif, leur impie, leur Satan, leur force du mal, leur clandestin, leur immigré, leur populace, leur racaille, leur capitaliste, leur communiste, leur banlieue, leur noir, leur hérétique. Après un ouf de désespoir tragique.

    - Je suis celui qu'ils ont besoin de mépriser. Puis cherchant l’air qui lui manque pour respirer.

    - Je suis celui d'en bas pour qu'ils puissent se sentir en haut. Mais le sont-ils ? Je suis celui à qui ils font l'aumône afin de se sauver auprès de leurs différents dieux. Comme si Alberto n'avait rien à perdre, et probablement il se trompait, il ajouta avec un certain fatalisme.

    -     David, Roustina est un village d’aveugles à l’œil qui dit merde à l’autre. Dans ce pauvre bled, mais pas uniquement, l'homme ivre bat la femme, la femme épuisée frappe l'enfant, l'enfant en jouant cogne le chat. Mais le chat mange les souris, seulement parce qu'il a faim mon cher David.  Alberto était en sueur et de plus en plus exténué.

    -     Ont-ils encore faim de vengeance à mon égard ? Réponds-moi mon ami David ! Dit Alberto comme s’il allait être brûlé comme certains de ses ancêtres dans un Auto da Fe organisé par la très Sainte Inquisition ! Grand-père sentant que les forces manquaient à son interlocuteur le prend dans ses bras et lui dit dans une voix encourageante.

    -   Alberto, mon bon ami, la compréhension de la douleur et de ses causes anesthésie son mal. C'est que, pour montrer sa raison d'être, et se justifier, le groupe, les régimes, notre régime aussi, a besoin qu'on lui désigne un ennemi malfaisant ou supposé malfaisant. Regarde Hitler, Staline, Mao, Salazar, Franco, Mussolini, etc. Pour perdurer et s'affirmer, ils ont désigné un ennemi intérieur ou extérieur. Puis regardant Alberto dans les lieux il ajoute sérieux :

    -    Mon ami regarde dans notre société d’aujourd’hui les ennemis ne manquent pas.  Alberto acquiesça du regard et des épaules.

    -      Je sais cela mieux que quiconque David. Puis il ajouta.

    -    Le village, le pays est une prison sans sortie. Comme une bête de somme, chaque jour, je porte la charge de ma vie. Néanmoins, je ne vis pas avec la vie, mais avec la mort. Ma vie est cette compagne, que je n'ai pas épousée et que je désire. Je la prie comme dans une litanie.

     Ma vie est une fuite continue. Je fuis les autres, je fuis le soleil, je fuis le village pour me réfugier dans l'obscurité. David, je ne te l'ai pas encore dit, mais je me réfugie dans le noir ! En effet cette couleur, comme moi, porte malgré elle, le mépris frisant le racisme des autres aussi. Regarde combien est péjoratif et négatif toutes ces expressions que l'on utilise chaque jour :

      « Travailler au noir, broyer du noir, être dans le noir, voir tout en noir, être le noir de quelqu'un, journée noire, être noir de colère, noircir le tableau, humeur noire, idées noires, bête noire, regarder d’un œil noir, magie noire, etc. »

     Sur son visage en sueur, la fatigue était perceptible, il se mit à bailler, et en même temps, il dit :

    -             Je me réfugie dans cette église catholique qui n'est pas la mienne. De plus, je dois embrasser par contrainte cette religion, sinon je serai exclu de ce village, de ce pays comme le furent mes aïeux. Alberto tout naturellement se mit à balancer son corps dans un mouvement régulier de l’avant en arrière en même temps qui semblait réciter ou prier :

    -      Ô YHWH !   Tu as dit : « Car tu es un peuple consacré à YHWH, ton Dieu, et c'est toi qu'il a choisi, YHWH, pour lui être un peuple spécial entre tous les peuples répandus sur la terre ».

     Puis Alberto arrêtant sa prière, son mouvement et regardant fixement le ciel interrogea :

      -    Où est-il ce don spécial ? Où est-il ton peuple ? Pourquoi est-il sans patrie ? Pourquoi ce peuple élu est maltraité, éparpillé partout à la surface de la Terre, et ce depuis des milliers d'années. Pourquoi es-tu toujours prêt à frapper aussi durement ce peuple que tu dis vouloir protéger. Pourquoi veux-tu le faire plier et le faire obéir de la sorte encore aujourd'hui. N'as-tu pas prouvé assez d'autorité l'obligeant à l'exode en Égypte, à Babylone et ensuite par le monde ? Puis se balançant sur la pointe de ses chaussures et pointant du doigt l’infini :

     -       Où suis-je YHWH, ton fils qui se nomme Alberto Joshua Cohen ? J'ai un nom, j'ai le nom de ma mère Joshua, j'ai le nom de mon père Cohen. Mais qui suis-je pour Toi ? Qu’as-tu fait de moi ? Des larmes amères et chaudes coulaient maintenant sur son visage. Albert prend dans ses mains celles de papy.

    -       Je pleure devant toi mon ami David, tu ne peux pas savoir le bien que cela fait. Celui qui pleure éloigne le désespoir comme dit l'adage. Puis, se reprenant, il fît semblant de rire de sa situation, plus calme, il poursuit.

     -      Je dois me camoufler, me cacher, comme mes aïeuls. Comme je n'ai pas le courage de fuir, je me réfugie dans mon rôle de sacristain, car ainsi je me sens plus proche de la mort. Et votre religion catholique est une religion triste qui prépare à la mort. Mais votre église aussi annonce un Dieu juge et vengeur, qui épie les actions des hommes et même leurs pensées. En cela, Satan Lazar lui ressemble. Il punit ce Portugal aujourd’hui et peut-être de demain. Chaque jour est le feu éternel si les Portugais n'obéissent pas à ses commandements. Dans mon quotidien je ne sais où aller ni à quel saint me fier. Cependant, lorsque je sonne avec ma clochette, lors des enterrements, je me place toujours devant, car je voudrais dépasser le mort dans son chemin.

    Alberto se mit à bailler à nouveau en s'étirant les bras. Il semblait en quête du soutien d’une parole, du geste d'un bras ou des caresses d’une main tendue. Personne ne l'avait jamais touché, sauf sa mère pendant son enfance. Depuis rien.

                     Ce qui me rend aussi furieux dans l'injustice divine, c'est qu'au village, je vois partir des enfants, justes nés, qui ne demandaient qu'à vivre, tandis que moi, je suis condamné à rester encore là. Je me pose la question à savoir pourquoi je fais trin tin, trin tin, trin tin avec ma clochette, est-ce afin que la mort se réveille, et vienne me chercher ? Mais peut-être est-ce aussi parce que parfois le son de la cloche est un répit pour moi. Alberto parlait comme si un rayon de soleil caressait son visage.

    -  Tu sais mon cher David ! C'est que pendant que je joue de la clochette les gens me regardent, sans vraiment me regarder, il faut le dire. A ce moment-là, il n'y a pas de reproche, ni de méchanceté dans leurs yeux. Ils voient seulement le sacristain et laissent ma personne en paix.

    -     Tu comprends David, je ne suis pas différent, ou mieux, nous sommes tous différents. David dis-moi franchement, y a-t-il du mal à ce que chacun soit comme il est, à ce que chacun soit autre ?

    -     Viens dans mes bras Alberto. Ce monde de Dieu est injuste. Mais nous ne devons pas rester là, les bras balans à ne rien faire, à accuser les autres, à demander à Dieu, aux saints qu’ils interviennent qu’ils fassent pour nous ce que nous-mêmes devons faire. Mais beaucoup de gens par paraisse préfèrent se confier à Dieu. Mon ami Alberto ce monde dépend de toi, de moi. Dit papy comme un père en guise de conclusion mais en secouant et revigorant amicalement Alberto.

    ***

    Mais pourquoi aller chercher ailleurs…

    - Mieux vaut avoir un oiseau dans la main que trois en train de voler, mon cher Oliverio !

    De tout temps, nous avons abandonné notre pays en partant ailleurs. Partir en Afrique, partir en Asie, partir au Brésil. Mais cela a été de la folie mon Oliverio. Ce qu’il faut ce n’est pas partir, mais rester mon ami.

     Notre drame, c'est que nous fuyons nos difficultés croyant ne pas en avoir ailleurs. Pourquoi aller enrichir l’ailleurs au lieu de faire prospérer ce qui est nôtre ici !

    Pourtant, ces derniers cinq ans nous avons créé la fierté du village. 

    Tu te rappelles que de chaque maison du village arrivait un couple, un vieux, un estropié, un jeune, un enfant. Tous marchaient vers le local en procession. On avait l'impression de revivre la joie festive de l'entrée de Jésus à Jérusalem. Chacun apportait quelque chose, qui une pelle, qui une pioche, qui un marteau, qui un sac de ciment sur le dos, qui un mètre dans la poche, qui des tasseaux à bout de bras, mais tous venaient avec un sourire dans les lèvres et dans leur cœur un dévouement paternel les enfants.

     Cette grande communion se poursuivit tous les samedis et dimanches, pendant des mois, pendant des années. Et enfin au cours de la cinquième année notre blanche colombe en pierre fut en fin terminée. Maintenant nos enfants ne sont plus livrés à eux-mêmes mais accueillis avec amour et tendresse pendant que les parents sont livrés aux tâches agricoles ou autres.

    Mon Oliverio tu ne peux ne pas voir ce fruit de notre travail commun, notre garderie enfantine. 

    Regarde sa façade principale. Elle est tournée vers la place principale du village. L’on dirait une vaste mer de lumière en crépis blanc. Cela lui donne un aspect de modernité par contraste au caractère austère des maisons du village en granit noirci par le temps.

    Mais Oliverio l’on dirait que tu ne veux pas voir le symbole du panneau d’azulejos plaqué en son centre ! Mais fixe ton regard dans l’originalité des dégradés de couleurs qui vont du bleu foncé à un bleu plus clair se diluant   dans le blanc. Regarde, çà et là, les nervures verdâtres ondulant vers l’ocre pour former des cordes et autres gréements marins.

    Mais Oliverio, l’essentiel ne se trouve-t-il pas dans son centre ? Regarde la grâce de cet homme radieux, sans âge, les bras ouverts, les mains ballantes où tu peux lire le message essentiel de notre garderie enfantine :

    « Laissez venir à moi les enfants. »

    Mon ami notre garderie sera une amie pour les hommes, un soutien pour les femmes et bel avenir pour nos enfants.

    Ô nostalgique grand-père

    Nuage de ciel bleu et mystère

    Toi panneau d'azulejos

    Symphonie de bleu, jaune et vert

    Tu es un épique sonnet

    Fruit de passion, pinceau de courage

    Et toi indomptable village

    Pour moi, mon Grand-père, pour d'autres un Monsieur

    Roman d'aventures, fantastique sonnet

    Deux romantiques quatrains

    Trois réalistes tercets

    L’avant dernier vers

    Est une clé d'argent

    Ton dernier vers ferme tout le décor

    D’une belle clé en or :

    " Laissez venir à moi les enfants" !

    Pourtant depuis la pose de la première pierre, le père Trampoline jeta sur la garderie ses médisants gravats. Après l’achèvement, chaque dimanche il s’égosillait, du haut de sa chaire, il insinuait que la garderie n'avait de chrétien que son message écrit sur sa façade.

    ***

    Sœur Rachel la Religieuse

    Sœur Rachel se sent comme chez elle à la Garderie « Laissez venir à moi les enfants ».

    Elle est toujours douce et souriante. Qu'il neige, qu'il pleuve ou qu'il fasse du soleil, sœur Rachel est toujours égale à elle-même. Elle est comme la petite merlette de printemps affairée à construire son nid. Toujours en quête de nourriture. Toujours en train de chantonner. Elle est tout chocolat et vanille avec ses petits même quand ils piaillent, réclament à manger, à boire, un bisou, une béquetée avec le bec déjà enfariné de semoule de maïs.

    Tous les deux mois environ, arrivaient à la Garderie de grands sacs de semoule. Arrivaient aussi de jolies boîtes blanches et rondes. Le drapeau américain estampé sur les boîtes semblait flotter au vent de l'amitié, tout en rappelant aux bénéficiaires la grandeur et l'humanisme des États-Unis. Les trois lettres en gras U.S.A. ne permettaient à personne d’ignorer la provenance de l’acte de bienfaisance.

    ***

    Cher lecteur, lectrice, quel plaisir pour les pauvres de pouvoir admirer la richesse des autres. Mais plus grand encore est le bonheur des riches, quand il y a des pauvres, afin que les premiers puissent avoir l'opportunité de leur faire l'aumône. Les uns en bas, regardant vers le haut, les autres en haut regardant, avec vanité, vers le bas. Ainsi serait le monde

    ***

    Grand-père, dans un geste de non-conformisme et tout en haussant ses larges épaules, interpella et interrogea :

    -             Mais comment se fait-il que dans le pays du Sauveur National, qui sait où il va, qui sait ce qui est bon il y ait des enfants qui ont besoin de l’aumône de l'Oncle Sam pour survivre ? Voilà où nous en sommes, voilà où il nous a mené, s’insurgea encore grand-père, le cœur fermé comme une boîte de conserve.

    -             Merci de tout mon cœur les Américains ! chanta dans un sourire de remerciement sœur Rachel, une mère pour ces enfants, en recevant les boîtes de semoule et de poudre de lait des mains d'une bénévole de la Croix Rouge.

    Sœur Rachel n'écoutait que son cœur. Ses sandales en cuir noir semblaient marcher ce matin dans le Paradis du Bonheur. Elle leva les bras au ciel. De son visage coloré se dégageait un petit soleil auréolé d'une grande joie. De sa poitrine haletante d'émotion s'envolait un halo de lumière enfermant une pensée spéciale pour chacun des 250 millions d'américains en cette année 1958.

    -             Avec ce que pourront apporter en plus les parents de ces enfants, je vais faire danser cette semoule mélangée à de l'eau et du lait dans le fond de la marmite. Mes chers petits poussins vont mieux s'emplumer et mieux se requinquer, disait avec un sourire maman Rachel.

    En plus de jouer le rôle de maman des enfants de Roustina, sœur Rachel était officiellement la directrice et l’animatrice de la garderie « Laissez venir à moi les enfants ». Elle faisait aussi office de femme de ménage, de cuisinière, de nounou et bien d’autres tâches encore. Les habitants du village voyaient en elle une femme exceptionnelle. Tout le monde pressentait sous son habit bleu marine, discrètement décolleté, le cœur le plus doux et le plus dévoué du village.

     Les enfants insouciants, joyeux et calmes, jouaient dans la cour à l'ombre du grenadier. D'autres, marchant encore à quatre pattes, cherchaient à s'accrocher à ses bras rondelets et à ses jambes légèrement prononcées. Sa robe marquait avec générosité ses formes et le corps ne s'y sentait pas emprisonné. Le regard maternel de « maman Rachel » protégeait toute cette vie remuante de la garderie comme le ciel bleu des journées calmes de l’été.

    Selon grand-père, c'était une femme d'une stature au-dessus de la moyenne. Il prétendait, avec un sourire dansant dans le coin de ses yeux verts, que sœur Rachel était légèrement rondelette et avait un visage rond comme un tournesol. Il disait même que ses yeux émeraude brillaient comme les étoiles les nuits de pleine lune. Elle est un jardin de douceur, osait dire grand-père avec timidité ce qui révélait une admiration démesurée. Mais, si vous la provoquez injustement, elle devient une bogue dorée du châtaignier qui pique tous ceux qui s'y frottent prévenait-il.

    ***

    La bien aimée sœur Rachel

    Le clocher de granit de Roustina avait appelé pendant un bon quart d'heure les habitants du village. Tout le monde ou presque avait enlevé cette poussière, rougeâtre et déjà sèche, qui colle à la peau en ce mois de mai déjà bien avancé. Après avoir fait une toilette chacun se dirigea individuellement ou, par petits groupes vers l’église. Sœur Rachel, depuis quelques jours, avait échangé son ancien habit bleu marine pour une robe blanche plus agréable pour le corps et plus séduisante pour les yeux.

    Pour les yeux de qui ? demande le lecteur seulement à moitié étonné.

    C'était une robe qui allait bien avec la saison et qui annonçait le renouveau de la vie au printemps. Les retardataires, non pas par négligence, mais parce que trop pris par leur travail, arrivaient essoufflés à l'église de Notre Dame de Fatima qui paraissait être la bonne mère du village.

    Sœur Rachel, quant à elle, était arrivée depuis une bonne demi-heure, mais c'était insuffisant pour tout ce qu'elle avait à faire à l'église. C'est que la garderie des enfants lui laissait, chaque fois, moins de temps pour choisir et préparer les lectures à faire pendant le chapelet. C'était au moment où elle était en train de se débattre avec le choix des textes du Nouveau Testament qu'arriva père Trampoline comme un coup de vent soufflant de Castille. Il gesticulait et bramait comme un cerf :

    -     Sœur Rachel, ça fait plus d'une semaine que cette pauvre église n'a pas été balayée. Comment cela est-il possible ?

    La religieuse subit ces paroles comme une averse de grêlons s'abattant sur un champ de tulipes. Mais après une seconde de surprise elle rétorqua à la vitesse de l'éclair et la violence de la foudre qui est capable de labourer d'un sillon de feu un chêne et de le brûler de haut en bas :

    -    Mais balayez-vous même vos ordures, votre saleté, vos saloperies qui vous étouffent jusqu'au cou. Balayez à votre tour cette église que vous salissez autant que les autres paroissiens. Vous n'êtes pas handicapé que je sache. Vos mains sauront saisir le balai comme les miennes l'ont saisi la semaine dernière et celle d'avant.

    Laissant passer le gros de la tempête, elle se tourna vers le père Trampoline et, comme une louve, elle se dressa devant lui tout en le regardant droit dans les yeux :

    - Il est hors de question que je me laisse enfermer dans le rôle de ces religieuses, bonnes uniquement pour décorer de fleurs les autels, balayer les églises et dire Amen à toutes les volontés de messieurs les curés.

    Non, monsieur le curé Tram – po – li – ne je ne suis pas votre bonne à tout faire gratuitement. Pourquoi le serais-je ? Vous, vous faites bien payer auprès de ces pauvres familles les baptêmes de ces enfants dont les parents ont des petits à ne pas savoir qu'en faire. Ils arrivent, tous les neuf mois, et vous leur dites que c'est un cadeau de Dieu...

    - Mais comment osez-vous ? Qui êtes-vous, pour me parler ainsi ? Crie le curé déchirant de colère le col de sa soutane noire comme la carapace d’un scarabée.

    Ce n'était pas vraiment une question du père Trampoline. Mais des mots d’une grande violence où, chaque lettre était un coup de poing, de la part de celui qui voulait remettre à sa place cette subalterne de Dieu. Comment accepter qu'une femme, une simple religieuse, puisse parler de la sorte et oser tenir de tels propos à l’égard d’un représentant de Dieu ? N'était-il pas l’homme. N'était-il pas le guide, le semeur de la parole de Dieu ? N'était-il pas ce chemin qui mène au salut ces paysans, ces pauvres pêcheurs ?

    - Je suis une femme. Je suis aussi une religieuse. Vous devez vous habituer Monsieur Tram – po - li – ne, à respecter l'une et l'autre.

    - Sœur Rachel, vous oubliez l'humilité, vous vous égarez de votre rôle de servante de Dieu. Je vois en vous, non pas la religieuse mais la femme, la tentation, le mal, le diable en personne. Couvrez-votre tête, coupez-moi ces longs cheveux en serpentins, cachez dignement ce corps de péché qui allume le plaisir de l'homme, que Dieu ne saurait ni accepter, ni voir.

    - Soyez un homme si vous ne pouvez pas être un Monsieur ! Ce corps est le mien, Monsieur le curé ! Regardez-le bien, avec respect, si votre sagesse et votre cœur vous le permettent. Regardez ce corps dans la lumière de la vérité. Si péché il y a, il n'est pas en moi, mais dans votre regard. Sachez regarder ce corps, comme je regarde le vôtre.

    -    Sœur Rachel, vous êtes une religieuse, mais vos habits ne cachent pas la femme. Ces formes charnelles souillent le regard et éclatent les coutures de votre habit. Elles vautrent la victime masculine dans le désir et le plongent dans l'impureté du monde. Libérez-vous de l'ordre impur de ce corps. Donnez-vous, si vous le pouvez, à l'humilité. Sacrifiez-vous aux valeurs de l'esprit. Veuillez cacher cette chair qui trouble mes yeux qui vous regardent et qui ne voudraient pas voir. Infligez à votre chair les souffrances qu'elle mérite. Ainsi votre  âme sera libérée des lourdeurs sales du corps et s’élèvera ensuite vers la liberté du ciel.

    Ce n'était plus cet homme vieux qui s’exprimait, cet homme au visage que les années marquaient comme un champ labouré et sec, dénué de tout, comme un désert sous le soleil de Satan, mais c’était une silhouette, s'agitant dans le ridicule de la colère. Le père Trampoline, se confondant avec un dieu tout puissant, soufflait sa vengeance contre les tiges fines et frêles d'un champ de blé au printemps.

    -              Mais comment père Trampoline pouvez-vous parler avec autant de mépris à la femme et à la religieuse que je suis. Dans les veines de vos paroles circule du venin. Vos paroles sont irrespectueuses à l'égard de la femme qui est en moi. Vos paroles nient également la créature de Dieu que je suis, tout autant que vous l’êtes.

     La religieuse poursuivant dans son indignation d’une injustice vieille de presque 2000 ans.

    -             Comment monsieur le curé pouvez-vous fermer vos yeux à cette féminité qui donna la vie à Jésus. Comment pouvez-vous nier l'ordre féminin de Dieu. Votre cécité ne veut pas reconnaître ce corps de femme qui donne vie à l'être humain dans la douleur, tout comme le corps de Jésus qui, dans le sacrifice, offre son corps à Dieu pour expier les péchés des hommes en leur donnant une nouvelle vie.

    Dans ce pays, vos yeux ne veulent pas voir le sacré du culte marial, dédié à la femme, à la mère que fut Notre Dame de Fatima. Respectez les femmes, respectez la femme qui fait partie intégrante de l'église autant que l'homme, si ce n'est davantage. Après une courte pause Rachel ajouta encore :

    -             Ô Pères Trampolines, de Rome et ailleurs ! Comment pouvez-vous ne pas voir notre rôle primordial dans la vie de Jésus et particulièrement dans sa passion ? Les disciples masculins ont fui, trahi ou renié, alors que les femmes ont été présentes lors de l'agonie de Jésus. Ce sont encore elles qui ont accompagné la mise au tombeau. Dès le lendemain, revenant sur les lieux et trouvant le tombeau vide, les premières, elles reçurent de Jésus l'annonce de sa Résurrection. Ce sont des femmes, disciples, écoutées, appréciées, aimées par Jésus, qui ont eu la responsabilité de porter aux disciples masculins la Bonne Nouvelle, comme l'écrit l'évangéliste Marc (16, 6, 7).  Ai-je besoin de vous répéter ce que vous savez depuis plus de deux mille ans ?

    Puis regardant père Trampoline dans les yeux :

    -             Acceptez l’évidence ! Ce sont elles, les femmes, qui ont été les premières pierres fondatrices de notre christianisme.

    Ô pères Trampolines ! Comment pouvez-vous évoquer l'impureté féminine aux yeux du monde et de Jésus ? Depuis des siècles vous combattez injustement notre rôle et l'ignorez volontairement. Vous minimisez notre place, notre pouvoir dans l'église et dans le monde, de peur que le vôtre ne soit menacé.

    *** 

    Comme un chien qui a reçu un coup de pied au cul père Trampoline se retire dans la niche du silence. Puis, dans un claquement de talons se dirige vers la sacristie préparer tout seul ses parements pour la messe du lendemain, mais pas sans avoir mordu, par la pensée, la poitrine avantageuse de sœur Rachel dans laquelle il ne voyait que la femme :

    -             Vous êtes la plus bavarde des femmes, qui pour exister a besoin de vider son sac de plus de vingt mille mots inutiles et d’autant de vipères par jour ! Que le Diable vous pardonne, car Dieu ne le pourrait pas ! Répondit père Trampoline entre les dents.

    -             Sœur Rachel n'entendit point les dernières paroles du curé. Mais elle entendait dans son cœur, le bonheur d'avoir dit « ses quatre vérités » à cet homme. Elle était bien consciente aussi que l’Eglise Catholique se sentait mieux dans la routine des rites religieux que dans la lecture de la vie quotidienne et que dire de la lecture approfondie des évangiles !

    ***

    Le Plaisir de se Rencontrer

    L'obscurité du soir arrivait à grands pas. Çà et là, dans le rectangle intérieur de l'église, femmes et hommes, jeunes et moins jeunes, remplissaient la maison de Dieu pour assister au chapelet de sœur Rachel. Malgré la fatigue physique accumulée au long d'une journée de labeur, les villageois, pour rien au monde, n’auraient voulu rater ce moment.

    C'est que le chapelet de sœur Rachel était un moment de plaisir et de bien-être que l'on attendait toute la journée et dont la promesse allégeait la pénibilité du travail agricole. L'église était remplie d'une foule, gaie et souriante, qui respirait avec allégresse et d'où émanait une sorte de bonheur, celui d'être ensemble, mais aussi avec la volonté de mieux connaître cet homme qui, selon sœur Rachel, avait consacré sa vie à aider les enfants, les femmes, les faibles, les pauvres, chose si rare dans ce Portugal où les gens humbles se sentaient méprisés tous les jours.

    Jésus, on leur ressassait à force de sermons, de peintures, de sculptures couvertes de sang, qu'il avait péri, après de grandes souffrances, sur la croix. Les villageois savaient très bien ce qu’étaient la douleur et la souffrance au quotidien. Combien de fois dans leur vie de rats en cage, dans leur vie d'esclaves de ces vampires de Lisbonne, de Soutugal, de Guardangal, dans leur vie manipulée par les trampolines du curé du village, n'avaient-ils pas souhaité la mort par rapport à cette vie-là ! Tous les villageois avaient envie de mieux connaître cet homme dont parlait sœur Rachel qui ressemblait, dans toute sa splendeur amicale et protectrice, sur la façade de la Garderie « Laissez venir à moi les enfants ».

    Les enfants du village venaient au-devant des curieux qui, chaque jour, arrivaient de plus en plus loin, avides de le connaître aussi. Ils leur parlaient avec plaisir et montraient, en pointant fièrement du doigt, « Le sage du village ». Les gamins les plus imaginatifs prétendaient qu’il ressemblait en tout à Papy, d’autres pensaient qu’il avait les traits et les démarches d’Oliverio.

    Ce qui était sûr c’est que certains journaux à Porto, à Coimbra et même à Lisbonne, avaient rédigé un petit encadré, en première page à gauche, sur le sujet dans un ton qui dépassait les limites autorisées. Cela valut à leurs auteurs une convocation au siège de la P.I.D.E et une jolie réprimande paternelle et autoritaire suivie de menaces musclées en cas de récidive.

    ***

    Et l’église devint leur Maison

    Sœur Rachel dirigeait avec personnalité et respect le chapelet du soir dans l’église paroissiale. Tout le monde se sentait entre amis et à l'aise comme à la maison. Il n'y avait pas de prière qui n’ait été expliquée et comprise de tous. A la fin du chapelet l’on donnait son opinion, on demandait des explications et on riait même parfois de ce que l'on imaginait entre les lignes. Parfois l’on taquinait avec humour le côté désinvolte du jeune Jésus. Mais le cœur de sœur Rachel y voyait, comme deux gouttes d’eau, son malin petit Wald

    Souvent les hommes esquissaient même un petit sourire coquin sur les lèvres, lorsqu’ils écoutaient avec admiration et complicité certains aspects très romantiques de la vie de Jésus et de Marie Madeleine.

     En revanche, certaines femmes mûres ressentaient un penchant pour Saint Joseph. Elles admiraient son doux caractère, sa patience et son côté tolérant à l'égard de l'adolescence, parfois turbulente, de son fils Jésus. Mais elles se demandaient, en elles-mêmes, avec un petit rien de malice, comment Joseph naviguait dans la mer chaude des draps et couvertures pendant les longues nuits de l'hiver. Il devait être un très bon amant ce Joseph, pour que cette jeune et amoureuse Marie soit séduite par son âge, sa calvitie, mais aussi par les mains rugueuses et calleuses de ce chanceux charpentier. C'est que, en plus de la sagesse et de la douceur intérieure, le vieux Joseph était un homme travailleur dans ce pays d’Israël maltraité par Rome où, la vie était dure comme la leur.

    Hommes et femmes admiraient la manière dont Joseph caressait le bois de pin, de chêne vert, le dur olivier, du lever au coucher du soleil. Le paysan, qui habitait dans chaque villageois, savait ce que c'était de se lever et de se coucher après le soleil.

    Les femmes se sentaient, par nature et par expérience, proches de Marie. Elles imaginaient Marie en train de laver à la fontaine les couches de ses enfants, mais aussi les douleurs des maternités fructueuses. Elles voyaient la femme, l'épouse Marie, préparant la soupe du soir pour son mari, mais aussi pour Jésus et ses frères Jacques, Josès, Jude, Simon et leurs deux sœurs. Neuf personnes, assises et serrées autour de la table et dans l’espace humble et réduit de la maison.

     Les hommes, la plupart n’ayant jamais lu la moindre ligne du Nouveau Testament, car incapables d’épeler le moindre mot, se permettaient néanmoins de libérer leur imagination et s'imaginaient Marie, allaitant de ses seins bibliques, cette ribambelle de gamins. Ils n'avaient pas de mal à s'identifier à l'époux, à l'homme de la maison, qu'ils voyaient en cet homme nommé Joseph.

    En effet, Joseph, comme eux, devait bouger son popotin pour trouver à manger à ces morfales de gamins, semblables à des oisillons insatiables qui, dévorent les vers de terre que les parents apportent dans leur nid dans un va-et-vient sans fin.

    Les villageois se disaient en silence que sœur Rachel leur avait fait découvrir une autre facette du christianisme, bien différente de celle du père Trampoline. Maintenant tout le monde comprenait que le jeune et adulte Jésus, son amie Marie-Madeleine, sa mère Marie, son père Joseph, faisaient partie de leur famille, de leur quotidien, du village car ils leur ressemblaient.

    Quel soulagement et quel réconfort pour affronter les menaces, les colères de ce Dieu totalitaire que le père Trampoline, chaque dimanche du haut de la chaire de l'église, leur présentait en martelant chaque mot.

     Maintenant, ils avaient moins peur. Tous, Jésus, Marie, Joseph et la vaillante Marie-Madeleine, qui ne se laissait pas marcher dessus, tous, étaient avec eux. Maintenant, grâce à sœur Rachel ils se sentaient moins seuls, moins désemparés !

    ***

    Le cœur de David ne semblait pas s’il devait rire de joie ou pleurer de tristesse.

    -        Que veux-tu dire ma petite Rachel, demanda David dans un doute attentif.

    Il serra contre lui avec tendresse les chaudes larmes qui dégoulinaient froides sur le visage rose de Rachel.

    -        Notre amour David, est impossible dans ce beau pays. Notre chef complexé de Lisbonne, qui n'a jamais connu le vrai amour, ni la vie à deux, ni la famille ne le permettra jamais. Il ne parvient à trouver une certaine personnalité que sous les coups de la crosse de cet évêque des silences dramatiques de Rome.

    Celui-ci a osé bénir, fermer ses yeux sur des idées et des comportements indignes à l'égard de l'humanité et de l'être humain.

    Notre amour David ne peut pas éclore à la lumière de ce beau soleil lusitanien, ni de Dieu, ni de Notre Seigneur Jésus Christ.

    Notre grenouille de bénitier, de combine avec ses corbeaux noirs de Rome et de Lisbonne, tous ensemble, ils ont accaparé, transformé les évangiles à leur sauce pour nous dominer et nous mener comme des moutons, là où ils veulent que nous allions. Mon petit homme, tu sais très bien que le père Trampoline est avec eux, il sera prêt à brûler notre amour dans un autodafé, sous les crachats et les rires moqueurs de ces gens qui prétendent agir selon la bonne religion et la bonne morale. Pour eux, nous sommes le péché et eux seuls détiennent la vertu.

    Ils ne pourront jamais comprendre et encore moins tolérer ou accepter notre amour. Ils n'y verront que le mal. Notre amour ne pourra pas vivre au grand jour. Son destin sera tragique. Notre amour sera piétiné au début, torturé ensuite et périra finalement dans le martyr d'une mort sans nom.

    Mon petit chéri, seuls les habitants de ce village sont nos amis. Eux seuls nous comprendraient et nous accepteraient. Mais ce faisant, sur eux, s'abattrait un tsunami de persécutions, de tortures, de brimades dont nous serions responsables. David, nous n'avons pas le droit de leur demander de tels sacrifices. Laissons-les vivre comme des femmes, des hommes, des habitants de ce village tranquilles. Ne leur demandons pas d'être des héros.

    Notre amour, mon petit ange, n'a qu'un chemin possible dit-elle la gorge nouée : Notre séparation.

    ***

    L’annonciation

    Le tableau que Rachel venait de peindre à son David, était certes une mer de ténèbres et sans horizon. Mais papy, comme un bon marin, plus le bateau semblait faire naufrage dans une mer hérissée et agitée, plus il réfléchissait calmement à la bonne décision qui s'imposait.

    Au bout de quelques instants, comme si la solution était toute trouvée, il souleva le drap et enveloppa dans le sien le corps brûlant de Rachel.

    Allait-il lui en parler maintenant ? Comment lui dire ? Comment s'y prendre pour calmer la mer, éviter le naufrage et barrer le voilier jusqu'à bon port ?

    La chaleur du corps de Rachel emporta son cœur dans une ivresse des profondeurs. Il oublia les questions, il abandonna le monde. Rien d'autre n'existait pour lui que l'instant présent, et Rachel.

    Il prit avec délicatesse son visage de lumière dans le calice de ses mains et plongea ses yeux verts dans la profondeur des yeux amande de Rachel.

    Rachel roula sur le côté gauche, l'embrassa avec délicatesse sur le cou, le visage, les yeux comme si elle voulait le faire sien. D'un coup de ses larges hanches elle vint sur lui et cacha de ses cheveux le visage de David en le faisant frissonner d'un nouveau désir. Ils dansaient au rythme de la mélodie du vieux lit, faisant glisser leurs corps avec harmonie. Elle avait laissé choir ses pensées et ses inquiétudes et ne put s'empêcher de lui chuchoter :

    -        Mon bien aimé, je suis prête à tout pour toi.

    -      Ne t'inquiète pas Rachel, ça va aller, lui dit-il avec tout le calme qu'il pût trouver au fond de lui-même.

    Et quand il fut en elle il lui dit d’une voix sereine et douce :

    -       Je n'ai qu'une parole, ma chérie, nous serons mari et femme.

    -       Mon petit mari, souffla Rachel en tentant de calmer les vagues de la houle de ses hanches.

    Au bout d'un long moment de silence, David prit les mains de chaudes de Rachel et lui dit :

    -      Nous allons quitter notre pays. Ici notre amour va vers la mort. Nous allons ressusciter, écrire une nouvelle vie dans...

    -       Où mon chéri ? Interrogea Rachel avec une curiosité relevée d'une tonalité bleu-ciel de surprise qui dansait dans le blanc de ses yeux.

    David n'avait pas encore fini sa phrase, lorsque l'on entendit frapper timidement à la porte. Qui pouvait-il bien être ?

    ***

    Qui pouvait-il bien être ?

    Ni David ni Rachel n'attendaient quiconque à cette heure.

    -       C’est la P.I.D.E. !  Dit Rachel effrayée.

    -    Non pas du tout, répondit David avec assurance et redonnant confiance à Rachel.

    Le marteau de la porte frappa à nouveau dans un jeu de mélodie qui mit la puce à l'oreille de David. Il avait découvert l'intrus, mais ne dit rien. Sa pensée se concentra sur l'histoire du marteau.

    En effet, ce marteau était enveloppé d’un mystère qui pesait son poids d'or, avait l'habitude de dire le vieil André de son vivant, le papa de David. Ses paroles étaient accompagnées d'un hochement de tête, qui traduisait son incompréhension au sujet de la mort de son frère Daniel, en terres de France.

    Une dizaine d'années auparavant, le malheureux André avait été victime d'une mort stupide, alors qu’il allait vers ses 85 ans, encore auréolé des cheveux de ses 20 ans où, seule la couleur avait changé. Il labourait encore avec un tel soin ses champs en bordure du Coa que l'on aurait dit des jardins d'agrément.

    Une matinée de printemps du mois de mai, en revenant du pré avec ses quatre vaches, monté comme Sancho Panza sur son âne, il vit deux gardes de Satan Lazar dans leurs uniformes gris et vert, marchant de chaque côté du chemin. Il prit peur, comme les habitants du village en pareille situation. L'âne, épouvanté, opéra un demi-tour brusque sur lui-même et comme un lancer de dés, jeta mortellement par terre André, au moment même où celui-ci tentait de rassurer son âne avec un brin d’ironie :

    - Attention mon petit âne aux épouvantails de Satan Lazar !

    En revanche le marteau de porte, lui, était bien vivant. Il continuait de marteler et d'accomplir sa tâche. C'était un coq en laiton massif, poli et verni que des français, amis de régiment de tonton Daniel, avaient envoyé de France, une trentaine d'années plus tôt, en mémoire du lieutenant Daniel « Le Portugais », comme il était nommé parmi ses soldats.

    ***

    Lieutenant Daniel, Le portugais

    Ledit lieutenant, oncle de David du côté paternel, était appelé dans la famille simplement sous le nom de « tonton Le Français ». Avec les années qui passaient au galop, disait David, on ne savait plus ce qui était vrai et ce qui faisait partie de la légende héroïque autour de la mort de tonton Le Français.

    Selon une ancienne Gazette de l'Artois,

    « Le 9 avril 1918, l'armée allemande déclenche « l'offensive Georgette » dans la vallée de la Lys dans l'espoir de remporter une victoire décisive avant l'arrivée des troupes américaines. En trois vagues successives, ses dix divisions déferlent sur les deux divisions portugaises, incomplètes, mal encadrées et surprises en pleine relève. Au cours de cette seule journée, les Portugais perdent près de 7 500 hommes. Pourtant, le lendemain, aux côtés des Écossais, les survivants s’accrochent à La Couture, avant de devoir se replier. Si les Allemands prennent Estaires, Armentières et Bailleul, ils échouent à entrer dans Béthune et Hazebrouck. L’offensive s’éteindra le 18 avril »

    Malheureusement, ce même jour, Tonton Le Français, pensant que les combats étaient finis pour de bon, alla porter secours à un de ses soldats blessés qui criait de douleur au fond d'un trou d'obus. En tirant de toutes ses forces le malheureux par les bras, un deuxième obus, que ses yeux fatigués et une fumée épaisse ne laissaient pas voir, explosa, envoyant en l'air les deux corps déchiquetés mais inséparables à jamais. Les deux soldats reposaient à l'entrée du Cimetière portugais de Richebourg en compagnie d'autres milliers de soldats unis dans la vie et dans la mort pour l'éternité.

    ***

    Je t’ai attendu toute la nuit

    Au troisième martèlement sur la porte, Rachel pas très rassurée, se dirigea vers l'entrée. David lui barra aussitôt le chemin avec un sourire malin qui naviguait dans son doux regard.

    -              Laisse-moi faire dit-il, ce que Rachel accepta, comme si on lui enlevait une épine du pied.

    Dans le cadre de lumière de la porte ouverte apparu, comme dans un portrait, Wald, le torse nu, souriant, tout en faisant un grief moqueur à son grand-père. David se rendit compte, dans un centième de seconde, que ses épaules musclées n'étaient plus, tout-à-fait, celles d'un enfant.

    -             Je t'ai attendu toute la nuit, lui dit Wald à brûle pourpoint.

    Puis avec malice :

    -             Ne t'inquiète pas mon petit coquin, je savais que tu étais dans de bonnes mains. Sinon je serais venu te sauver, lui dit-il, en riant aux éclats.

    De son côté, Rachel était surprise de ce que lui arrivait. Maintenant, elle avait retrouvé le sourire, le plaisir de la vie, un bonheur qu'elle n'avait jamais connu auparavant.

    -             Suis-je dans ce monde ou sur un nuage ? Se dit-elle en silence de peur que Wald n'entende ses paroles.

    Sans vraiment s’en rendre compte, elle se trouva dans les bras de David qui tenait en même temps Wald par la main.

    -              Tu veux un petit café allongé, demande-t-elle, heureuse, comblant ainsi le manque d'enfantement du passé.

    -             Oui maman !

    -             Maman ? Est-ce que j’ai bien entendu, mon chéri ?

    -             Bien sûr ! Mais avec une étoile de lait … de David s’il te plait ! Puis poursuivant le plus heureux du monde.

    Le café et le lait

    C'est pour montrer

    A Mon autre papa

    Et à mon Angola

    A mon autre maman

    Bien que décédés

    Ils sont en moi bien vivants

    Le café pour mon côté africain,

    Le lait ! Eh bien

    Qu’il soit pour l’européen,

    Blanc et noir,

    Noir et blanc

    Oh ! Que j’aime ! J’aime

    La dualité

    Du lait et du café

    Et mes deux mamans !...

     

    Les larmes dans les yeux, Rachel ajouta :

     

    Oh mon chéri

    Merci ! Merci !

    Mon petit lapin

    Mon petit lapin noir et blanc

    Au cœur européen et africain

    A la mémoire d’éléphant !

     

    ***

    Cette nuit j’ai eu un rêve

    David, avec un regard sérieux et détendu à la fois, pria Rachel de s’asseoir sur la vieille chaise à balancier en osier et demanda à Wald de d’approcher le vieux tabouret en pin. Il avait à leur parler.

    Wald, ne fut nullement surpris, tellement il était habitué à voir son papy changer d'attitude d'un moment à l'autre. Il n'était pas vraiment inquiet. En revanche, Rachel ne put cacher une certaine inquiétude emmitouflée dans sa robe de chambre à ramages en satin blanc. Après un court silence, il leur dit :

    -        Cette nuit j'ai eu un rêve.

    -      Mais tu disais que tu ne rêvais jamais papy ! Dit Wald semblant d'être surpris.

    De fil en aiguille, d'aiguille au tissu, tout en tirant celui-ci, pour éviter les nœuds, il endossa une fois de plus, l'habit du conteur. Ce conteur d'histoires, de magie, de choses impossibles, qui tant de soirées firent jubiler l'enfant que Wald n’était plus tout à fait. Et il commença :

    Il était une fois, Un grand garçon, Heureux comme un roi…

    Ce garçon se nommait Wald le plus simple et le plus joli prénom du monde. Il vivait tout seul tout seul avec son Grand Père depuis la plus grande tragédie de la vie. Tous les jours, toutes les nuits, petit à petit, ce jeune garçon, devenant costaud, malin, intelligent il découvrit un jour que son papy faisait la cour à une femme...

    Un amour impossible ! Ô grande tragédie ! Cette femme amoureuse était une religieuse ! Une religieuse qui ne l’était plus …

     Wald, semblait se laisser charrier avec plaisir par les eaux langoureuses du conte. Mais son papy tout d’un coup devint David, et prenant à nouveau une attitude sérieuse, leur dit à tous les deux :

    -             Si vous êtes d'accord, nous allons préparer nos valises et dans quelques jours, nous partirons faire une visite à tonton Daniel le Français !

    Après une minute de réflexion il demanda :

    -             Qu'en pensez-vous, tous les deux ?

    -             Nous partons en France Papy ?

    Wald ne comprenait pas et Rachel ne croyais pas. Avait-elle bien entendu ! Tous les deux, surpris par la suggestion, n'en dirent rien, puis un sourire d'approbation commença à danser dans leurs yeux.

     David voyant leur sourire sentit une grande joie le parcourir et tout son corps et son être se mirent à danser au diapason de leur regard.

     Combien de fois, lors de la fête de la saint Antoine du village, David n'avait-il pas rêvé de danser avec Rachel. Quel bonheur de danser, avec elle dans ses bras, battre du pied au son de la musique du groupe folklorique du village :

    Ó Malhão, Malhão
    Que vida é a tua?
    trabalhar e dormir

    aï tirlim-tim-tim
    Andar de cabeça baixa na rua !

     

    Ó Malhão, Malhão

    Porque foste tu pr’a prisão ?

    Me denunciou o senhor padre

    aï tirlim-tim-tim

    Por ter dado a minha opinião !

     

    Ó Malhão, Malhão

    Porque te pões assim a falar ?

    Tu andas de cabeça para os pés

    Aï tirlim-tim-tim

    Neste pais não ha nada que pensar !

     

    O mon petit, mon petit bonhomme !

    Quelle es ta vie ?

    Travailler et dormir

    Aïe ! Aïe ! pauvre de moi !

    Marcher la tête basse dans la rue ?

     

    Ô mon petit, mon petit bonhomme !

    Pourquoi es-tu allé en prison ?

    Dénoncé par Monsieur le curé

    Aïe ! Aïe ! pauvre de moi !

    Pour avoir donné mon opinion !

     

    O mon petit, mon petit bonhomme !

    Pourquoi tu oses ainsi parler ?

    Mais tu marches sur la tête !

    Aïe ! Aïe ! pauvre de moi !

    Dans ce pays il n’y a rien à penser !

     

    Rachel, étrangère à la nostalgie du temps perdu, s'adressa à Wald avec ironie et à son David avec une pointe de sarcasme dans le coin de l’œil.

    -    Ton papy est un descendant d'Henri Le Navigateur. Toujours en quête de nouvelles vies, toujours à la découverte de nouvelles terres, toujours avec l'espoir de propager la Foi.  C'est cela notre destin ?

     -      Oh ! La Foi ! La Foi ! Voilà de la bonne propagande de notre chef. Pensez-vous vraiment ce que vous dites Madame la Satan Lazariste ?

    Rachel fixant son regard dans le ciel et pointant du doigt la Mairie de Roustina s’adressa à David avec des larmes de sourire :

    -              Mais depuis quand dans ce pays peut-on dire ce que l’on pense mon pauvre Monsieur ? Puis David poursuit avec un soupçon d’ironie.

    -       Oh ! Oh ! Oh ! Mais ne parlons pas de cela. Ce n’est plus à l’ordre du jour. Maintenant je veux voir en vous la reine du fado, le nôtre Madame ! Comme toujours, vous avez aussi bien parlé que raisonné. Mais vous me comprenez, n’est-ce pas ! Dit grand-père hissant le drapeau de l'harmonie et du mot juste, puis ajouta dans un autre registre.  Mais chut ! Chut ! Bouche cousue. Ce n’est pas le moment de parler. Mieux vaut suivre la politique du secret du roi Dom Manuel !  C’est que personne ne doit se douter de rien dans ce village, sinon ce ne sera pas tonton, le Français que nous irons visiter, mais le camp de Péniche ou de Tarrafal !  De plus mes petits trésors, le saint Père Trampoline se ferait un sacré plaisir de nous envoyer en enfer !

    -       Mais David, comment vas-tu faire avec la maison, tes amis... interrogea Rachel. Et nous, mon chéri, qu’allons- nous devenir ?

    -       Mais, comme tous ceux qui sont obligés de quitter leur pays. Tu penses que les gens quittent leur pays par plaisir ? Je vais tout laisser, tout abandonner. Après une légère pause il ajouta...

    -       Il faudra faire contre mauvaise fortune bon cœur, ma chérie !

    -       Mais tout laisser David ! As-tu pensé à Oliverio ! Tu lui disais que…

     -     Je suis avec toi ma petite princesse de Gaule ! Nous avons Wald. Nous ne sommes pas seuls. Nous allons construire ensemble là-bas, en France, une nouvelle vie, trouver de nouveaux amis. Avons-nous un autre choix ? En attendant Oliverio va s'occuper de tout et peut-être que…

    -      Moi je me sens déjà français crie Wald de joie, puis il ajouta avec enthousiasme. Je suis le nouvel Amadis de Gaule.

    Miami, le 24 octobre 2014

    Bat Yam le 27 janvier 2022

     

     

     

    Personnages :

    1 Papy David. Un humaniste. Opposant du régime. Il est 2 fois père de Wald.

    2 Anna, la Maman de papy

    3 Lucia, la sœur de Papy

    4 Isabel dite la Jézabel. La grand-mère indigne de Wald. Réactionnaire, conservatrice odieuse et de mèche avec les satanlazaristes.

    Son fils 5 Claudio, Sa bru 6 Virginia morts en Angola

    7 Wald, taquin et malin. Très éveillé pour son âge. Orphelin âgé d’un peu plus de 10 ans. Conçu avant mariage. Il est la honte du village bienpensant. Ses parents, Claudio et Virginia sont exilés en Angola, comme des indésirables par le père Trampoline. Ses parents, bien que sympathisants de l’indépendance sont assassinés ,parce que blancs, par le MPLA lors d’une manif en 1961.

    8 Karina cousine de Wald. Une chipie  

    9 Oliverio l’Hérétique, ami idéologique de David. Aime Wald comme un fils et de même avec Rachel.

    9 La Rachel la religieuse amoureuse de papy et une maman pour le petit Wald. Forte opposante et critique du père

     10 Trampoline la marionnette et taupe du Satan et dictateur National 11 Satan Lazar et comparse des riches du village.

    11 Mlle Imelda Ma maitresse de Wald républicaine qui s’adapte tant que mal à la démocratie et à la dictature dont elle est fonctionnaire.

    12 Le Régisseur du village petit collabo du fasciste.

     


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    ***

    « Today ! Today ! »

    Mister Obama President

    The first metis man president

    Of United States

     

    Today ! Today !

    Oh Mrs Hilary

    First lady president

    Of my beautiful country U.S.A.

     

    Today! Today ! Today!

    Is a nice Sunday
    The best day of the week
    And August the best month of the year.

    In the Florida Garden
    There is a bird looking at the sky

    But my Florida goddess
    Tell me, tell me why ?

    All happy, very happy
    The sun in the heart.
    Feathers of all colors:
    Black, white, yellow, blue, green, red ...

    The black feather is sadness

    The white feather had nostalgia
    Gold in yellow feather
    The blue feather light of nobility
    The green feather dreams of hope
    The red feather a lot of love.

    In the Florida Garden

    There is a bird looking at the sky
    All happy, very happy
    The sun in the heart

    But my Florida goddess
    Tell me, tell me why ?


    A rose petal in the beak,
    A tear in the eye,
    Singing nostalgic songs
    from sunrise to sunset.

    Oh my God ! Oh my God !

     

    In the Florida Garden
    There is a bird looking at the sky

    But my Florida goddess
    Please, tell me, tell me why ?


    O my Saint Anthony of Lisbon
    How handsome he is !

    The bird of Florida Garden


    The black feather is sadness

    The white feather had nostalgia
    Gold in yellow feather
    The blue feather light of nobility
    The green feather dreams of hope
    The red feather a lot of love.


    In the Florida Garden
    There is a bird looking at the sky
    All happy, very happy
    The sun in the heart

    But my Florida goddess
    Please tell me, tell me why ?


    A rose petal in the beak,
    A tear in the eye,
    Singing nostalgic songs
    From sunrise to sunset.


    Oh my God ! Oh my God !

     

    O my Saint Anthony of Lisbon
    How handsome it is !
    The bird of Veverly Garden!

    I wake up every morning
    Peck on my head
    Listening to music songs
    The bird of Florida Garden…

     

    Oh my God ! Oh my God !

     

    In the Florida Garden

    There is a bird looking at the sky
    All happy, very happy
    The sun in the heart

    But my Florida goddess
    Please tell me, tell me why ?


    Vannes, 28/08/2016
    Virgile ROBALLO

     

     

     

    “The bird of night and day”

     

    It's a bird with feathers
    So light and bright,
    It sings all day
    From morning to night
    It thinks of me when sleeping.

     

    Oh poor and unjust reality
    I do not want you
    Does going very far
    I want to live the dream
    It’ is better for me


    Oh my bird of night and day
    You must arrive to stay !


    I think unfortunately
    I shall never see,
    Such exotic bird
    My lovely tree.

    Oh that's nice
    This bird of my dreams
    Oh my bird of night and day
    you must arrive to stay !


    It's a bird with feathers
    So light and bright,
    It sings all day
    From morning to night
    It thinks of me when sleeping.

    I'll look forward to the day
    I'll wait all night
    When the bird arrives

    And comes to stay.


    Oh my God !

    What do I have to do

    What do I have to think

    What do I have to tell you ?

    Oh my bird of night and day
    You must arrive to stay

     

    Vannes 28/09/16

    Virgile ROBALLO


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    POESIE EN ESPAGNOL

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    1

    « La Casa està abierta »

    Mi casa no tiene puerta
    mi corazon no tiene llaves
    Mi alma siempre abierta 
    al cielo a la tierra y el mar

    Mis amigos todos a cantar

    Mi casa enamorada

    Nunca cerrada

    Entra en cielo la tierra y el mar

    Mis amigos todos a cantar

    Las ventanas abiertas abiertas

    De par en par

    a la sombra a la luz

    a la vida alegre  sin cruz

    al sol, al agua y al aire
    que vengan  los hombres
    las mujeres y los niños
    la luz y todos los colores
    venid llegad entrad
     la puerta està abierta
    mis queridos amores
    donde estàis  pajaritos ?
    sois muy bellos
    y todavia màs guapitos
    entrad  las rosas
    con vuestras mariposas
    venid  todas las fl ores 
    de todos los colores...
    venid a mi casa
    de paja de piedra de madera
    alli seréis felices,
     la vida intera !...

    Vannes 2014

    Virgile ROBALLO

     

    8

     

    "La Poesia "
    Vaya! Vaya! La poesia!
    De palabras en harmonia
    De la musica en melodia
    De Pajarito volando
    De  entre valles y montanas
    De aire azul, y frescura
    De amor,
    De caricias
    De ternura
    Debajo del sol y por encima
    De las negras y grises nubes
    De entre sombras, penumbras y luses...
    Vaya ! Vaya ! La poesia
    De pajarito blanco y negro
    De Groelandia a la Patagonia
    De alegria cantado
    De entre fresnos y encinas
    De lagos, embalses y marinas
    De piedras, de tierra, de argila
    De madera navegando por mares y rios,
    De todos los corazones enamorados
    De los simples, de los ingenuos y sencillos.
    Que vaya ! Que vaya ! La poesia
    De mariposa volando
    De flor en flor
    De casi todos los colores
    Del verde al amarillo
    Del azul al rojo olor de baunillo
    Que vaya ! Que vaya ! La poesia
    De vuelo de musica
    De pajarito, tan lindo
    Cantando por la Pampa
    Sembrando sus plumas
    Por encima de las sierras
    Por debajo del sol de oro y de plomo
    Por entorno del brillo de las estrellas
    Del por medio de la argentina espuma
    Por todo lo largo de la noche y del dia
    Sembrando su canto y sus plumas
    De todo el alto de la blanca y metalica Luna.
     

     

    Cannes et Vannes Décembre 2022
    Virgile ROBALLO
     
    Entre les chemins,
    de Cannes et Vannes
    Galopent sous le capot,
    110 chevaux
    Rient sous les sabots les mulets heureux
    Se moquent dans leurs oreilles les ânes !
     

     2

     

    « Guadalupe »
    tu nombre es español
    por eso todos los dias
    en ti brilla el sol

    y el honor de tu gente
    me hace pensar
    al de un hidalgo

    Tu eres Europea
    africana 
    Asiatica
    cosmopolita
    Tù eres muy rica!....

     

    3

     

    « Me voy me voy »

    para Africa

    abrazar

    mis amigos

    mis hermanos

    mis primos

    de Angola

    me voy para Africa

    bailar Kudurro

    hablar português

    querer a la gente

    aprender

    descubrir

    vivir

    sueño Grande

    corazon pequeño

    quiero sentirme africano

    y Angoleño

    Bretaña 28/12/12

     

    4

     

    « Vengo Vengo »

    Vengo del fin del mundo

    vengo de otras tierras

    del cabo Finisterra

    del galaicoportugués

    de Portuscale

    de la grande Galicia

    con murriña

    con saudades

    Tierra verde

    de leyendas

    de milagros

    de cuentos tantos

    lacôn con grelos

    de polvo y broa

    santiago, santiago

    para qué tantos

    santos !

    que baila a cantar

    entre tierra agua y mar

    oigo la mùsica de la gaita

    los gritos del pandero

    siento sus delicias

    y la murriña

    en sus caricias !

    Virgile ROBALLO

    Bretaña 28/12/12

     

    5

     

    " La Dulcinea "

    La Dulcinea

    es la flor del amor

    del Toboso

    y yo de la Doña de Florida

    seria muy goloso !

     

      Dulcinea

    es la flor del amor

    de la ciudad de Salamanca

    de Don Quijote

     El ilustre caballero

    de la Blanca Luna

    sin  plata ni dinero.

     

    Oh caballero de la Mancha

    siñoria de Sancho Panza

    Pero dônde està  Rocinante ?

     

    O majestuoso Rocinante

    caballo delgado

    y delicado

    tu entrastes

    como un hidalgo

    en la literatura

    y el burrico de Sancho

    en la caricatura !

     

    Que venga ! Que venga

    En mi lindo castillo

    Mi señora Dulcinea

    Sancho date prisa

    prepara la mejor cama

    Para la màs hermosa Dama

     

    Pues sepa vuestra  merced

    Mi señor mio Don Quijotte

    Aunque mi montura

    no sea de tanta estima como la suya

    para su Senhora de Haïti

    corre ya a trote !

     

    Vannes 28/12/12

    Virgile ROBALLO

     

    6

     

    « Juego en español… »

    imitacion con amor

    de un escritor

    de mi juventud

    juego !

    con los verbos

    Y los adverbios :

    Por aqui

    Por ahi

    Por allà

    A Catluña se va

    Por aqui,

    por ahi,

    por  allà,

    por alli

    a Bretaña se va

    Pero yo me quedo

    Mi amor

    Contigo

    Cataluña 5/08/2012

    Virgile ROBALLO

    7

     

    « Ma dulcinée »

    Dans mon joli cœur
    Dans cette triste âme
    Dans mon grand infini esprit
    Dans mon amour sans amour imaginé !

     

    Ô flor de los ensueños
    Del tan ilustre caballero
    De la Mancha
    En su rocinante va a galope
    Camino de polvo derecho o tortuoso
    Se va Don Quijote
    En busca de su Dulcinea del Toboso


    Avec tes yeux je cours sur les lettres sur les mots
    Je cours sur les pages, l’une, après l’autre, l’autre après celle-ci
    Je saute sur les lignes de haut en bas puis après une pause de bas en haut.
    Mais ma jolie Dulcinée,
    Je respire en respectant la ponctuation
    Je m’arrête, je respire à chaque virgule,
    Je t’interroge avec un point d’interrogation
    Je m’exclame pour toi au point d’exclamation
    Mais je me tais ma Dulcinée fatale
    Et t’aime en silence
    A chaque point final !
    Pendant toute la lecture de mon livre
    Je te cherche, je te recherche
    Mais vais-je te trouver
    Dulcinée
    Ô rêve
    De notre
    Vie?
    Vannes 27/01/16
    Virgile ROBALLO
    * Don Quichotte ayant besoin d’aimer, et n’ayant point de bien aimée décida d’en créer une: Dulcinée, l’amour de ses rêves et des nôtres.


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    Poesia em Português

    (Poésie en portugais)

    Virgile ROBALLO

     

    1

    POESIE EN PORTUGAIS

     

    « O Eusébio »

    No dia 5 de Janeiro

    Eu subi ao outeiro
    Vi no mar barcos navegar
    Vi também a terra verdejar
    Depois me lembrei do Eusébio
    E me pus logo a chorar.


    Em janeiro, ele se foi
    forte como um boi
    corajoso como um leão
    valente coração.


    Habilidoso futebolista
    Na equipe tombou a pique
    Bem-vindo jovem de Moçambique
    O poéta jogador.


    Correu, entusiasmou, driblou, chutou, atirou,

    Marcou ! Marcou !
    Goooooolo ! Do Eusébio !

    Gritava na radio fascista

    O sr. Nuno Bràs !


    Marcou forte, fortissimo o moçambicano !
    Mas que belo golo marcou o benquista
    E moçambicano ! Orgulho de Portugal
    Aï vai para a vitoria a equipa nacional


    Eusébio ! Eusébio !
    Moçambique ! E Portugal !


    O Eusébio moço lindo europeu
    Não o digo sô eu !
    Tez de pel  negra

    Linda cor africana.


    Bom Coração, e  como elle
    Moçambiques, Cabo verdes, Guinés, Angolas …
    Ô Brasils !... hoje tantos
    Pretos ou negros, mestiços ou brancos !

     

    Vitor Bahia

    Peyroteo, Pélé e Pepe

    Zico, Jordão, Neymar, Figo,

    Oswaldo Silva, Ronaldo e Nani…
    São tantos, fiquemos por aqui.

     

    Vannes 05/01/2016

    Virgile ROBALLO


    2

     

    « Lusitanidade »

    Lusofonia

    Ou Galaicofonidade

    Galaicofonia

    Meus amigos, Isso é sô

    Palavreado  de cada dia…

     

    A verdade muito verdaira

    Temos diferentes paises

    Mas a nossa  patria

    é a lingua

    Portuguesa

    Corpo, coração e alma inteira

    Nossa lingua

    Cria amizade

    Amor

    E na sociedade harmonia.

     

    Meus amigos

    Minhas amigas

    Meus primos ou meus hirmãos

    O português

    Trabalha

    E ralha

    Dorme

    E descansa

    Canta

    E ama

    Chora

    E joga

    ri

    E brinca…

    Como menino

    No nosso coração !

     

    Vannes, 15/09/2016

     

    3

     

    « Mais que o seu nome  »

    O Eusébio !

    Ontem idolo nacional
    E do Império colonial
    Também simbolo d’essa mitica amizade
    Sê hoje união de toda essa lusitanidade.


    O Eusébio :

     

    É mais que o seu nome

    É mais que português

    É mais que moçambicano

    É mais que benfiquista

    É mais que o grande jogador

    Seja là isso como fôr

     

    Ô Eusébio !

     

    De uma vez
    Sê outra vez
    União deses povos

    Que falam tão lindo, seu português !


    E com graça, tão diferentes !...


    Mas onde està a dificuldade ?

    Diga là ! Ô minha beleza

    Diferença é qualidade

    É cultura de riqueza !

     

    Não foste tu ô Eusébio …
    Homem europeu
    Jovem africano
    De todos orgulho e gloria !
    O Mundo imenso de falar lusitano ?

     

    Uns 11 Milhões de quilômetres quadrados

    Uns 270 milhões de pessoas

    Corações juntos e mãos dadas

    Na Europa, América, Africa e Asia

     

    Todos Homens

    Prêtos, brancos,

    Mestiços e cinzentos

    Todas mulheres

    Cravo e canela

    Também é linda

    Essa côr amarela

     

    A Historia !

    Como em todas as familias

    A vida
    Por vezes boa e outras mà
    Mas que tem isso pà !
    É tempo, està na hora
    Hà que ter conciencia
    Temos uma comum historia!


    Virgile ROBALLO

    Vannes 05/01/16


    Eusébio DA SILVA  FERREIRA dit «Eusébio» et aussi «A Pantera Negra» est  un footballeur portugais de Benfica  et de la Seleção Nacional, appelée aussi

    «A equipa das Quinas».

    Eusébio était un des meilleurs footballeurs dans les années 60. Ballon d’or,  victorieux de «la Champions» avec Benfica en 1961/62 et plusieurs fois finaliste. Il fut la star de la coupe du monde en 1966 où l’équipe du Portugal surnommée «Os Magriços» termina 3ème.

    Eusébio était d'origine mozambicaine où il naquit le 25 janvier 1942 et décéda à Lisbonne le 5 janvier 2014 

     

    4

     

    « Ele se foi »

    O Eusébio

    O senhor Eusébio da silva Ferreira

    Ele se foi tão depressa

    Terminou a sua carreira

    Jà não fala

    Jà não joga

    Jà não marca afinal

    Que pena ! não estar na equipa de Portugal

     

    Mas fica aqui uma promessa

    O Eusébio jà se foi

    Ô meu deus ! dia 5 de janeiro

    Dia de saudade triste e feio

    O sr Eusébio nunca se esqueça !

     

    Voltou ele para Moçambique ?

    Não sei tanto

    Brincando no bairro com meninos brancos

    Isso sim isso não ! que ideia!

    Està com meninos negros  do Muceque

    Jogar  bola na areia

    Ai ! Ai ! Ai ! Ai !

    Se foi ele pr’à Africa

    Encontrar sua mãe e seu pai

     

    O Eusébio foi de barco

    Foi para o mar

    Dias e noites anda ele

    A navegar, a navegar.

     

    Està cansado, està cansado

    Mas onde està aquele bom rapaz

    Comendo natas de belém no chiado ?

    Orichàs dai ao Eusébio descanso e paz

     

    Ô ondinhas do mar vamos acalmar

    Ô vento deixa de soprar

    O Eusébio està dormindo

    Não va ele acordar

    Deixai o nosso Eusèbio

    Descansar, descansar !

     

    Vannes, 14/09/2016

     

    5

     

    « Todos sabem seu nome de cor »

    Muitos meninos dos Muceques

    De Moçambique, et Angola

    Por esse Mundo e neste païs fora

    Nem sequer conheceram

    Eusèbio  “ a Pantera Negra”

    Calções verdes ou brancos

    Meias e camisola encarnada

    Com a àguia ou as quinas estampadas

    Mas sabem seu nome de cor

    Gritam seus golos em clamor !

     

    ô Eusébio ! ô Eusébio !

    ô Eusébio !

     

    Com grandeza e una raiva tão especial

    Là vai ao ataque toda a equipa nacional

    Brilham na tarde de domingo

    Verde, amarelo, vermelho  e tal

    As lindas cores de Portugal

     

     

    No atardecer de domingo

    O sol jà està meio ébrio e sozinho

    Todo triste jà se põe

    Mas ainda relata o final do jogo

    O Artur Agostinho

     

    Grita para se sentir libre

    Das duas equipas a rivalidade

    Na  Emissora Nacional

    Salazarista sem Liberdade

     

    Meu menino !

    Você jà esqueceu ?

    Futebol e religião

    Esquecia a vida dura

    Daqueles temos da ditadura

     

    Relata gritando na onda

    Para não ficar atràs

    Aquele sr. Nuno Bràs

     

    Là vai a selação Nacional

    Corre o José Augusto na linha lateral

    Centra o capitão Màrio Coluna

    Que linda é esta turma

    Cabeça na barra do Torres

    Dribla, finta outra vez o Simões

    O estàdio da Luz està todo èbrio

    Tira forte é golo, é golo…,

    É golo do Eusèbio !

     

    6

     « Olà ! Olà ! Olà ! »

    Senhora admiràvel sportinguista

    Seja là como fôr

    Olà  sr Doutor

    Da minha linda Académica

    A Briosa !

    Moça vestida de branco ou negro

    Ela é sempre vaidosa.

     

    Ô senhor alfacinha,

    Senhor portista e tripeiro

    Naquele tempo é que era futebol

    Não havia salarios escandalosos

    Ganham eles mais em um dia

    Que o cidadão em toda a sua vida !

     

    Não é indecente isso

    Senhor do lindo Sporting de Portugal

    Veja là senhor portista

    Do patriôtico Equipamento

    Bonitas Cores da bandeira monarquista

    azul e branco

    Diga là Seu Tripeiro !

    Os salarios deles não é demais dinheiro

    Talvez sim ! Talvez não!

    Falou com sapiencia

    Um fan dos impostos d’Olhão

     

    Por isso e outras cousas,

    Oitras coisas seu americano

    Sigue Sempre vivo o Pantera Negra !

    O Moçambicano

    O Português

    O Africano

    Não senhor, o Nosso Eusébio

    Nunca, nunca jamais, morreu

    Isso e tudo mais, digo eu !

     

    Para lhe agradecer mesmo

    Tantos e Quantos

    Essa malta valente

    Do Fernando Santos

    Conquistou com garbo

    O Europeu !

    Jà não foi golo do Eusèbio

    Mas desse português da Guiné-Bissau

    Chamado  Eliseu !

     

    Lorient, 10 de julho 2016

    Virgile ROBALLO

     

    7

     

    « O Pantera Negra »

    Mas ele se foi ?

    Se foi

    O meu lindo Muleke !

     

    Os meninos do Muceque,

    da Lixeira

    Sabem quem foi e quem era

    A negra pantera

    O Sr. Eusébio da Silva Ferreira.

     

    Os mais idosos conheceram bem

    Do estado da Luz era o Rei

    Verteram limpopos, Sambézios

    De prateadas làgrimas

    De saudade, de tanto orgulho.

     

    Mas que é que eu sei ?

    Se foi o Eusébio

    Mas para donde ?

    Que queres que eu te diga ?

    Eu que sei ?

    Foi para o mar navegar

    Foi para a Africa descansar

    O que eu sei ?

    Que Também

    Chorei !

     

    Chorei pelo Eusébio

    Chorei pela Pantera

    Chorei pelo Muleke

    Chorei pelo português,

    Chorei pelo Mocambicano

    Angolano,

    Cabo verdiano,

    Guineense

    Saotomense

    Macauense

    Timorense

    Brasiliense

     

    Mas o que é que eu sei ?

    Que Muito chorei

    Que as làgrimas se vão

    Mas tu Eusébio

    Não vas ! Não !

     

    Virgile ROBALLO

    Vannes 14/01/16

     

    2 HOMEM VIDA E PENSAMENTOS

     

    8

     

    « Homem,tempo de vento »

    é a chuva

    é o vento

    é o sol

    é a neve

    é dia de nevoeiro

    é moça nova vestida de branco

    flores, confetis,  no dia de seu casamento !

     

    O Homem

    É como o tempo

    É como a chuva

    É como o vento…

    Mas um dia deixa de chover

    E o vento deixa de soprar

     

    Outros dizen :

    O Homem é sopro de deus.

    Talvez sim e, talvez não,

    Mas eu sei que homem

    é fruto de amor.

    Ele cresce, elle vive

    E um dia  ele desaparece

    E aparece na continuaçao do seu amor

    O  tempo é vento que deixa de soprar

    O Homem é veleiro no vento a navegar

    O tempo  não se vê

    O tempo nao fala a ninguém

    Porquê ?

     

    Là vai indo ele coração molhado

    As  vezes se põe a cantar o passado

    E chorando no presente

    Mas esperando un futuro sorridente.

    O Homem é muito caprichoso

    Nunca se pode contentar !

    Vai deixando para tràs a juventude

    E a velhice para a frente vai levar

    Ô Homem !

    Não seja mais teimoso !

    Esteja mais quieto !

    Ele nunca sabe parar

    Me diga com toda verdade

    É você como o tempo

    Como a chuva

    É o senhor como vento !

    Ô Homem !

    Tempo de vento,

    Porquê deixas-tu  um dia  de soprar ?

    Vannes 16/01/16

    Virgile ROBALLO

     

    9

     

    « A vida » 

    Se na vida fazemos
    o que nos parece bem
    estamos com Deus
    se não o fazemos
    " Adeus" !

    Isso sim, meu amiguinho
    estamos no mau caminho
    tristes

    e
     sozinhos !


    De Nôs depende …

    o bem e o mal também.
    Se na vida fazemos
    o que nos parece bem
    estamos com Deus
    se não o fazemos
    " Adeus"


    Mas Deus existe ?
    Pergunta idiota!
    E isso que t’importa !


    Eu sei
    que é bem
    que ele exista
    para que o Homem
    não seja pessimista
    e leve mais facilmente
    a dificil vida adiante
    e para evitar

     

    Ô Homem feito de poeira terra e mar !


    que no momento da morte
    não tenha papéis
    não tenha passaporte.

     

    E Mais !
    Não saiba pr’a onde vai
    não tenha um  Pai !

     

    Mas eu sei

    Mas eu sei

    Que Deus està farto

    Sim està farto

    Cada dia

    Tantos pedidos atender.

     

    Mas Porque Diabo

    Somos nôs incapazes d’enfrentar

    Os problemas que cada um tem que levar

    E sempre pedir a deus

    O que a Nôs incabe fazer ?

     

    Minha amiga, meu amigo

    Deixemos Deus tranquilo

    Cessemos de viver pedindo

    Para não sermos

    Uns coitadinhos

    Uns pobres

    Pobrezinhos.

     

    Assim Deus ficarà contente

    Estarà Contigo

    E comigo

    Iremos todos pr’a frente !

    A Vida é linda

    Tenha là dentro o que ela tiver

    Vida é cabeza alta

    é cara de homem

    E ainda mais de mulher !...

     

    Pénestin 07/08/16

    Virgile ROBALLO

     

    10

     

    « Vamos là subindo ao Céu »

    Ô Minha linda Menina

    Vamos là subindo ao céu

    Pois hoje é dia da senhora Maria

    Ela também quer subir jà ao céu

    No seu vestido azul e branco véu,

     

    Mas não deixe ela subir

    Essa senhora pode subir quando quer

    Venha, se despache menina

    Hoje nos toca a nôs dois até là ir.

     

    Uma e outra vez, subir, subir ao céu

    Me dê ! Me dê !

    Jà sua suave mão

    Tome là ! Tome là !

    Este meu lindo coração.

     

    Hoje estamos a Quinze d’Agosto,

    Dia de Maria, dos Prazeres e Gosto,

    Dia nosso também e de tanto calor

    Este Sol està esquentando tanto

    Ainda algum milagre por aï vai chegar.

     

    Aproxime ! Aproxime !

    Minha menina, eu muito creio,

    Entre sorpresa e espanto

    Desse grande calor

    Vai nascer nosso amor.

     

    Menina me deixe ir

    Ir para o seu mar

    Ir dia e noite navegar

    Deixe meu coração à vela refrescar

    Me deixe Menina nas suas ondas saltar.

    Ai ! Ai ! Menina

    Uma corrente d’agua quente

    Acabo de descubrir no tão fundo mar

    Ela vem de uma  profunda  nascente

    Menina, me deixe aprofundizar !

    Ai ! Ai ! Menina

    Menina venha comigo

    Suas velas brancas, bem abertas ao ar

    Là vamos nôs dois  por aï fora

    Lavrando juntos pelo alto mar

    Aï ! Aï ! Aï ! Aï !

    Ô Menina não tenha medo do mar

    Venha comigo navegar navegar

    Se não subirmos ao céu como Maria

    A algum porto havemos de chegar !

    Aï ! Aï !  Aï !

    Menina venha comigo

    Venha comigo para o nosso mar !

    Para qué ir para o céu de Maria ?

    Ai ! Ai !

    Ô minha linda Menina

    É sempre juntinho a ti

    Que eu quero por aqui ficar !

     

    Pénestin 15/08/16

    Virgile ROBALLO

     

    NAVEGAR NAVEGAR PELO  ALTO MAR

     

    11

     

    « O Luzitania »

    O meu veleiro

    Não é assim 

    Tão pequenino ! 

    Nele vou livre como vento 

    Me sinto como homem e menino ! 

     

    Ô Menina, eu quero você levar

    Contigo eu quero sô nagegar

    Lavrando as àguas verdes do mar

    Depois com nosso amor as semear

    Novas terras encontrar

    Ter o lindo prazer

    De nosso amor ver ali crecer

    Menina eu quero

    Por todas partes

    Admirar a amizade em flor

    Ser um feliz navegador 

    No meu Luzitania 

    Ir até à longinqua

    Oceania !

    Dar-lhe a conhcer

    o meu querido amor

    E a minha linda Lusitania!

     

    Quero navegar, navegar

    Quero saltar, saltar…

    Com o meu Luzitania

    Nas ondas do alto mar !

     

    Não ! Não !

     

    Mas ô  senhora

    Sem proa

    Fique aï dando ais

    Ciumenta nesse cais

    O meu barco, là é barco

    Não diga coisas à toa

    Ele não é là tão pequenino

    Lhe digo

    Pois é o meu barquinho !

    e mais !

    No mar vai ledo

    e não sozinho!

    Guadeloupe 2010

    Virgile ROBALLO

     

    12

     

    «O meu veleiro»

    Veleirinho meu

    meu barco

    O meu barquinho

    não é là assim

    tão pequenininho !

    ele é teu, elle é meu !

    que lindo é o nosso

    barquinho !

     

    Ô meu amor

    Quem me dera

    ser um valente lavrador

    Lavrando o mar

    ser um feliz navegador 

    com teu amor ! 

     

    Mas que prazer 

    contigo 

    No meu Luzitania 

    as ondas verdes azuis 

    do alto mar 

    cavalgar

    Nunca mais voltar

    noite e dia navegar

    pelas longinquas àguas do alto mar

     

    ô Lusitania!

    navegar meu barco amigo

    Fugir contigo

    Livre

    Nunca mais voltar !

     

    Bretagne 19/01/12

    Virgile ROBALLO

     

    PARTIR E LOGO VOLTAR

     

    13

     

    « Partir e logo voltar »

    Eu me quero ir

    Desta linda ilha fugir

    Ir navegar

    Pelo amoroso mar

    Contente de partir

    Para logo voltar

     

    Ô meu Lusitania!

    Dizem que es barco pequeno

    Porém eu digo

    Es barbarco de tanta fama

    Para quem te ama

    Para quem quer navegar

    Pelo belo e lindo mar

     

    Como cavalo

    Ele quer correr,

    Quer ainda mais saltar

    Pelas vagas do mar

    Quer regressar ao porto

    Todo orgulhoso

    Asas brancas todas abertas

    Seu amor abraçar

    E logo depois, se pôr a cantar !

     

    Mas tem calma

    Meu barquinho

    De lago azul

    De ribeiras verdes

    De rios vermelhos

    Todos cheios de lodo

    Um dia tu voltas para o mar

    Navegar, navegar

    ô meu amor

    Esse dia, hà-de chegar !

     

    Parte ! Parte !

    meu barquinho

    Mas para logo voltar

     

    Guadeloupe 2010

    Virgile ROBALLO 

     

    14

     

    « Na volta do Mar »

    Olà !
    Muito obrigado
    pelo seu poema
    que guardei com cuidado
    no meu jardim encantado
    com muitas flores
    que crescem 
    na quinta dos amores
    em coimbra
    em Sezimbra !


    e também nas praias da Guadalupe
    donde està a minha chalupe
    com vontade de cavalgar
    pelas ondas do mar
    das Caraibas
    e também das Antilhas.


    Fernando Pessoa
    disse muito bem

    Traduzindo a portuguesa dor

    Mas quão grande escritor

    Ele não podia escrever à toa


    “Ô mar quanto do teu sal
    são lagrimas de Portugal”


    Mas eu diria  
    com humildade amor e harmonia
    Ô mar quanto do teu sal
    são pérolas de cristal
    que brilham de amor
    no meu jardim azul

    São todas para ti

    Põe elas no vaso d’amizade
    ele fica lindo

    São as minhas flores!


    Guadeloupe2011

    Virgile ROBALLO

     

    SENTIMENTOS POR TERRA E MAR

     

    15

     

    « Amizade agradecida »

    Olà amigo(a)
    ainda outra vez
    Merci /gracias/Obrigado
    mesmo se eu nunca te vejo
    eu te tenho pelas palavras
    na minha mente
    que o meu coração
    não desmente

    Ô Minha Amiguinha

    Que levo,

    Vou levando

    No coração desta linha

     

    Talvez eu não te saiba
    dizer e escrever

    Qu’ à Amizade
    é irmã desta grande

    Saudade !

    Guadeloupe 2010

    Virgile ROBALLO

     

    16

     

    « Olà  como està você … ! »

    Seu cara francês !
    Muito obrigado
    pelo sua amizade pela sua… !

    que guardei com cuidado
    no meu jardim encantado
    com muitas flores
    que crescem na quinta dos amores
    em Coimbra
    e Sezimbra
    e sobretudo nas praias da Guadalupe
    donde està a minha chalupe

    Lusitania e Britania…
    com vontade de cavalgar
    pelas ondas do mar
    das Caraibas
    e também das Antilhas
    Navegando sempre
    pelo mar da Lusilandia
    e mesmo da
    Pensilvania E da Groenlandia  !
    e mesmo mais acima !...

    Virgile ROBALLO

    Guadeloupe 10/12/2011

     

    A MADEIRA NAVEGANDO VAI PELO MAR

     

    17

    « Ilha da Madeira » 

    Ô Minha amiga

    eu não conheço bem
    Tens vontade  de amizade

    Amiguinha minha

    Anda vem ! Vem comigo

    A ilha da Madeira.


    Isto não é mais que um começo

    Anda ! vem
    Façamos como os pasarinhos
    que quando se vestem,

    com as suas penas
    Que ainda  são pequenas
    querem voar,

    respirar novo ar

    querem nas sondas saltar

    e là no céu tão azul navegar,

    Navegar no alto e à beira mar…

     

    E cà em baixo

    Nas praias as meninas a chorar

    e os meninos contentes a cantar

    que lindo, que lindo navegar no mar !

     

    Os passarinhos

    Piu ! piu ! piu ! tirlim ! tim ! tim !

     

    Menino !
    têm pressa de sair

    do seu berço

    têm calor, têm tanta vontade

    de frescura, de ar puro respirar
    e outros amiguinhos e amiguinhas encontrar!

     

    Ô Minha amiga
    Faz como os passarinhos

    Vem beber un copinho

    Do nosso gustoso vinho

     

    Mas com cuidado

    o vinho da Madeira

    não é nenhuma brincadeira”

     

    Anda d’aï minha amiga !

    vem  à Madeira
    Tomar uma grande bebedeira

    De singela amizade !

    Vem ! vem !
    Vem dar satisfação,

    à tua curiosidade

    e também à tua liberdade

    e depois da nossa amizade

    fazer paixão.

    Bretagne 18/01/16

    Virgile ROBALLO

     

    18

     

    « O Negocio »
    Meu caro cliente

    Meu amigo

    Olhe você me dà um pouquinho

    Sim tão pouquechinho

    Dinheiro

    Mas é tão barato amigo

    Que redução lhe posso eu fazer?

    Sim ! sim ! compreendo

    Sua introjice estou vendo

    Està negocio feito

    Lhe estou eu a dizer

    Fica em dez por cento !


    Aperte aqui seu bacalhau

    Mas você me deixa seco como pau

    Mas eu sei, você não é cliente mau

    Muito agradecido

    Muito grato pelo seu dinheiro

    Sabe, me està fazendo falta

    O que eu quero

    De verdade é ir longe, até Timor

    De mãos dadas com o meu amor !

     

    Belo é o dinheiro

    Olhe encargue-se da nossa casa

    Eu o que quero é  ser timorense ou timoreiro

    Uma semana, um mês, um ano inteiro !

    Guadeloupe 2010

    Virgile ROBALLO

    19

    « A menina da Janela »

    voltou a casa

    e não se enfada

    à janela està
    penteando sua bela cabeleira
    ela é
    pois é
    azul, cruz de Cristo, amarela...

    Serà ela da ilha Madeira

    Mas que linda està ela !


    entre cortina e cortina
    da bela janela
    encantada
    e eu olho para ela
    admiravel princesa
    de quem se desprende
    tanta paixão e beleza !
    e de mim ?

    Alegria, admiração e solidão

    E mais que tristeza…

     

    Vannes Octobre 2012

    Virgile ROBALLO

     

    20

     

    « Feliz Natal »

    Com iniciativa pessoal

    bastante coragem individual

    e depois, Benção do Pai Natal !

     

    felicidade

    harmonia

    amizade

    a toda a

    idade !

     

    Deus està là ?

    - não sabemos donde.

     

    talvez ocupado

    con seus amores

    para esquecer

    todas

    as suas

    dores !

     

    e nôs ?

    Vamos là ver se desta vez

    Somos capazes

    somos livres

    Livres, livres

    de:

    criar

    imaginar

    nossa vida

    minha amiga

    meu amigo

    pois então !

     

    Deus està farto

    De nossos pedidos !

     

    Vamos là ver se desta vez

    Somos capazes

    De levar

    Como Homens

    Nosso destino !

     

    Tel Aviv décembre 2014

    Virgile ROBALLO

     

    SENTIMENTOS D’AMOR FEMENINOS

    21

     

    « Moça dos Olhos Negros »

    Verdes amarelos
     Almeida Garrett
     Novo Anno
     penteando sua bela cabeleira

    sombra fresca de laranjeira
     não  esquece

    minha presse!
     ela é
     pois é
     verde azul amarela
     toda a tropicalidade Brasileira
     entre as duas cortinas
     bela janela
     encantada
     olhando  para ela
     admiràvel princesa
     se desprende
     toda beleza

    Caminhando leda

    Pastoril vereda

    Ibicoarà Itaetê Mucugê Palmeiras

    Grutas cavernas ribanceiras

    Chapada Diamantina

    Suor labor

    Toda a lindeza brasileiraa

    Là vai ela

    Caminhando pela Natureza !

    Coração de ouro

    Brilhando de amor

     

    Melbourne USA 20/12/13

     

    22

     

    « Menina dos olhos verdes »

    A menina dos olhos verdes
    andando vai pelo caminho

     

    Daquele verde monte

    Debruçado sobre o mar

     

    O Sol

    Todo rosto de regozijoo

    lhe envia maliciosos sorrisos

    Ternuras mil

    De todas as cores.

     

    Os passarinhos

    Rios fesquinhos

    Lindos como meninos

    Vestidos de branco linho

    Cantando estão

    E com jeitinho

    voando voando vão

    De flor em flor

     

    Ô Menina

    Dos olhos verdinhos

    Que sorte tens

    Os passarinhos

    Te dão  molhados beijinhos

    Cheios d’ amor!

    Vannes le 15/11/2012

     

    23


    « Portugalia »

    Portus cal
    Cais do porto
    Portulandia
    O Lusilandia
    pais Grande
    pequenino
    pequenininho
    como dizia o meu filhinho
    Oswald
    na idade tenra e angélica
    em balde.


    Ô Portugal !


    Pais de meus avôs
    Portugal, Portuscale
    Portulandia
    ou Lusilandia
    Ô Terra minha
    Terra de meus pais
    Como tu não hà  igual !

     

    Ô Portugal !


    Tantos anos jà

    Là vão ! Là vão !
    para além do mar
    que vejo no teu olhar
    para além da serra
    para cà da montanha

     

    Mas aï vem a minha linda Bretanha
    Toda ciumenta jà me reclama

    Mas porquê ?

    Sim ! Hà um passado

    Sim ! Sempre enamorado

    Ô Bretanha

     

    O Breizh

    Degemer mat e Breizh 

    O Breizh, ma m’gar ma bro 

     

    Eu te amo !

    Tu me amas

    Mas fica quieta e tranquila

    Ô minha Bretanha !

    Bretagne 20/11/2012

     

    24


    « Era uma vez »
    um rapaz

    Um moço
    um homem

    O rapaz falava português

    O moço gustava de espanhol

    Mas porquê

    Adorava tanto o homem amar em francês
    O pobre

     não falava bem português
    ainda que goste brincar
    com a mùsica das fonemas

    com a cor dos poemas

    com o perfume das letras

    imagens ritmos e tetras

    olà meu lindo sol do espanhol
    Ô canto do mar em português
    Que viva o meu suave

    e açucarado francês.

     

    Guadeloupe 2010

     

    25

     

    « O princezinho(a) »
    Jà està cansado

    Seu coração todo amachocado
    sempre a trabalhar neste ordenador
     dar de comer

    Dar de beber

    Me deixe por favor

    O menina dôr
    Me deixe estender na cama
    ler um pouquinho
    para não estar sozinho

    Esquecer toda esta solidão

    Dando voltas no meu coração.

    Guadeloupe 2009

    Virgile ROBALLO

     

    26

     

    « É dia de Natal »

    Ribeiras, Rios, Riachos …
    Como meninos
    Camisas alvas de linho
    Calças cor de milho
    Elegantes nos seus sapatinhos
    Brincando como meninos
    Cantado e rindo 
    como passarinhos
    Enamorados estão
    Là vão , là vão
    Para o imenso mar
    E num grande amor
    Querem sonhar !
    Em  Dezembro 
    ribeiras, rios, riachos,
    neve, nevoeiro
    Flores,
    Chove chove chuva
    sem parar 
    e o meu amor
    longinquo
    sempre lembrar
    chove Chuva
    Mas onde estàs
    Oh meu querido  sol …
    Somos todos meninos
    Borboletas e passarinhos !
    Debaixo da àrvore
    Pomos os nossos sapatinhos
    Oh Pai Natal
    Queremos presentes
    Somos todos meninos
    O Menina !
    Borboletas, flores
    e passarinhos !

    TelAviv Décembre 2012

     

    27


    «Ô Britania »

    eu gosto de ti
    gosto da tua imagem
    minha princesa
    meu pagem
    me vou p'ra
    outras terras
    p'ra além do mar
    me vou me vou
    p'ra Vera Cruz
    ô minha linda terra te

    eu te vou deixar
    me vou, me vou
    P'ra  Santa Catarina
    à sombra destas velas
    as ondas do mar 
    a cavalgar
    o barquinho cansado
    jà està na marina
    a descansar
    Vamos là, vamos là
    Neste Brasil
    a sonhar

     

    28

     

    « O Tejo »

    O Tejo nasceu do sol

    Num dia de calor

    O menino tinha sede

    Todas as fontinhas lhe deram àgua

    E por seixos e pedras

    Menino Tejo escorregou

    Cresceu, cresceu

    Ficou rapaz

    Andava no fundo dos vales

    Estava contente

    Um dia subiu au monte

    Olhou, reparou

    Encontrou linda moura

    e com ela logo se casou !

     

    Le cantô canciones de su padre

    Sentado al sol

    en ese bello idioma

    el español

    dia tras dia el tiempo pasô

    hasta que um dia, solo se quedô.

    Asi es la vida.

     

    Triste la noche

    Infeliz durante el dia

    Se fue para Portugal

    Pero era tanta la melancolia

    Por la tierra que le diô la vida

    Y por aquella Espãna linda se morria

     

    No oeste viu o sol

    que estava prestes a se deitar

    decidiu ir a Lisboa

    tinha vontade de amar

    jà perdido...

    se deitou ao mar

    nova vida - a navegar...

    para nunca mais voltar

     

    oh Tejo

    oh mar

    amar !

    e sonhar:

     

    "Elle était belle

    la belle colombe noire

    légère comme le vent

    bat ses ailes, s'envole la belle

    et je l'admire tant qu'il est temps

    L e Tage, la Mer, l'océan et ...tout au bout - La vie, Mon amie !"

     

    AS LINDAS FLORES DOS MEUS AMORES

     

    29

    « O Malmequer »
    Oh ! Flor
    vestido Branco
    alma amarela
    eu estou
    olhando p'ra ela !
    Oh ! Mal me quer
    ou bem me quer 
    não sabemos
    isso é verdade
    nesta idade
    ou noutra
    nunca sabemos
    tudo
    eu te amo muito
    e  tu me queres menos !

    Bretagne 18/11/2012

    Virgile ROBALLO

     

    30

     

    « As margaridas »

    são meninas todas vestidas de Branco

    sentadinhas à sombra

    cantam as boas vindas

    aos passarinhos

    num perfume de frescura

    e um olhar

    todo ternura !

    Que sorte tem

    a menina dos olhos negros

    linda vai essa beleza

    Oh linda margarida

    Oh  meu bem

    Tu es a flor  mais linda

    Do meu jardim

    Da serra da montanha  e dos campos

    Oh lindo esplendor

    Do meu amor !

    O Margarida

    Tu es a lindeza

    da natureza !

     

    31

     

    « Ô Meu Amigo (a) »

    que eu não conheço

    Tens vontade de ir à Madeira,

    isto não é mais que um começo

    como os pasarinhos

    que quando se vestem,

    com as suas penas

    Que ainda  são pequenas

    querem voar,

    respirar novo ar

    têm pressa de sair

    do seu berço

    e outros amigos encontrar!

    Faz como os passarinhos

    vem à Madeira

    Vem beber com amizade

    e dar satisfação,

    à tua liberdade

    e ainda mais,

    à tua curiosidade

    Nos daràs un pouquechinho

    de dinheiro

    e com amizade,nôs te daremos

    Toda a nossa casa

    uma semana,

    um mês um ano inteiro  !

    Guadeloupe 2010

     

    32

     

    « A menina da Janela »

    voltou a casa

    e não se enfada

    à janela està
    penteando sua bela cabeleira
    ela é
    pois é
    Branca azul

    Mas também

    Verde amarela...

    E vermelha !

    Serà ela uma estrela ?

     

    entre cortina e cortina
    da bela janela
    encantada
    e eu olho para ela
    admiravel princesa
    donde se desprende
    toda beleza !


    Deusa de fama

    Lindeza lusitana

    Meu coração de grande pobreza

    Solidão eTristeza…

    Vannes Octobre 2012

    Virgile ROBALLO

     

    33


    « Tristezas de Embalar ! »
    Eu estou um pouco cansado
    de trabalhar neste ordenador
    jà não posso dar de beber
    a esta dôr
     


    me vou estender na cama
    ler um pouquinho
    para nao estar sozinho!

    O meu pobre, meu pobre

    Coração sem dama


     
    Desiludido desta vida

    Caminho sem distino só...

    Ô minha Alma perdia

    De ti, ninguém tem dó
    cardos picantes por comida

     

    Ô meu amor, meu querido amor

    Quizera com sol me levantar

    Flores do campo ir colher

    Ter lindos sorrisos no amanhecer

    Depois voltar para casa a cantar

    Carrego comigo as lágrimas...
    E a minha madrugada...
    Na dor calada deste coração...
    Não mais me amar...
    Levou contigo...
    Minha ilusão...
    Meu sonho...
    Deixando a mim só...

    O meu lindo rouxinol

    Cantas tão bem em português

    Como em espanhol

    O meu coração està ferido.
    Esta estrada já não tem fim...
    Aqui vivi momentos fascinantes
    Amores intensos e despedaçados.
    Mas agora jà não importa.
    O que importa para mim,
    O mundo acabarà por abrir a sua porta…
    Virgile ROBALLO

    Guadeloupe 2011

     

    34

     

    « Mas quem gosta dos pobres ? »

    Bem tudo isto 

    é brincadeira

    como dizia

    com heresia

    o padre da azinheira!

     

    Na camara Municipal

    da Guarda

    hà um sportinguista

    especial

    que nao gosta

    da equipa da sua

    terra

    o Sporting do Sabugal

    Mas porqué?

    saiba là você!

    talvez porque é mais ...

    é mais quê...?

    "Mais pobre !"

    que o Sporting de Portugal!

     

    Mas têm

    as mesmas cores

    as mesmas camisolas!

    mas para qué conversar

    os pobres!

    meu amigo

    Nunca, nunca fazem sonhar !

     

    Olhe eu gosto mesmo

    da Associação Académica de Coimbra

    Ela não me enfada não

    Eu a levo sempre apertadinha

    Junto do meu coração !

    Virgile ROBALLO

    Vannes avril 2013

     

    35

     

    « Aqui està o seu café »

    Olà ! Olà  menina !

    Como vai ?

    Então ?  Mas como està ?

     

    Olhe minha querida amiga

    O que não se faz no dia

    De Santa Luzia

    Se faz no otro dia !

     

    Pois sim, pois é

    Quando se não tem chà

    Se toma café !

     

    Sim, café do Brasil

    Também pode ser de Angola

    Porém o mais requintado, é

    é o de São Tomé.

     

    Pois sim, pois é

    Quando se não tem chà

    Se toma café !

     

    Eu là vou levando esta vida

    E saiba bem sua mercê

    Là vou, là vou

    Cada dia pensando em você

    Tudo isto eu lhe digo

    Muito sério

    E ainda mais amor

    E sabe, minha menina

    Com um pouquinho de humor

    E também muito rir !

     

    Pois sim ! Pois é !

    Quando se não tem chà

    Se toma café !

     

    Pois sim minha linda

    Aqui vou deitando contas

    Sobre o presente e o passado

    Mas também, ô minha amiga

    Sobre o que està por vir !

    Tudo isto e muito mais

    Eu lhe digo

    Com um lindo olhar

    E um belo sorriso !

     

    Pois sim ! Pois é !

    O Minha moça linda

    Aqui està o seu café !

     

    Virgile ROBALLO

    Vannes 05/08/ 2016

     

    36

     

    « Mês de maio ! »

    Ribeiras Rios riachos

    Camisas alvas de linho

    Calças cor de milho

    Elegantes nos seus sapatos

    Brincando como meninos

    Cantado e rindo como passarinhos

    Enamorados estão

    Là vão, là vão

    Para o imenso mar

    E num grande amor

    Querem sonhar !

    Em Maio ribeiras, rios, riachos, Flores, chuva e sol …

    Somos meninos

    Borboletas e passarinhos !

    Virgile ROBALLO

    Décembre 2012

     

    37

     

     

     « Cravo cravinho verde e vermelhinho »

    Bem aqui estou

    Minha flor à beira do rio

    Com seu alegre pintassilgo

    Falando, escrevendo consigo

    Os pézinhos na agua quente

    E a boca Na agua fresca

    Desta nascente

    Quando de repente

    Chegou você

    Olhou para mim sorriu..

    E là vamos os dois

    De mãos dadas

    Por esse caminho fora

    Cantando e rindo

    Levados pelo amor

    De um jardim em flor.

     

    Vannes le 23/04/12

    Virgile ROBALLO

     

    38

     

    « Palavras para brincar »

    Toma là Toma là

    Um beijinho de maracujà

    Me dê, me dê

    Um lindo lalaxê

    Eu lhe queria cantar

    Uma cantina d’embalar
    Para seu levantar

    Todo branquinho

    Suave como seda

    Pura cor de linho.

     

    Talvez assim Menina

    Todo o dia até à noitinha

    Você me irà lembrar !

    Tome là, tome là

    Meu lindo vaso de cristal

    Fabricado no Brasil

    Em Moçambique, Talvez em Angola

    Não minha mocinha,

    Neste lindo Portugal

    Tome là, tome là

    Esta simples flor de maracujà

     

    Pénestin 15/08/2016

    Virgile ROBALLO

     

    39

     

    « O que eu quero »

    Aï o que eu quero…
    Pois sim, muito obrigado
    Pelo sua amizade …

     

    Ai eu a  guardei com muito cuidado
    no meu lindo jardim encantado
    com muitas flores
    que crescem na quinta dos amores
    em Coimbra
    em Sezimbra

    Ela se esconde no branco nevoeiro

    Corre ela  ao deus darà

    Como vento de cabelo eiriceiro

    da Bretanha e da ilha de Bréat.

     

    Obrigado sim, pela amizade

    Que guardei com cuidado

     

    Nas preguiçosas e douradas praias da Guadalupe
    donde està o coração da minha chalupe

    A Maria Lusitania

    Ou a Anna Britania…


    Sempre com vontade de cavalgar
    pelas ondas da beira e alto mar
    das Caraibas
    e também das Antilhas.

     

    Ô minha linda menina

    Não va ainda saltar !

    Deixe ! Deixe a dourada areia descansar

    Me diga, mocinha um dia ha-de voltar…


    Ora là vai ela

    Là vai ela desfrandando toda vela

    Cara fria e coração quente

    Todo dia a bronzear

    Toda a vida metida no prazer do mar

    Toda a noite a navegar

    Por debaixo das estrelinhas brilhantes

    Das aguas cristalinas

    Uma louquinha, como peixe na linha

    Como batatinhas saltitantes

    Sempre no fundo da certã a dourar…

     

    Mas porque esperàis vôs peixes do alto mar

    Verdes, azuis os pretos e os brancos

    E mesmo os cinzentos

    Vamos là ! Vamos là  de uma vez

    Deixar o meu amor !

    cantar em espanhol

    amar em português

     

    Pois sim muito obrigado
    pelo sua amizade …

    Ai eu a  guardei com muito cuidado
    no meu lindo jardim encantado
    com muitas flores
    que crescem na quinta dos amores
    em Coimbra
    em Sezimbra

     

    Mas para dondo foi ele

    O meu lindo amor !

    Aï o que eu quero…

    O que eu quero, é  bailar

    Nos nevoeiros doces do alentejo

    E depois dormir com ele

    Que seja là donde fôr

    Dentro das àguas salgadas do mar !

    Numa lenda de nunca mais acabar

    O que eu quero…

    O que eu quero afinal

    E amar, é amar …

    O meu amor d’Espanha e Portugal

     

    Que seja là como fôr

    O que eu quero  é te ver

    Te ter aqui junto de mim…

    Mas aonde é que vais ainda meu doer

    Não es tu o meu amor ?

    Guimarães 10/10/17 (jour de la st Virgile)

    40

     

    « Ainda Hà Luar »

    Ai  ai  ai  ai

    O meu sol se foi

    Nao sei para onde

    Sabe por quê

    Me diga, me diga, você

    Ô minha Menina Lua !

     

    Você sabe, Você sabe,

    Meu coraçao jà està frio

    Minha alma està toda nua

     

    Ai  ai  ai  ai

    O meu sol se foi

    Deixou triste toda a casa

    Andarà perdida  pela rua

    Mas pr’a donde  foi ela

    Me diga Minha branca Menina Lua !

     

    Se deitou ela ao mar

    Seu pensar serà navegar

    Nos seus braços o barco a quer levar

    Suas velas longe a irão levar

     

    Ô barco, caixão  do mar

    Tu te atreves meu coração roubar

    Minha tempestade teràs de enfrentar

    O que é meu eu vou resgatar

    Teu madeiro nas tenebras vai parar

    tua maldade para sempre no fundo do mar !

     

    Ai  ai  ai  ai

    O meu sol se foi

     

    Me digam ô nuvens malvadas

    negras de cara

    tripas de céu cinzento

    onde esconderam minha amada

    corre o vento com tanta dôr

    Chove neve, que fria é a chuva

    Como serà possivel viver

    Sem nunca mais a ver !

     

    Ô Menina Lua

    Minha alma està toda nua !

     

    Que volte, que volte seja là como fôr

    Adonde foi

    Poque se foi

    Mas onde està o meu amor ?

     

    Menino  està cego, menino não vê

    Està aqui ! Està aqui !

    Seu amorzinho

    Està aqui ! Tão pequenino

    Tilintando,Tilintando! Aqui !

    Cheio de frio !

    Canta, canta  o passarinho

    No seu lindo sorrizo !

     

    Aveiro, 26/10/2017

    Virgile ROBALLO 

     

    41

     

    « O meu Coração » 

    Olà coraçao de oiro fagueiro
    pues que saiba o mundo inteiro
    você é minha princesa
    Toda doirada brilhando ao sol
    como agua corrente de ribeiro!

    como é possivél sem a conhecer
    querer beber sua agua
    de manhã até ao anoitecer
    e depois de a beber com regozijo
    lhe dar minha mâo tilitando
    como se estivesse frio!

    Mas a sua, està tao quente comigo
    Minha princesa do rio,
    me a deixe levar a passear
    mesmo que nao seja
    mais que um minutinho!

    Menina me dizem ! Me dizem !...
    que no seu principado lhe chamam "o passadiço"
    Me dizem! Me dizem !...
    Parece que seus pés nem sequer tocam o chao
    Me dizem que seu coraçao là vai ele a voar
    Mas eu quero correr depressa e devagarinho,
    De maos e braços tudo aberto
    como porta verde de par em par !

    Menino tenha cuidadinho com o precipicio!

    meus braços por fim apanham
    com muito e leve geitinho
    aquele coracao de passarinho !

    Mas là vai indo ele continuando a voar
    sô nas flores lindas ele se vai pousar

    E eu lhe digo em tom de voz amigo
    Que toda vez que o queira
    pode livremente voltar!

    Pois este meu coraçao
    o saberà sempre
    com muito cuidado
    Guardar ! Guardar
    e com muita vontade de o amar.
    Vannes 13 Novembre 2012

     

    42

     

    « Aqui estou ! »

    Minha flor à beira do rio

    Com seu alegre pintassilgo

    Falando, escrevendo consigo

    Os pézinhos na agua quente

    E a boca na agua fresca

    Desta nascente

    Quando de repente

    Chegou você

    Olhou para mim sorriu..

    E là vamos os dois

    de mãos dadas

    Por esse caminho fora

    Cantando e rindo

    Levados pelo amor

    De um jardim em flor

    Vannes 23/04/12

    43

    « Là vai ! Da democracia o pai »

    Jà là vai
    Jà se vai ! Jà se vai !
    Da democracia portuguesa nosso pai
    Là vai indo !
    Là vai voando, não se sabe para onde
    Aquele rouxinol tão lindo
    Vai triste ?
    Vai rindo ?
    Ô que lindo passarinho.

    Là Vai ! Là vai !
    Cantando, talvez chorando
    Là vai voando
    Levando nossa dôr
    Mas para onde vai ele, meu senhor ?

    Là vai ! Là vai !
    Contigo e comigo
    Là vai indo !
    Cantando e sorrindo.

    Là vai ! Là vai !
    Deitando alegres ais para o ar
    Menino, ele te vai dizendo
    A Liberdade hà que salvar,
    Cada um laborando para melhor lugar.

    Là vai ! Là vai !
    Da democracia o nosso pai !
    Afirmando e lembrando
    Na vida se tem que labutar

    Mas que està ele a dizer ?

    Toda mulher, Todo homem deve estudar
    Toda a vida aprender
    É assim que se deve ser !

    A Liberdade hà que salvar
    A democracia cada dia melhorar
    Sempre bem lembrar

    Povo instruido
    Não se pode enganar !

    E que mais ! E que mais !
    Deixou lembrado nossa mãe, nosso pai

    Hà que juntos trabalhar
    Hà que juntos se ajudar
    Hà democracia ! Hà liberdade
    Para cada um se realizar !

    Religiões e certa filosofia
    Têm do passado nostalgia
    Porém, pretende a democracia
    Ô ser Humano ! Ô criatura
    A Idade d'Ouro
    Està no presente, olhando para vida futura

    Là vai ! Là vai !
    Menino, tudo isso
    Deixou lembrado nossa mãe e nosso pai !
     
    Então meu amiguinho
    Cabeça no ar
    Andar, Andar
    Não seja coitadinho
    Como o pequeno cordeirinho
    Não va outros culpabilizar.

    Là vai ! Là vai !
    Aquele nosso pai !

    Nenhum Deus vai querer
    Ver menino pedindo de joelhinho
    Todo culpadinho
    Não va ! Não và ! Pedir a ninguém
    O que você tem que fazer.

    Ô Menino ! Esse é seu dever !

    Là vai ! Là vai !
    Contigo e comigo
    Là vai indo !
    Cantando e sorrindo
    Deitando alegres ais para o ar
    Menino, ele te vai dizendo
    A Liberdade hà que salvar
    A democracia cada dia melhorar.

    Là Vai ! Là vai !
    Tudo isso meu menino
    Nos deixou o Dr. Màrio Soares 

    Da democracia o nosso pai pai !


    Nazareth (Israël) 23/01/17
    Virgile ROBALLO


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